502,503,504,505,506,507,508,509,510,511,512,513,514,515,516,517,518,519,520,521,522,524,525,526,527,528,529,530,531,532,533,534,535,537,538,539,540,541,542,543,544,545,546,547,548,549,550,551,552,553,554,555,557,558,559,561,564,565,566,567,568,569,570,571,572,574,575,576,583,584,587,588,590,591,597,598,599,600,601,602,603,610,611,612,613,614,615,616,618,622,623,624,625,627,628,629,630,631,632,633,634,635,637,638,639,640,641,642,643,644,645,646,647,648,650,651,652,1001,1002,1003,1005,1006,1007,1009,1010,1011,1012,1014,1015,1016,1017,1019,1020,1021,1022,1023,1024,1025,1026,1028,1029,1030,1031,1032,1033,1034,1035,1036,1037,1038,1039,1040,1041,1042,1043,1045,1046,1048,1049,1050,1051,1052,1053,1054,1055,1056,1057,1058,1059,1060,1061,1062,1063,1064,1065,1066,1067,1068,1069,1070,1071,1072,1073,1075,1076,1077,1078,1079,1083,1084,1085,1086,1087,1088,1089,1090,1091,1092,1093,1094,1095,1096,1097,1098,1099,1100,1101,1102,1103,1104,1105,1106,1107,1108,1109,1110,1111,1112,1113,1114,1115,1116,1117,1118,1119,1121,1122,1123,1124,1125,1127,1129,1132,1133,1135,1136,1137,1138,1139,1141,1142,1143,1146,1148,1151,1154,1156,1157,1158,1159,1162,1163,1164,1165,1166,1167,1168,1169,1170,1171,1172,1173,1175,1176,1178,1179,1181,1182,1183,1184,1185,1186,1187,1188,1189,1190,1191,1192,1193,1194,1195,1199,1202,1203,1204,1205,1206,1207,1208,1209,1210,1211,1212,1214,1215,1216,1217,1218,1219,1221,1222,1223,1224,1225,1226,1227,1228,1229,1230,1231,1232,1233,1235,1237,1238,1239,1240,1243,1244,1245,1246,1247,1248,1249,1250,1251,1253,1254,1255,1256,1257,1259,1260,1261,1262,1263,1264,1266,1267,1270,1273,1274,1275,1276,1277,1278,1279,1281,1283,1284,1285,1286,1287,1288,1290,1291,1292,1293,1294,1295,1296,1300,1303,1304,1306,1308,1311,1312,1313,1314,1315,1316,1317,1318,1322,1323,1324,1325,1326,1328,1329,1330,1341,1342,1344,1345,1347,1356,1357,1358,1367,1373,1374,1376,1379,1380,1381,1382,1383,1384,1385,1386,1387,1388,1391,1392,1397,1398,1404,1412,1418,1419,1421,1422,1423,1435,1440,1442,1443,1458,1459,1463,1464,1465,1466,1467,1468,1469,1470,1481
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Le monastère de Marmoutier : de l'hôtellerie à la maison du Grand Prieur (10e-19e siècle)

INTRODUCTION

Introduction

Élisabeth Lorans et Émeline Marot

Cette publication est dédiée à l’analyse archéologique de l’ancienne hôtellerie monastique, aux bâtiments qui l’ont précédée, et qui eux aussi ont pu remplir une fonction d’accueil, comme à ses transformations successives qui en firent la maison du Grand Prieur (Fig. 0-2) puis, après la fermeture du monastère, un bâtiment de ferme. Toutes ces constructions établies dans la zone nord-ouest de l’enclos, à quelques mètres du coteau, sont étudiées dans leur environnement proche, qui a inclus, un temps, un cimetière.

L'étude de l'hôtellerie médiévale entamée en 2005 (Fig. 0-8, 0-13 et 0-9) met à profit de nombreuses sources de natures diverses, essentiellement des sources matérielles. Elle a été réalisée en combinant des analyses architecturales (Fig. 0-38) et des fouilles archéologiques dans les deux zones correspondant au bâtiment originel : la partie conservée en élévation (zone 3) et les deux tiers du bâtiment détruits au 19e siècle (zone 4). Ont également été utilisées des sources iconographiques, qu’il s’agisse de plans, de vues cavalières (Fig. 0-179) ou de dessins de détail, produites entre le 17e et le 20e siècle, et des sources textuelles qui s’étalent du haut Moyen Âge à l’époque contemporaine. L’étude du mobilier livré par la fouille contribue à déterminer les fonctions des espaces conservés ou restitués.

L'objectif de ces recherches était de s'assurer de la datation originelle de l'édifice, construit à la fin du 12e siècle d'après les sources textuelles, et de mieux appréhender les transformations ultérieures. Notre ambition est de présenter à la fois les bâtiments et, autant que possible, ceux qui les ont occupés ou utilisés, dans la longue durée, comme ceux qui ont été inhumés à proximité immédiate.

Le jour même de son ordination sacerdotale célébrée dans la chapelle de l’archevêché de Tours, le 7 octobre 1827, dom Prosper Guéranger, futur rénovateur de l’ordre bénédictin, se rendit en pèlerinage à Marmoutier :

« Après avoir passé la Loire, je pris à droite le long du fleuve, et j’arrivai enfin à un vaste portail qui avait survécu aux murailles qui l’accompagnaient autrefois. Je [le] franchis, et je me trouvai bientôt sur l’emplacement où fut jadis Marmoutier. Il n’y avait que des décombres partout ; mais on distinguait encore la situation d’un grand cloître dont les murs avaient été rasés presque jusqu’au sol. L’enceinte des lieux réguliers se reconnaissait aussi par les débris des murs non entièrement arrachés. Il y avait de la vigne et des cultures de jardinage dans ces encadrements. La place de la grande église abbatiale était pareillement désolée ; je me rappelle d’un assez grand bâtiment d’importance secondaire qui était demeuré debout. La vue de ces ruines m’impressionna vivement ; je parcourais avec émotion cette enceinte désolée, enjambant les pans de mur et visitant tout avec un respect religieux. J’étais seul à ce moment, et je me dirigeai vers des grottes taillées dans le roc qui s’étaient trouvées autrefois dans l’enclos de l’abbaye. Je sus peu après que le souvenir de saint Martin consacrait l’une des deux, et que l’autre avait été habitée par saint Brice. »
(Mémoires autobiographiques : 73-74)

Au-delà de l’émotion ressentie par le jeune prêtre, ce texte traduit l’état d’abandon de l’ancien monastère, quelques décennies après la vente des bâtiments comme biens nationaux et la démolition quasi totale qui s’ensuivit : le portail de la Crosse et des lambeaux d’enceinte, le tracé du cloître arasé et une dépendance, peut-être l’ancienne hôtellerie partiellement conservée jusqu’à aujourd’hui, enfin les deux grottes superposées associées aux noms de Brice et de Martin sont les principaux éléments identifiés par le visiteur qui cite plus loin une tour arasée qui ne peut être que la tour des cloches.

La confrontation des vestiges actuels aux vues cavalières de l’époque moderne, en particulier à la vue extraite du Monasticon Gallicanum, dessinée du sud probablement entre 1672 et 16891La datation de cette vue cavalière a été établie par Pierre-Marie Sallé, qui travaille sur la formation du Monasticon Gallicanum dans le cadre du programme Emergence(s) : « le Paris bénédictin du XVIIe siècle, carrefour de l’Europe savante », sous la direction de Jérémy Delmulle (lnstitut de Recherche et d’Histoire des Textes). Qu’il soit vivement remercié d’avoir partagé ses connaissances avant la publication à paraître. (Fig. 0-176), et à la vue de la collection Gaignières, dessinée en 1699 depuis l’est (Fig. 0-178), confirme l’immensité des destructions post-révolutionnaires dont l’essentiel était accompli en 1811, quand fut dressé le premier plan cadastral de la commune de Sainte-Radegonde (Fig. 0-173), intégrée à celle de Tours depuis 1964.

Ces vues rendent bien compte de la situation topographique très particulière du monastère de Marmoutier, établi d’abord entre coteau et Loire, sur un axe de circulation à longue distance (Fig. 0-1), avant d’être étendu au plateau de Rougemont (Fig. 0-2), à l’intérieur d’un vaste enclos encore largement préservé, bien qu’il ait été traversé par l’autoroute A10 dans les années 1970. L’acquisition de Marmoutier par la Congrégation du Sacré Cœur de Jésus, en 1843, a évité un démantèlement complet de l’ancien monastère qui est partagé aujourd’hui entre trois propriétaires seulement : deux établissements d’enseignement privé et, entre les deux, la Ville de Tours qui a acquis en 1981 le coteau et le terrain situé à ses pieds où se trouve la totalité des bâtiments médiévaux et modernes encore conservés en élévation, exception faite de l’enceinte.

Les vues cavalières du 17e siècle comme les plans du 18e siècle révèlent une organisation du monastère qui répond à un schéma général adapté aux contraintes topographiques locales, ici particulièrement fortes en raison de la proximité du coteau et de la Loire. Le processus de formation du monastère et ses transformations du Moyen Âge central à la fin de l’époque moderne ayant déjà été analysés en détail (Lorans 2014), seul un bref récapitulatif sera présenté ici :

  • au centre du dispositif, l’église abbatiale (Fig. 0-2, n° 23), adossée au coteau, et le cloître médiéval (n°17), doublé à l’époque moderne (n° 11) ;
  • près de l’entrée occidentale (n° 26), qui constitue l’entrée principale depuis le haut Moyen Âge, l’hôtellerie médiévale (n° 25), plus tard maison du grand prieur, fermait un espace délimité au nord par le coteau et formant comme une cour en avant de l’église abbatiale, dans l’axe de l’entrée ;
  • sur la terrasse occidentale inférieure, la chapelle Notre-Dame qui devint Notre-Dame des Sept-Dormants (n° 27) à partir du 12e siècle où elle fut reconstruite, un édifice à l’origine semi-troglodytique et à fonction funéraire ; à ses côtés, la tour des Cloches (n° 28), clocher de l’abbatiale romane édifié dans la seconde moitié du 11e siècle à une quarantaine de mètres en avant de la façade de l’église;
  • à l’est du cloître, l’église Saint-Benoît (n° 18), attestée pour la première fois à la fin du 11e siècle, était la principale église funéraire du monastère, près de laquelle se dressait l’infirmerie médiévale, incluant probablement son propre cloître, si l'on en juge d'après la vue de Siette de 1619 ; à la fin du 17e siècle, l’infirmerie apparaît au sud du réfectoire ;
  • au sud-ouest, un secteur aménagé dans les années 1220 par l’abbé Hugues des Roches qui fit construire deux portails (n° 1 et 6) formant comme un sas d’entrée entre lesquels s’étiraient les écuries (n° 3) complétées par une grange (n° 7) ;
  • sur le plateau de Rougemont, au nord, à l’écart de la communauté, le logis de l’abbé (n° 32) doté de sa propre chapelle représenté entouré de vignes et relié à la partie basse du monastère par un escalier monumental (n° 31) établi par les mauristes au 17e siècle en même temps que les grandes terrasses (n° 29) à l'est de l'église abbatiale.

Cette publication est dédiée à l’analyse archéologique de l’ancienne hôtellerie monastique (n° 25), édifiée à la fin du 12e siècle, aux bâtiments qui l’ont précédée, et qui eux aussi ont pu remplir une fonction d’accueil, comme à ses transformations successives qui en firent la maison du Grand Prieur puis, après la fermeture du monastère, un bâtiment de ferme. Toutes ces constructions établies dans la zone nord-ouest de l’enclos, à quelques mètres du coteau, sont étudiées dans leur environnement proche, qui a inclus, un temps, un cimetière. L’étude du mobilier livré par la fouille contribue à déterminer les fonctions des espaces conservés ou restitués. Notre ambition est de présenter à la fois les bâtiments et, autant que possible, ceux qui les ont occupés ou utilisés, dans la longue durée, comme ceux qui ont été inhumés à proximité immédiate.

Cette étude met à profit de nombreuses sources de natures diverses : essentiellement des sources matérielles, dont les méthodes de collecte par la fouille ou l’analyse de bâti seront présentées plus loin, mais aussi des sources iconographiques, qu’il s’agisse de plans, de vues cavalières ou de dessins de détail, produites entre le 17e et le 20e siècle (Fig. 0-189), et des sources textuelles qui s’étalent du haut Moyen Âge à l’époque contemporaine. Le lecteur découvrira leur apport au fur et à mesure de l’analyse.

0.1. Le programme de recherche du Laboratoire Archéologie et Territoires : extension, objectifs et méthodologie

Les interventions archéologiques menées depuis 2005 ont été concentrées sur le secteur du coteau et de ses abords (Fig. 0-2, 0-3) : les églises abbatiales successives et les sépultures associées (zone 1) ; l’ancienne hôtellerie (zones 3 et 4) ; la tour des cloches (zone 5) et les terrasses occidentales (zone 6) ; au sud des églises, l’emplacement des anciens cloîtres et des jardins qui firent l’objet de prospections géophysiques, de carottages géologiques et de sondages archéologiques (zones 2 et 7) ; enfin l’enceinte elle-même (zone 8) qui entourait dix-sept hectares, onze dans la vallée et six sur le plateau de Rougemont où se dressait le logis abbatial à partir du 14e siècle.

Le bâtiment de l'hôtellerie médiévale a été partiellement détruit au début du 19e siècle. Avant le début de l'étude, l'édifice subsistant se présentait sous la forme d'un bâtiment de 19 m de long comportant deux étages (la zone 3) et se prolongeant vers l'ouest par un mur joignant l'enceinte et le portail de Sainte-Radegonde (Fig. 0-4, 0-5). Des appentis et des clapiers en béton étaient accolés au bâtiment sur plusieurs côtés (Fig. 0-188), tandis que l'intérieur comportait encore des traces des dernières activités (outils agricoles, foin). À l'est, l'espace correspondant à l'emprise du reste du bâtiment médiéval arasé (zone 4) était couvert d'une prairie et d'arbres fruitiers.

0.1.1. Les études antérieures à 2005

Les premières études sur le bâtiment ont été réalisées par Charles Lelong (1917-2003), qui entreprit des fouilles à Marmoutier de 1974 à 1983, alors qu'il était maître-assistant en Histoire de l'art du Moyen Âge à l'Université de Tours. Bien que ses investigations archéologiques n’aient porté que sur l’emprise de la grande abbatiale gothique, il proposa dans son ouvrage sur l'histoire de Marmoutier une synthèse des connaissances sur l'ancienne hôtellerie médiévale, devenue maison du Grand Prieur à l’époque moderne (Lelong 1989 : 79-81 et pl. X et XI). Des descriptions architecturales succinctes de l'hôtellerie et de l'aile ajoutée au 18e siècle sont étayées par des sources planimétriques et textuelles. Le seul relevé récent est celui de l'architecte Robert Baldet, qui ne présente qu'une partie de l'édifice.

Une nouvelle synthèse des connaissances a été proposée par Nasrullah Coowar dans un mémoire de maîtrise de l’Université de Tours portant sur toute la topographie du monastère, une étude fondée sur des recherches documentaires, sans travail de terrain (Coowar 1999 : 33-35).

En revanche, le mémoire de maîtrise de Marie Delauné, soutenu en 2001 à l’Université de Tours, avait pour objectif de réaliser une première étude d'archéologie du bâti sur la partie conservée en élévation et de proposer un phasage (Delauné 2001). L'étude reposait sur des observations des maçonneries et sur l'analyse des différentes sources, mais aucun relevé architectural n'avait pu être réalisé à cette occasion : le phasage est présenté sous la forme de photographies annotées et à l'aide des relevés de Philippe Boisseau exécutés pour l’étude préalable de l’architecte en chef des Monuments Historiques Arnaud de Saint-Jouan (1992).

0.1.2. Les travaux de terrain sur l’hôtellerie depuis 2005

L’emplacement de l’hôtellerie, non touché par les fouilles menées par Charles Lelong dans les années 1970 et 1980, constituait une véritable réserve archéologique, et offrait la possibilité d’une étude complète de l’édifice sur la longue durée, par la fouille et l’étude de l’architecture. Les hôtelleries monastiques étaient alors peu étudiées, surtout en milieu bénédictin, et l’importance de l’abbaye de Marmoutier au Moyen Âge en faisait un sujet de recherche prometteur.

L'étude de l'hôtellerie médiévale entamée en 2005 a été réalisée en combinant des analyses architecturales et des fouilles archéologiques dans les deux zones correspondant au bâtiment originel (Fig. 0-6). L'objectif de ces recherches menées en parallèle était de s'assurer de la datation originelle de l'édifice, construit à la fin du 12e siècle d'après les sources textuelles, et de mieux appréhender les transformations ultérieures.

L'étude a commencé en 2005 par une campagne de relevés architecturaux dans la partie du bâtiment encore en élévation (zone 3, Fig. 0-7) puis la fouille archéologique a été amorcée en 2006 avec l'ouverture de quatre secteurs de fouille (Fig. 0-8, 0-9). Jusqu'à la fin de l'étude dans cette zone en 2017, les fouilles, dont la surface a été progressivement augmentée, ont été complétées par des études architecturales de l'hôtellerie et des bâtiments environnants.

0.1.2.1. L'étude des bâtiments en élévation (zone 3)

Ce bâtiment mesure 19 m de long pour 14 m de large et 15 m de haut (Fig. 0-26, 0-32). Il comporte deux murs de refend au rez-de-chaussée (M.502 , M.503 ), tandis que les deux étages ne présentent que de fines cloisons de séparation. Le mur nord (M.506 ) est prolongé par une maçonnerie joignant l'angle de l'enceinte et le portail occidental du monastère (Fig. 0-29).

La première étape de travail sur l'hôtellerie en 2005 a consisté en une étude architecturale préliminaire, réalisée sous la forme d'un stage de formation d'étudiants à l'archéologie du bâti, encadré par Bastien Lefebvre, alors doctorant au sein du LAT. Dans ce cadre, un premier nettoyage et un piquetage des murs a été réalisé à l'intérieur pour retirer papier peint et plâtres récents qui masquaient les maçonneries au premier étage. Au rez-de-chaussée, les enduits de béton et de mortier ont été laissés en place pendant cette première campagne de relevés, tandis que les murs du deuxième étage étaient largement apparents, quoique peu accessibles pour la partie orientale du bâtiment. Une mise en sécurité a donc été nécessaire pour poursuivre le travail de relevé et d'étude architecturale à cet endroit. Les campagnes de fouille ultérieures comprenaient systématiquement la réalisation par les stagiaires de relevés architecturaux des parties encore non traitées.

Une deuxième campagne de piquetage a concerné en 2008 la face orientale du mur de refend M.502 , qui était recouvert de béton récent. En 2014, deux autres murs ont été piquetés, permettant le dégagement d'une colonne à chapiteau et des voûtes associées (M.506 , M.503 ).

Les relevés architecturaux réalisés à la main par les étudiants ont été complétés par des relevés réalisés par l'équipe de recherche de Marmoutier soit à la main, soit avec d'autres techniques (Fig. 0-190, 0-191, 0-192). À partir de 2013, un traitement complémentaire par photogrammétrie et lasergrammétrie (scanner 3D) a ainsi permis de relever les maçonneries extérieures du bâtiment, notamment les parties hautes inaccessibles, ainsi que les constructions associées : aile moderne s'étendant à l'ouest, portail de Sainte-Radegonde et partie ouest du coteau (Émeline Marot, Daniel Morleghem et Nicolas Nony).

L'analyse architecturale réalisée par Bastien Lefebvre en 2005-2007 a été présentée sous la forme d'une synthèse dans le rapport de fouille de 2007. Le travail d'archéologie du bâti a été poursuivi par Émeline Marot en associant l'étude du bâtiment de la zone 3 aux résultats de onze années de fouille en zone 4.

0.1.2.2. La fouille du bâtiment (zones 3 et 4)

La fouille archéologique a été menée principalement en zone 4, correspondant à l'emprise du bâtiment arasé au début du 19e siècle. Toutefois, trois secteurs de fouille ont été définis en zone 3 pour des recherches ponctuelles destinées à répondre à des questionnements spécifiques. Au total, seize secteurs ont été fouillés de 2006 à 2017, correspondant à 647 m² en tout (intérieur et extérieur) et renseignant 55 % de la surface intérieure au niveau 1 (Fig. 0-8, 0-10, 0-11, 0-12).

La fouille de la zone 4 a été entamée en 2006 avec l'ouverture de quatre secteurs formant une fenêtre nord-sud positionnée à l'emplacement du changement d'axe du bâtiment, la compréhension de cette particularité du plan étant un des objectifs principaux de la fouille. Les secteurs 1 et 4 correspondent aux espaces extérieurs du bâtiment, les secteurs 2 et 3 à l'intérieur (Fig. 0-13).

Les agrandissements de la zone 4 en 2007 et 2008 étaient liés essentiellement à la création de paliers de sécurité. En zone 3, le secteur 1 correspond à la fouille en 2007 des couches recouvrant les voûtes du rez-de-chaussée, dégagées en retirant une partie du parquet de l'étage, à l'angle sud-ouest du bâtiment.

En 2009, un agrandissement vers l'est a été décidé afin de mettre au jour l'extrémité du bâtiment et de vérifier le degré d'exactitude du plan du 18e siècle (ADIL H236). Les secteurs 5 à 8 créés à ce moment-là concernent uniquement l'intérieur du bâtiment (Fig. 0-14, 0-15). Une berme a été conservée dans un premier temps contre le mur oriental M.1014  pour relever les remblais les plus récents, avant leur fouille complète et le dégagement du parement intérieur du pignon en 2010.

En 2012, la zone de fouille a été agrandie vers l'ouest cette fois, afin de mieux comprendre les transformations intérieures du bâtiment (secteurs 10 et 11) et de fouiller la tourelle de latrines qui se trouvait en bordure du secteur 1 (secteur 9, Fig. 0-16). Avec cet agrandissement, la quasi-totalité de la partie arasée du bâtiment a été mise au jour, seule une bande de cinq mètres a été préservée entre la zone de fouille et le bâtiment encore en élévation. Le secteur 12, situé au nord du bâtiment, a été décapé, mais n'a été fouillé qu'en 2016, afin de comprendre la chronologie de la porte nord.

Le secteur 13 a été créé en 2014 à l'angle nord-est du bâtiment, c'est-à-dire à la jonction avec le porche de l'église, dont la fondation du pilier a ainsi pu être observée (Fig. 0-17).

Les secteurs 2 et 3 de la zone 3 ont été ouverts en 2014 afin de mieux appréhender et dater la construction et les transformations du passage occidental du bâtiment, et notamment pour établir l'altitude des sols médiévaux. La fouille du secteur 2, au nord, avait également pour objectif de vérifier la présence du deuxième portail médiéval, représenté sur la vue de Gaignières, dont la localisation n'était pas certaine.

La dernière année de fouille de la zone 4 concerne uniquement des niveaux du haut Moyen Âge, qui ne sont pas analysés dans ce travail. Tous les rapports dans lesquels la fouille de l’hôtellerie est traitée, de 2006 à 2016, sont cités en bibliographie (sous le titre de Marmoutier suivi de la date). Ils sont tous accessibles en ligne (HAL-SHS).

0.1.3. Le système d’enregistrement et les normes utilisées

Le système d’enregistrement utilisé à Marmoutier est celui que développe le LAT depuis de nombreuses années. Il découle des procédures mises en place outre-Manche dans les années soixante et formalisées par Edward Harris dans les années soixante-dix puis par d’autres archéologues français.

0.1.3.1. La numérotation des éléments archéologiques

L’enregistrement des éléments archéologiques répond sur le site de Marmoutier à des normes communes aux différentes zones de fouille : des séries de numéros sont appliquées aux murs, faits ou Entités Architecturales et aux Unités Stratigraphiques et Unités de Construction pour éviter les doublons entre les zones (Fig. 0-18).

Les unités stratigraphiques (US) comme les unités de construction (UC) se rapportant aux maçonneries sont numérotées par zone en continu. Les sépultures en revanche sont numérotées en continu à l'échelle de tout le site de Marmoutier.

Les faits sont numérotés par zone en continu avec les entités architecturales (EA), définies comme des éléments fonctionnels structurants de l'édifice (portes, fenêtres, escaliers, niches, voûtes, etc.) et identifiés par un code de trois lettres suivi du numéro d'EA (Fig. 0-19, 0-26, 0-29, 0-30).

Les murs sont numérotés lors de leur découverte avec des séries de numéros attribuées à chaque zone ; chaque élément identifié peut correspondre à des reprises de datation différentes, tant qu'il n'y a pas de changement d'orientation ou d'incompatibilité fonctionnelle entre les différentes parties.

Ces différents éléments archéologiques répondent à une hiérarchie théorique correspondant à des regroupements spatio-fonctionnels (Galinié et al. 2005 : 7-8, Fig. 5). Les US/UC constituent l'objet le plus petit, qui peuvent être regroupés ou non dans des Faits / EA / sépultures, constituant le deuxième échelon de la hiérarchie, et/ou dans des murs, qui sont donc composés d'UC et d'EA.

0.1.3.2. L'établissement du diagramme et de la chronologie

Pour réaliser le diagramme stratigraphique, les relations de chacun des objets archéologiques sont représentées graphiquement, en restituant les regroupements spatio-fonctionnels. Ces éléments sont ensuite intégrés à des regroupements temporels ou chrono-fonctionnels que constituent les Agrégations, correspondant à des ensembles d'US et de Faits résultant d'un même événement (chantier de construction, création d'un sol, destruction d'une cloison, etc.).

Les niveaux supérieurs, strictement emboîtés (Ensembles, Phases et Périodes) constituent des regroupements spatio-temporels et permettent de définir les étapes de l'occupation sur le long terme (Fig. 0-20 ; Galinié et al. 2005).

En ce qui concerne l'hôtellerie, quatre périodes ont été définies du 10e au 21e siècle, prenant en compte l'occupation de cet espace depuis les premiers bâtiments des 10e-11e siècles jusqu'aux dernières transformations à la période contemporaine (Fig. 0-21). L'occupation du haut Moyen Âge n'est pas prise en compte dans cette publication, mais sera présentée comme point de départ de l'occupation de cet espace. En effet, il est apparu plus pertinent d’étudier ensemble les niveaux du haut Moyen Âge des zones 1 et 4 afin de les comparer et de mieux comprendre l’organisation du monastère à cette période où la zone 1 concentre presque tous les vestiges maçonnés, la zone 4 apparaissant avant tout comme une zone de rejet de déchets artisanaux. La construction du bâtiment 6 (cf. infra) marque donc une nette rupture dans l’histoire de la zone 4 et justifie ce choix de publication.

Enfin, chaque période regroupe une ou plusieurs phases d'occupation constituant les principales étapes de construction et de transformation des bâtiments (Fig. 0-22, 0-23).

0.1.3.3. La datation du mobilier

L'étude du mobilier, notamment la vaisselle en terre cuite, a fourni des datations plus ou moins précises, qui sont indiquées au siècle (ex. 12), demi-siècle (ex. 12ab) ou quart de siècle près (ex. 12a). Les groupes techniques mentionnés, à la fois pour la céramique et la verrerie, se rapportent à des études et des bases de données publiées ou accessibles en ligne : sur le site internet du programme de recherche ICERAMM pour la céramique (https://iceramm.univ-tours.fr/) et dans diverses publications pour le verre (Motteau 1985, Aunay et al. 2020).

Une grande partie des groupes techniques repérés à Marmoutier correspondent à des découvertes faites sur d'autres sites de Tours et répondent donc à des codes en to- : to9f, to7h, to2k par exemple pour la céramique, TO 180 pour la vaisselle en verre (cf. 10).

0.1.4. Les outils et méthodes d'analyse

0.1.4.1. Les outils de gestion de données

Les recherches sur l'hôtellerie s'intègrent dans l'étude de l'ensemble du monastère de Marmoutier, avec l'utilisation d'une base de données et d'un système d'information géographique à l'échelle du site.

La base de données Arsol (Archives du Sol) a été développée par le Laboratoire Archéologie et Territoires pour répondre aux besoins de la gestion des données archéologiques de différents sites de Tours notamment, dans un souci d'homogénéisation et d'interopérabilité des données (Galinié et al. 2005 ; Husi et Rodier 2011). La base permet la gestion de l'enregistrement archéologique (US, Faits, sépultures, murs), des regroupements fonctionnels et temporels (agrégations, ensembles, phases, périodes), du petit mobilier archéologique, de la céramique et de la documentation (relevés, photos).

Le système d'information géographique utilisé pour Marmoutier comporte des données relatives à l'environnement général actuel et ancien du site (cadastres, courbes de niveau, hydrographie, prospections), à la topographie historique du monastère (positionnement et phasage général des bâtiments) et à la fouille archéologique menée sur différentes zones. Des fichiers existent ainsi pour les murs, faits, sépultures, et unités stratigraphiques ainsi que pour localiser les relevés (Fig. 0-193).

0.1.4.2. La restitution en 3D de l'hôtellerie

Depuis 2016, l'analyse des bâtiments de l'ancienne hôtellerie repose en partie sur une proposition de modélisation en trois dimensions, réalisée en collaboration avec Nicolas Nony, spécialiste de la modélisation en 3D. L'objectif de cette modélisation était de restituer quatre états distincts du bâtiment, en s’appuyant sur les principales phases chrono-fonctionnelles définies par l’enregistrement archéologique. Il s'agit de la fin du 12e siècle, au moment de la construction de la grande hôtellerie (phase 3, Fig. 2-59, 2-60, 2-61, 2-62, 2-63, 2-64), d'un état postérieur d’un siècle environ, avec des modifications des ouvertures et du décor (phase 4, Fig. 3-24, 3-35), d'une phase correspondant à une reprise importante des niveaux et de la fonction de l’édifice au 15e siècle (phase 5, Fig. 4-29, 4-30), et enfin du début du 18e siècle avec l’ajout d’une aile et la construction du portail de Sainte-Radegonde (phase 8, Fig. 7-35, 7-36). Les restitutions montrent le bâtiment seul, sans son environnement immédiat, qui est très complexe à toutes les périodes. L'enceinte à l'ouest ou le porche de l'église à partir du 14e siècle ne sont ainsi pas représentés.

Ces restitutions s’appuient sur le système d’information géographique du site, ainsi que sur les relevés architecturaux des maçonneries conservées en zone 4 ou en zone 3. La documentation archéologique (enregistrement et relevés) permet de proposer le phasage des maçonneries, indispensable à la restitution en 3D des différents états de l’édifice.

Pour chaque état, la modélisation en 3D montre les caractéristiques architecturales attestées, mais des choix ont été effectués sur certains aspects plus hypothétiques ou incertains, soit en faisant une proposition, soit en ne représentant pas l’élément sujet à caution. Le détail de ces choix est développé dans les chapitres correspondant à chaque phase.

Ces différents états proposés en 3D constituent une aide à l’analyse pour la vérification d’hypothèses de restitution, notamment en ce qui concerne les niveaux de sols intérieurs et extérieurs, mais sont également un support d’illustrations, permettant de visualiser les formes architecturales ou les décors, sous la forme de volumes simples (Fig. 0-24) ou avec l’application de textures et de traitements plus réalistes.

0.2. L’occupation de la zone 4 pendant l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge

Une précision préliminaire s'impose sur la localisation du secteur d'étude par rapport à la limite occidentale du monastère qui n'est pas précisément connue pour cette période. Néanmoins, sur la base d'un acte de 8462[…] quod quoddam oratorium infra idem monasterium situm, atque a beato Martino fundatum, quod est in honore beatae simper virginis, relevare atque ex rebus ejusdem abbatiae honorare satageremus. […] ut praedictum locellum prope portam monasterii, id est cryptam ubi praedicta Dei Genitrix in Domini honore colitur et venerator, et discipuli beati Martini in somno pacis quiescunt, ob ejus amorem et Dei reverentiam quantu locumque adjutorio per scripturam hanc relevare atque erigere conaremur…
(Annales O.S.B. : 695)


Traduction de Claire Lamy que nous remercions vivement :
… que nous nous donnions la peine de relever un certain oratoire situé au sein de ce même monastère, [oratoire] fondé par saint Martin, en l’honneur de la bienheureuse et toujours Vierge, et de le gratifier à partir des biens de cette même abbaye. […] afin que nous entreprenions de reconstruire et redresser le susdit petit sanctuaire à proximité de la porte du monastère, c’est-à-dire la crypte où ladite mère de Dieu est honorée et vénérée en l’honneur de Dieu…

La traduction de la mention infra idem monasterium soulève une difficulté puisque littéralement elle indique une position inférieure (au bas, en dessous du monatère), qui n’est pas compatible avec la topographie attestée depuis le haut Moyen Âge. Nous optons donc pour un sens équivalant à intra, au sein de. Si la fondation de la chapelle par saint Martin n’est pas à retenir, l’insertion du coteau dans l’enclos monastique dès le début de la vie cénobitique est hautement probable étant donné qu’une partie des frères, selon le témoignage de Sulpice Sévère, habitait des grottes qu’ils avaient eux-mêmes creusées dans la roche. Sur la chapelle, dont subsistent des vestiges attribuables au haut Moyen Âge, et son environnement, voir Lorans 2014 : 314-318 ; Lorans 2018.
, le premier à évoquer la porte du monastère, nous pouvons la situer à proximité de la chapelle Notre-Dame (plus tard Notre-Dame des Sept-Dormants ; Fig. 0-1, n°17) représentée sur les vues modernes sur la terrasse occidentale inférieure, à peu près face à la zone 4. Autrement dit, la porte principale est localisable dans la partie nord-ouest du monastère, probablement en lien avec la voie qui devait longer le coteau, une situation qui perdura jusqu’au 18e siècle. Il est donc probable, mais pas avéré, que les zones 3 et 4 ont fait partie de la clôture monastique dès le haut Moyen Âge.

Les fouilles conduites par Charles Lelong, dans l’emprise de la zone 1 (Fig. 0-3), ont révélé que l’occupation antique de ce secteur a commencé vers la fin du 1er siècle ap. J.-C., alors que pour la zone 4 les premiers niveaux anthropiques remontent seulement au 5e siècle. Résumons les principales phases d'occupation de la zone 4 avant la construction du bâtiment 6, premier bâtiment interprété comme un lieu d'accueil (Lorans et Simon 2018).

Six phases ont été identifiées entre les 5e-6e siècles et le 10e siècle (Fig. 0-25). Les trois premières phases ont pu voir la présence d'un ou deux lieux de culte, attestés d'une part par la découverte de fragments de colonne et d'antéfixe, d'autre part par la mise au jour d'une maçonnerie légèrement curviligne évoquant une abside (Fig. 0-25a-b).

Après la démolition de cet édifice, des activités artisanales prirent le relais, associées à des constructions légères : mur de pierres sèches, foyers, zones de mortier (sols ?), déchets de tuffeau ou encore couches rubéfiées. On a affaire à une zone d’activités, qui a dû inclure le travail de différents métaux, si l’on se fonde sur la présence de scories de fer, de coulées de plomb ou de rognures de cuivre (Fig. 0-25c). La séquence stratigraphique suivante prend la forme de « terres noires » dont l’épaisseur varie de 0,30 à 1 m (Fig. 0-25d). L’analyse micromorphologique de ces dépôts, toujours très délicats à interpréter, renvoie encore à des activités artisanales, mais aussi à l’épandage de déchets et au piétinement. De nombreuses fosses de dimensions variables ont été creusées à travers ce dépôt, à des moments différents. Les activités liées à ces creusements, dont un a livré des scories qui s’étaient agglomérées, voire vitrifiées, le long des parois d’un four, ont dû contribuer à la formation même de ces terres noires qui résultent de processus de transformation complexes. Cette longue séquence stratigraphique s’achève par la mise en place d’un cailloutis qui a pu recouvrir une vaste aire ouverte, une zone de passage pour les charrettes comme l’attestent des traces d’ornières (Fig. 0-25e). Cette réalisation attribuable aux 9e-10e siècles manifeste le changement fonctionnel de cette zone, longtemps dévolue à des activités artisanales, au profit d’une vaste cour créée à l’entrée principale du monastère.

0.3. Plan de la publication

Cette publication comporte une première partie de huit chapitres, présentant les neuf phases d'occupation dans l'ordre chronologique, du 10e au 19e siècle. Les quatre chapitres suivants sont thématiques, regroupant les informations relatives à différents aspects du site : la construction (chapitre 9), la vie quotidienne (vaisselle, mobilier, objets, travail, alimentation, état sanitaire) (chapitre 10), l'artisanat (chapitre 11) et enfin la zone funéraire et les données anthropologiques (chapitre 12).

CHAPITRE 1. PÉRIODE 1 : LES PREMIERS BÂTIMENTS D'ACCUEIL ?

Chapitre 1. Période 1 : Les premiers bâtiments d'accueil ?

Émeline Marot et Gaël Simon

Ce premier chapitre regroupe les deux premières phases, correspondant à la construction de plusieurs bâtiments successifs (bâtiments 6 puis 5) à l’ouest de l’église abbatiale, à l’emplacement de la future grande hôtellerie de la fin du 12e siècle.

Le bâtiment 6 est représenté par un ensemble de maçonneries (Fig. 1-1) immédiatement postérieures au niveau de cailloutis de la cour scellant l'occupation du haut Moyen Âge. Ces maçonneries s'étendent sur presque toute la surface fouillée et leur état de conservation variable (Fig. 1-6 et 1-7) est dû aux nombreuses constructions et creusements ultérieurs. Ces murs délimitent un bâtiment à l’est et un autre espace à l’ouest, peut-être un passage. Ils sont associés à une zone funéraire située au nord, comportant onze sépultures et trois réductions.

Après la première phase d’occupation, le bâtiment 5 est édifié, en remployant une partie des maçonneries antérieures (Fig. 1-63). Ce bâtiment est mieux conservé que les précédents, ce qui permet de préciser sa chronologie et ses fonctions. Le bâtiment 5, orienté est-ouest, est constitué de trois murs conservés sur 2 m de haut environ, construits en blocs de moyen appareil de calcaire. L'épaisseur des murs, ainsi que la présence de contreforts, semblent indiquer une construction solide, susceptible d'avoir comporté un étage. Les éléments d'une baie géminée (Fig. 1-29), découverts dans des remblais, pourraient aller en ce sens, mais notons que la couverture était réalisée en tuiles (Fig. 1-42), formant une toiture lourde, pouvant justifier l'épaisseur des murs. L’édifice a connu plusieurs réaménagements, dont un décaissement intérieur, suivi de l’installation d’un plancher surélevé et de trois murs de soutènement. Le bâtiment était associé à une occupation extérieure intense, avec une cour régulièrement ragréée, une mare au sud, et des traces d’artisanat à l’ouest. Au nord, l'espace funéraire existant lors de la première phase connaît des transformations successives, qui supposent un lien avec la construction du bâtiment 5, immédiatement au sud-est de la partie fouillée du cimetière. La majorité des quinze sépultures (Fig. 0-137) de cette phase présente en effet une orientation cohérente avec le nouveau bâtiment.

La continuité de l’occupation à l’emplacement des bâtiments 5 et 6 et leurs caractéristiques architecturales, particulièrement soignées dans le cas du bâtiment 5 (Fig. 1-20), soulèvent la question d’une fonction d’accueil avant la fin du 12e siècle.

Les bâtiments 6 puis 5 sont implantés à proximité de l'entrée principale du monastère (Fig. 0-196, phases 1 et 2), située sur le flanc ouest de l’enclos, probablement au pied du coteau. Ils peuvent avoir rempli la fonction d'accueil, attestée par des textes au 11e siècle, avant l'édification de la grande hôtellerie par Hervé de Villepreux à partir de 1180 (bâtiment 2, phase 3). L'évolution des besoins d’accueil dans le monastère ainsi que des améliorations architecturales ont pu justifier les reconstructions successives des bâtiments et le regroupement en un seul endroit de la fonction d'accueil dans le monastère.

Le cimetière, quant à lui, a été utilisé au cours des 11e-12e siècles par une population laïque, incluant des individus ayant pu nécessiter une prise en charge particulière. Ces observations doivent être pondérées par le fait que la surface fouillée du cimetière est très limitée.

Qu'il s'agisse de sépultures de famuli, de personnes accueillies au monastère ou de sépultures associées à l'église, la présence de ces inhumations près de l'hôtellerie et à proximité du portail de l'église est justifiée dans un espace accessible aux laïcs et à différentes catégories de personnes.

Ce premier chapitre regroupe les deux premières phases, dont témoignent essentiellement les maçonneries de plusieurs édifices successifs. Les couches d'occupation associées ont été largement perturbées par l'utilisation de cet espace au cours des siècles suivants.

1.1 Un ensemble de bâtiments aux 10e-11e siècles ? (bâtiment 6, Phase 1)

Le bâtiment 6 correspondant à la première phase est représenté par un ensemble de maçonneries découvertes en zone 4, immédiatement postérieures au niveau de cailloutis de la cour scellant l'occupation du haut Moyen Âge (cf. 0.2). Ces maçonneries s'étendent sur presque toute la surface fouillée et sont associées à un ensemble de sépultures situées au nord.

1.1.1 Les constructions formant le bâtiment 6 (Ens.4013, 4059, 4086)

1.1.1.1 Les maçonneries

Les maçonneries associées à cette phase sont trois murs orientés nord-sud (M.1017 , 1027 , 1034 ) et un mur perpendiculaire (M.1028 ). À ces éléments pourraient s'ajouter la partie basse des fondations des murs 1001  et 1002  orientés est-ouest et s'étendant à l'est des murs précédents, dont il est difficile de déterminer la datation précise (Fig. 1-1).

Les éléments épargnés par les destructions ultérieures, essentiellement les fondations, présentent des techniques de construction légèrement différentes (Fig. 1-2).

Le mur nord-sud M.1027 , localisé à l'est, est conservé sur une longueur de 9,85 m pour environ 1,20 de large et son niveau d'arasement est situé de 49,8 à 50,40 m NGF, environ un mètre plus bas que les autres murs associés à cette phase, à cause de décaissements réalisés lors de la phase 2 (Fig. 1-3, 0-86). Sa fondation réalisée en tranchée aveugle présente l'aspect lissé d'une tranchée droite comblée de moellons de calcaire et de mortier et a pu être observée sur 60 cm de profondeur environ, mais nous ignorons le niveau de creusement initial de la tranchée.

Plus à l'ouest, les murs M.1017  et M.1028  sont perpendiculaires et présentent une technique de construction similaire entre eux, ce qui permet de les associer, alors que leur contact a été coupé par la reprise du mur M.1001  lors de la phase 3 (tranchée de récupération du mur M.1028  : F.1254  ; Fig. 0-85, 1-4, 1-5, 1-6). Leur fondation a été réalisée en tranchée aveugle de 1,30 m de large environ dans laquelle des moellons de calcaire de taille variable et quelques blocs équarris ont été disposés en assises grossières. Les blocs ont une taille plus importante en parement ainsi qu'au fond de la tranchée, où de gros moellons de 60 cm de côté forment un radier de fondation, bien visible dans le cas du mur M.1028 . La fondation a un aspect irrégulier puisque le mortier épais et comportant de nombreux galets et petits fragments de tuffeau a été réparti de façon hétérogène, laissant apparaître les moellons constituant la maçonnerie. M.1028  comportait en outre des couches de terre s'intercalant entre deux assises de blocs liés au mortier.

Ces fondations atteignaient au moins deux mètres de profondeur : la partie basse a été observée pour M.1028  au sud, attestée par la présence de gros moellons vers 49,20 m NGF, sans atteindre le fond, tandis que la limite entre fondation et élévation a été approchée pour M.1017  au nord, au-dessus de 51,25 m NGF. Le terrain comporte un pendage vers le sud-est observé dès le haut Moyen Âge, cette technique de fondation semble donc adaptée à un terrain irrégulier afin d'éviter les affaissements localisés.

Seul le mur M.1017  a pu être observé en élévation, mais indirectement puisque c'est sous la forme d'un tronçon du parement oriental, effondré vers l'est et laissé en place lors de la phase 3 (UC 41928, Fig. 1-7, 1-8, 1-9). Il s'agit d'une maçonnerie construite en blocs de tuffeau jaune équarris à tête dressée. Certains sont grossièrement cubiques ou rectangulaires, d'autres ont été taillés avec une queue démaigrie, leur donnant une forme triangulaire à l'arrière, se calant dans le blocage du mur. Leurs dimensions sont variables : quelques gros blocs sont visibles, mais l'essentiel de la maçonnerie est constitué de blocs de taille réduite, formant des assises de 8 à 19 cm de haut, la majorité mesurant 11 à 14 cm de haut. Le blocage est constitué de petits moellons de tuffeau et de quelques silex liés au mortier de chaux contenant un sable grossier et des galets. La présence d'un enduit rosé sur la face orientale (intérieure) et les blocs d'une baie géminée découverts dans les remblais ont été interprétés comme des reprises du mur (cf. 1.2.2.2, phase 2).

Enfin, le mur M.1034 , observé à l'angle nord-ouest de la zone de fouille sur une assise seulement au-dessus d'une fondation de moellons de calcaire et de mortier, a une orientation légèrement différente de M.1017  et s'achève par un massif maçonné à une distance de 2,30 m du mur 1028 , comme pour ménager un passage (Fig. 1-10, 1-11). Il a été écrêté vers 50,80 m NGF, légèrement plus bas que le niveau d'arasement de M.1028 .

La datation de ces constructions repose sur la chronologie relative, aucun charbon n'étant présent dans le mortier pour des datations au carbone 14. Tous sont situés stratigraphiquement entre des niveaux de cours, datés des 9e-10e siècles par la céramique (groupes techniques to8k ; to11f ; to16b ; to11L ; to2k ; to8m), et la construction du bâtiment 5, dont les techniques de constructions peuvent être attribuées à la fin du 11e siècle ou au début du 12e siècle. La technique de construction des murs 1017 , 1027 , 1028  et 1034 , formant le bâtiment 6, ne peut à elle seule aider à la datation (tranchée de construction aveugle, comblée de mortier et de moellons). Elle peut être comparée à celle des murs de l'église 3 de Marmoutier datée du 9e siècle (Fig. 1-12 ; Simon 2020 : 53-54), mais une datation aussi haute ne semble pas pouvoir être retenue pour la construction du bâtiment 6 en zone 4. Sa fourchette chronologique la plus probable reste donc imprécise (10e-11e s.).

1.1.1.2 La restitution des bâtiments

Cet ensemble de murs est difficile à interpréter, puisqu'aucun niveau d'occupation intérieur correspondant n'a été conservé, du fait d'arasements successifs lors des phases suivantes. Ainsi, la distinction entre intérieur et extérieur d'un bâtiment, qui pourrait aider à comprendre la disposition des constructions, n'est pas aisée (Fig. 1-1).

Un seul secteur au sud a livré une occupation pouvant correspondre à la phase 1, mais il n'existait aucun contact direct avec les maçonneries décrites. Il s'agit de couches de tuffeau concassé, interprétées comme des remblais de chantier, auxquelles ont succédé des couches de limon impliquant un dépôt lent, probablement le comblement d'une dépression ou une mare, observées en limite de fouille ; il s'agit donc d'un espace extérieur (Ens.4093). Ces niveaux de chantier correspondent-ils à la construction du bâtiment 6 et peut-on en déduire que l'espace au sud de M.1028  était extérieur (Fig. 1-1) ? La céramique associée à cet ensemble, peu abondante, semble plutôt indiquer les 9e-10e siècles (groupes techniques to1f), et, même si cela peut s'expliquer par la pente du terrain, ces dépôts sont situés à un niveau inférieur à l'arasement des maçonneries (50,70 m NGF). Il est donc hasardeux de s'appuyer uniquement sur ces informations pour en déduire une organisation ou une datation du bâtiment 6. Si sa date de construction demeure incertaine, il est toutefois assuré qu'il est resté en utilisation jusqu'à la construction du bâtiment 5, probablement au début du 12e siècle.

La position des maçonneries permet de restituer un bâtiment délimité à l’est par le mur M.1027  et à l’ouest par le mur M.1017 , qui ne se prolongeait ni au nord ni au sud. Le bâtiment mesurait 12,40 sur 11,60 m, si on associe une partie des fondations des murs 1001  et 1002 . La partie basse, construite en tranchée aveugle comblée de mortier, semble en effet différente de la maçonnerie qui la surmonte où des moellons et blocs taillés sont bien visibles, eux aussi aménagés dans une tranchée aveugle. De plus, nous ne pouvons exclure un prolongement vers l'est des fondations de ces deux murs, peu visibles, au-delà de M.1027 , ce qui augmenterait la surface du bâtiment 6. Les élévations ne sont pas conservées, mais l’épaisseur des murs est compatible avec la présence d’un étage. Le mur M.1028 , situé au sud-ouest, constituerait un prolongement ou une autre aile du bâtiment, au-delà d’un espace non caractérisé central (extérieur?), tandis que M.1034 , observé en limite de fouille, semble ménager un passage près de M.1028 .

Cet ensemble de murs est situé à 65 m environ de la façade de l'église : il pourrait s'agir d'une entrée du monastère ou de bâtiments à fonction d'accueil (cf. 1.3).

Un autre élément peut apporter des précisions sur cette phase, la zone funéraire située au nord des bâtiments.

1.1.2 La zone funéraire associée (phase 1 du cimetière) Ens.4022, Agr.812

Au nord de la zone de fouille a été découvert un espace funéraire, qui est traité dans son intégralité au chapitre 12, mais dont chaque phase est présentée en relation avec les bâtiments successifs.

Les premières inhumations semblent pouvoir être associées aux maçonneries de la phase 1 (Fig. 1-13, 1-14, 1-15). La zone d'observation est réduite, 17m2 environ, mais onze sépultures y ont été définies comme la première phase du cimetière, associées à trois réductions de sépultures (F.1376 , 1463 , 1464 , Fig. 1-16) et plusieurs fosses de fonction indéterminée (F.1404 , 1435 , 1470 ).

Les sépultures sont réparties en plusieurs groupes (Fig. 12-33), alternant avec des couches de terre grise ou brune contenant des charbons de bois. La nature de ces sédiments, relativement homogènes, que l'on peut qualifier de terres noires, a entraîné des difficultés lors de la fouille pour le repérage des fosses de sépultures, comblées avec un sédiment identique aux couches en place. Une partie de ces sédiments a été fouillée par passes mécaniques et la chronologie relative entre encaissant et encaissé n'est donc pas assurée. Ces terres noires comme les sépultures sont toutefois postérieures à un niveau de cailloutis correspondant à une aire ouverte et daté du 9e siècle (cf. 0.2, Agr.780).

Le fait F.1463  contenait les restes d'au moins un individu (Fig. 1-17), le fait F.1376  ne contenait qu'un unique crâne et enfin F.1464 , partiellement observé, contenait les restes d'un seul individu regroupés dans une fosse en pleine terre (Fig. 1-18).

Les sépultures S.85  et S.109  ainsi que des couches d'occupation contenaient également des ossements redéposés.

1.1.2.1 Caractéristiques des sépultures

Tous les corps semblent s'être décomposés en espace vide, mais nous ne disposons pas d'assez d'éléments pour préciser s'il s'agissait de cercueils, de coffrages de bois ou d'une simple planche placée comme couverture (Fig. 12-2, 1-15). Peu de clous ont été découverts dans les sépultures de cette phase (S.85 , S.113 ) et une seule sépulture contenait des traces de bois (S.113 ). Un des squelettes présentait des traces de compression, peut-être le signe de la présence d'un linceul (S.85 ), mais ce n'est pas exclu pour les autres sépultures.

Les recoupements sont nombreux pour cette phase, ce qui implique l'absence de marquage en surface, ou leur suppression rapide après l'inhumation (Fig. 12-1).

Les tombes découvertes en place correspondent à celles de trois hommes et d'une femme, tous adultes, et de sept autres individus de sexe indéterminé (Fig. 12-4). Cette répartition exclut un cimetière de religieux, mais ne correspond pas pour autant à un recrutement de cimetière paroissial, étant donné la surreprésentation des hommes et l'absence d'individus immatures.

L'étude anthropologique a également révélé deux individus atteints de pathologies remarquables pour cette phase : une fracture du tarse pour la sépulture S.121  et une ossification du ligament stylo-hyoïdien (S.85 , Fig. 12-5). Les inhumations des phases suivantes ont également révélé la présence de pathologies, ce qui fournit des indications précieuses sur la population inhumée à cet endroit (cf. 1.2.6.2, phase 2). Toutefois, si l'on considère le nombre de sépultures pour cette première phase et la faible surface observée, il est difficile d'affirmer s'il s'agit d'un phénomène significatif pour le cimetière à cette période (cf. 12.5.3).

1.1.2.2 Analyse et datation de la première phase du cimetière

La datation de cette première phase du cimetière repose à la fois sur la céramique, sur six datations d'ossements au carbone 14 et sur l'orientation des tombes.

La chronologie relative indique tout d'abord que les murs et les sépultures partagent des relations stratigraphiques, même s'ils ne sont pas en contact direct : ils sont postérieurs au niveau de sol formé par un cailloutis et daté du 9e siècle dans les autres secteurs de fouille, et antérieurs à la construction du bâtiment 5, attribuée à la fin du 11e siècle ou au début du 12e siècle.

Les tessons de céramique découverts dans les couches de l'agrégation Agr.812 ne dépassent pas le 10e siècle (datations 6d-8a, 7e-8e, 8e-9e ou 9e-10e siècles ; groupes techniques to1p ; to15i ; to15q ; to15t ; to8p ; to1n), en cohérence avec la vaisselle en verre, attribuée aux 8e-10e ou 9e-10e siècles. Il s'agit en grande partie de mobilier redéposé provenant des niveaux de terres noires que le cimetière a entaillés.

Les datations radiocarbone réalisées indiquent, elles, des fourchettes plus variées, couvrant les 10e, 11e et la première moitié du 12e siècle pour quatre d'entre elles, tandis que deux autres ne semblent pas antérieures au début du 11e siècle (Fig. 12-9). Ces données imposeraient donc de rajeunir cette phase du cimetière au moins dans la partie observée, en considérant que le mobilier a été entièrement redéposé. En revanche, le cimetière dans son ensemble est probablement plus ancien, puisque plusieurs réductions ont été observées pour le début de la phase 1 et au moins une couche antérieure à la couche de cailloutis contenait des ossements humains (Agr. 829).

Les orientations des sépultures ont été définies pour les trois phases du cimetière, en prenant en compte les fosses d'inhumation dans la mesure du possible et en écartant les sépultures les moins bien conservées (cf. 12).

Les sépultures associées à cette phase présentent une orientation dominante, notée C, comprise entre 92° et 101° par rapport au nord, représentée par les trois sépultures S.85 , S.96  et S.123 . Deux autres sépultures ont des orientations différentes : 84-91° pour S.109  (orientation B) et moins de 83° pour S.113  (orientation A ; Fig. 12-7). Les six autres ont été écartées car insuffisamment conservées.

L'orientation C est comparable à celle des murs du bâtiment 6 s'étendant plus au sud (M.1017 , M.1028 , Fig. 12-6). De plus, aucune sépulture n'a été identifiée dans l'emprise connue de ce bâtiment dont l'angle est constitué par le mur M.1017 . Cet édifice est donc probablement antérieur au cimetière, dont il a constitué une limite nette au sud, ainsi qu'un repère pour le creusement des fosses.

Pour ce qui est de l'emprise de ce cimetière sur les autres côtés, aucune sépulture n'a été identifiée à l'ouest dans le sondage situé à quelques mètres du mur 1017  : la limite du cimetière est-elle atteinte de ce côté ou s'agit-il d'un effet trompeur dû à la taille réduite du sondage ? En l'absence d'informations pour les côtés est et nord, il est difficile de restituer l'extension du cimetière, mais il est possible de proposer des hypothèses. Le cimetière et le bâtiment 6 semblent en partie contemporains et liés spatialement. Il est possible que cette partie de la zone d'inhumation soit associée spécifiquement à l'édifice, dont la fonction reste incertaine pour la phase 1, mais il est également possible que ce cimetière dans son ensemble soit lié à l'église, dont la façade est située à quelques dizaines de mètres plus à l'est, autour de laquelle des sépultures sont attestées depuis le 9e siècle (cf. 12).

1.2 Le bâtiment 5 (Phase 2)

Après la première phase d’occupation, correspondant à un ensemble de constructions en pierre à la fonction incertaine (cf. 1.3), un autre bâtiment est édifié, en remployant une partie des maçonneries antérieures (Fig. 1-19). Ce bâtiment 5 est mieux conservé que les précédents, ce qui permet de préciser sa chronologie et ses fonctions.

1.2.1 Les maçonneries (Ens.4021)

La construction du bâtiment 5 a nécessité des destructions préalables : le mur M.1027  est ainsi arasé à 50,40 m NGF environ, de même que les possibles maçonneries à l'est du mur M.1017 , qui a, lui, été préservé, comme le mur M.1028 . Ils ont tous deux été détruits au même moment lors de la phase 3 et M.1028  devait donc être encore en élévation pendant l'utilisation du bâtiment 5, même si sa fonction reste inconnue.

Le bâtiment 5, orienté est-ouest, est constitué de trois murs conservés sur 2 m de haut environ : les murs gouttereaux nord et sud (M.1001  et M.1002 , Fig. 0-48, 0-50) et le pignon oriental (M.1014 , Fig. 0-53). Le quatrième côté est formé par le mur M.1017 , appartenant à la phase précédente et présentant une orientation légèrement différente. La jonction entre ces deux états de maçonnerie n’est pas connue, du fait de la destruction du mur 1017  à la phase suivante. Le bâtiment mesurait 12 m de large pour 17,40 m de long environ, correspondant à 9,70 m de large pour 15 m de long dans l’œuvre (Fig. 1-20, 1-21, 1-22).

Les fondations, observées sur une épaisseur de 40 à 60 cm, ont été construites en tranchée aveugle (F.1384 , 1385 , 1386 ), d’après l’apparence du mortier du tronçon épargné dans le mur M.1001  par les décaissements ultérieurs qui ont conduit à l’arrachement de blocs en surface. L’alignement et l’orientation des fondations et des élévations ne sont pas homogènes : les fondations dépassent peu dans les murs 1001 et 1014 (5 à 25 cm), tandis qu’elles forment un ressaut de 20 à 40 cm dans le mur 1002 . Ces fondations reposent sur un autre niveau de maçonneries construites en tranchée aveugle, légèrement en retrait, qui peuvent être attribuées à la première phase (cf. 1.1.1.2).

La construction du bâtiment 5 montre une pente vers le sud, attestée par la limite entre fondation et élévation située à 50,85 m NGF au nord (M.1002 ) et 50,60 au sud (M.1001 ), les fondations du mur pignon M.1014  s'arrêtant à 50,75 m NGF.

Les élévations, conservées sur 1,40 à 2 m de haut et larges de 1 m, sont construites en blocs de moyen appareil de tuffeau jaune de forme carrée ou rectangulaire (Fig. 0-93), présentant des traces de layage oblique régulier (Fig. 1-23), et formant des assises de 16 à 26 cm de haut, avec très ponctuellement des hauteurs de 13 ou 40 cm. Le liant est un mortier de chaux contenant du sable grossier et des petits galets, formant des joints beurrés ou plats, rarement conservés. Si les élévations intérieures sont bien visibles, les parements extérieurs n'ont pu être observés que très ponctuellement, du fait de la répartition des zones de fouille. Ainsi, seul le mur nord a été observé : l'assise supérieure sur une longueur de 6 m et la jonction du mur gouttereau avec le contrefort nord-ouest, correspondant à des tronçons de 60 et 80 cm de large sur 1,2 m de haut.

La majorité des blocs présente des traces d’usure en surface et sur les arêtes : les remaniements ultérieurs expliquent en partie ces altérations (rubéfaction, bûchages, frottements en surface, ruissellement d’eau ?), mais l’apparence de certains blocs indique qu’il s’agit de remplois.

Trois trous de boulin sont encore visibles, l’un bouché (UC 41754), deux autres réutilisés par la suite (UC 41276, 41718) ; ils mesurent 20 cm de haut pour 15 cm de large (Fig. 1-24, 2-10).

Trois contreforts peuvent être attribués à cette phase de construction : le contrefort d’angle nord-ouest, perpendiculaire au mur M.1002  (CTF 1163 ) le contrefort d’angle sud-est (CTF 1421 ) et un contrefort du pignon oriental, curieusement désaxé par rapport à l’édifice (CTF 1382 , Fig. 1-19). À l’angle nord-est, il ne semble pas y avoir existé de contrefort, mais un muret orienté est-ouest et s’étendant vers l’est, correspondant probablement à un mur de terrasse compensant la pente naturelle du terrain (M.1032 ). Les perturbations ultérieures et les limites de la fouille empêchent de vérifier l'existence d'autres contreforts.

L'épaisseur des murs, ainsi que la présence de contreforts, semblent indiquer une construction solide, susceptible d'avoir comporté un étage, bien qu'aucun support intérieur n'ait été observé pour ce premier état du bâtiment 5. La découverte dans des remblais de démolition des éléments d'une fenêtre géminée va dans ce sens (cf. 1.2.2.2), mais la présence probable d’une couverture en tuiles, formant une toiture lourde, pouvait à elle seule justifier la forte épaisseur des murs (cf. 1.2.3.2).

1.2.2 Les ouvertures

1.2.2.1 Les portes

Deux portes sont attestées dans le bâtiment 5 : la porte POR 1250 , au nord-est, dans le pignon oriental M.1014 , et la porte POR 1255  au sud-est, dans le mur sud M.1001  (Fig. 1-19).

La première mesure 2,95 m de large et comporte un ébrasement intérieur marqué d'après la forme des blocs formant le piédroit. Elle a été bouchée lors de la phase 4, ce qui a entraîné la destruction partielle des piédroits afin d'ancrer les blocs du bouchage dans la maçonnerie antérieure (Fig. 0-53, 1-25). De même, le parement oriental du mur a été repris, d'après les observations limitées réalisées dans le secteur 13, à l'angle du bâtiment, ce qui a effacé l'emplacement de la porte de ce côté. Le seuil semble avoir été situé une assise au-dessus du niveau des fondations (50,90 m NGF), mais a été repris par la suite, avec l'ajout de marches (cf. 1.2.4.2, Ens.4056).

La seconde porte est beaucoup plus réduite, 1,20 m de large environ, et seule une partie d'un des piédroits est conservée (POR 1255 , Fig. 0-48, 1-26). Elle est située comme la première près d'un angle de l'édifice. L'ajout de marches puis le bouchage de la porte gênent la compréhension de l'état originel, mais il est possible de restituer un seuil à 50,9 m NGF environ.

Leur mode de couvrement n'est pas connu, mais il faut probablement restituer des arcs clavés.

Ces deux ouvertures sont les seules attestées dans les murs 1001 , 1002  et 1014 . La proximité des deux ouvertures et la présence du muret M.1032  à l'angle nord-est semblent indiquer que des circulations complexes s'effectuaient vers l'est et le sud-est, c'est-à-dire vers l'intérieur du monastère, vers l'église, le cloître ou des espaces de service.

1.2.2.2 Une fenêtre à baies géminées et un enduit rosé

Dans les niveaux de démolition recouvrant l'effondrement du mur M.1017  lors de la phase 3 ont été découverts plusieurs blocs appartenant à une même baie géminée : des blocs d'une embrasure, une colonnette, un tailloir, un bloc de couvrement et un fragment de moulure en damier (Agr.688, Ens.4079, Fig. 1-27, 1-28). Le contexte de découverte ne permet pas de certifier que les blocs proviennent du mur 1017 , et s'il s'agit d'une reprise de ce mur ou de la construction du bâtiment 5 (phase 2), mais l'étude de ces éléments nous apporte toutefois quelques informations.

La demi-colonnette, brisée en cinq morceaux mais complète, mesure 17,5 cm de diamètre pour 1,02 m de haut, base et chapiteau compris (Fig. 1-29, 1-30, 1-31). La base moulurée alterne des tores avec des moulures en talon, au-dessus d'un socle rectangulaire. Le chapiteau, quant à lui, comporte un astragale torique et une corbeille ornée d'entrelacs et de feuilles nervurées situées sur les arêtes (Fig. 1-32). Le tailloir, de 10 cm de haut et mouluré de cavets sur trois faces, est de plan rectangulaire, correspondant aux dimensions du sommet du chapiteau : 23 cm sur 16 cm. Un autre bloc de 11 cm de haut a été découvert : il est simplement chanfreiné et forme un angle que l'on peut associer à l'imposte d'un piédroit.

La colonnette, en réalité un meneau-colonnette, comporte une excroissance rectangulaire à l'arrière avec une gâche, un trou carré permettant la fixation d'huisseries ou de volets intérieurs, dont on retrouve également l'amorce sur le tailloir mouluré.

Ces éléments imposent de restituer une fenêtre à baies géminées, ce que confirme la présence d'un bloc découpé d'un arc en plein cintre associé à une feuillure et dont la partie supérieure est incurvée (Fig. 1-35). Ce bloc de couvrement devait donc reposer au centre sur la colonnette et son tailloir et sur le côté sur l'imposte du piédroit.

Nous pouvons ainsi restituer deux petites baies de 26 cm de large et 1,32 m de haut, séparées par une colonnette à chapiteau et englobées dans une baie plus large, comportant probablement une archivolte moulurée, dont témoigne un bloc comportant un motif en damier. Il est de petites dimensions (frise de 10 cm de haut, soit les dimensions des tailloir et imposte) et ne semble pas présenter de courbure, mais il peut appartenir à un cordon d'archivolte ou au décor éventuel des piédroits de la baie. Il peut en outre faire partie d'un couronnement des murs, comme ce qui semble avoir été dessiné au 19e siècle sous la forme d'une corniche à modillons (Fig. 0-185). La fiabilité de ce document n'est pas assurée, mais si l'auteur a bien observé une corniche, elle peut correspondre à la construction originelle du bâtiment 5 comme à une reprise du bâtiment 2 qui subsistait partiellement au 19e siècle.

Plusieurs blocs correspondant à l’embrasure de la baie ont également été identifiés par leur forme caractéristique et l'enduit qui recouvre l'intérieur (Fig. 1-33). Ils sont de dimensions variables, témoignant de hauteurs d'assises de 11 à 23 cm, formant une embrasure d'au moins 20 cm de profondeur et à l'ébrasement peu accentué. Un autre bloc rectangulaire comporte de l'enduit sur deux de ses faces et la trace de l'encastrement d'une ferrure sur l'une de ses arêtes, associée à une trace d'usure du bloc. Il s'agit probablement de la fixation d'un système de fermeture de la baie, mais la position exacte du bloc reste difficile à déterminer. Le bloc comporte par ailleurs un graffito incisé dans l'enduit, semblant former une croix.

Six pentures en fer, découvertes dans les mêmes couches de démolition, peuvent certainement être associées à la même ouverture : elles mesurent 15 cm de long pour 2 cm de large et se terminent à une extrémité par deux volutes et par un piton de l'autre (US 41911, 41169, Fig. 1-34). Elles maintenaient probablement les gonds de deux petits volets permettant la fermeture des baies géminées.

De nombreux blocs de moyen appareil de dimensions variables ont également été découverts dans les remblais, tous comportant une face couverte d'un enduit de chaux à la surface de couleur rosée, des blocs identiques à ceux du parement du tronçon effondré du mur 1017 . Ces enduits sont parfois recouverts de traces de peinture rouge et noire, correspondant au tracé de faux-appareil (double ligne noire) ou de motifs plus complexes (tracés obliques noirs, courbes en rouge). D'autres ne comportent que des lignes incisées dans l'enduit ou grattées à la surface.

L'existence de cette fenêtre et des peintures pourrait signifier que l'édifice comportait un étage, ce type d'ouverture étant associé aux espaces résidentiels, généralement aux niveaux supérieurs. Aucun équipement domestique n'a en effet été observé au niveau 1, comme une cheminée, qui aurait indiqué une fonction résidentielle de ce niveau, mais de tels éléments de confort sont encore très rares à cette période.

La datation de cette ouverture est difficile à définir avec précision, mais des éléments de comparaison existent, comme les fenêtres à baies géminées de l'étage des "grands greniers" de l'abbaye de la Trinité de Vendôme. Si la colonnette centrale est appuyée contre un trumeau à Vendôme et que les piédroits ne comportent pas d'impostes, les blocs de couvrement ont une forme identique, avec un décor plus abondant. Ces baies correspondent à la deuxième phase d'un bâtiment identifié comme l'hôtellerie de l'abbaye de la Trinité (Fig. 1-36, Simon 2015, vol. 1 : 323-325 et 356-357), construit en moyen appareil de calcaire, et qui daterait de la fin du 11e siècle ou du début du 12e siècle. Le chapiteau de Marmoutier, quant à lui, peut être comparé avec des chapiteaux à décors d'entrelacs provenant de la Touraine ou du Poitou, que l'on associe au début du 12e siècle (église de la Celle-Saint-Avant, Notre-Dame-la-Grande de Poitiers). Claude Andrault-Schmitt propose pour ce chapiteau une datation du deuxième quart du 12e siècle (information donnée en novembre 2017).

Au moment de l'édification des murs 1001 , 1002  et 1014 , une partie du bâtiment 6 aurait été conservée sous la forme d'un tronçon du mur 1017 , dont au moins la partie basse, construite en moellons équarris, a été conservée en élévation jusqu'à la fin du 12e siècle. La baie aurait été ajoutée dans ce mur, probablement en insérant les blocs de moyen appareil dans la maçonnerie antérieure, sans reconstruire toute la partie haute de l'élévation. La proportion de moellons équarris dans les niveaux de démolition du mur 1017  par rapport aux blocs de moyen appareil indique en effet que ce mur originel a pu être conservé en grande partie, l'enduit rosé pouvant servir à harmoniser ce pignon avec les autres murs du bâtiment 5, construits en moyen appareil régulier. Aucun enduit n'a été repéré sur ces derniers, mais les reprises et les transformations nombreuses ont pu en effacer les traces.

Un bloc de 13 cm de haut, provenant des remblais de démolition et appartenant probablement au premier état du bâtiment 6 d'après son module, comporte une face rubéfiée, recouverte par la suite d'enduit, impliquant que la pose du revêtement intervient bien dans un second temps, certainement lors de l'aménagement du bâtiment 5 (US 41166.3).

L'organisation intérieure de l'édifice est difficile à cerner. Nous savons qu'il existait deux portes d'accès, les murs étaient enduits et peints au rez-de-chaussée comme autour de la fenêtre à baies géminées (à l'étage ?), mais les couvrements nous sont inconnus, sauf à prendre en compte un bloc d'ogive découvert dans les mêmes remblais de démolition de la baie (41166.7, LAP 350). Il s'agit d'une ogive à moulure torique à filet saillant, un unicum qui est insuffisant pour proposer la restitution de voûtes dans l'édifice, en l'absence de supports dans les murs.

1.2.3 La toiture et la charpente

Les parties hautes de l'édifice n'ont pas été conservées, mais certaines découvertes dans les couches de démolition correspondantes (début de la phase 3) permettent de proposer des hypothèses pour la toiture et par conséquent pour la charpente associée.

1.2.3.1 La toiture

Certaines couches appartenant aux remblais massifs liés à la destruction partielle du bâtiment lors de la phase 3 contenaient de nombreux fragments de tuiles creuses glaçurées à crochets appartenant visiblement à la couverture du bâtiment 5, si l'on considère l'homogénéité et la quantité de terres cuites découvertes (Fig. 1-37). Ce dépôt est certainement le résultat d'un tri destiné à récupérer des tuiles encore entières (puisqu'aucune n'a été découverte), les autres, brisées et donc inutilisables, ayant été épandues sur les remblais destinés à effacer les irrégularités du terrain de part et d'autre du mur 1017  après sa démolition (Ens.4079 et 4080, Fig. 2-4).

Les tuiles étaient principalement concentrées dans une couche de remblais (US 41522) pour laquelle le prélèvement a été fait intégralement (Fig. 1-38). D'autres fragments ont été découverts dans les remblais appartenant à la même phase de chantier (Agr.687, 730 et 732; Fig. 1-38A) ; ils ont été prélevés en réalisant un échantillonnage favorisant les fragments les plus complets ainsi que ceux avec des crochets. Près de 3 500 fragments ont été découverts dans ces remblais qui peuvent être considérés comme le dépôt principal, avec un taux de fragmentation très variable. Ils représentent environ 350 kg de tuiles, associées à des fragments de mortier qui ont servi à leur fixation.

Ces tuiles ont également été découvertes en quantités variables dans toute la stratification de l'hôtellerie, jusqu'aux niveaux les plus récents de sa démolition au 19e siècle, ce qui démontre la quantité importante de tuiles jetées ou déposées à l'intérieur et à proximité du bâtiment (Fig. 1-38B).

Les couches de fonctionnement des latrines de l'hôtellerie ont fourni quelques exemplaires de tuiles de grandes dimensions (Agr.904, US 40751, 43183), mais les autres fragments découverts dans les niveaux postérieurs au 13e siècle étaient peu nombreux par couche et étaient de petites dimensions, ce qui indique une présence résiduelle de ce matériau, mais aucun dépôt comparable à celui de la phase 3.

Au total, 3 870 fragments de tuiles présentant un poids de 390 kg ont été recueillis au cours de la fouille de l'hôtellerie (Fig. 1-38C). Malgré l'absence de tuiles intactes, la présence de quelques exemples archéologiquement complets et de grands fragments a permis de réaliser des mesures et de proposer une restitution des tuiles et de la toiture de l'édifice détruit.

1.2.3.2 Les caractéristiques des tuiles

Les tuiles découvertes sont de deux types principaux : le type A, correspondant aux tuiles courantes, qui étaient placées sur les liteaux de la toiture et les tuiles couvrantes du type B, placées au-dessus (Fig. 1-39, 1-40A, 1-40B, 1-45B).

Les tuiles sont faites d'une argile de couleur orangée avec peu d'inclusions. Toute la production paraît homogène, aussi bien du point de vue de la pâte que des modules et de l'application de la glaçure. La face concave est rugueuse, à cause du sable placé sur le moule, tandis que la face convexe est lissée et couverte d'une glaçure dans le cas des tuiles de type B.

Les tuiles couvrantes (type A), épaisses de 1 à 1,8 cm environ, sont de forme trapézoïdale de 18 cm de large en bas de la tuile pour 19 à 21 cm environ en haut et 30 cm de longueur estimés (le plus grand fragment mesuré est de 28 cm). Elles ont une courbure légère, la hauteur de l'arc étant de 5 cm environ, et comportent un crochet trapézoïdal de petites dimensions (3 à 4 cm) ajouté au bord supérieur d'une des extrémités, et recourbé vers l'intérieur. Ces crochets sont destinés à retenir les tuiles sur les supports de la toiture (Fig. 1-41). Ces tuiles ne comportent pas de glaçure, si ce n'est des éclaboussures accidentelles sur la face convexe, lissée, ou sur les crochets.

Les tuiles couvrantes (type B) sont trapézoïdales, épaisses de 1 à 1,7 cm, et mesurent environ 30 cm de long pour 11 cm de large au plus étroit (en haut) et 15 cm au plus large en bas (Fig. 1-42). Leur courbure est plus importante, la hauteur de l'arc étant de 5 à 6 cm. Les crochets de 5 à 7 cm sont situés environ aux deux tiers supérieurs de la tuile, et sont recourbés vers l'extérieur, de façon à retenir les tuiles supérieures. Les fragments de tuiles couvrantes conservés montrent des traces de glaçure de couleur ocre marron à verte, répartie de façon homogène, malgré des variations de couleur, dans les deux tiers inférieurs de la face supérieure des tuiles, jusqu'à l'ergot. Il s'agit donc bien de l'application volontaire d'un traitement de surface sur le pureau des tuiles, peut-être afin de le rendre étanche ou plutôt pour des raisons esthétiques grâce aux effets de couleur de la glaçure.

Le recouvrement des tuiles pouvait être de 10 cm pour les tuiles A d'après les traces très nettes laissées dans le mortier d'un des fragments et de 5-6 cm environ pour les tuiles B, correspondant à la position du crochet.

À ces deux types de tuiles s'ajoutent des fragments de crochets ou de boudins glaçurés de dimensions plus importantes, dont le plus grand mesure 12 cm, mais dont la longueur totale est difficile à estimer (Fig. 1-43). Ces éléments ont été découverts systématiquement isolés, certainement du fait de leur plus grande fragilité, et aucune tuile ne portait de trace d'arrachement compatible. Ces fragments pourraient appartenir à un décor d'arcatures couronnant des tuiles faîtières.

Le nombre de crochets ou d'amorces de crochets a été comptabilisé afin de proposer une estimation du nombre minimum d'individus (Figures 1-38A, 1-38B, 1-38C). Seuls cinq crochets ont été retrouvés brisés et isolés, y compris les deux de type C, ce qui représente une part infime du total. La somme des crochets et des amorces présentée dans les tableaux indique donc un nombre minimum de 340 tuiles environ.

Les tuiles les mieux conservées (mais toujours incomplètes) pèsent 900 grammes environ, ce qui permet de restituer un poids supérieur à un kilogramme pour les tuiles B, dont la longueur maximale est connue, mais il est difficile d'être plus précis pour les tuiles A, qui pouvaient être plus longues.

Les tuiles de la couche de remblais 41522 ont été prélevées en totalité, et représentent environ les deux tiers des fragments récoltés, ce qui fournit une estimation de la proportion de chaque type de tuile (Fig. 1-40C, 1-40D). Une très grande majorité des fragments est représentée par les tuiles de type A, ce qui semble incohérent avec les proportions attendues pour ces formes de tuiles complémentaires, tuiles couvrantes et courantes étant nécessaires en quantités similaires. Cette surreprésentation des tuiles A parmi les déchets découverts en fouille peut avoir plusieurs explications. Cette différence pourrait être liée à la présence de glaçure sur les tuiles B, qui auraient été plus volontiers récupérées car plus chères, à une plus grande fragilité des tuiles A (du fait de leur usure ou de leur forme), ou à la difficulté de séparer les tuiles du mortier ayant servi à leur fixation.

Des formes de tuiles similaires ont été identifiées et décrites pour la région voisine des Pays-de-la-Loire. Les plus anciennes sont datées de la seconde moitié du 12e siècle en Anjou et dans la Sarthe (église Saint-Jean-Baptiste de Huillé ; église Saint-Aubin de Bazouges-sur-le-Loir, monastère de Chassay-Grammont ; Hunot et Guérin 2007 ; Delaval 2011), mais de nombreux autres exemples sont attribués aux 13e et 14e siècles dans la Sarthe, la Mayenne ou la Vendée (Delaval 2011 ; Nauleau 2016). Pour les régions plus lointaines, des tuiles creuses à crochet ont été découvertes notamment dans l'est de la France à partir des 12e et 13e siècles (Jeannin et Bonvalot 2009 ; Blaising 2012).

Les deux types principaux définis en Pays-de-la-Loire et à Marmoutier sont similaires pour ce qui est de la position des crochets et le profil général des tuiles, mais quelques différences existent toutefois. Les tuiles découvertes en Pays-de-la-Loire sont globalement de dimensions supérieures et ne semblent pas avoir comporté de glaçure volontairement appliquée. L'utilisation du mortier est attestée notamment pour les églises de Huillé et Bazouges-sur-le-Loir, où les tuiles étaient fixées à bain de mortier pour couvrir l'extrados de voûtes, mais les découvertes de Marmoutier semblent indiquer une technique différente.

D'autres exemples de tuiles creuses de formes variées sont attestés en Pays de la Loire pour des édifices religieux le plus souvent et pour des périodes plus tardives (Delaval 2011). En revanche, les tuiles plates sont très peu attestées sur le site de Marmoutier, une forme que l'on retrouve pourtant en abondance dans les régions voisines à partir de la fin du 12e siècle, mais plus largement aux 14e et 15e siècles (Sarthe : Hunot et Guérin 2007 : 235 ; Bourgogne : Aumard et al. 2009, Normandie : Deshayes 2015b : 147-151 ; Aumard et Épaud 2019). Quelques fragments seulement ont été identifiés dans des niveaux de la fin du Moyen Âge et de la période moderne, notamment une tuile à crochet associé à un trou non traversant (41841, Ens.4045) ou une tuile plate avec une seule perforation à crochet formé par pincement du bord supérieur, et mesurant plus de 17 cm sur 25 cm, l'exemplaire n'étant pas archéologiquement complet (US 40117, Ens.4071).

1.2.3.3 La mise en œuvre des tuiles

De nombreuses tuiles conservent des traces de mortier, témoignant des différents moyens de fixation de la toiture. Des blocs de mortier isolés ont été découverts dans les couches de remblais, portant des empreintes de tuiles A et B, tout comme le mortier adhérant encore dans le creux de certaines tuiles de type A, sur une épaisseur pouvant aller jusqu'à 8 cm (Fig. 1-44). Des fragments de ratés de cuisson ont parfois été utilisés comme calage dans la masse du mortier (d'autres, plus complets, semblent avoir été utilisés malgré leurs défauts de courbure). Les faces convexes ne comportaient en revanche pas de traces de mortier. Les tuiles courantes A devaient donc être fixées sur les liteaux de la toiture, face concave au-dessus, puis des boudins de mortier étaient déposés à la jonction entre les tuiles, sur lesquels étaient pressées les tuiles couvrantes B. La quantité de mortier utilisée est très variable : certaines tuiles A ne conservent qu'une pellicule de chaux, mais d'autres ont été remplies de mortier, ce qui pose question pour l'évacuation de l'eau (Fig. 1-45A). Les empreintes permettent de déterminer qu'un recouvrement important était fait entre les tuiles A et B, à environ la moitié de la longueur des tuiles couvrantes ce qui est le résultat du décalage dû au recouvrement, de 10 cm pour les tuiles A et de 5 cm pour les tuiles B (Fig. 1-45B).

Au moment de la destruction de la toiture et de la récupération des tuiles, le mortier est plus systématiquement resté collé aux tuiles A. De nombreux fragments portent donc des traces de mortier, mais rien ne permet d'affirmer que toutes les tuiles de la toiture étaient fixées de cette manière, certaines tuiles étant dépourvues de mortier. Il est en effet possible qu'une seule partie des tuiles soit fixée au mortier et que les éléments mis au jour dans les remblais, associant tuiles et mortier, ne soient pas représentatifs de toute la toiture. Il peut s'agir de tuiles situées sous la faîtière, qui pouvaient nécessiter une fixation plus solide, ou bien de tuiles de rives, où le mortier assurait le maintien de l'ensemble sur les bords du toit, qui forment les endroits les plus fragiles de l'assemblage.

Toutefois, d'autres traces sur les tuiles B témoignent de l'utilisation systématique de mortier pour la fixation des tuiles couvrantes. D'une part, de nombreux fragments portent des traces de mortier sur les bords et sur la face inférieure, ce qui correspondrait aux amas déposés dans les tuiles courantes, impliquant une utilisation plus fréquente du mortier. D'autre part, les tuiles B portent des traces de mortier formant une bande au niveau du crochet (Fig. 1-42), indiquant qu'elles ont été scellées à leurs points de contact, pour assurer leur maintien et peut-être leur étanchéité autour du crochet, qui n'était que partiellement glaçuré. L'apparence de la toiture, une fois les tuiles couvrantes mises en place, devait être entièrement marron-vert, du fait de la glaçure qui recouvrait tous les pureaux (Fig. 1-45B).

Ces éléments semblent indiquer une utilisation importante de mortier pour la fixation des tuiles entre elles, et non pour leur maintien sur la charpente. L'hypothèse d'une pose à bain de mortier semble à écarter puisque la face convexe des tuiles courantes ne présente pas de traces de mortier et que de nombreux fragments conservent leur crochet intact. La récupération des tuiles fixées à bain de mortier aurait peut-être laissé des traces sur les tuiles et brisé de nombreux crochets prisonniers du mortier.

Il est difficile d'estimer le poids de la toiture au mètre carré, puisqu'aucune tuile complète n'a été découverte, tout comme de vérifier si le mortier était utilisé systématiquement et en quelles quantités. L'utilisation de la tuile, associée même partiellement à du mortier, implique en tout état de cause un poids important.

Pour ce qui est de la restitution de la pente du toit, la présence de crochets permet semble-t-il le maintien des tuiles sur une pente allant de 40 à 50° (Nauleau 2016 : 285). Une estimation du nombre de tuiles peut être proposée au mètre carré, en se fondant sur les dimensions des tuiles (avec deux hypothèses pour la longueur des tuiles A, 30 et 35 cm), et pour l'ensemble de la toiture du bâtiment, qui mesurait environ 17,7 m de long pour 12 m de large. En tenant compte du recouvrement des tuiles, il est possible de définir une densité de 41 à 46 tuiles par mètre carré en fonction des deux hypothèses de longueur pour les tuiles A. Rapporté à l'ensemble du bâtiment, cela correspond à environ 11 200 à 12 600 tuiles pour une pente de toit à 40° et 13 400 à 15 000 tuiles pour une pente de 50°.

Les tuiles découvertes, avec un NMI estimé à moins de 350 à partir du nombre de crochets, ne représentent donc qu'une fraction du nombre total de tuiles nécessaires pour couvrir l'édifice. La présence abondante de mortier pourrait également indiquer qu'il s'agit d'un lot provenant d'une partie spécifique de la toiture nécessitant une fixation importante, comme les rives. Il est donc difficile d'extrapoler les détails de la mise en œuvre de toute la toiture à partir des tuiles recueillies, mais leurs caractéristiques permettent toutefois d'attester le choix du monastère d'utiliser un matériau coûteux, et rare d'après les connaissances actuelles sur les tuiles glaçurées de cette période. Ce type de traitement de surface sur des tuiles creuses est plus généralement observé dans les régions méridionales, pour des périodes plus récentes et sur des édifices religieux. La découverte de ces tuiles dans un contexte stratifié à Marmoutier permet de plus de proposer une datation relativement précise, et ainsi compléter le corpus encore faible des toitures de tuiles du 12e siècle.

1.2.3.4 La restitution de la charpente

L’architecture et la chronologie relative du bâtiment 5 permettent de le dater de la fin du 11e siècle ou de la première moitié du 12e siècle (cf. 1.2.2.2). Cela implique de restituer une charpente « romane », c'est-à-dire, selon la définition proposée par Frédéric Épaud : une charpente à « structure de chevrons-formant-fermes avec des fermes indépendantes pourvues d'un entrait à la base, toutes identiques et espacées de moins de 1 m, une répartition homogène des charges de la charpente sur tout le long des murs gouttereaux, un réseau interne de pièces de raidissement travaillant en compression sur l'entrait », qui peut être orthogonal ou rayonnant (Épaud 2007 : 136). Ce type de charpente comporte une pente moyenne (40° à 45° en Anjou par exemple) pour limiter les contraintes mécaniques, comme le poids du chevronnage et de la couverture. Ces charpentes romanes sont généralement identifiées dans des édifices des 11e et 12e siècles.

Cette restitution pour le bâtiment 5 tient notamment à la comparaison avec un lot de bois identifié par Raphaël Avrilla dans la charpente construite au 19e siècle sur la partie ouest de l'ancienne hôtellerie, avec de nombreux remplois de bois anciens (Avrilla 2012a-b, lot n°4). Raphaël Avrilla a pu établir que ces éléments, entraits et sablières, correspondaient à une charpente de type roman, comportant deux éléments de raidissement rayonnants, d'après les traces d'encastrement (Fig. 1-46). Une datation dendrochronologique a fourni la période de 1126-1152 pour l'abattage des bois (Avrilla 2012a-b ; http://www.dendrotech.fr/fr/Dendrabase/site.php?id_si=033-24-37261-0002). La provenance exacte de cette charpente n'a pas pu être identifiée : l'entrait mesurait 6 m de long, soit presque quatre mètres de moins que la largeur dans l’œuvre du bâtiment 5 (9,70 m environ). Toutefois, cette découverte confirme l'existence de ce type de charpente à Marmoutier dans la première moitié du 12e siècle. La restitution de Raphaël Avrilla montre une toiture avec une pente comprise entre 45° et 50°, compatible avec une couverture lourde constituée de tuiles creuses à crochets, qui se fixent sur les liteaux. Notons que ces entraits comportaient une rainure destinée à l'encastrement de planchettes formant un plafond en bois.

Ces éléments permettent de restituer une charpente similaire pour le bâtiment 5 : charpente romane avec réseau interne de raidissement et pente autour de 45°, supportant une couverture de tuiles. En l'absence de supports intermédiaires, la portée nécessaire pour l'établissement d'une telle charpente sur le bâtiment 5 est importante, près de 10 m, mais il en existe des exemples en Belgique notamment pour les 11e et 13e siècles (Maastricht et Liège, 10,5 m ; Nivelles, 9,7 m ; Épaud 2007 : 139). Le bâtiment 5 comportait de plus des contreforts, renforçant la structure.

Cette charpente n'est attestée qu'indirectement ; aussi est-il difficile de préciser la chronologie de l'édifice et de sa couverture. Par ailleurs, faut-il restituer un plafond de bois dans le bâtiment 5, comme pour l'édifice non localisé identifié par Raphaël Avrilla ?

1.2.4 L'occupation intérieure du bâtiment 5

1.2.4.1 La première occupation du bâtiment 5

Le niveau d'occupation originel du bâtiment 5 n'est connu qu'indirectement, puisqu'aucune couche en place n'a été observée. Il est toutefois possible de restituer la présence d'un sol par la position supposée des seuils des portes 1250  et 1255 , autour de 50,90 m NGF (Fig. 1-19, 1-47). Les fondations sont situées à une altitude plus basse, et montrent une construction adaptée à la pente du terrain (de 50,85 m à 50,60 m NGF).

La fonction de cet espace est donc difficile à appréhender en l'absence de mobilier correspondant, mais la qualité de la construction indique un bâtiment d'importance, avec une fonction d'accueil peut-être limitée à l'étage, tandis que les larges portes du niveau bas témoigneraient plutôt d'une fonction de stockage, la circulation étant facilitée avec la cour attenante.

1.2.4.2 La deuxième occupation du bâtiment 5 : décaissement et construction de marches (Ens.4056, 4083)

Après une première occupation, l'intérieur de l'édifice a été décaissé de 40 à 50 cm, essentiellement dans la partie orientale du bâtiment, pour atteindre un niveau de 50,40 m à 50,2 m environ (F.1257 -1279, Agr.766-774). Cette opération a entraîné la mise à nu d'une partie des fondations des murs du bâtiment 5, l'arasement de la partie centrale du mur 1027  détruit précédemment et la destruction de couches antérieures au 10e siècle, encore visibles au pied des murs (Fig. 1-47, 1-48).

Les accès utilisés antérieurement ont dû être aménagés pour la circulation sur ce nouveau niveau de sol : des marches ont ainsi été ajoutées à l'intérieur du bâtiment devant les deux portes 1250  et 1255  situées à l'est.

Les marches (Agr.765-737)

Au sud, devant la porte POR 1255 , trois marches formées de deux blocs de calcaire dur chacune ont été construites (ESC 1281 , Agr.765), mesurant 35 à 55 cm de profondeur pour 1,30 m de large et 35 à 45 cm de haut, correspondant environ à la largeur de la porte (Fig. 1-49, 1-50). Les blocs formant les marches sont liés au mortier de chaux et sont calés par des blocs plus petits prenant appui sur les fondations irrégulières du bâtiment 5. Un bloc manquant permet de voir que les marches ont été accolées au mur M.1001  sans modifier la maçonnerie.

Si l’escalier situé au sud ne pose pas de problème d’interprétation, les quelques marches situées à l’angle nord-est sont d’une analyse plus complexe (ESC 1251 , Agr.737).

Ces marches sont constituées chacune de quatre blocs de grand appareil de calcaire dur de dimensions similaires et mesurent 2,60 m de long pour 48, 40 et 22 cm de large, la marche supérieure étant moins large puisque partiellement recouverte par le bouchage ultérieur de la porte POR 1250  dans le mur M.1014  (Fig. 1-51, 1-52). La destruction ultérieure de quelques blocs montre ainsi que contrairement à l'escalier sud, cette marche a été insérée dans l'emprise de la porte, soit remplaçant le seuil antérieur, soit le recouvrant. La marche supérieure est située juste au-dessus du niveau des fondations du mur 1014 , les marches suivantes sont appuyées contre les fondations du mur M.1002 , en retour d'angle. Un des blocs semble toutefois bûché grossièrement de ce côté, alors que les autres présentent une face régulière. Leurs arrêtes sont usées ou brisées, ce qui pourrait indiquer le déplacement de charges lourdes à cet endroit, comme des tonneaux.

Par ailleurs, le bord sud de l’escalier est situé en retrait par rapport au piédroit de la porte POR 1250 . Cette disposition particulière a nécessité des aménagements par la suite, lors du bouchage de la porte : un petit massif de fondation a dû être ajouté pour compenser l'intervalle sans marche (cf. 3.1.2.1).

Le niveau de sol extérieur contemporain étant inconnu, il est difficile de déterminer le nombre de marches total : peut-être se poursuivaient-elles dans l'embrasure des deux portes, voire à l'extérieur de l'édifice.

L'occupation correspondant aux marches

Le niveau de circulation correspondant aux marches était légèrement en pente vers le sud-est : il était approximativement situé entre 50,55 m au nord et 50,20 m au sud. Dans la partie ouest du bâtiment, le sol semble former une pente douce et remonter vers 50,60 m au sud-ouest.

Il est attesté par une couche de mortier blanc préservée au pied des marches de l'ESC 1251 , qui pourrait correspondre à la couche de préparation pour l'aménagement de ce sol (US 42077, Agr. 737) et par de fines couches de limon, dont il est difficile d'estimer s'il s'agit de l'occupation correspondant aux marches ou de niveaux antérieurs (terres noires), touchées par une rubéfaction ultérieure.

La fonction de cet espace excavé, accessible par des marches et au sol irrégulier, semble bien être le stockage, nécessitant peut-être des conditions de température et d'humidité qui ont pu être atteintes par le creusement du sol, à moins que l’objectif n’ait été d’augmenter la hauteur de la pièce.

La rubéfaction (Agr.734 et 777)

La rubéfaction ayant touché le bâtiment 5 lors de cette phase témoigne d'un feu sur toute la surface mais sur une faible hauteur (Fig. 1-53, 1-54, 1-55). Ont ainsi été atteints le bas des murs 1001 , 1002  et 1014  (fondation de moellons et élévation de moyen appareil), ainsi que les deux volées de marches 1251  et 1281 . Au sol, la surface rubéfiée a été observée uniquement le long des murs, où les couches ont été épargnées par les décaissements plus récents (F.1300 ). Cet incendie a probablement été suivi d'un nettoyage qui a pu entamer les couches sous-jacentes, et gêner la lecture des sols.

Après cette rubéfaction, des traces d'occupation sont visibles essentiellement à l'est le long des murs, dans les zones non perturbées par la suite (Fig. 1-56, 1-51). Il s'agit de deux couches limoneuses successives contenant notamment des charbons et des ardoises, englobant et recouvrant les marches des deux escaliers (US 42067, 42068).

1.2.4.3 Des trous d'encastrement mal datés dans le mur sud (Ens.4057, 4084)

Le mur 1001 , côté sud du bâtiment 5, présente une série de trous d'encastrement, réalisés a posteriori dans la maçonnerie de l'élévation, juste au-dessus des fondations (Fig. 1-22, 1-57, 1-58, 1-59). Ces trous ne semblent pas correspondre aux deux premiers états de l'occupation du bâtiment. Ils sont postérieurs à l'état d'origine puisqu'ils sont situés plus bas que les seuils des deux portes, qu'ils n'ont pas été prévus dès la construction de l'édifice et que leur creusement implique un abaissement préalable du niveau de sol (en terre ?). De plus, leur position ne paraît pas compatible avec le niveau de sol du deuxième état, plus bas de 50 cm.

Leur chronologie est difficile à établir, puisqu'il n'existe aucun contact direct avec les couches intérieures du bâtiment qui permettrait d'établir une chronologie relative, mais nous savons que ces trous ont été réalisés pendant l'utilisation du bâtiment 5, puisqu'ils ont été bouchés par les remblais de construction du bâtiment 2 (phase 3).

Les dix trous d'encastrement ont été observés uniquement dans le mur sud, à 50,60 m NGF pour les huit creusements situés à l'est, et 50,75 m NGF pour les deux trous situés à l'ouest. Le mur nord ne comporte, lui, aucun creusement à une altitude similaire. Ces trous sont de dimensions inégales et leur position semble irrégulière : ils sont soit isolés soit regroupés par deux, avec des écartements variables (20 cm, 85 cm, 1 m, 1,30 m). Il existe toutefois un axe de symétrie dans la répartition des trous, situé approximativement au milieu de l'édifice, deux trous accolés constituant le centre de l'aménagement. Aucun trou n'a été observé près des murs pignons, laissant des intervalles de 3,2 m et 2,5 m. Les trous sont de forme rectangulaire, d'un module large ou étroit, et le fond a été taillé en oblique, ce qui pourrait indiquer soit qu'ils ont contenu des bois placés de biais pour soutenir un plancher par exemple, soit que cette forme particulière était nécessaire pour l'insertion des bois en bascule dans une maçonnerie préexistante.

Ces trous d'encastrement pourraient correspondre à un plancher, mais si l'on suppose que les poutres pouvaient reposer au nord sur le ressaut de fondation, sans laisser de traces, la portée nécessaire pour couvrir la largeur de l'édifice serait trop importante par rapport à la dimension des bois. Il faudrait donc restituer un support intermédiaire, une cloison, un mur, dans laquelle les bois auraient été calés et mis en butée puis insérés dans le mur sud (information orale Frédéric Épaud 2017).

Le niveau restitué d'un plancher reposant sur ces bois coïnciderait ainsi avec le niveau des seuils des deux portes, à 50,90 m NGF.

Peut-être faut-il associer ces trous d'encastrement aux trois murs parallèles construits au centre du bâtiment, donc la fonction est certainement de supporter la structure d'un vide sanitaire, un plancher surélevé (cf. infra).

1.2.4.4 La troisième occupation du bâtiment 5 : décaissement du sol et construction de trois murs parallèles, un plancher surélevé ? (Ens.4055, 4082)

Les premiers niveaux d'occupation du bâtiment 5 ont été perturbés par un creusement de 70 cm de profondeur environ ayant touché le centre du bâtiment sur 13,5 m de long et 9 m de large (F.1300 , Agr.771-773), épargnant sur le pourtour les niveaux d'occupation précédents (Fig. 1-60, 1-61). Les bords du creusement sont situés de 50,50 m à 50,15 m NGF environ, le fond se trouvant à 49,70 m au plus profond (Fig. 1-47).

Ce creusement est destiné à l'installation de trois murets parallèles d'une seule assise d'épaisseur espacés de 1,50 m à 1,70 m et situés à 2,70 m du mur nord, et 1,70 m du mur sud (M.1024 , M.1025 , M.1026 , Agr.776-814, Fig. 1-20). Ils ont été construits dans des petites tranchées peu profondes, remplies essentiellement de moellons de tuffeau et de silex liés au mortier de chaux, mais ils comportaient également des blocs de moyen appareil de tuffeau avec des traces de layage oblique fin ou de coups de ciseaux, probablement en remploi. La surface des murs, bien conservée, est constituée d'une épaisse couche de mortier de chaux couvrant, conservant des traces d'outils de maçon réalisées dans le mortier frais (Fig. 1-62). Le mur 1025 , au centre, mesure 12,90 m de long pour 0,75 m de large, tandis que les deux murs latéraux mesurent 11 m de long pour 0,75 m de large.

La fonction de ces maçonneries semble d'avoir servi de support à un plancher surélevé pour former un vide sanitaire. L'association des murs avec les trous d'encastrement observés dans le mur sud, décrits précédemment, pourrait former une structure complexe, un plancher surélevé avec une structure différente au nord et au sud du bâtiment, dont la réalité matérielle est toutefois difficile à appréhender.

Cet aménagement implique l'abandon du niveau de sol antérieur, assez irrégulier, et le recouvrement des marches, devenues inutiles, par le plancher, certainement rétabli au niveau des seuils des deux portes, à 50,90 m NGF environ. Ces transformations indiquent un réaménagement important du bâtiment, au moins pour son niveau 1, et soit une amélioration de cet espace pour une fonction de stockage, la technique de construction avec des murets parallèles rappelant celle des bâtiments de stockage antiques, soit un changement fonctionnel. L'existence d'un plancher fournissant une meilleure isolation peut en effet signifier une utilisation domestique ou résidentielle de la pièce.

1.2.4.5 La dernière occupation du bâtiment 5 (Ens.4054, 4081)

L’occupation correspondant à ce plancher n’a pas laissé de traces, mais une fois le plancher démonté, des couches de mortier ont été déposées directement au-dessus des murs de soutènement. D'autres couches associées indiquent l’existence d'un chantier dans cet espace, probablement des aménagements consécutifs à la suppression du plancher (chaux, poudre de tuffeau jaune, cailloutis constitué de fragments de tuffeau, Agr.764, Fig. 1-49).

Ces strates sont recouvertes par des couches d'occupation conservées sur le pourtour du bâtiment, constituées de limon contenant des charbons (Agr.775-813). Il est difficile de déterminer s'il s'agit de la dernière occupation du bâtiment 5, répondant à une fonction spécifique, ou du témoignage du début du chantier de construction du bâtiment 2 (cf. 2.1.2).

1.2.5 Les abords du bâtiment 5

1.2.5.1 L’occupation au sud (Ens.4092)

La fouille du secteur 1, situé au sud-ouest du bâtiment 5, a révélé les traces d'une occupation extérieure constituée de couches successives de cailloutis alternant avec des remblais de démolition et des couches constituées de déchets de taille (Agr.677, Agr.678, Agr.679, Fig. 1-63). Une dépression au sud comblée par des limons fins semble correspondre à une fosse en eau ou une mare observée sur 3 m de long (F.1226 , Agr.676, Fig. 1-64). Les nombreuses couches de sols extérieurs qui la scellent montrent une humidité persistante ayant laissé des traces d'oxyde ferrique dans les sédiments (Agr.623). Ces dernières couches sont coupées par le creusement de la tranchée de construction des murs du bâtiment 2 : le mur gouttereau sud et le mur est de la tourelle de latrines (M.1001 , M.1005 ).

Cet ensemble de couches d'occupation montre l'existence d'une cour à l'angle sud-ouest du bâtiment 5, régulièrement rechargée et rehaussée, et présentant une dépression en eau, aménagée volontairement ou non.

La datation de cet ensemble Ens.4092 est établie grâce à la céramique découverte essentiellement dans les agrégations les plus récentes, dont certains groupes techniques sont attestés à partir du milieu du 12e siècle (groupes techniques to1L ; to7b ; to1k, datations 12c-13c, 12c-14d).

Si cette occupation extérieure ne peut pas être rattachée avec précision avec l'une ou l'autre des phases d'occupation intérieure du bâtiment 5, il est probable que la fonction de cour peu spécifique ait peu varié dans ce laps de temps.

1.2.5.2 L’occupation à l’ouest (Ens.3011)

La fouille réalisée au sud-ouest de la partie encore en élévation de l'hôtellerie a révélé une stratification antérieure au bâtiment 2, c'est-à-dire l'hôtellerie de la phase 3, (Fig. 0-70). Ces couches sont donc certainement contemporaines du bâtiment 5, qui l'a immédiatement précédé. L'ensemble Ens.3011 comporte cinq agrégations témoignant d'activités artisanales et de sols d'occupation régulièrement rehaussés.

Une zone rubéfiée correspondant peut-être à un foyer a été découverte (Agr.1041), scellée par des niveaux de remblais de tuffeau piétinés en surface (Agr.1040, céramique du 12e siècle, groupes techniques to8m, to1k). Au-dessus, une série de couches d'occupation de quelques centimètres d'épaisseur, riches en charbons et déchets de bronze, certaines colorées en ocre rouge, montrent l'existence d'un atelier de bronzier à proximité. La céramique correspondante est datée des 11e-12e siècles (Agr.1039, groupe technique to8m, Fig. 1-65).

Enfin, l'agrégation Agr.1038 est constituée d'une alternance de couches d'occupation (couches de cailloutis, de limons gris) et de remblais de tuffeau dans lesquels ont été creusées des rigoles, certaines comblées de fragments de TCA. Les quelques tessons de céramique découverts appartiennent aux 11e-12e siècles (groupe technique to8m).

Le dernier niveau d'occupation a été recoupé par la tranchée de construction du mur sud du bâtiment 2.

L'étroitesse du secteur de fouille ne permet pas de préciser la forme de l'occupation de cet espace, mais la fonction artisanale de cette zone est bien attestée au 12e siècle, à 30 m environ à l'ouest du bâtiment 5, mais il est difficile d'associer cette fonction à une phase ou l'autre de l'occupation intérieure du bâtiment. L'altitude de cette séquence stratigraphique est comprise entre 49,8 et 50,8 m NGF, soit au-dessous du niveau des seuils du bâtiment 5, ce qui peut s'expliquer par une pente générale du terrain.

1.2.6 La zone funéraire associée (phase 2 du cimetière)

Au nord du bâtiment 5, l'espace funéraire existant lors de la première phase connaît des transformations successives, qui supposent un lien avec la construction du bâtiment 5, immédiatement au sud-est de la zone fouillée du cimetière (Fig. 1-19).

1.2.6.1 L'occupation intercalée entre les phases 1 et 2 du cimetière : les traces d'un chantier de construction (Ens.4032)

Scellant certaines sépultures de la première phase (S.85 , S.87 ), un ensemble de couches de remblai et d'occupation montre une utilisation différente de la zone funéraire (Agr.618).

Les niveaux les plus anciens sont des couches d'occupation, recouverts par des couches semblant correspondre à un chantier proche : couches de poudre de tuffeau comprenant des déchets de taille (US 41668, 41669, 41671, 41687), couches de sable (US 41672) ou encore couches de mortier dur correspondant à des espaces de circulation (US 41673, 41674), alternant avec des couches de circulation argileuses brunes (US 41107, 41670, 41679) et des fosses de fonction incertaine (F.1465 , 1466 ). Cette agrégation se termine par des niveaux d'occupation fins contenant là encore des fragments de tuffeau jaune (US 40775, 40920, 40965, 41676, 41678). Cet apport de sédiments a ainsi conduit au rehaussement du sol d'une cinquantaine de centimètres.

Ces traces de chantier ont été interprétées comme le témoignage de la construction du bâtiment 5, dont le contrefort d'angle nord-ouest est tout proche. Les sépultures postérieures à ces couches constituent donc la deuxième phase du cimetière.

1.2.6.2 La phase 2 du cimetière (Ens.4020)

Les quinze sépultures attribuées à cette deuxième phase (12-34) présentent une orientation dominante, entre 84° et 91° par rapport au nord (orientation B), identique à l'orientation du bâtiment 5, ce qui confirmerait leur contemporanéité (Fig. 1-66, 1-67, 12-6, 12-7). Elle correspond aux huit sépultures 62 , 63 , 65 , 66 , 73 , 81 , 82  et 83 . Deux sépultures ont une orientation similaire à celle de la première phase du cimetière (92°-101°, orientation C : S.84  et 92 ), tandis que cinq autres sépultures partiellement observées ont une orientation plus incertaine. Parmi ces dernières, plusieurs sépultures sont calées de façon incertaine dans la chronologie, du fait de leur mauvais état de conservation (S.97 , 99 ) ou de leur absence de contacts avec d'autres fosses ou avec des maçonneries (S.93 ).

La densité d'utilisation du cimetière est supérieure à celle de la première phase : peu de couches de remblais ont été observées entre les sépultures à l'exception du sud du secteur, et les inhumations se succèdent en provoquant de nombreux recoupements (Fig. 12-1). De plus, la majorité des tombes contenaient des ossements redéposés, parfois en très grand nombre (S.62 , S.63 , S.65 , S.73 , S.84 , S.90 ). Les fosses de cette phase ont été creusées à une profondeur similaire à celles de la phase précédente (51,1 à 51,2 m NGF), malgré le rehaussement des sols pendant le chantier. Les nouvelles sépultures ont donc fortement perturbé les inhumations plus anciennes.

Caractéristiques des sépultures

Tous les squelettes dont on a pu déterminer le type d'espace de décomposition l'ont été en espace vide (treize sépultures, Fig. 12-2). Plusieurs tombes pourraient avoir contenu des cercueils, puisque des clous y ont été découverts, mais en nombre réduit. Les corps ont également pu être inhumés dans des coffrages de bois ou des cercueils chevillés, qui peuvent être indiqués par la présence de matière organique, comme la paroi rectiligne visible dans le comblement de S.62  (Fig. 1-68).

Une seule sépulture, S.73 , a été réalisée dans un coffrage de pierre anthropomorphique. Il était constitué de blocs de moyen appareil de tuffeau en partie maçonnés, côté nord-ouest. Ce coffrage comportait une loge céphalique composée de deux blocs évidés pour former une alvéole circulaire (Fig. 1-69). Il était fermé par des blocs de tuffeau de grand appareil, partiellement tombés dans le coffrage, sans perturber le squelette en place (S.73.2 ) du fait de l'infiltration de sédiments dans le coffrage scellant les ossements. Les restes de deux autres individus étaient déposés au-dessus de cette couverture (S.73.2 , Fig. 1-70), indiquant la réutilisation du coffrage, peut-être à plusieurs reprises, ce qui pourrait impliquer l'existence dans un premier temps d'un marquage en surface non conservé. Les blocs formant le bord du coffrage au nord-est ont toutefois été perturbés par la sépulture S.66  puis par la fosse F.1231 .

Les tombes correspondent à celles de trois femmes et de cinq hommes, tous adultes, et de sept autres individus de sexe indéterminé (Fig. 12-4). Les ossements issus de la réduction au-dessus du coffrage de S.73  correspondent à un homme et une femme. Comme pour la première phase, ce recrutement ne semble pas correspondre à un cimetière paroissial, en l'absence d'individus immatures, mais il s'agit bien d'un cimetière laïc, du fait de la présence de femmes.

Parmi les individus inhumés, sept squelettes conservaient les traces de pathologies osseuses remarquables, dont de nombreuses fractures (S.62 , S.65 ), une luxation (S.66 ), mais également des ossifications du ligament stylo-hyoïdien (S.63 , 66 , 84 ) et un défaut congénital des vertèbres (S.90 , Fig. 12-5). Ce nombre d'occurrences particulièrement élevé sur un échantillon limité de la population inhumée permet de proposer un recrutement spécifique dans cette partie de la zone funéraire, qui n'est peut-être pas représentative de l'ensemble (cf. 12.5).

Analyse et datation de la deuxième phase du cimetière

La datation de la deuxième phase du cimetière est difficile à établir, mais elle repose à la fois sur l'étude de la céramique et sur l'orientation des tombes. Trois datations au carbone 14 ont été réalisées sur des squelettes de cette phase, mais une seule a donné un résultat exploitable (S.92 , Fig. 12-9).

Le début de cette phase semble coïncider avec la construction du bâtiment 5, du fait de la présence de couches appartenant à un chantier de construction (Agr.618, cf. 2.6.1) et de l'orientation dominante des sépultures, entre 84° et 91° par rapport au nord, c'est-à-dire la même orientation que les murs du bâtiment 5.

La céramique découverte dans l'agrégation 616 est constituée en grande partie de tessons redéposés, appartenant notamment aux 7e-8e siècles (groupes techniques to1p ; sar16j ; to15i ; to8p ; to15q), c'est-à-dire provenant des terres noires perturbées par les inhumations. Certains éléments appartiennent toutefois aux 11e-12e et 12e-13e siècles (groupes techniques to1k ; to8f) et des tessons de verre des 9e-12e et 12e-15e siècles ont été identifiés. La sépulture S.93  comportait notamment un vase funéraire brisé mais complet, jeté dans le comblement de la fosse (groupe technique to1k, Fig. 1-71).

Les dernières agrégations de cette phase comportent elles aussi du mobilier redéposé, mais également de la céramique datée avec plus de précision : 12c-d-13c et 12c-14d (groupes techniques to7b ; to1k). Les groupes techniques correspondant donnent ainsi une datation plus fine pour la fin de la deuxième phase du cimetière, cohérente avec la datation de S.92 , qui marque la fin de cette phase, juste avant la construction du bâtiment 2. Le carbone 14 a en effet fourni une fourchette entre la deuxième moitié du 12e siècle et le troisième quart du 13e siècle. La datation du bâtiment 2 étant fournie par ailleurs, on peut supposer que S.92  a été créée juste avant le chantier du bâtiment, à la fin du 12e siècle.

1.2.6.3 L'occupation intercalée entre les phases 2 et 3 (Ens.4031, 4030)

Après une phase d'inhumation intensive, le mode d'occupation de cet espace semble avoir changé, puisque plusieurs fosses ont été repérées (Ens.4031).

Un des ensembles, énigmatique, est constitué de trois fosses circulaires recoupant une tranchée peu profonde de 3 m de long et orientée est-ouest (F.1205 , 1214 , 1215 , 1219 , Agr.682, Fig. 1-63). Cet aménagement perturbe en partie la sépulture S.84 , mais ne semble correspondre à aucune structure à fonction funéraire. L'hypothèse d'un édifice en matériaux légers placé en appentis contre le bâtiment 5 a donc été proposée, mais l'étroitesse de la zone de fouille empêche de l’appréhender dans son ensemble.

De part et d'autre du secteur, deux autres structures correspondent à des ossuaires ou à des fosses de vidange de sépultures. La fosse F.1189  renfermait notamment des os en connexion mais pas en position primaire : une inhumation a donc été perturbée avant décomposition complète des tissus et des membres ont été redéposés dans cette fosse (Agr.617). L'autre fosse, en partie située au-dessus de la sépulture 66 , contenait une grande quantité d'os longs et d'os de bassin notamment, correspondant à au moins trois individus adultes, attestant le regroupement de restes de plusieurs inhumations (F.1231 , Agr.683, Fig. 0-60).

Ces fosses sont scellées par des couches d'occupation recouvrant l'ensemble du secteur fouillé (Ens.4030, Agr.601), elles-mêmes recoupées par les tranchées de construction du bâtiment 2 (cf. 2.1.2).

Cette phase s'achève de façon certaine avec la construction du bâtiment 2, dont la tranchée de construction du mur nord a recoupé les couches d'occupation de l'agrégation Agr.601, contenant de la céramique de la fin du 12e siècle (groupes techniques to7b ; to1k). Une durée d'un siècle peut donc être supposée pour cette phase : de la fin du 11e à la fin du 12e siècle.

1.3 Synthèse : Fonction des édifices de la période 1

Les phases 1 et 2 correspondent à la construction de plusieurs bâtiments successifs à l’ouest de l’église abbatiale, à l’emplacement de la future grande hôtellerie de la fin du 12e siècle (bâtiments 6 puis 5). La continuité de l’occupation et les caractéristiques architecturales, particulièrement soignées dans le cas du bâtiment 5, ont incité à réfléchir notamment à la fonction d’accueil au sein du monastère avant la fin du 12e siècle.

1.3.1 L’accueil à Marmoutier aux 11e et 12e siècles d’après les sources écrites

Claire Lamy

Hôtellerie et aumônerie

Les conditions d’accueil des hôtes à l’abbaye de Marmoutier comme les règles de fonctionnement de cet office sont très peu ou pas connues. Il ne s’agit pas ici de traiter l’ensemble de la fonction d’accueil de l’abbaye (Lesne 1943 ; Davril, Palazzo 2000), mais d’apporter l’éclairage des textes sur l’hôtellerie de l’abbaye, objet des fouilles de l’équipe dirigée par Élisabeth Lorans, et ce que l’on voit de son fonctionnement aux 11e et 12e siècles.

L’information émane essentiellement de la documentation diplomatique3Outre les documents originaux antérieurs à 1121 consultables sur le portail Telma, nous avons utilisé les éditions du cartulaire dûnois (Mabille 1874) et vendômois (Charles Auguste de Trémault 1893)., mais on peut ajouter, pour le 12e siècle, les mentions du coutumier de Marmoutier (Bord et Gross 2021), une allusion au sein du recueil des miracles rédigés dans cette abbaye (Mabillon 1701)4Une nouvelle édition, traduction et étude est en cours, par Jean-Hervé Foulon, dans le cadre du programme COENOTUR. et le passage de la chronique des abbés à propos de la reconstruction de l’hôtellerie au temps de l’abbé Hervé de Villepreux (Salmon 1854 : 318-337)5Nous préparons une nouvelle édition, traduction et étude de cette chronique..

Comme le rappelle Émile Lesne, la fonction d’accueil, depuis le début du 9e siècle (capitulaire d’Aix, 817) est divisée et organisée autour de deux offices, et des revenus spécifiques lui sont attribués : l’hôtellerie pour l’accueil des hôtes riches et nobles, et l’aumônerie pour l’accueil des pauvres et des pèlerins (Lesne 1943 ; Witters 1974 : 177-215). L’office de la porte complète l’organisation puisque le moine de la porte a la charge de « trier » les visiteurs et de les envoyer vers l’hôtellerie ou l’aumônerie (Witters 1974 : 120)6Willibrord Witters signale le diplôme de Charles le Chauve en faveur de Marmoutier du 4 avril 852 dans lequel on trouve mention de cet office.. Selon Willibrord Witters, cette organisation ne résiste pas au 9e siècle. Mais la distinction entre office de l’hôtellerie et de l’aumônerie persiste bien : c’est ce que l’on retrouve par exemple à Cluny (Witters 1974 : 197)7Les coutumiers clunisiens du 11e siècle distinguent deux offices : l’elemosynarius (aumônier, qui s’occupe de « ceux qui vont à pied ») et le custos hospitum (hôtelier, qui s’occupe de « ceux qui vont à cheval »). Un office de stabularius est mentionné dans le coutumier d’Ulrich. Il est chargé des chevaux des hôtes, tandis que le custos hospitii reçoit les diverses catégories d’arrivants, pèlerins, dignitaires ecclésiastiques, laïcs.. À Fleury, le coutumier de Thierry d’Amorbach témoigne de la persistance de cette distinction, avec l’hospitale majorum (pour les riches) et l’hospitale pauperum (Bautier et Labory 2004 : 194-196). À Cluny, d’après les coutumiers du 11e siècle, ces deux offices recouvraient le soin des hôtes de marque et celui des pauvres.

Cette distinction entre ces deux offices apparaît mal dans les sources relatives à Marmoutier. Par leur nature – des documents diplomatiques – celles-ci éclairent avant tout les relations avec l’aristocratie. Néanmoins on peut signaler la présence, parmi les moines titulaires d’office mentionnés dans les listes de témoins des actions juridiques, de moines hospitalarii (« hôteliers ») et d’autres, il est vrai plus rarement cités, elemosinarii (« aumôniers »)8Ces données s’appuient sur la base de données que j’ai créée dans le cadre du programme COENOTUR qui sera mise en ligne.. Dans le coutumier de Marmoutier au caractère essentiellement liturgique9Lucien-Jean Bord et Antoine-Frédéric Gross signalent que « La simple lecture des titres des chapitres du coutumier montre le caractère majoritairement liturgique de l’ensemble ». Le frère hôtelier apparaît dans le chapitre XV, chargé de faire entrer trois pauvres au réfectoire des moines., l’hôtelier et l’aumônier apparaissent à plusieurs reprises, notamment à propos de l’accueil des pauvres (l’hôtelier) et de la distribution de rations pour les pauvres (l’aumônier avec le cellerier et le réfectorier)10L’hôtelier n’apparaît qu’une fois dans le coutumier, dans le chapitre 15. Il est chargé de faire entrer trois pauvres par jour pour le repas au réfectoire, signe qu’il assure peut-être l’essentiel de la fonction d’accueil et remplit peut-être le rôle dévolu au portier de la règle d’Aix. L’aumônier apparaîit plus fréquemment (chapitres 17, 34, 39, 48, 61). Il intervient dans l’organisation de certaines fêtes (aux Rameaux, chapitre 17 et aux Rogations, chapitre 39), dans des distributions de rations alimentaires aux frères, en association avec le cellérier et le réfectorier (chapitres 34 et 48), dans des distributions aux pauvres avec le cellérier (chapitre 61). On connaîit certains des revenus qui lui sont affectés, la dîme des offrandes faites en deniers. Je remercie Bruno Dufaÿ pour ses remarques, insistant sur le fait que la séparation ne recouvre pas la distinction entre riches et pauvres, ou alors secondairement. Les fonctions de l’aumônier sont plus larges que le simple accueil, comme le montrent ses différentes formes d’intervention dans le coutumier de Marmoutier. Il souligne également qu’à Saint-Cosme, les offices d’hôtelier et d’aumônier sont distincts et perdurent jusqu’à la fin du prieuré.. Il est difficile d’en tirer une conclusion sur la répartition de l’accueil entre hôtelier et aumônier, sur la base d’une distinction entre riches et pauvres. À suivre ce que dit le coutumier, la fonction d’accueil est assurée par l’hôtelier davantage que par l’aumônier, plus impliqué dans les distributions de rations avec le cellérier. Le chapitre 15 précise ainsi que l’hôtelier a la charge d’accueillir trois pauvres par jour pour le repas au réfectoire. À Marmoutier, l’hôtellerie semble être de la responsabilité de l’hospitalarius et il en est ponctuellement question dans les sources écrites, à propos de l’accueil de nobles à l’abbaye (Fig. 1-72).

Désignation de l'hôtellerie dans les sources diplomatiques et narratives

Les mots de l’accueil sont appuyés sur le verbe hospitare. L’hôtellerie comme lieu est désignée par les termes hospitium11Dans la Vie d’Abbon, par Aimoin de Fleury, au début du 11e siècle, hospitium est utilisé pour désigner un lieu d’hébergement (Bautier, Labory 2004 : 52 « Igitur ad hospitium regressus »). ou hospitale, et elle est, en soi, peu citée12Par exemple : Cart. vendômois n° XXVIII ; Arch. dép. Loir-et-Cher, 16H118, n° 5, Artem n° 2271, année 1066 (éd. Cart. dûnois, n° CXV) pour hospitalis (Acta sunt autem haec et firmata sub his qui interfuere, testibus istis, in hospitali nostro, ubi finis rerum et consummatio fuit. Trad. : Ces choses ont été faites et confirmées devant ces témoins qui étaient présents dans notre hôtellerie, où il y eut la fin et l’accomplissement de ces choses.). Pour les mentions dans les miracles et la chronique des abbés, voir respectivement le tableau, citations 5, 6 et 7.. Les documents diplomatiques du 11e siècle utilisent hospitale, tandis que les deux sources narratives, Recueil de miracles et Chronique des abbés, utilisent désormais hospitium13On peut signaler que dans le coutumier de Fleury par Thierry d’Amorbach, de la fin du 10e siècle, hospitale désigne l’hôtellerie (celle pour les hôtes riches, hospitale majorum, et celle pour les pauvres, hospitale pauperum) dans les chapitres XIII et XIV. Mais dans ce même chapitre XIV, hospitium est utilisé comme équivalent d’hospitale. (Bautier, Labory, 2004 : 194-196). Je remercie Laurent Morelle de m’avoir signalé ce passage.. Ce changement de vocable sur aussi peu d’occurrences est difficile à interpréter. Ceux qui sont reçus à l’abbaye ne sont pas qualifiés d’hospites (quand ce mot apparaît dans la documentation diplomatique, ce terme sert davantage à désigner des paysans titulaires d’une hôtise, tenure privilégiée), mais par des périphrases signalant qu’un tel est venu pour séjourner (ad habitandum), ou bien qu’il a été hébergé (hospitatus) à l’abbaye.

L’hôtellerie au 11e siècle est connue exclusivement par les sources diplomatiques (Fig. 1-72). Les notices produites par Marmoutier mentionnent un lieu, l’hospitale. Ce bâtiment apparaît avant tout dans sa fonction première – l’accueil des visiteurs – quelle que soit la durée de la visite : ainsi l’hôtellerie peut être un lieu d’attente, comme pour le prévôt de Vendôme, Archambaud, qui demeure à l’hôtellerie tandis que sa femme est au chapitre de l’abbaye pour donner son consentement à la donation faite antérieurement par son mari [citation 1]. C’est aussi un lieu où des accords peuvent être conclus avec des laïcs. Ceux-ci séjournent à l’abbaye à l’occasion d’une étape sur la route d’un pèlerinage [citation 2 et citation 3] (quand bien même les séjours ne sont pas toujours mentionnés), pour la conclusion ou la réitération d’un accord juridique (donation, vente, compromis)14La notice relative à Archambaud de Vendôme, mentionnant le fait qu’il reste à l’hôtellerie, suggère indirectement que le couple a séjourné à l’abbaye. Mais cela peut aussi bien être un simple accueil de jour. et, en relation avec cela, la concession de l’association aux prières de l’abbaye [citation 4].

Les conditions de l'accueil

Un seul acte, dans l’état actuel des connaissances de la documentation, donne des détails sur l’accueil matériel des laïcs. Ainsi une notice du cartulaire vendômois rapporte un accord entre Guismandus de Vendôme et les religieux de Marmoutier : c’est l’occasion de préciser les conditions de son accueil pour des séjours ponctuels à l’abbaye, un privilège manifestement convoité par les laïcs15Le cartulaire Vendômois conserve trois notices relatives aux conflits et compromis entre Guismandus et les moines de Marmoutier. Les notices XXIII (1066) et XXVIII (ca. 1066) portent sur les conditions de l’accueil de Guismandus à Marmoutier. La troisième notice, n° XXVII (1070) est un accord portant sur les conditions de la réception de Guismandus comme moine à l’abbaye. La notice n° XXVIII est citée par Lesne 1943 : 13 et par Witters 1974 : 131.. La notice précise qu’il sera reçu dans une petite chambre qui jouxte l’hôtellerie avec un seul de ses serviteurs (est-ce à dire que s’il en a d’autres ils seront logés à l’aumônerie ou bien à l’extérieur dans le bourg ?). Guismandus aura droit à un lit à deux couvertures et son serviteur à un lit à couverture unique [citation 5]16Émile Lesne et Willibrord Witters entendent que les lits sont respectivement accompagnés d’une ou deux couvertures. La formulation « lectum duarum culcitarum / unius culcite » pose tout de même la question de savoir s’il s’agit d’un lit plus large pour Guismandus ou bien effectivement d’une double épaisseur de couette.. Le texte suggère donc une gradation dans les conditions matérielles d’accueil, et l’existence de cette annexe à l’hôtellerie peut en être une traduction. Mais cela peut être le signe que la capacité d’accueil de l’hôtellerie au 11e siècle est insuffisante et que le bâtiment est alors trop exigu. On comprend aussi une volonté de limiter numériquement la suite d’un hôte à la charge de l’abbaye, car de hauts personnages pouvaient être accompagnés de serviteurs nombreux. Ainsi, les miracles de Marmoutier livrent un récit dans lequel l’archidiacre de Clermont est reçu à l’abbaye, dans le premier quart du 12e siècle, sous l’abbatiat de Guillaume, nommément désigné dans le récit (1104-1124). Il est accompagné de plusieurs hommes qui mangent à la même table que lui. On ne sait pas s’il s’agit d’une table commune avec l’abbé, car le passage ne mentionne pas la présence du prélat. Néanmoins, on devine que la suite de l’archidiacre est assez nombreuse [citation 6]. Ainsi les conditions d’accueil regardent la literie mais aussi les repas : dans l’accord avec Guismandus : les moines lui garantissent des rations de pain et de vin de leur table (respectivement trois pains et quatre mesures de vin). Mais tout « extra » sera à la charge personnelle de Guismandus, une prescription qui empêche toute réclamation. Cette précision ne permet pas de répondre à la question de la présence ou non d’une cuisine spéciale pour les hôtes à Marmoutier. Le nombre de jours d’accueil n’est pas évoqué dans l’accord avec Guismandus, signe, peut-être, qu’il n’était pas limité.

D’une manière générale, ce texte suggère le poids économique que l’accueil des riches laïcs pouvait représenter pour la communauté, mais aussi la source de perturbation que leur présence constituait. D’autres notices font allusion à une possibilité de séjour à l’abbaye concédée à un laïc, mais le lieu matériel de leur accueil n’est pas indiqué, même s’il est probable qu’il s’agisse de l’hôtellerie.

Dans ces textes, rien n’est dit, enfin, de la disposition des lieux (salle à manger particulière pour les hôtes, cuisine associée, disposition des lits dans une salle commune ou bien dans des espaces séparés ?) ou de la capacité d’accueil. La documentation pour cette période ne permet pas non plus de déterminer quels revenus étaient affectés à l’hôtellerie aux 11e et 12e siècles, et de ce fait quelle charge elle pouvait représenter pour l’abbaye.

L’hôtelier et ses aides

Il apparaît que parmi les dignitaires les plus régulièrement en contact avec les laïcs, essentiellement de l’aristocratie, le moine hospitalarius revient fréquemment. Plusieurs moines sont connus, chargés de cet office. Ce sont des mentions très ponctuelles comme pour les moines Bernardus (1061) ou Andreas (1084). En revanche à la fin du 11e siècle, le moine Hainricus occupe la fonction plusieurs années, participant à plusieurs négociations avec des laïcs, y compris hors de Marmoutier. Il apparaît la première fois en 1092 et reste actif au moins jusqu’en 108117Pour Hainricus hospitalarius, en 1092 : Arch. dép. Indre-et-Loire, H270, n° 16 (Artem n° 1455) ; en 1108 : Arch. dép. Indre-et-Loire, H202 (Artem n° 1430). Il s’agit du même individu car, dans les deux cas, il est accompagné de son frère, également moine de Marmoutier, Radulfus. Entre ces deux dates, il apparaît régulièrement dans la documentation.. L’hospitalarius de la fin du 11e siècle semble jouer un rôle plus important au sein des affaires de la communauté, mais est-ce dû à la personnalité d’Hainricus ou à l’importance accrue de cet office en raison d’un accroissement des occasions de recevoir les hôtes à l’abbaye ?

Le moine hospitalarius est accompagné d’un ou deux famuli – serviteur laïc membre de la familia – au minimum. Ce famulus hospitalarius (ou parfois dit de hospitio) peut être le chef d’une équipe plus nombreuse qui n’apparaît pas directement dans la documentation, et être assisté par d’autres famuli comme à Cluny, au 11e siècle (Witters 1974 : 208). Dans les listes de témoins des notices de Marmoutier, les famuli hospitalarii apparaissent davantage encore que le moine hospitalarius quand l’affaire se déroule à l’abbaye. Dans les années 1090, deux famuli accompagnent le moine hôtelier18Par exemple le moine Hainricus est accompagné en 1092 de deux famuli, Johannes et Otgerius (Cart. Dûnois, n° CXLVI, 1092). D’autres noms de famuli reviennent dans la documentation, associés à cette fonction, comme témoins des actions juridiques.. C’est probablement un chiffre a minima de laïcs œuvrant au service de l’hôtellerie.

De la même façon, dans les prieurés de l’abbaye, où l’on trouve sinon une hôtellerie du moins des attestations d’accueil, soit de l’abbé, soit de laïcs, les famuli hôteliers sont présents dans les listes de témoins, plutôt que des moines spécifiquement qualifiés d’hospitalarii. Il est possible que l’effectif réduit des moines dans les dépendances fasse que cet accueil soit assuré par le prieur ou un autre moine, notamment le cellerarius.

On peut enfin souligner la présence récurrente – mais non systématique – du moine hôtelier ou bien de serviteurs laïcs, les famuli, attachés à l’hôtellerie, lors de certains accords conclus à l’abbaye, sans que le séjour du protagoniste soit attesté. On peut peut-être voir là l’indice indirect du séjour du laïc ou du clerc concerné à l’abbaye et dans son hôtellerie, que les rédacteurs des notices ne prenaient pas la peine de mentionner.

Les transformations de l’hôtellerie au 12e siècle

Dans la deuxième moitié du 12e siècle, la chronique des abbés de Marmoutier rapporte que l’abbé Hervé de Villepreux (abbé de 1177 à 1187) a fait des travaux dispendieux (une dépense de 23000 sous) pour améliorer la fonction d’accueil, de manière, surtout, à ce que la paix monastique ne soit pas troublée [citation 8]. Hervé connaissait bien les ressorts de cet office qu’il a rempli avant d’être élu abbé (Salmon 1854 : 322) [citation 7]. Ce passage évoque les troubles provoqués par les hôtes de marque dans la cella des novices, troubles qui ont motivé ce nouveau chantier. Faut-il en déduire que les hôtes – ou certains d’entre eux – prenaient leur repas dans le bâtiment des novices, voire y résidaient si l’hôtellerie antérieure était trop petite ? Les fouilles ont révélé l’existence de bâtiments antérieurs à la grande hôtellerie ; le bâtiment 5, réutilisé comme extrémité orientale du bâtiment 2, était trois fois plus petit que lui.

La chronique laisse entendre qu’il s’agit d’un chantier nouveau (« une nouvelle salle, de très bel aspect, devant l’église ») sans mentionner l’existence d’un bâtiment antérieur. L’abbé Hervé a bien procédé à un agrandissement et un embellissement de l’espace d’accueil de l’abbaye, qu'il y ait eu déplacement ou non de ce bâtiment dont la logique fonctionnelle voudrait qu'il soit à proximité immédiate de l'entrée du monsatère (cf. 2).

1.3.2 Synthèse sur la phase 1 (bâtiment 6)

La première phase d'occupation regroupe plusieurs maçonneries dont le plan global est incertain, mais qui impliquent un espace complexe, formant peut-être plusieurs bâtiments, bordés au nord par une zone funéraire, et semblant ouverts à l'ouest par un passage dans le mur M.1028  (Fig. 1-1).

Cet ensemble, attribué au 10e siècle avec quelques incertitudes et perdurant tout au long du 11e siècle, est situé à environ 60 m de la façade de l'église contemporaine, un édifice de 40 m de long environ, à transept saillant et trois chapelles orientées (Fig. 12-26). Au cours du 11e siècle, l'église a été reconstruite sur un plan plus grand (Fig. 12-27). En outre, cet ensemble se trouve près de l’accès nord-ouest du monastère probablement située sur la voie d’origine antique longeant le pied du coteau et menant à Tours (Lorans 2012).

Plusieurs hypothèses peuvent être proposées pour la fonction de ces aménagements.

Le bâtiment 6, situé au sud-ouest de l'église, pourrait lui être lié, en restituant un ensemble de bâtiments annexes en avant de la façade, sous la forme d'un atrium. Dans ce cas, la présence des sépultures s'expliquerait par celle du lieu de culte, en avant duquel une zone funéraire accessible aux laïcs, avec une surreprésentation masculine, aurait été établie et se serait étendue progressivement vers l'ouest, jusqu'à atteindre la limite observée en zone 4 (Fig 0-196 phases 1 et 2).

Les constructions pourraient également constituer une porterie et marqueraient la limite ouest du monastère au 10e siècle, en deçà de la position de l'enceinte du 12e siècle, située plus à l'ouest. Enfin, les bâtiments proches des portes sont parfois destinés aux laïcs, comme les aumôneries et les hôtelleries. Dans tous les cas, on y voit un bâtiment d’accueil, associé à un cimetière de laïcs au recrutement spécifique, si l'on considère les données anthropologiques (cf. 12). Dans le cas présent, il est tentant d'associer la fonction d'hôtellerie ou d'aumônerie à cette zone du monastère dès la construction du bâtiment 6. La position de l'ensemble, la présence d'un cimetière de laïcs et la fonction assurée d'hôtellerie lors de la phase 3 vont dans ce sens, la permanence fonctionnelle des espaces étant souvent avérée en milieu monastique. La fonction d’hôtellerie est attestée dès le 11e siècle par les sources diplomatiques, qui, si elles n’apportent pas d’informations sur les bâtiments eux-mêmes, détaillent le mode d’accueil des visiteurs : espace d’attente ponctuel ou lieu d’hébergement plus durable (cf. 1.3.1). Il est donc possible que ces bâtiments, stratégiquement placés entre l’entrée du monastère et la façade de l’église, aient servi à l’accueil sous ses différentes formes, qu’il s’agisse de distribuer des aumônes ou de loger des voyageurs, à l’exception des hôtes de marque dont on sait par la chronique des abbés de Marmoutier qu’ils étaient logés dans la cella des novices avant la construction de la grande hôtellerie par Hervé de Villepreux (cf. supra et infra).

1.3.3 Synthèse sur la phase 2 (bâtiment 5)

Le bâtiment 5 est connu par ses maçonneries, conservées sur 2 m de haut, par des aménagements intérieurs et quelques couches d'occupation attestant des remaniements successifs, auxquels s'ajoutent des traces d'activités aux alentours et le cimetière situé au nord (Fig. 1-63).

Le rez-de-chaussée semble avoir rempli une fonction de stockage et a été modifié à plusieurs reprises, peut-être dans un but d'amélioration des conditions de conservation des denrées ou en lien avec une autre fonction. La présence d'un étage est supposée en raison de l'épaisseur des murs, de la présence de contreforts et d'une fenêtre à baies géminées ; il pouvait remplir des fonctions résidentielles. Il existait certainement d'autres constructions à proximité, notamment le mur 1028 , dont la fonction est inconnue.

Ces informations, ainsi que la position de l'édifice dans son environnement, fournissent des indices sur la fonction de l'édifice.

Tout d'abord, le soin apporté à la construction témoigne d'une volonté claire des moines de construire un édifice de qualité, en pierres de moyen appareil régulier, comportant au moins une fenêtre géminée à chapiteaux sculptés et une couverture de tuiles creuses glacurées, qui semble généralement réservée aux édifices religieux à cette période (cf. 1.2.3.1). Ces caractéristiques montent la richesse du monastère à cette période et l'importance accordée à l'édifice.

La présence d'un cimetière de laïcs au nord du bâtiment indique de plus que l'édifice pouvait leur être consacré, selon les principes de séparation des lieux de vie des moines et des laïcs dans un monastère. Le bâtiment 5 se trouve en outre près de l'entrée principale du monastère. L'édifice occupe donc une position stratégique : l'entrée du monastère et une zone à fonction artisanale métallurgique se trouvant à l'ouest, l'église et le cloître à l'est. Après la reconstruction de l'église au 11e siècle, la façade était située à 43 m du bâtiment 5, puis décalée vers l'ouest dans un second temps, à 25 m environ. Cet emplacement, mis à profit lors de la construction de l'hôtellerie lors de la phase 3, pourrait témoigner d'une fonction similaire dès les premières phases d'occupation.

Conclusion du chapitre 1

Les bâtiments 5 et 6, implantés à proximité de l'entrée principale du monastère, peuvent avoir rempli la fonction de porterie, d'accueil ou d'hôtellerie, attestée par des textes au 11e siècle, avant l'édification de la grande hôtellerie par Hervé de Villepreux à partir de 1180 (bâtiment 2, phase 3). L'évolution des besoins d’accueil dans le monastère ainsi que des améliorations architecturales ont pu justifier les reconstructions successives des bâtiments et le regroupement en un seul endroit de la fonction d'accueil dans le monastère.

Le cimetière, quant à lui, a été utilisé au cours des 11e-12e siècles par une population laïque, incluant des individus ayant pu nécessiter une prise en charge particulière (cf. 12). Ces observations doivent être pondérées par le fait que la surface fouillée du cimetière est très limitée.

Qu'il s'agisse de sépultures de famuli ou de personnes accueillies au monastère, la présence de ces inhumations près de l'entrée du monastère exprime la vocation de cet espace accessible aux laïcs et donc extérieur à la clôture stricto sensu.

CHAPITRE 2. PÉRIODE 2, PHASE 3 : L'HÔTELLERIE DE LA FIN DU 12E SIÈCLE (BÂTIMENT 2)

Chapitre 2. Période 2, Phase 3 : L'hôtellerie de la fin du 12e siècle (Bâtiment 2)

Émeline Marot et Gaël Simon

La phase 2 correspond à la construction d’une grande hôtellerie (Fig. 2-3). Outre la partie basse des murs et les niveaux d'occupation intérieurs et extérieurs découverts en fouille pour la partie orientale (zone 4), l'édifice est encore en partie conservé en élévation jusqu'au sommet des murs à l'ouest (zone 3) (Fig. 0-74). Les informations complémentaires fournies par ces différents vestiges permettent de proposer une restitution et une chronologie précise du chantier et de l'occupation du bâtiment.

Sa construction intervient dans un espace déjà occupé, comprenant le bâtiment 5, situé à une vingtaine de mètres du coteau et associé à plusieurs murs. L'implantation du bâtiment 2 devait donc répondre à ces contraintes tout en favorisant la mise en valeur de cet espace comprenant l'entrée du monastère à l'ouest, la chapelle Notre-Dame sur une terrasse du coteau au nord et l'église abbatiale à l'est (Fig. 0-196, phase 3). La construction de l'édifice a été planifiée en fonction de la position du coteau et en exploitant les constructions antérieures : le bâtiment 5 a été conservé en grande partie et agrandi vers l'ouest mais cela a nécessité des travaux de terrassement importants.

Le bâtiment 2, orienté approximativement est-ouest, mesurait 54 m de long sur 12 m de large hors œuvre et présentait une inflexion à la jonction avec l'ancien bâtiment 5. Il comportait deux niveaux à l'origine : un rez-de-chaussée voûté (Fig. 2-8) et un étage à charpente apparente. Un mur de refend situé à l'ouest délimitait un passage couvert large d'une travée permettant la circulation entre le nord et le sud de l'édifice (Fig. 2-17). Ses élévations en blocs de moyen appareil de calcaire étaient rythmées de contreforts et par une tourelle de latrines, située approximativement au milieu du mur gouttereau sud. L'édifice comporte des ouvertures variées (baies en lancettes et baies géminées), témoignant d'une rationalisation des besoins liés aux occupants et à l'environnement du bâtiment. L'ensemble des parements intérieurs était peint aux deux niveaux de l'élévation, les voûtes et les murs étaient recouverts de faux-joints rouges, les ouvertures mises en valeur, et une frise de rubans plissés décorait le mur pignon (Fig. 2-64).

L’hôtellerie de la phase 3 était associée à neuf sépultures, dont les plus récentes conservaient des traces de marquage en surface, témoignant de la dernière utilisation du cimetière à la fin du 13e siècle.

Les données architecturales et archéologiques confirment que le bâtiment 2 est bien l'édifice construit par Hervé de Villepreux à la fin du 12e siècle. L'hôtellerie remplit une fonction ostentatoire très forte, puisque l'accueil des hôtes de marque est une obligation importante de Marmoutier, qui a des répercussions sur l'image du monastère. Les frais engagés et le soin apporté à la construction de l'hôtellerie, ainsi que la volonté de mettre en scène l'entrée du monastère, démontrent l'importance de cet édifice aux 12e-13e siècles.

L'architecture de l'hôtellerie monastique de Marmoutier répond à des formes et à des caractéristiques partagées par nombre d'hôtelleries de monastères bénédictins. La fonction d'accueil des hôtes de marque est clairement définie dans le texte relatant la construction par Hervé de Villepreux et semble confirmée par l'architecture et l'archéologie (ouvertures, décor de l'étage, présence de latrines, etc.). Mais existait-il des lieux d'accueil des plus pauvres à proximité ? Une aumônerie (elemosyna) est mentionnée au 13e siècle (Lorans 2014 : 360), mais il est difficile de déterminer sa nature : cette fonction est-elle remplie dans une partie de l'hôtellerie ou s'agit-il d'un édifice distinct ? La question des distributions d’aumônes a également été abordée, dans le cadre plus général de l'assistance dans les monastères, comprenant les soins médicaux. Ce dernier point est soulevé pour Marmoutier par l'état sanitaire des individus inhumés près des bâtiments, pour les phases 1 et 2 comme pour la phase 3, contemporaine du bâtiment 2. La fonction d'accueil et d'assistance à une population spécifique, résidant ou travaillant dans le monastère ou à proximité peut donc être proposée.

Les éléments correspondant à cette phase d'occupation sont plus riches que pour les bâtiments 5 et 6 : outre la partie basse des murs et les niveaux d'occupation intérieurs et extérieurs découverts en fouille pour la partie orientale (zone 4), l'édifice est encore en partie conservé en élévation jusqu'au sommet des murs à l'ouest (zone 3). Les informations complémentaires fournies par ces différents vestiges permettent de proposer une restitution et une chronologie précise du chantier et de l'occupation du bâtiment 2.

La construction du bâtiment 2 intervient dans un espace déjà occupé, comprenant le bâtiment 5, situé à une vingtaine de mètres du coteau et associé à plusieurs murs (M.1028 , M.1032 ). La topographie du site indique une pente générale nord-sud, aménagée depuis les 6e ou 7e siècles par des remblais ou des décaissements successifs.

L'implantation du bâtiment 2 devait donc répondre à ces contraintes tout en favorisant la mise en scène de cet espace comprenant l'entrée du monastère à l'ouest, la chapelle Notre-Dame sur une terrasse du coteau au nord et l'église abbatiale à l'est. La construction de l'édifice a été planifiée en fonction de la position du coteau et en exploitant les constructions antérieures : le bâtiment 5 a été conservé en grande partie et agrandi vers l'ouest, mais cela a nécessité des travaux de terrassement importants.

Le bâtiment 2, orienté approximativement est-ouest, mesurait 54 m de long sur 12 m de large hors œuvre et présentait une inflexion à la jonction avec l'ancien bâtiment 5 (Fig. 2-1, 2-2). Il comportait deux niveaux à l'origine : un rez-de-chaussée voûté et un étage couvert par la charpente (Fig. 2-3, 2-59). Un mur de refend situé à l'ouest délimitait un passage couvert large d'une travée permettant la circulation entre le nord et le sud de l'édifice. Ses élévations étaient rythmées de contreforts et par une tourelle de latrines, située approximativement au milieu du mur gouttereau sud.

Les données archéologiques peuvent être confrontées à la Chronique des Abbés de Marmoutier qui relate la construction par Hervé de Villepreux à la fin du 12e siècle d'un bâtiment destiné aux hôtes de marque (cf. 2.4). L'analyse archéologique permet à la fois de confirmer les datations et de nuancer la description proposée dans le texte.

2.1 La construction du bâtiment 2

2.1.1 Les terrassements et modifications du bâtiment 5 préalables à la construction (Ens.4012, 4080, 4079, 4053)

Le bâtiment 5, construit au plus tôt au tournant des 11e et 12e siècles, était orienté est-ouest, mesurait 18 m sur 12 m et était couvert de tuiles glaçurées. Il était semi-enterré à cause de la pente du terrain, mais également du décaissement intérieur dû aux réaménagements successifs. L'intérieur, sous le plancher formant un vide sanitaire, était situé à la cote 49,70 NGF environ, bien plus bas que le terrain autour, situé au-dessus de 51 m NGF, si l'on se fie aux couches du haut Moyen Âge conservées au nord-ouest du bâtiment (secteur 3), mais situées plus bas au sud du mur 1028  (cf. 1.2, Fig. 1-63).

La volonté de conserver en grande partie les élévations du bâtiment 5 a donc entraîné des réaménagements importants, de l'édifice lui-même, mais également du terrain choisi pour l'édification du nouveau bâtiment, afin de régulariser le niveau de circulation. En prévision de l'implantation du bâtiment 2, le pignon ouest du bâtiment 5 a ainsi été démoli, de même que le mur 1028 , dont l'orientation ne correspondait pas au nouveau projet (Fig. 2-1). En effet, le bâtiment 2 a été construit parallèlement au coteau, soit OSO-ENE (81°), alors que les constructions antérieures étaient orientées E-O. L'inflexion observée dans le plan du bâtiment 2 correspond à la jonction des deux constructions.

2.1.1.1 À l'ouest : destruction de M.1028  et arasements (Agr.772, Agr.831)

Afin d'aplanir la zone à construire, le terrain situé à l'ouest du bâtiment 5 dans l'emprise du futur bâtiment 2 a dû être arasé jusqu'à atteindre les couches du haut Moyen Âge, caractérisées par des sédiments très sombres, au-dessous du niveau de circulation correspondant au bâtiment 6, dont il ne reste plus de traces.

En conséquence, le terrain forme une légère terrasse : il est plus élevé au nord du futur mur gouttereau septentrional, autour de 52 m NGF, et plus bas d'un mètre en deçà, puis en pente douce vers le sud.

Le mur 1028  a ainsi été arasé à la cote de 51,15 à 50,9 m NGF, tandis que des couches de remblais, déposées de part et d'autre au-dessus des couches du haut Moyen Âge, résultent de sa démolition et de la récupération des matériaux (Agr.831, Fig. 0-66). À l'est, le mur a subi une récupération plus radicale, à l'endroit où ses fondations gênaient la construction du mur 1001  (cf. 2.1.2.2).

2.1.1.2 À l'est : la destruction du mur 1017  et la première étape de remblaiement (Agr.772, Agr.688, Agr.763)

Arasé au même niveau que M.1028 , autour de 51 m NGF, le mur M.1017  a, lui, été en partie basculé vers l'intérieur du bâtiment 5, dans la pente formée lors de la phase précédente pour aménager un vide sanitaire. Un pan de mur effondré a ainsi été conservé, le parement oriental reposant contre le sol (Agr.772, cf. 1.1.1.1, Fig. 1-7, 2-4).

Au-dessus, un premier ensemble de remblais est constitué de matériaux issus de la démolition du mur 1017  : de nombreux blocs de moyen appareil et des blocs appartenant à la fenêtre à baies géminées précédemment décrite (Agr.688, cf. 1.2.2.2, Fig. 1-28). Ces couches contenaient des tessons de céramique d'un type attestés du milieu du 12e siècle au 14e siècle (groupe technique to7b).

Ces remblais sont scellés à l'est par une alternance de couches de mortier et de couches brunes semblant correspondre à une circulation marquant le début du chantier de construction proprement dit (Agr.763).

Ces remblais n'ont constitué que la première étape de la construction du bâtiment 2 : tandis que les murs M.1001  et M.1002  sont prolongés à l'ouest, les murs hérités du bâtiment 5 nécessitent des réaménagements, notamment l'ajout de supports pour la voûte prévue. La construction des fondations de ces supports a ainsi été menée en même temps que de nouveaux apports de remblais, en plusieurs étapes.

2.1.2 Les étapes du chantier de construction du bâtiment 2 (Ens.3010, 4012, 4053, 4064, 4079)

2.1.2.1 Le chantier dans l'emprise du bâtiment 5 : les étapes du chantier, murs et supports, plusieurs phases alternées avec des remblais

La construction des fondations de plan circulaire des supports centraux

Les remblais de l’agrégation 763 sont coupés par le creusement de larges fosses circulaires (F.1277  et F.1292 ) ayant servi à l'implantation de la fondation de deux supports centraux, définissant trois travées dans l'emprise de l'ancien bâtiment 5 (Fig. 2-4, 2-5, 0-86).

Les fondations, qui n'ont été observées qu'en surface, mesurent environ 1,6 m de diamètre, sont espacées de 3,3 m et sont construites en blocs grossièrement taillés ou en moellons irréguliers formant le parement, tandis que le blocage, peu visible, est noyé dans une épaisse couche de mortier formant l'arase de la fondation circulaire située à 50,15 m NGF pour le support occidental (EA 1296 ) et 50,25 m NGF pour le support oriental (EA 1295 , Fig. 2-6).

Construction des soubassements cubiques des supports centraux et des fondations des supports latéraux

Au-dessus de ces fondations circulaires, des soubassements cubiques de 1 m de côté et 0,75 m de haut ont été construits (EA 1264  sur l'EA 1295  et EA 1278  sur l'EA 1296 ), pour rehausser fortement le niveau des supports et les placer à une altitude compatible avec les supports situés à l'ouest (cf. 2.1.2.2, Fig. 2-4). Ces constructions sont formées de deux assises de blocs de grand appareil de 35 cm de haut et jusqu'à 75 cm de long comportant de nombreuses traces de layage (Fig. 2-6, 2-7). L'altitude des supports latéraux contemporains, autour de 51,10 m NGF environ, permet de restituer des supports centraux au même niveau à l'origine : ils devaient comporter une assise supplémentaire, avant une perturbation due au remplacement des bases (phase 4, cf. 3.1.2.2).

Parallèlement, des supports latéraux sont aménagés dans les trois murs restants du bâtiment 5, dans l'alignement des supports centraux. Des fosses sont d'abord creusées au pied des murs, remplies d'un premier niveau de fondation, comprenant des moellons noyés dans du mortier de chaux (F.1275 , 1287 , 1288 , 1290 , 1291 ), puis des soubassements plus élevés sont construits en blocs de moyen et grand appareil de tuffeau (jusqu'à 45 cm de haut), prenant la forme de cubes réguliers de deux à trois assises (EA 1283 , EA 1284 , EA 1285 ), ou comportant des ressauts successifs (EA 1276 , EA 1286 , Fig. 2-8, 2-9). L'arase de ces cubes maçonnés, mesurant 70 cm sur 45 cm en moyenne, s'établit au-dessus du niveau des fondations du bâtiment 5, à 51 m NGF au sud et 51,15 m NGF au nord. Cette légère pente entre les côtés nord et sud du bâtiment est présente dès la construction et demeure par la suite.

La deuxième étape des remblais

Les fondations maçonnées des supports sont ensuite progressivement recouvertes par l'apport de remblais déposés du nord-ouest vers le sud-est, c'est-à-dire à partir de l'endroit où le sol est plus élevé et où le mur 1017  avait été renversé précédemment. Ces remblais massifs, accumulés sur une épaisseur de 80 cm, résultent du dépôt de différents types de matériaux (Fig. 2-4).

Parmi les premières couches déposées, certaines contenaient de très nombreux fragments de tuiles creuses glaçurées appartenant certainement au bâtiment 5 (Agr.732, US 41522 par exemple, cf. 1.2.3.1, Fig. 1-37). Le dépôt de ces tuiles, associé à des blocs de mortier provenant de la même toiture, indique la destruction de l'ancienne couverture, puis la probable récupération des tuiles intactes, et le rejet, comme remblai, des tuiles brisées et du mortier associé. La quantité de tuiles observée dans ces couches est importante, mais reste réduite au regard de la surface de toiture originelle. La récupération a donc nécessairement été conséquente. Des fragments de tuiles similaires ont été découverts en 2017 sur la première terrasse du coteau, près de l'emplacement de la chapelle médiévale des Sept-Dormants (Zone 6). Ces éléments ayant été recueillis dans des couches très perturbées, il est difficile de déterminer leur origine : ils peuvent appartenir à une couverture médiévale contemporaine du bâtiment 5, comme la chapelle, ou correspondre à une réutilisation plus tardive.

Les autres couches de remblais sont de compositions variées : certaines, sableuses et comprenant des moellons et des fragments de mortier, résultent probablement du nettoyage de blocs provenant des murs détruits afin de les réutiliser, tandis que d'autres comportent des fragments d'argile brune ou de plaques de niveaux de sols de terre de plusieurs centimètres d'épaisseur (US 41806, 41860).

Ces éléments témoignent de l'arasement important effectué du côté ouest du chantier, détruisant l'occupation antérieure de cette zone et créant un hiatus entre le 9e et la fin du 12e siècle dans certains secteurs. L'arasement a ainsi fourni les matériaux pour combler entièrement la partie excavée du bâtiment 5 et atteindre un niveau plan situé autour de 51,1 m NGF pour la construction du bâtiment 2.

Construction des supports latéraux

Une fois le niveau souhaité globalement atteint pour le sol intérieur, les élévations du bâtiment ont été modifiées par l'insertion de colonnettes engagées placées sur les fondations précédemment construites (Fig. 0-58).

Les supports latéraux sont constitués d'une base de plan carré moulurée supportant des colonnettes engagées constituées de plusieurs tambours cylindriques mesurant chacun 24 à 35 cm de haut pour 30 cm de diamètre (cf. 2.1.5.2, Fig. 2-8). La largeur des socles maçonnés a permis aux maçons d'ajuster la position des supports pour correspondre au plan des voûtes : certaines bases de colonne ont été placées au bord du socle plutôt qu'au centre.

Les supports ont été ancrés dans la maçonnerie préexistante par l'insertion des bases et des fûts dans le mur un bloc sur deux. La perturbation des murs a été minime, plus large de quelques centimètres seulement que les blocs insérés.

Les deux supports situés dans les angles à l'est semblent avoir été construits entièrement lors de cette phase du chantier, la présence de fondations débordantes ayant évité la construction de fondations profondes : un bloc maçonné sur les fondations a suffi à former un socle à la hauteur désirée, avant l'implantation des colonnettes engagées d'angle (Fig. 2-10). Celles-ci sont plus fines que les autres du fait de leur position (22 cm de diamètre) et les blocs sont insérés alternativement dans chacun des murs jointifs.

Les supports centraux

Les supports centraux originaux ont certainement été mis en place au même moment, mais ils n'ont pas été conservés, du fait de la reprise des voûtes à la phase suivante, qui a entraîné leur remplacement et la probable destruction de la partie haute des supports cubiques (cf. 3.1.2.2).

Les derniers remblais

La dernière étape du chantier dans cette partie de l'édifice a été l'apport de remblais ponctuels, contenant eux aussi des fragments de tuiles creuses glaçurées, essentiellement contre le mur oriental du bâtiment et le dépôt de couches plus fines, résultat du chantier et des piétinements nécessairement associés (Fig. 2-4).

La surface de ces couches a certainement été perturbée et arasée par la suite, puisqu'aucun niveau de sol correspondant au fonctionnement originel du bâtiment n'est conservé.

2.1.2.2 Le chantier à l'ouest : construction de nouveaux murs

À l'ouest, le chantier a consisté, après l'arasement général de la zone pour établir l'assise du bâtiment, en la construction des murs gouttereaux nord et sud, du pignon et d'un mur de refend à l'ouest, ainsi que de la tourelle de latrines située au sud (Fig. 2-1). Le mode de construction a pu être observé dans l'emprise de la zone 4 et grâce à deux sondages réalisés à l'ouest en zone 3.

Aire de gâchage de mortier ? (Agr.578 et Agr.577)

Après la destruction des murs 1017  et 1028 , plusieurs couches localisées au sud semblent correspondre à l'installation d'une aire de gâchage de mortier, des couches de mortier friable ou très solide se superposant à des remblais sableux.

Creusement des tranchées de construction, récupération du mur 1028 

Le creusement des tranchées des murs gouttereaux a été réalisé ensuite, en s'aidant de l'aménagement en terrasse réalisé précédemment (Fig. 2-11). Ces tranchées mesurent 2 m de large environ, atteignant 2,5 m autour des fondations des supports latéraux (F.1141 -1148 -1442  pour le mur nord, F.1122 -1175  pour le mur sud). Les parois sont irrégulières, certains tronçons semblant s'être effondrés partiellement en cours de chantier. Leur profondeur est inconnue, la base des fondations n'ayant pas été observée, mais elles atteignent au moins 49,5 m NGF pour les murs gouttereaux et descendent en dessous de 47 m pour les murs de la tourelle de latrines, profondément creusée.

L'orientation des murs a entraîné des difficultés à l'emplacement du mur 1028  : s'il a en partie été conservé à l'ouest, une fois arasé à la cote désirée, le tronçon oriental gênait l'implantation des nouvelles fondations, et la maçonnerie a ainsi été presque entièrement récupérée, ne laissant en place que les gros blocs de 60 cm de côté correspondant au fond du radier de fondation, à la profondeur de 49,70 m environ (tranchée de récupération F.1254 , Fig. 1-6). Cette opération ponctuelle a formé une tranchée plus large qu'ailleurs, à l'endroit où les constructeurs ont dû creuser une fosse plus profonde pour établir la tourelle de latrines (Fig. 2-11).

À l'extrémité ouest du bâtiment, les tranchées de construction n'ont été observées que ponctuellement, autour de contreforts : une tranchée très étroite a été creusée pour le contrefort 559  situé à l'angle nord-ouest (F.622 ), tandis qu'au sud, la construction a été réalisée en tranchée aveugle (CTF 544 , F.616 ), mais leur profondeur totale est inconnue du fait de l'étroitesse des sondages effectués.

Construction des fondations

Les fondations des murs gouttereaux ont été construites de façon asymétrique : les maçonneries ont été plaquées contre le bord sud des tranchées, laissant un espace de travail plus large au nord (Fig. 2-11). Elles sont constituées en partie basse de blocs grossièrement équarris de 30 à 40 cm de haut disposés en assises irrégulières formant des ressauts successifs au nord, certains tronçons étant construits en blocs plus petits. Le sommet de ces fondations n'a pas été établi à un niveau égal partout : le dernier ressaut formé de blocs irréguliers atteint 51 m NGF à l'est du mur 1001  et 50,70 m NGF à l'ouest, des blocs de moyen appareil étant disposés au-dessus du ressaut pour atteindre le niveau souhaité.

À l'intérieur du bâtiment, côté sud, la fondation s'élargit à l'emplacement des futurs supports latéraux 1021  et 1315 , consolidée par le dépôt de blocs en remplissage dans la partie basse des tranchées de fondation (Fig. 0-85, 0-88, 2-1). Au nord, la fondation des supports a été réalisée par l'ajout d'un bloc de moyen appareil (EA 1124 ) ou par le remplissage d'une petite fosse à l'aide de blocs et de mortier (EA 1125 ). Ce dernier aménagement a été nécessaire à la jonction avec les murs du bâtiment 5, notamment au-dessus du mur 1017 , qui a servi partiellement de fondation.

Dans le prolongement de ce mur, au nord, un large contrefort a été établi (CTF 1127 ), ennoyant le précédent, appartenant au bâtiment 5. Ses fondations ont été construites par larges ressauts successifs, au-dessus d'une fondation en tranchée aveugle à l'est, plus large à l'ouest (F.1141 -1157 , Fig. 2-12). La fondation du contrefort situé à l’opposé, au sud, semble avoir été moins imposante, mais un seul parement est visible (EA 1245 , F.1228 ).

Les autres contreforts observés ont été fondés avec des techniques variables : tranchée aveugle pour les contreforts CTF 544  et CTF 1440 , tranchée ouverte pour les contreforts CTF 559  et CTF 1443 .

Les fondations en tranchées ont parfois été surmontées pour les parements extérieurs d'une première assise en blocs réguliers, identique à ceux de l'élévation, mais présentant parfois un ressaut : c'est le cas pour les contreforts CTF 559 , CTF 1245  ainsi que pour le parement sud du mur 1001 , observé près de la tourelle de latrines.

La tourelle de latrines a nécessité des fondations bien plus profondes que celles des murs gouttereaux. Le mur 1005 , constituant la paroi orientale des latrines, montre ainsi un décalage de 3,5 m entre la fondation à l'extérieur, à l'est (50,8 m NGF) et la fondation au fond du conduit (47 m NGF environ, Fig. 2-11). Au fond, les fondations sont constituées de blocs de moyen et grand appareil formant un ressaut sur trois côtés et liés au mortier de chaux, puis les parois ont été construites, probablement plaquées contre les bords d'une grande fosse de fondation, observée à l'est (F.1206 ).

Les supports centraux situés dans la partie occidentale du bâtiment ont été construits à une altitude différente de celle des supports orientaux, qui, eux, ont nécessité des fondations maçonnées très élevées.

Le support 1009  a ainsi été construit en partie au-dessus du mur 1017 , une fois arasé (Fig. 2-13). La fondation comporte une fosse de plan circulaire comblée de moellons et de mortier (EA 1304 ), surmontée d'un socle de plan carré formé de blocs de moyen appareil disposés en une seule assise, dont la surface est située à 51,15 m environ (EA 1303 ). Cette altitude, l'équivalent d'une assise de plus que les supports orientaux, confirme l'hypothèse d'un arasement partiel de ces derniers.

L'emplacement des deux supports situés plus à l'ouest (EA 1010  et EA1316 ) a été identifié par la présence de fondations profondes aménagées dans des fosses de plan circulaire, comblées de moellons et de mortier et affleurant des couches antérieures à 51 m NGF environ (Fig. 0-67), mais il est difficile de déterminer leur datation, tous les supports ayant été modifiés lors de la phase 4 (cf. 3.1.2.2).

Des remblais au centre du bâtiment (Agr.687, 760)

Un ensemble de remblais a été déposé, recouvrant les niveaux de démolition du mur 1017 . Ces couches contiennent de nombreux fragments de tuiles creuses glaçurées, qui indiquent un dépôt contemporain des couches de l'agrégation 732 à l'est.

En revanche, leur chronologie avec la construction des murs et des supports n'est pas assurée, toutes les bases ayant été perturbées par la suite, ce qui a coupé certaines relations stratigraphiques.

Ces remblais sont recouverts de fins niveaux d'occupation, résultant du piétinement lors du chantier près de l'ancien mur 1017  (Agr.585, 687).

Des trous de poteau : la fin du chantier ? (Agr.584, 585, 686)

Enfin, une série de fosses et de trous de poteau de tailles variées correspond peut-être au chantier de construction des voûtes dans la partie centrale du bâtiment, à la jonction des deux édifices (Fig. 2-1). Des décaissements ultérieurs, aussi bien à l'est qu'à l'ouest, ont peut-être masqué la présence d'autres structures contemporaines, ou bien des échafaudages n'ont été nécessaires qu'ici, pour des raisons structurelles, du fait du changement d'orientation des murs à cet endroit.

Trois trous de poteau ont été identifiés : deux de taille réduite, mesurant 20 et 50 cm de diamètre et comblés de sable de Loire (F.1146 , F.1156 ), et un troisième associant une fosse de 1 m de diamètre et un négatif de poteau de 35 cm de diamètre (F.1158 ). Ces structures sont placées à l'ouest de l'ancien mur M.1017 , au nord du support central EA 1009  (Fig. 0-62).

À l'est de l'EA 1009 , deux autres fosses ont été creusées dans les remblais : une fosse peu profonde au sud, contre le mur 1001  (F.1211 ), et une autre au centre, comblée de fragments d'ardoises (F.1204 ).

Une dernière fosse, elle aussi comblée de nombreuses ardoises (F.1142 ), est située contre le mur nord 1002  et dans le même alignement que les deux précédentes (Fig. 3-15). Elle pourrait être contemporaine des autres, mais ses relations stratigraphiques sont difficiles à définir du fait des perturbations ultérieures et elle pourrait appartenir à la phase 4 (Agr.571). Au fond du creusement, quatre carreaux de terre cuite de 19 cm de côté semblent avoir constitué une assise pour un support, peut-être un poteau d'échafaudage.

Cette hypothèse pour la fonction de ces fosses implique que les élévations des murs ont déjà été construites à ce stade du chantier, mais il n'en existe pas de traces directes : ni mortier ni couche de tuffeau concassé. Cette observation, ainsi que la nature des couches immédiatement postérieures, démontrent que l'intérieur de l'édifice a subi des nettoyages et des décaissements par la suite, qui ont effacé les dernières traces du chantier, mais également l'essentiel des niveaux de sol originels du bâtiment.

2.1.3 Les élévations

À l'issue des travaux réalisés, le bâtiment 2 mesure 54 m de long pour 12 m de large hors œuvre, correspondant pour un tiers aux maçonneries réutilisées du bâtiment 5 (Fig. 2-1, 2-3). La largeur du bâtiment et des murs eux-mêmes a été définie en fonction des caractéristiques de ce premier édifice, l'objectif étant manifestement d'harmoniser l'ensemble, malgré le changement d'orientation et l'emploi de matériaux de construction différents.

Les murs du bâtiment 2, larges de 1 m, sont construits en blocs de moyen appareil de tuffeau jaune, formant un appareil réglé, dont les assises mesurent 18 à 40 cm de haut, soit un module plus grand que les blocs du bâtiment 5, avec des variations plus importantes dans les modules d'une assise à l'autre (Fig. 0-48, 9-10). Les parements intérieurs présentent également des variations d'une travée à l'autre, ce qui indique probablement des phases de chantier différentes. Par exemple, de part et d'autre de la colonnette engagée EA 1315  dans le mur sud M.1001 , le ressaut de fondation n'est pas au même niveau et les assises de l'élévation sont de hauteurs différentes (Fig. 0-48). Les parements extérieurs, en partie haute, semblent plus réguliers, les hauteurs d'assises filant d'une travée à l'autre, entre les contreforts (M.505 , Fig. 0-74).

Les blocs sont liés au mortier de chaux, les joints mesurant 2 à 5 cm d'épaisseur. Il s'agit à l'origine de joints plats, conservés à certains endroits de l'édifice, dans les parties hautes essentiellement, mais le mortier fortement altéré forme à présent des joints creux.

De nombreuses traces d'outils sont visibles sur les blocs : traces de layage oblique régulier ou non, ou traces de ciseau plus larges (Fig. 2-14). Certains blocs présentent au contraire des faces lissées, usées, aux arêtes émoussées. Il peut s'agir de détériorations dues à l'eau dans le cas des blocs de la face nord du bâtiment ou des parements internes de la tourelle de latrines.

Les murs gouttereaux, conservés dans la partie occidentale du bâtiment, mesurent 11 m d'élévation, si l'on restitue un niveau de sol proche de celui observé à l'est, soit aux alentours de 51,20 m NGF (cf. 2.1.4). Ces murs étaient couronnés d'une corniche intérieure en quart de rond, mesurant 20 cm de haut pour 8 à 18 cm de saillie, et formée de blocs de 50 à 80 cm de long. La charpente reposait sur cette corniche, aucun autre support n'ayant été identifié pour cette phase. Le mur pignon, lui, mesurait 19,5 m d'élévation à l'origine, mais il a été écrêté sur plus de 4 m au 19e siècle (M.501 , Fig. 0-71).

Le couronnement des murs à l'extérieur ne comporte pas de corniche ni aucun aménagement, bien qu'une corniche à modillons soit représentée à l'extrémité orientale du bâtiment sur un dessin du 19e siècle. Cela montre que cette partie, correspondant à l’ancien bâtiment 5, a pu conserver des éléments architecturaux hérités de la phase 2 (cf. 1.2.2.2, Fig. 0-185).

De nombreux trous de boulin sont visibles dans les maçonneries, essentiellement dans les parties hautes et dans les parties moins remaniées. Le pignon ouest comporte ainsi quatre rangées de trous de boulin de 15 cm de large irrégulièrement répartis dans l'élévation, à 54,4 m, 57,8 m, 62,8 m, 64,1 m et 65,8 m NGF, les trois rangées supérieures définissant des espacements d'une hauteur de 1,2 m (Fig. 2-15). Le mur sud comporte lui aussi plusieurs rangées de trous de boulin, mais les espacements verticaux sont parfois très réduits, jusqu'à une seule assise d'écart (54,9 m, 57,7 m, 61,7 m, 62,1 m NGF, Fig. 2-16). Au moins une partie de ces trous de boulin sont traversants, notamment la rangée située dans le mur sud, deux assises au-dessous de la corniche. Toutefois, cette répartition inégale rend difficile la restitution des échafaudages correspondants.

Des contreforts à ressauts successifs et glacis sommital rythmaient toutes les façades, mais leur répartition et leurs formes semblent inégales (Fig. 2-1). Le pignon occidental en comportait trois : deux contreforts latéraux s'arrêtant 1 m plus bas que le sommet des murs gouttereaux (CTF 541 , CTF 561 ), et un contrefort central s'élevant au moins jusqu'à 66 m NGF (CTF 540 ). Ils mesurent 1,3 m de large pour 1,1 m d'épaisseur. Les deux contreforts occidentaux des murs gouttereaux ont des dimensions similaires, encadrant le passage occupant toute la première travée du rez-de-chaussée, large de 4,7 m (CTF 544  et 546 , CTF 557  et 559 , Fig. 0-75). Le contrefort nord occupant l'extrémité actuelle du mur conservé en élévation est légèrement plus petit : 1,2 m de large pour 80 cm d'épaisseur (CTF 549 ). Il est de plus nettement plus éloigné des autres, 9,45 m d'écartement, correspondant à deux travées. Le contrefort situé à l'opposé dans le mur sud est, lui, plus large (2,9 m) et plus haut que les autres, mais cela ne semble justifié ni par des raisons structurelles, ni par la présence d'une cheminée (CTF 545  ; cf. 2.1.8.3).

Dans la partie non observée des murs, hors de la zone de fouille, il est difficile de déterminer s'il existait des contreforts, puisqu'ils ne sont pas systématiquement associés à chaque travée. Plus à l'est, deux contreforts sont restitués au nord, d'après la forme des fondations du mur nord (CTF 1440 , 1443 , secteur 12), tandis que la tourelle de latrines au sud devait en partie remplir un rôle de contrebutement (EA 1341 ).

Les contreforts suivants correspondent à la jonction entre les deux bâtiments 5 et 2 : le contrefort nord mesure 1,7 m de large pour 0,85 à 1,3 m d'épaisseur (CTF 1127 ), tandis que le contrefort sud, partiellement observé, mesure 95 cm d'épaisseur (CTF 1245 ).

Au moins deux contreforts appartenant à la phase précédente existaient dans le pignon est, mais il est possible que celui situé au centre ait été arasé au moment de la construction d'un nouveau contrefort dans l'axe des supports (CTF 1381 ). Un dernier contrefort a été aménagé contre le mur sud, mais seule son arase a été observée (CTF 1253 ), tandis que le tronçon oriental du mur nord ne semble pas avoir comporté de contreforts.

Ces 18 contreforts, observés ou restitués, correspondent donc à la fois à un héritage du bâtiment antérieur réaménagé, à une volonté de renforcer l'édifice aux emplacements les plus fragiles, mais aussi de rythmer les élévations du bâtiment une travée sur deux (Fig. 2-1, 0-26, 0-30).

2.1.4 Les sols (Ens.4011)

Le sol intérieur du bâtiment 2 est très mal connu pour la phase 3, correspondant à sa construction et à son occupation originelle. Au-dessus des remblais déposés dans l'emprise de l'ancien bâtiment 5 comme dans l'extension formant le bâtiment 2, le sol intérieur a été perturbé à plusieurs reprises. Outre les décaissements réalisés à la période moderne, le sol originel semble avoir été arasé dès la phase 4, puisqu'un niveau de chantier du 14e siècle et des sols du 15e siècle recouvrent immédiatement des remblais et des tranchées de construction de la phase 3.

Un seul lambeau de sol, situé au-dessus de l'ancien mur 1028  et près du mur gouttereau sud M.1001 , peut être associé au sol originel, à la cote de 51,2 m NGF. Ce sol est constitué d'un radier de moellons recouverts d'un niveau de mortier gris épais de 10 cm, à la surface lissée, et qui recouvre la tranchée de construction du mur 1001  (US 42814, Fig. 0-66). Au-dessus, un fin niveau marron correspond au dépôt lié à l'occupation de l'édifice (US 42813). La mise en place de ce sol de mortier a peut-être permis de rétablir l'horizontalité du sol, à la hauteur des supports du mur nord (51,2 m NGF), ceux du mur sud étant situés plus bas pour la plupart.

En ce qui concerne le passage occidental, le sol intérieur n'a pas pu être observé et la fouille au nord et au sud de chaque côté du bâtiment a montré que l'entretien régulier du passage a arasé les couches de sol originelles, ne laissant en place que des niveaux de sols postérieurs (14e siècle au nord et 16e siècle au sud). Toutefois, nous savons qu'une pente du sol doit être restituée si l'on se fonde sur l’altitude des tranchées de fondations des murs : 51,5 m NGF au nord pour 50,7 m NGF au sud (Fig. 2-11). Cette pente était nécessaire pour assurer la circulation de part et d'autre de l'édifice, mais elle implique une différence de niveau avec le sol intérieur à l'est du mur de refend M.502  (51,2 m NGF). La porte de communication entre les deux espaces (POR 564 ) a ainsi été positionnée au nord dans le mur 502 , où les deux sols semblent coïncider(cf. 2.1.5.4).

Au sud du bâtiment, un secteur a fourni des couches pouvant correspondre à l'occupation immédiatement postérieure à la construction du bâtiment (Agr.620). Elles comprennent des couches ayant servi à niveler le sol alternant avec des couches d'occupation, recouvertes par des couches de mortier dont il ne reste que des lambeaux. Le sommet de cette séquence correspond à 51 m NGF, mais les sols ont pu être établis plus haut, et arasés par l'entretien des abords de l'édifice. La céramique associée est datée 12c-14d (groupes techniques to7b ; to1k) et l'ensemble est scellé par des couches du 13e siècle ou du début du 14e siècle.

2.1.5 Les couvrements intérieurs

L'édifice comportait deux niveaux, restituables à partir des supports découverts en fouilles et des éléments conservés en élévation, c'est-à-dire le passage occidental ainsi que les vestiges des voûtes observés juste à l'est de celui-ci (Fig. 2-3).

Le niveau 1, en partie enterré côté nord d'après les niveaux de sol observés, était couvert de voûtes culminant à 5,5 m de haut (56,8 m NGF) avec des arcs doubleaux situés à 56,2 m NGF. Ces voûtes définissent un deuxième niveau de 5,6 m de haut jusqu'aux corniches des murs gouttereau, mais mesurant le double si l'on restitue un espace sous charpente (cf. 2.1.5.4).

2.1.5.1 L'organisation du niveau 1

Il existait au moins deux pièces distinctes au niveau bas : un passage à l'ouest et un grand volume à l'est.

À l'extrémité ouest du bâtiment, le passage couvert est délimité par le mur pignon (M.501 ) et par un mur de refend limité en hauteur au rez-de-chaussée (M.502 , Fig. 0-72, 2-17). Ce passage est ouvert de part et d'autre par deux grands arcs à double rouleau de claveaux occupant toute la largeur de la travée, soit 4,70 m entre les contreforts (ARC 504  et 552 ).

L'espace oriental est constitué de neuf travées dont l'entraxe est de 4,7 à 5,4 m (Fig. 2-3). Les traces d'arrachement des voûtes observées dans la travée 3 à partir de l’ouest impliquent une largeur plus grande de la travée 4, qui pourrait indiquer la présence d'un second mur de refend, situé dans l’axe du contrefort plus large. Cette disposition reste toutefois hypothétique, le mur n'ayant pas été observé directement.

Les dix travées composant l'ensemble du bâtiment étaient délimitées par des supports latéraux et des supports centraux, surmontés de voûtes sur croisées d'ogive, dont une seule travée est conservée à l'ouest.

2.1.5.2 Forme des supports du niveau 1

Les supports du passage occidental ont été fortement modifiés : les ogives s'achèvent sous la forme de culots grossiers dans les angles, résultat probable du bûchage des supports originaux.

Les informations sont plus précises à l'est du mur de refend M.502  : le piquetage partiel du mur de refend moderne M.503  a permis le dégagement d'une colonnette engagée à chapiteau et du départ des voûtes d'ogives associées (COL 613 , ARC 614 , VOU 588  et 611 , Fig. 0-56, 2-18). De plus, la fouille à l'est a permis d'observer la partie basse de quatorze supports latéraux, dont certains, mieux préservés, conservent leur forme originelle et leurs moulures (COL 1051 , 1124 , 1165 , Fig. 2-10), et de cinq supports centraux. Il est ainsi possible de restituer l'état originel des supports de la voûte (Fig. 2-19).

Les supports latéraux sont constitués de colonnettes engagées de 30 cm de diamètre – ou 22 cm pour les supports des angles – pour 2,8 m de haut, base et chapiteau compris. Leurs bases, mesurant 50 cm de haut, sont constituées de socles carrés surmontés de moulures de plan circulaire : un tore en demi-cœur renversé, une scotie entre deux filets puis un tore d'un diamètre plus petit. Deux des bases semblent toutefois présenter des moulures plus simples (COL 1167 , COL 1170 ).

Les chapiteaux sont, eux, constitués d'un astragale torique, d'une corbeille lisse passant d'un plan circulaire au plan carré, et sont surmontés de tailloirs moulurés d'un cavet, d'un filet, d'un tore puis d'un bandeau. L'ensemble mesure 55 cm de haut pour 60 cm de long et 40 cm de large.

Les supports centraux ne sont connus que par les socles cubiques sur lesquels ils étaient implantés, les élévations ayant été modifiées à la phase suivante. Il est toutefois possible de proposer des formes similaires aux supports latéraux, avec un diamètre supérieur pour supporter la retombée des voûtes.

2.1.5.3 Les voûtes du niveau 1

Les témoins directs des voûtes sont limités à la partie du bâtiment en élévation : le passage occidental comporte encore le couvrement d'origine (VOU 505  et 566 , Fig. 2-17), tandis que les voûtes situées à l'est du mur de refend sont attestées par les traces d'arrachement dans les murs et le tronçon conservé dans le mur 503  (VOU 587 , 588 , 611 , 612 ).

Le passage est délimité par deux arcs clavés à double rouleau dans les murs nord et sud faisant office d'arcs formerets et comporte un arc doubleau asymétrique, avec un second rouleau côté sud uniquement (ARC 565 , Fig. 2-11). Les murs latéraux est et ouest sont dépourvus d'arcs formerets, les voûtains s'implantant directement au-dessus des assises des murs. Les arcs d'ogive sont formés d'un tore associé à un bandeau aux angles moulurés de cavets.

La présence de voûtes à l'est du passage est attestée par les traces d'arrachement des voûtes dans les murs gouttereaux M.505  et 506  ainsi que dans la face orientale du mur de refend M.502  (Fig. 0-34, 0-40). La forme des arcs en plein cintre est identique à celle des voûtes encore en place et les traces d'arrachement montrent également la forme des supports latéraux. Les tronçons d'arcs conservés au-dessus de la colonne COL 613  démontrent que les arcs doubleaux nord-sud (ARC 614 ) avaient un profil identique aux arcs d'ogive et que les arcs s’interpénétraient au-dessus des supports latéraux, seuls conservés (Fig. 0-56). Les arcs doubleaux est-ouest avaient probablement des formes identiques, étant donné la largeur du support central du mur oriental.

La forme et les dimensions de l'arc doubleau du passage constitueraient donc une mise en œuvre particulière, peut-être liée à la fonction de cet espace. Les travées des voûtes de la pièce principale étaient donc de dimensions légèrement supérieures à celles du passage, avec des arcs doubleaux moins massifs. Nous ignorons toutefois s'il existait des arcs formerets dans les murs : les blocs témoignant de l'arrachement des voûtes pouvant correspondre à des claveaux comme à des blocs des voûtains.

2.1.5.4 Le couvrement du niveau 2

La continuité du décor peint sur le pignon M.501  au-dessus du niveau des murs gouttereaux indique que le niveau 2 était couvert par la charpente, sans plafond limitant la hauteur (Fig. 2-3).

Les observations sur les probables bois de la charpente, en remploi (cf. 2.1.7, Avrilla 2012a-b) montrent des traces de clous d'un lambris posé sous les bois formant une charpente voûtée, mais il est difficile de s'assurer que cet aménagement est contemporain de la première phase du bâtiment 2.

L'espace défini pour le niveau 2 mesurait ainsi environ 11 m de haut jusqu'aux entraits retroussés, d'après la restitution de la charpente proposée par Raphaël Avrilla.

2.1.6 Les ouvertures

L'édifice comporte de nombreuses ouvertures très variées, témoignant d'une rationalisation des besoins liés aux occupants et à l'environnement du bâtiment.

2.1.6.1 Les portes

Les deux arcs ouvrant le passage occidental au nord et au sud du bâtiment mesuraient 4,2 m de haut au nord et 4,8 m au sud (ARC 504  et 552 , Fig. 0-39, 2-20), la différence s'expliquant par la pente du terrain, qu'il a été nécessaire de compenser. Si le sol intérieur n'a pas été observé directement, le niveau des fondations du bâtiment est connu : 51,5 m NGF au nord et 50,7 m NGF au sud. Même si l'on restitue une épaisseur supplémentaire pour la construction du sol de circulation, il existait nécessairement une pente dans l'emprise du passage. L'altitude de 51,2 m, observée pour les sols à l'est, est atteinte au nord de l'arc doubleau 565 . C'est donc à cet emplacement qu'une petite porte ouvrant dans le vaisseau principal du rez-de-chaussée a été créée (POR 564 ), où les deux niveaux de sol semblent coïncider pour faciliter la circulation (Fig. 0-33, 0-34).

Cette porte était couverte d'un arc clavé en plein cintre, fortement perturbé par une reprise moderne. Les claveaux sont encore visibles dans la face est du mur 502 , mais pas de l'autre côté, ce qui implique une asymétrie de l'ouverture : la feuillure étant probablement située côté est, l'ouverture était donc plus basse à l'ouest. L'arc de couvrement est situé à 54,1 m NGF, ce qui permet de restituer une hauteur de la porte de près de 3 m pour 1,3 m de large.

Les deux portes situées à l'est, héritées du bâtiment 5, sont toujours en fonctionnement après la construction du bâtiment 2. L'édifice comportait donc une large porte dans le pignon oriental (POR 1250 ) et une plus petite au sud (POR 1255 , Fig. 2-3). Le couvrement de ces portes n'est pas connu, mais les ouvertures ne semblent pas avoir été modifiées depuis la phase précédente, l'insertion des colonnettes d'angles n'ayant pas perturbé les piédroits.

Une dernière porte, située au centre du mur nord, semble, malgré quelques incertitudes, plutôt correspondre à un percement plus tardif (POR 1345 ). Il est plus probable que cette porte, à la position strictement centrale dans le bâtiment (travée n°6 à partir de l'ouest), résulte de l'agrandissement d'une baie (cf. 2.1.6.2).

Le vaisseau oriental du rez-de-chaussée était donc desservi par trois portes situées aux deux extrémités, une disposition qui devait faciliter les circulations dans cet espace.

Une seule porte est encore conservée à l'étage, à l'extrémité occidentale du mur sud M.505 , au-dessus du passage (POR 512 , Fig. 2-3, 2-21, 2-22, 0-27). Des claveaux et une partie du piédroit oriental sont encore visibles côté intérieur, l'autre piédroit se confondant avec l'angle du mur 501 . L'ouverture mesurait 3 m de haut pour 1,3 m de large et comportait un décor peint de faux claveaux formés de colonnettes à chapiteaux stylisés (cf. 2.1.9). Le niveau du seuil de la porte semble être situé 10 cm au-dessous du sol actuel, constitué d'un plancher. En effet, c'est le niveau atteint par le bouchage de la porte et par les traces de faux-joints sur le mur.

À l'extérieur, l'ouverture est attestée par le négatif de l'extrados des claveaux, le parement ayant été perturbé par une reprise résultant du bouchage de la porte. Ces traces permettent de déterminer que le couvrement de la porte était plus bas du côté extérieur (59,5 contre 61,1 m NGF, pour un sol de l'étage situé autour de 57 m NGF). La position de cette porte, ouvrant à l'étage à l'aplomb du passage, implique l'existence d'une structure en bois, peut-être une galerie accolée à la façade sud. Aucun trou d'encastrement dans le mur 505  ne peut être associé à cette structure, principalement à cause de la reprise du parement, mais ce type d'aménagement ne laisse pas nécessairement de traces dans les maçonneries, puisqu'il peut être implanté au sol, même de façon légère. Le sondage réalisé au pied du passage n'a pas permis d'identifier de structures pouvant correspondre à cet aménagement, mais il était d'une surface très réduite.

La position de cette porte, au sud du bâtiment, implique qu'il ne s'agissait peut-être pas de l'accès principal à l'étage, qui devait se faire au nord, où l'accès est plus direct depuis l'entrée du monastère. Les murs ne conservant aucune trace d'escalier intérieur, il faut probablement restituer une porte associée à un escalier extérieur, en bois ou pierre, mais dont la position est inconnue. Seul vestige d'interprétation incertaine, un alignement de blocs est visible à l'étage le long du contrefort CTF 549  : il pourrait s'agir du piédroit oriental d'une porte d'après le niveau des blocs (OUV 550 ), mais il peut aussi résulter des remaniements ultérieurs de la façade (Fig. 0-39).

2.1.6.2 Les baies

Les baies du rez-de-chaussée

Une seule ouverture est attestée au rez-de-chaussée dans le mur nord, à l'est du mur de refend M.503  (BAI 610 ). Cette ouverture a été agrandie par la suite, mais un piédroit et quelques claveaux ont été préservés côté intérieur (Fig. 2-23).

La baie, couverte d'un arc clavé en plein cintre, mesurait 1,3 m de large à l'intérieur pour 70 m environ à l'extérieur, avec une hauteur supérieure à 2 m. Elle comportait un ébrasement intérieur et probablement un appui en glacis dont la dimension est incertaine. Elle était positionnée en haut du mur, à 56,1 m NGF, juste sous la voûte, et était centrée dans la travée.

Les remaniements du mur nord empêchent de déterminer s'il existait une baie similaire dans la travée suivante, mais il est possible de restituer au moins une baie dans une travée sur deux pour tout le rez-de-chaussée (Fig. 2-3). La sixième travée devait donc comporter une fenêtre, dont l'agrandissement par la suite a dû créer la porte 1345 .

Dans le mur sud, les enduits de ciment postérieurs masquent l'essentiel de la maçonnerie et de grandes portes ont été percées à la période moderne. Il est donc difficile de déterminer s'il existait des baies similaires à l'origine et les quelques claveaux identifiés semblent appartenir à une ouverture postérieure à la construction initiale.

Les baies de l'étage, mur nord

Une seule fenêtre a été conservée dans le mur nord M.506  à l'étage, mais elle a été fortement remaniée, remplacée par une porte dont l'aménagement a toutefois épargné les claveaux d'un arc en plein cintre et quelques blocs en retrait, seuls vestiges de la structure interne de la baie (BAI 643 , Fig. 2-24, 2-25, 0-27, 0-28).

La forme et la taille de l'ouverture incitent à restituer une fenêtre à baies géminées, mesurant 2,3 m de haut sous l'archivolte (à 60,8 m NGF) pour 2,2 m de large (Fig. 2-26). La baie comportait une archivolte clavée en plein cintre bordée par une moulure torique se prolongeant en colonnettes avec bases sur les piédroits (Fig. 2-27). Sous cet arc, il est possible de restituer deux baies séparées par une fine colonnette à chapiteau, peut-être jumelée, selon un parti couramment utilisé dans l'habitat civil de Tours à la même période (par exemple 6 rue Henri Royer, 2 rue du Poirier, Marot 2013 : études 1 et 97). Les deux blocs conservés sous le surplomb de l'arc couronnaient donc les blocs constituant les arcs des deux baies intérieures, mesurant 70 cm de large environ, d'après les dimensions intérieures de la baie.

Côté intérieur, la baie mesurait 1,45 m de large et 3,4 m de haut, avec une allège d'un mètre de haut. L'ouverture semble s'arrêter une assise au-dessus du sol actuel, soit 30 cm au-dessus du sol d'origine restitué : la baie comportait peut-être une marche.

Les claveaux de l'arc étaient soulignés de traits ocre rouge formant des colonnettes stylisées et des faux-joints rouges étaient tracés sur toute l'élévation ainsi qu'à l'intérieur de la baie, sur l'intrados et au revers des blocs de couvrement (Fig. 2-28, 2-29).

Cette ouverture soignée, construite dans le mur nord du bâtiment 2, était manifestement destinée à être vue. Elle est l'unique fenêtre identifiée à l'étage entre les deux contreforts 549  et 557  et elle est centrée sur la deuxième travée des voûtes du rez-de-chaussée, au-dessus de la baie 610 . Cette disposition incite à restituer des baies similaires éclairant l'étage une travée sur deux à chaque niveau pour le reste de l'édifice (cf. 2.4.5).

Les baies de l'étage, mur sud

Dans le mur sud, deux baies sont attestées à l'étage, prenant la forme de lancettes en plein cintre. Elles ont toutes deux été bouchées et perturbées par la création de baies plus grandes, mais les vestiges conservés permettent une restitution (OUV 522 , OUV 547 ). Une autre fenêtre postérieure a pu remplacer une troisième baie similaire sans en laisser de traces, près de la porte POR 512  (Fig. 0-28).

Côté extérieur, elles mesurent 1,7 m de haut pour 40 cm de large et sont couvertes d'un bloc en chapeau de gendarme échancré en arc en plein cintre (Fig. 2-30, 2-31). Le bouchage laisse apparaître un léger ébrasement extérieur, mais il est difficile d'en déduire la dimension minimale du jour. À l’intérieur, ces baies ouvrant à la même hauteur que les baies du mur nord (60,8 m NGF) sont couvertes par deux blocs échancrés en arcs en plein cintre et mesurent au moins 2 m de haut pour 70 m de large.

La technique de construction de ces ouvertures est simple, mais le décor peint ajoute des détails en trompe l’œil, définissant de faux claveaux de 8 à 15 cm de large délimités par des colonnettes à chapiteaux stylisés (cf. 2.1.9, Fig. 2-32).

Ces deux baies, espacées de 3 m, semblent centrées sur la façade par rapport aux contreforts extérieurs plutôt que par rapport aux travées intérieures du rez-de-chaussée (Fig. 2-3). Elles sont respectivement éloignées de 1,9 m et de 2,4 m des contreforts, alors que l'ouverture OUV 547  est située presque à la verticale d'un des supports latéraux du niveau 1, à cause de la largeur plus grande du contrefort CTF 545 , qui a réduit l'espace disponible. Cette disposition indépendante de l'organisation interne de l'édifice, contrairement à ce qui a été fait pour la façade nord, montre avant tout une volonté de répartir régulièrement les ouvertures, pour des raisons pratiques ou esthétiques.

Pour la restitution des autres travées détruites, il faut donc privilégier cette logique de répartition entre les contreforts et la tourelle de latrines, constituant un autre élément perturbant dans l'organisation de la façade.

En ce qui concerne les élévations de l'ancien bâtiment 5, on suppose qu'il comportait un étage dès l'origine, et qu'il était éclairé par des baies géminées restituées à partir des blocs découverts (cf. 1.2, phase 2). Toutefois, nous ignorons quelle était la répartition de ces ouvertures et si la construction du bâtiment 2 a entraîné des modifications. Les baies géminées des phases 2 et 3 sont relativement similaires en ce qui concerne la forme, mais les plus anciennes sont nettement plus petites que celles construites pour le bâtiment 2. De plus, la forme des baies construites lors de la phase 3 indique une volonté d'optimisation des ouvertures, peut-être incompatible avec les dispositions précédentes.

En effet, les baies situées à l'étage côté nord, ouvrant vers l'entrée du monastère, sont très soignées et relèvent d'une volonté ostentatoire, alors que les baies en lancette situées au sud sont plus réduites et de forme très simple. Cette forme permettait probablement de préserver la tranquillité du monastère de ce côté de l'hôtellerie, inaccessible aux laïcs, en répondant à des critères principalement fonctionnels, même si les décors peints apportent une homogénéité à l'intérieur du bâtiment, dans la pièce de l'étage. Au rez-de-chaussée, la fonction des ouvertures est d'éclairer et d'aérer une pièce partiellement enterrée : les baies sont simples mais plus larges que celles de l'étage côté sud.

Un dessin du début du 19e siècle montre l'extrémité orientale de la façade nord du bâtiment avec plusieurs contreforts et baies en plein cintre à l'étage, et ce qui semble être une corniche à modillons au-dessus (cf. 1.2.2.2, Fig. 0-185).Il est difficile de déterminer s'il s'agit des baies originelles du bâtiment 5 ou d'une reprise lors de la phase 3 ; dans les deux cas il s'agit d'ouvertures inchangées jusqu'à la période moderne.

Ainsi, l'édifice devait comporter au minimum cinq baies en lancette au rez-de-chaussée au nord alignées avec les cinq fenêtres à baies géminées à l'étage, et probablement huit à neuf baies en lancette à l'étage côté sud (Fig. 2-3).

2.1.7 La charpente et la toiture

2.1.7.1 Charpente : quels éléments pour la restitution ?

Nous possédons peu d'éléments en place pour la restitution du couvrement du bâtiment 2, la charpente ayant été entièrement remaniée au début du 19e siècle, après la destruction des deux tiers orientaux de l'édifice (cf. 8.2, Phase 9). Le sommet du pignon occidental M.501 , d'une pente d'environ 56°, a de plus été écrêté, et ses rampants partiellement repris côté sud. Il ne comporte aucune trace correspondant à la charpente médiévale, qui était probablement accolée et non ancrée dans le mur. On devine de légers ressauts au sommet des rampants et les murs gouttereaux comportent une corniche continue qui supportait les fermes.

L'étude de Raphaël Avrilla portant sur la charpente reconstruite au 19e siècle a révélé la présence d'un lot de sept pièces de bois en remploi de 4,9 m de long environ, correspondant à des entraits retroussés, caractéristiques d'une charpente voûtée, avec assemblages à embrèvement (lot 3, Avrilla 2012a-b). La dendrochronologie effectuée sur ce lot fournit une datation de 1175-1191 pour l'abattage des arbres (http://www.dendrotech.fr/fr/Dendrabase/site.php?id_si=033-24-37261-0002). Si les éléments conservés sont trop partiels pour proposer une restitution complète, Raphaël Avrilla avance toutefois l'hypothèse d'une charpente voûtée à chevrons formant ferme et comportant des contrefiches, d'après les traces d'encastrement dans les entraits retroussés (Fig. 2-33, 2-34).

Il est donc possible qu'il s'agisse de bois provenant de la charpente de l'hôtellerie, construite par Hervé de Villepreux dans les années 1180 (cf. 2.4.4), puisque la datation des bois correspond et que la forme restituée de la charpente est compatible avec la dimension du bâtiment et avec la pente du pignon ouest du bâtiment, encore partiellement conservé.

La pente du toit, à 56° environ, est donc plus forte que celle restituée pour le bâtiment antérieur, ce qui pourrait impliquer une reconstruction partielle ou totale du pignon oriental du bâtiment 5 pour s'adapter à la forme de la nouvelle construction (Fig. 2-3). L'hypothèse d'une pente à près de 60° dès le début du 12e siècle semble à exclure, étant donné les pentes de toitures observées pour cette période : elles sont généralement inférieures à 50°, avant un relèvement des pentes des toitures qui semble être une tendance répandue dans le nord et le nord-ouest de la France au début du 13e siècle (Hoffsummer et Mayer 2002 : 151 ; Hoffsummer 2011b : 320). Une pente à 60° semble être le maximum attesté en Anjou pour les environs de 1200 (Hunot 2004 : 234).

Nous savons que les constructeurs ont rejeté massivement les tuiles couvrant le bâtiment 5 ; même si une partie des matériaux a pu être conservée pour les réutiliser, l'hypothèse la plus probable est l'utilisation d'un nouveau matériau de couverture. Aucune tuile plate n'ayant été découverte sur le site pour la période médiévale, le matériau choisi est probablement l'ardoise. En effet, si la pente du toit n'est pas un critère strictement déterminant pour le matériau de couverture (communication orale Jean-Yves Hunot), une couverture lourde de tuiles creuses et mortier est peu indiquée et l'ardoise est plus facile à mettre en œuvre pour des pentes de toit supérieures à 50° (Hoffsummer et Mayer 2002 : 151).

2.1.7.2 L'ardoise comme couverture ?

L'ardoise est un matériau attesté sur le site depuis le haut Moyen Âge (Agr.586, 833, 859, 866, 886, 888), où l'on en trouve de petites quantités, mais parfois de gros fragments, sans pouvoir déterminer sous quelle forme il a été utilisé à l'origine : couverture d'un bâtiment ou coffrages de sépultures ? On en trouve notamment comme constituant de niveaux de sols extérieurs au 12e siècle (Agr.623), puis dans le cimetière attenant, côté nord, au bâtiment au 13e siècle (Agr.562) ou dans la cour située au sud de l'édifice, de la fin du 14e au 17e siècle (Agr.549, 538). À l'intérieur du bâtiment également, on en trouve sous forme de paillettes dans des niveaux de chantier à la fin du 13e siècle (Agr.573, 628).

Certaines couches stratigraphiques ont toutefois révélé des ardoises assurément destinées à des toitures, archéologiquement complètes et comportant des trous de fixation à une extrémité (Fig. 2-35). On en trouve ainsi dans un niveau de remblais appartenant à la phase 2 du cimetière (12e siècle, Agr.618), dans le conduit de latrines (dans des niveaux correspondant à son fonctionnement aux 12e-13e siècles et à son abandon au tournant des 13e-14e siècles, Agr.825 et 838, Fig. 2-36), en comblement de fosses des 12e-13e siècles (F.1204 , Agr.686) ou du début du 14e siècle (F.1142 , Agr.571, Fig. 3-15), dans le comblement d'une sépulture des 13e-14e siècles (S.53 ) ainsi que dans des couches postérieures au cimetière (Agr.519, 588, F.1023  ; 15e siècle).

La présence de ces matériaux semble indiquer une utilisation importante de l'ardoise pour les toitures dès la construction du bâtiment 2 à la fin du 12e siècle et probablement avant. Les facilités de communication avec des centres de production en Anjou et la richesse du monastère ont certainement facilité l'utilisation précoce de ce matériau à Marmoutier, peut-être dès le haut Moyen Âge.

D'autres sites des environs ont révélé l'existence de couvertures d'ardoises dès le 12e siècle, comme la chapelle Saint-Libert à Tours (Riou et Dufaÿ 2016 : 138), le Prieuré Saint-Cosme à La Riche (Dufaÿ, Capron et Gaultier 2018) ou le fort Saint-Georges à Chinon (Dufaÿ et al. 2004 : 22-24). Ces deux derniers sites ont fourni des exemplaires d'un module très similaire aux ardoises découvertes à Marmoutier dans des contextes des 12e-14e siècles (40 cm sur 15 cm environ).

Les éléments découverts témoignent de formes et de dimensions très variables, indiquant des productions distinctes et le faible nombre d'ardoises entières suggère une très forte récupération de ce matériau. S'il est donc difficile d'assurer que la couverture du bâtiment 2 a été réalisée en ardoise, l'exploitation de ce matériau à la même période est avérée.

2.1.7.3 Charpente lambrissée ou non ?

Les bois du lot 3 étudiés par Raphaël Avrilla comportaient des traces de clous pouvant correspondre à un lambris masquant la structure de la charpente : une série dont les marques sont espacées de 10 cm, d'autres de 30 cm (Avrilla 2012a : 35-36). Cette disposition particulière semble indiquer, d'après Raphaël Avrilla, que ce lambris appartiendrait à une phase postérieure à la construction du bâtiment, les contraintes techniques étant trop fortes pour les méthodes employées au 12e siècle, mais surmontables à partir de la fin du 14e siècle, avec l'utilisation de la scie pour obtenir des lames de bois de dimensions nécessaires à couvrir l'espacement entre chaque ferme.

Ainsi, la charpente aurait pu être visible lors de la première phase d'occupation du bâtiment, mais masquée par un lambris par la suite.

2.1.8 L’équipement domestique

Le bâtiment 2 comporte quelques équipements domestiques, mais la conservation très partielle des élévations gêne la compréhension globale de l'édifice.

2.1.8.1 Les latrines (Ens.4097)

Les maçonneries

La tourelle de latrines EA 1341  a été construite en même temps que le mur gouttereau sud (M.1001 ), auquel elle est chaînée (Fig. 2-37, 2-38). Elle est située au milieu du bâtiment, légèrement décalée par rapport aux travées voûtées du rez-de-chaussée (Fig. 2-3).

La tourelle rectangulaire dépasse largement du mur sud (3,9 m sur 1,95 m), tandis que le conduit intérieur (2,6 m sur 1,65 m en partie haute) empiète dans l’épaisseur du mur 1001 , moins large à cet endroit. Les murs de la tourelle mesurent 60 cm à 80 cm en partie haute. En revanche, au-dessous des niveaux de sols extérieurs, la partie basse du mur sud M.1030  est plus large, puisqu'elle comporte une arcature aveugle brisée servant d'arc de décharge (ARC 1373  ; 2,7 m de large pour 2,3 de haut, Fig. 2-39) au-dessus d'une petite ouverture couverte d'un linteau, probablement la trappe d’accès (OUV 1374  ; 1 m de haut pour 50 cm de large). L'arc de 60 cm de profondeur permet d’élargir le conduit en partie basse jusqu’à 2,3 m. Celui-ci est actuellement conservé sur 5,5 m de profondeur, de 47 m NGF à 52,5 m NGF, c’est-à-dire la cote de l’arasement des murs au 19e siècle (Fig. 0-52, 0-54). Le parement sud de la tourelle ayant été englobé dans une autre maçonnerie par la suite, la largeur du mur et le débouché de l’ouverture 1374  n'ont pas pu être observés.

Les maçonneries sont construites en blocs de moyen appareil de tuffeau jaune liés au mortier de chaux. Les arêtes émoussées et les faces lissées des blocs comme les joints creusés indiquent une forte érosion des parements en partie basse du conduit, conséquence de la fonction de latrines.

Plusieurs trous de boulin ont été observés dans les maçonneries. La première série, l'EA 1423 , correspond à quatre trous de 15 à 20 cm de côté, placés à la base de l'arc dans les murs nord et sud (48 m NGF), probablement pour la mise en place d'un cintre. Ils sont partiellement comblés de mortier de chaux. Plus haut, deux autres trous de boulin de 10 cm de côté dans le mur ouest ont une fonction indéterminée, puisqu'ils n'ont pas de pendant dans le mur opposé (EA 1379 , 49,7 m NGF, Fig. 2-40). Enfin, l'EA 1379  correspond à six trous de boulin situés dans les murs est et ouest, au-dessus de l'arc aveugle. De chaque côté, deux trous carrés de 15 cm de côté encadraient un trou rectangulaire, haut d'une assise, soit 33 cm, pour une profondeur moyenne de 25 cm. L'agrandissement de deux des trous carrés par la suite résulte peut-être du démontage des bois de l'échafaudage ou de la réutilisation des trous pour l'aménagement d'un plancher, une hypothèse qui n'est toutefois pas assurée.

Les maçonneries conservées de la tourelle de latrines semblent indiquer qu'elle ne distribuait que le deuxième niveau d'élévation, puisqu'aucune ouverture n'est attestée au rez-de-chaussée au niveau des sols médiévaux intérieurs (51,2 m NGF) comme extérieurs (50,9 m NGF, Fig. 2-3). Il faudrait donc restituer une tourelle de latrines rectangulaire s’élevant au même niveau que les murs gouttereaux, avec un accès à l'étage dont la forme nous est inconnue : couloir, réduit intérieur ? Il existait certainement des jours percés dans les élévations, mais il est difficile de restituer les dispositions originelles, les représentations iconographiques étant postérieures à la transformation de la tourelle au 18e siècle.

La fouille des couches d'occupation des latrines (Agr.825, Ens.4097)

La fouille des niveaux de fonctionnement des latrines, réalisée par la société EVEHA en 2016, a fourni des informations sur les aménagements et la durée d'utilisation de la structure (Gouzon et Mages 2016).

Après la construction des murs du conduit de latrines, au-dessus de fondations formant un ressaut, la première couche déposée, argilo-sableuse et très compacte, constituait un sol imperméable au fond de la structure (US 43187), recouvert par une couche sableuse servant de filtre (US 43185, Fig. 0-68). Au-dessus, un fragment d'une paroi en clayonnage a été découvert à plat, appartenant peut-être à un premier aménagement des latrines (US 43186), avant une réfection du sol (US 43184) et le dépôt de matières organiques (US 43183). Ces niveaux sont plus épais au sud, sous l'ouverture OUV 1374  dont l'appui était recouvert des mêmes sédiments. Cette disposition semble indiquer un dépôt depuis le sud du conduit, à l’extérieur du bâtiment, mais le bouchage ultérieur du conduit empêche de déterminer sa forme. L'existence d'un deuxième conduit vertical ne semble pas pouvoir être retenue, les dimensions de la tourelle en élévation n'étant pas compatibles avec cette hypothèse.

Le mobilier recueilli dans les couches d'utilisation des latrines comprend de nombreux éléments organiques (semelle de chaussure Fig. 10-34, fragments de bois brûlé, planche de bois circulaire pouvant correspondre à un couvercle de siège), plusieurs pots en céramique complets (Fig. 10-11), des fragments de vaisselle en verre (Fig. 10-17, 10-19) et des ardoises (Fig. 2-36).

Les analyses parasitologiques réalisées sur les sédiments de la couche 43183 ont fourni des informations sur l'état sanitaire des occupants de l'hôtellerie lors de la dernière occupation de la tourelle de latrines (cf. 10.3). La présence de six types d’œufs de parasites permet à la fois de préciser le régime alimentaire (consommation de végétaux crus, et non ou mal lavés, consommation d’abats), et de mettre en évidence l'existence de problèmes d'hygiène corporelle et/ou une mauvaise gestion des déchets fécaux humains ou animaux, des problèmes courants dans les populations médiévales (Dufour, Le Bailly 2017, Fig. 10-26).

La datation du mobilier en céramique provenant des latrines, qui a fait l'objet d'une étude spécifique (cf. 10.1.2.1), indique une utilisation jusqu’à la fin du 13e siècle ou le début du 14e siècle (groupe technique to2c ; to1d, to2a). Le curage du conduit attesté par la fouille peut expliquer à la fois l'absence de couches correspondant à la date de construction du bâtiment 2 à la fin du 12e siècle, et la présence résiduelle de céramiques de cette période, mêlées aux productions des 13e-14e siècles (groupe technique to1k).

Les dernières couches correspondant à la fonction des latrines sont recouvertes d'une couche argilo-sableuse plus claire témoignant de la fonction de dépotoir de la fosse (US 43182) Cette couche semble avoir fourni l'essentiel du mobilier recueilli : elle contenait de nombreuses céramiques dont des pichets entiers, des ardoises de couverture et des blocs de pierre dont un gravé d'une marelle, ainsi que de nombreux restes de faune. Ces éléments témoignent de rejets alimentaires ponctuels (volailles, poissons), de rebuts de boucherie, mais aussi des rejets d'animaux entiers (chiens, chats; cf. 10.4.3.4).

L'assemblage des céramiques reste très proche de celui des couches sous-jacentes, et donc une datation de la fin du 13e siècle ou du début du 14e siècle est à retenir (cf. 10.1.1.1).

Ces sédiments, correspondant au début de la phase 4, sont scellés par des couches de matériaux de démolition (US 43181, 42895-43180, cf. 3.1.1.1).

2.1.8.2 La banquette EA1347 

Dans la partie centrale du bâtiment, un aménagement a été observé contre le mur nord M.1002  : il s'agit d'une banquette en pierre mesurant 40 cm de large et 40 à 50 cm de haut, conservée en deux tronçons sur 8,4 m de long (EA 1347 , Fig. 0-50, 2-3). L'assise, située à 51,7 m NGF, est formée de blocs allongés débordants épais de 18 cm, tandis que la maçonnerie au-dessous a été masquée par un enduit de mortier lissé dont la base porte des traces d’arrachement (Fig. 2-41). La banquette ne semble pas avoir été fondée, mais uniquement construite au-dessus des couches du haut Moyen Âge et des étroites fondations du mur nord qu'elle recouvre (Fig. 0-66).

Cette construction n'a pas été aménagée en même temps que les murs : les deux colonnettes engagées EA 1124  et EA 1306  ont en effet été englobées dans la maçonnerie de la banquette dont les blocs ont été taillés pour enserrer les fûts au plus près. Les bases moulurées des supports ont ainsi été masquées. Cette banquette est donc postérieure aux murs, mais il est difficile de déterminer si elle appartient au projet d'origine, mais à une autre étape du chantier de la phase 2 ou à un réaménagement plus tardif, peut-être lors de la phase suivante. Les traces d'arrachement au bas de la banquette indiquent en tout état de cause un niveau de sol à 51,20 m NGF, compatible avec le sol de mortier US 41813 de la phase 3 (cf. 1.2.4).

La mise en œuvre de la banquette n'ayant pas laissé de traces d'encastrement dans les maçonneries, ses dimensions originelles ne sont pas certaines : son extrémité occidentale est située en dehors de la zone de fouille, tandis qu'à l'est la banquette a été coupée à l'emplacement de la porte POR 1345  puis dans l'alignement de la colonnette EA 1124  (Fig. 0-90). Peut-on restituer une banquette sur toute la longueur du mur nord, ainsi que contre le mur sud ?

La stratigraphie ne fournit aucune indication sur la question, cette zone ayant été décapée à plusieurs reprises par la suite, notamment à la période moderne, où une fosse a été creusée contre la banquette, plus bas que son niveau de construction (F.1308 ).

2.1.8.3 Autres éléments de confort

Les murs conservés en élévation ne montrent pas de traces de cheminées, de placards, de niches ou d'évier. Toutefois, un tiers seulement de l'édifice est conservé jusqu'à l'étage, niveau où de tels équipements sont plus susceptibles d'avoir été aménagés.

L'absence de cheminée, fin 12e-début 13e, est peu probable dans un espace destiné à la résidence d'hôtes de marque. Peut-être est-il possible d'en restituer dans les murs gouttereaux, au milieu ou à l'extrémité est du bâtiment, à moins que la cheminée moderne dans le pignon ouest reprenne l'emplacement d'une autre plus ancienne (CHE 538 ). Les deux contreforts plus larges, au nord et au sud, pourraient faire penser à des souches de cheminée, mais aucun conduit n'est visible au revers du contrefort CTF 545 . En outre, le bâtiment 5, plus ancien, possédait peut-être des équipements conservés lors de sa transformation pour construire le bâtiment 2.

2.1.9 Le décor peint

Le décor peint a fait à plusieurs reprises l’objet d'études, par Bastien Lefebvre dans le cadre d’une première synthèse sur l’hôtellerie (Lefebvre 2007 vol. 3), par Alexandre Gordine sous la forme d’une analyse visuelle des différents états du décor (Gordine 2008), par Véronique Legoux, qui a fourni quelques pages de description des décors avant de présenter ses interventions de consolidation des enduits (Legoux 2013 : 7-10) et enfin par Noémie Astier-Cholodenko dans le cadre d'un mémoire de master (Astier-Cholodenko 2015). Ces travaux ont été complétés en 2016 lors de l'étude conjointe des blocs lapidaires peints et des vestiges de peintures en place (Marot 2016).

Le décor peint originel du bâtiment 2 est largement attesté dans la partie ouest, conservée en élévation, mais quelques indices ont également été découverts lors de la fouille de la partie est, essentiellement sous la forme de remblais de démolition dans la tourelle de latrines. En effet, de nombreux fragments d’enduits peints ont été découverts en 2014 et 2016 lors de la fouille : ils ont probablement été jetés dans les latrines lors de l’abandon de leur fonction initiale (phase 4, cf. 3.1.1). Ces enduits peints fournissent des indications complémentaires à ceux conservés en élévation pour la restitution du décor de l’édifice (Astier-Cholodenko 2015).

2.1.9.1 Le décor des parements

Les murs de la partie occidentale montrent que l'ensemble des parements intérieurs était peint aux deux niveaux de l'élévation, ce qui n'est plus visible à l'est, les remaniements et le comblement du rez-de-chaussée ayant fait disparaître les peintures (Fig. 0-32, 0-33, 0-34, 0-38, 0-40).

Les parements intérieurs et les voûtes du niveau 1 étaient couverts de traits ocre rouge superposés la plupart du temps aux joints réels des blocs de moyen appareil des maçonneries (Fig. 2-42, 2-43). Ces peintures sont posées directement sur les pierres ou les joints à l’exception de la partie supérieure des murs gouttereaux où des plaques d’enduit blanc cassé sont conservées, appliquées après un piquetage des murs et où une partie du parement a été rejointoyée (Fig. 2-44). La raison de ce traitement particulier des parties hautes reste inconnue, puisque les blocs recouverts sont identiques au reste des élévations, il ne s'agit donc pas de masquer une partie moins bien construite pour homogénéiser l'ensemble.

Les voûtes comportaient elles aussi des traits d'ocre rouge soulignant les bords et les joints des ogives et formant un réseau de faux-joints sur les voûtains (Fig. 2-45, 2-63). Les colonnes engagées présentaient au moins des traits rouges soulignant les joints entre le fût, le chapiteau et le tailloir, mais la corbeille lisse du support COL 613  ne portait pas de décor.

2.1.9.2 Le décor des ouvertures

Les ouvertures, portes et baies, conservent les traces d'un décor spécifique, cohérent avec le faux-appareillage des murs, comme la baie BAI 643  dont l'intrados et l'intérieur comportent des faux-joints rouges (Fig. 2-42).

À l'étage, de faux-claveaux sont visibles au-dessus de chaque ouverture, que les couvrements soient constitués de claveaux (POR 512 , BAI 643 , Fig. 2-22, 2-29) ou de blocs en tas de charge échancrés en plein cintre (OUV 522  et 547 , Fig. 2-32). Ces faux-claveaux sont matérialisés par des arcades stylisées supportées par des colonnettes à boules symbolisant des chapiteaux ou colonnettes en épingle (Gordine 2008 : 75).

La baie du rez-de-chaussée semble avoir comporté un décor plus simple, les joints seulement soulignés d'un trait ocre rouge. L'arc 552  comporte également un décor peint sur sa face extérieure, mais la technique et les couleurs utilisées permettent plutôt de l'attribuer à la phase suivante.

2.1.9.3 Le décor du niveau supérieur

La pièce du niveau 2, couverte par la charpente, présente un décor plus riche, localisé sur les corniches et sur une frise située au même niveau, sur le mur pignon occidental, à 5,5 m au-dessus du sol de l'étage (Fig. 2-42, 2-64).

La corniche couronnant les murs gouttereaux était recouverte d'un enduit peint en ocre rouge avec des traces noires formant des marbrures et était bordée au-dessus par une bande jaune et au-dessous par deux bandes de jaune et de noir, dont les tracés préparatoires ont été réalisés avec de fins traits rouges (Fig. 2-44).

Ces tracés préparatoires sont également bien visibles sur le pignon à l’emplacement de la frise. Elle est constituée de deux bandeaux (rouge et jaune au-dessus et jaune et noir en dessous) bordant un motif géométrique de rubans plissés en trompe-l’œil jaunes et verts sur fond noir et rehaussés de traits blancs (Fig. 2-46).

L'étude des enduits découverts dans les latrines a confirmé ces caractéristiques : l’homogénéité technique de l’ensemble indique qu’il s’agit d’une même phase de décor (Astier-Cholodenko 2015 : 77-79).

Une partie des fragments correspond à des traits ocre rouge sur fond blanc cassé, identiques aux joints encore visibles sur les murs en élévation (Fig. 2-47). De même, une série de fragments d’enduit parfois courbes et portant des aplats ocre rouge correspondent certainement au décor porté par les corniches des murs gouttereaux. Ces caractéristiques démontrent que les fragments proviennent bien de l’hôtellerie.

Les autres fragments, portant un décor peint de couleurs variées où dominent l’ocre jaune, l’ocre rouge et le vert, constituent un décor à motif géométrique, des bandes parallèles ou des bandes colorées de part et d’autre d’une ligne oblique (Fig. 2-48, 2-49). Des rehauts de peinture plus claire marquent parfois la transition entre les aplats. Ils présentent de fortes similitudes avec la frise de rubans conservée sur le mur pignon, mais appartiennent pour certains à un décor plus riche et plus diversifié, peut-être mis en place dans la partie orientale du bâtiment, dont nous ne connaissons pas les élévations (Astier-Cholodenko 2015 : 79-80).

Le premier état des peintures présente les caractéristiques d’un décor de la fin du 12e siècle, dont certains motifs sont encore attestés au cours du 13e siècle (Gordine 2008 ; Legoux 2013 : 8).

2.2 Les abords de l’hôtellerie : l'organisation de l'entrée du monastère

2.2.1 L’enceinte et le portail double médiéval situé à l'ouest (Ens.3015)

L'entrée principale du monastère au 12e siècle est située à l'ouest, au pied du coteau, dans l'axe de la route entre Tours et Blois, passant au bourg de Sainte-Radegonde (Saint-Ouen au Moyen Âge), dépendant de Marmoutier.

La forme de cet accès est connue par la vue de Gaignières, qui montre son état de conservation à la fin du 17e siècle (Fig. 0-179). On y voit deux portails successifs, constitués chacun d'une grande ouverture en plein cintre bordée de tourelles ou de gros contreforts rectangulaires du côté oriental. La porte occidentale est située dans l'alignement de l'enceinte, qui se prolonge au sud vers la Loire et au nord au-dessus du coteau. La porte orientale est, elle, reliée à ce qui semble être le mur de soutènement d'une terrasse.

Ces deux portails ont été détruits probablement au début du 18e siècle, le portail ouest ayant été remplacé en 1719 par la porte encore conservée aujourd'hui.

Seuls deux tronçons de maçonneries médiévales indiquent aujourd’hui leur position (Fig. 2-2). À l'ouest, une partie du mur d'enceinte, au pied du coteau, est construite en blocs de moyen appareil de tuffeau (M.525 ). Elle a été rehaussée peu après par un bâtiment avec une technique de construction identique, que l'on peut attribuer au 12e siècle (Fig. 2-50). La position du portail oriental est, elle, indiquée par un pan de mur en blocs de moyen appareil de tuffeau jaune parallèle à l'enceinte dont il est distant de 14 m (M.526 , Fig. 0-84, 2-51). Ce mur, qui reliait le portail au coteau, est conservé sous le rebord de la première terrasse, ce qui correspond à la disposition montrée sur la vue de Gaignières. Il présente un seul parement à l'ouest avec un retour au nord et est appuyé directement contre le rocher, bien visible au nord.

L'entrée du monastère était donc délimitée au nord-ouest par ces deux portails, créant un premier espace clos, une sorte de sas, avant d'accéder à la cour d'entrée proprement dite (Lorans 2014 : 301-303). Le même dispositif de double portail fut édifié au sud, par l’abbé Hugues de Rochecorbon (1210-1227) d’après la chronique des abbés de Marmoutier ; il apparaît nettement sur les deux principales vues cavalières du 17e siècle et le portail le plus méridional, baptisé portail de la Crosse à l’époque moderne, subsiste encore (Fig. 0-176). Il est probable que le dispositif nord-ouest ait été construit après l’édification du bâtiment 2, à la même période que celui du sud, qui encadrait les écuries et la grange. Du fait de la construction de ces portails, la voie située au pied du coteau pourrait avoir été privatisée dès cette période.

2.2.2 Les contraintes topographiques

Le plan du bâtiment 2, avec une inflexion vers le sud-ouest, répond à une nécessaire adaptation de la construction d'un bâtiment préexistant, le bâtiment 5, dont les murs ont été conservés en grande partie, pour des raisons d’économie ou de continuité fonctionnelle, si l'on considère l'hypothèse d'une fonction d’accueil pour ce premier édifice.

Cette forme répond également à des contraintes topographiques, l'espace dans lequel l'hôtellerie a été construite étant bordé au nord par le coteau, qui devait s'étendre plus au sud qu'à présent (Fig. 2-2).

À l'ouest, la limite du coteau est attestée par la position des deux portails d'entrée, liés au mur d'enceinte. Au nord du bâtiment 2, la première terrasse était nécessairement plus large qu'aujourd'hui, puisqu'elle portait, avant son effondrement partiel, la chapelle médiévale des Sept-Dormants, dont la forme a été restituée par Daniel Morleghem (Fig. 0-196, Marmoutier 2017 : 53-58, 74-75).

La cour constituant l'entrée du monastère à cet endroit aux 12e-13e siècles prend donc la forme d'un passage d'une vingtaine de mètres de large, pour une centaine de mètres de long, accessible à l'ouest par les deux portails et débouchant à l'est sur la façade de l'église romane. La présence du bâtiment 5 et du mur 1028  indique que cet espace était délimité au moins en partie au sud, séparé du reste de l'enclos.

La construction du bâtiment 2 dans cet espace restreint a donc dû s'adapter en adoptant un plan comportant une inflexion, pour ne pas réduire l'espace dévolu à l'entrée du monastère et la visibilité de la façade de l'église abbatiale (Lorans 2014 : 325-327).

2.2.3 La mise en scène

L'entrée du monastère a été mise en scène : elle est bordée au nord par le coteau et la disposition des portails dans le prolongement de la route de Sainte-Radegonde permet une vue directe sur l'église et sur la tour des cloches édifiée sur la terrasse inférieure dans la seconde moitié du 11e siècle. La construction du bâtiment 2, bordant le côté sud de cette cour, participe aussi à cette mise en scène par sa longueur et la présence de contreforts et de baies géminées qui rythmaient l'élévation. De plus, la présence d'une zone funéraire est avérée dans cet espace, mais on n'en connaît pas l'étendue complète (cf. infra, Fig. 12-30).

Outre la fonction spécifique de l'édifice, qui est discutée dans la synthèse, avec la datation (cf. 2.4), le bâtiment 2 constitue une limite entre l’espace d'entrée, accessible aux laïcs, l'église et les bâtiments réservés aux moines à l'est et enfin, l'espace situé au sud, dont la fonction de service semble confirmée pour la phase suivante avec la construction de la grange et des écuries.

Situé à un emplacement stratégique dans le monastère, le bâtiment 2 a donc eu une grande importance, du point de vue fonctionnel et symbolique.

2.3 La zone funéraire associée (phase 3 du cimetière) (Ens.4019)

Attesté depuis le 11e siècle, le cimetière situé au nord des bâtiments est toujours utilisé après la construction du bâtiment 2 (phase 3, Fig. 2-52, 2-53).

Neuf sépultures sont attribuées à la troisième phase du cimetière (Fig. 12-35) et présentent majoritairement une orientation inférieure à 83° par rapport au nord (orientation A, six sépultures). Une autre est orientée à 88°, et les deux dernières sont mal conservées (Fig. 12-7). La chronologie entre certaines sépultures et les sols et faits associés est parfois difficile à établir à cause d'une grande fosse creusée lors de la phase 5 et qui a perturbé la moitié du secteur fouillé, coupant les relations stratigraphiques entre la partie sud, où les niveaux de sols ont été écrêtés par la fosse, et la partie nord, intacte (Fig. 0-62).

Les sépultures 58 , 60  et 61  sont situées au sud et sont assurément postérieures à la construction du bâtiment 2, les fosses des sépultures recoupant la tranchée de construction de M.1002  et du contrefort. Aucune couche n'a pu être identifiée comme étant le niveau de creusement de ces sépultures, la partie haute des fosses ayant été écrêtée.

Plus au nord, des couches d'occupation successives ont été identifiées au-dessus des traces du chantier du bâtiment 2 (Agr.598, 595, 594). Elles sont donc considérées comme la première occupation contemporaine de l'édifice. Au-dessus, six sépultures ont été creusées (S.52 , 53 , 54 , 55 , 56 , 59 ), alternant avec des couches d'occupation ou de remblais. Les recoupements sont nombreux au nord, peut-être du fait du recouvrement des fosses par l'apport régulier de remblais, rehaussant les sols de circulation, et de la durée d'utilisation du cimetière. La sépulture 59  est ainsi recoupée par la sépulture 56  qui elle-même est recoupée par les fosses de S.52  et de S.55  (Fig. 0-60, 0-62, 12-1). En revanche, les sépultures 52  et 53  (Agr.559) sont probablement contemporaines, puisqu'elles ont été creusées dans un même niveau de sol très charbonneux s'étendant dans la partie ouest du secteur de fouille (Agr.560), sans recoupement. Toutefois, les fosses contenaient de nombreux ossements redéposés, témoignant des perturbations des sépultures plus anciennes (S.52 , S.56 ).

Sept sépultures ont pu être fouillées intégralement, tandis que les deux dernières se développent essentiellement en dehors de la zone de fouille et leurs squelettes n'ont donc pas été observés (S.54  et 55 ).

2.3.1 Caractéristiques des sépultures

Les sept sépultures dont le squelette a pu être étudié appartiennent toutes à des adultes, six hommes (S.53 , S.56 , S.58 , S.59 , S.60  et S.61 ) et une femme (S.52  ; Fig. 12-4). Les ossements erratiques ou redéposés dans les fosses indiquent l'existence de nombreux autres individus, dont un adolescent, dont les deux fémurs ont été découverts dans le comblement de S.56 .

Elles correspondent à une décomposition des corps en espace vide, majoritairement avec des traces de compression pouvant indiquer la présence de linceuls (Fig. 12-2). La sépulture 56  comporte en outre un effet de paroi et les traces d'une surélévation de la tête, comme la sépulture 59 .

La présence de cercueils semble assurée pour les sépultures 53 , 56  et 58 , qui contenaient des clous en grande quantité, mais également les traces de planches de bois en position de paroi verticale près des jambes (S.58 ) ou de couvercle ayant laissé des traces au-dessus du corps (S.56 , Fig. 2-54). Les sépultures S.52  et S.60  comportaient elles aussi des clous, mais le contenant pouvait être un cercueil ou un coffrage de bois.

Trois des sépultures les plus récentes comportaient un marquage en surface. Le comblement de S.53  formait un monticule bien visible au-dessus du sol d'occupation, tandis que S.52  était marquée par un bloc de tuffeau gravé d'une marelle déposé au-dessus de la tête de la défunte (Fig. 2-55). Le bloc de moyen appareil de tuffeau visible dans la section nord pourrait lui aussi être une forme de marquage en surface de la sépulture S.55 , située majoritairement en dehors de la zone de fouille (Fig. 0-60, 2-56). Le bloc est dans ce cas situé environ au-dessus du bassin de l'inhumé.

Plusieurs sépultures comportaient en outre un dépôt de vases funéraires. La sépulture S.55  comportait au moins un pot à encens dans le comblement, visible uniquement en coupe. Au pied de la sépulture 58 , dans la partie supérieure du comblement, ont été découverts des tessons appartenant à un vase à encens probablement brisé et tronqué par la tranchée qui a écrêté la fosse de la sépulture. La fosse de S.53  contenait, elle, un vase à encens recouvert de la panse d'un autre vase en guise de couvercle, regroupé avec d'autres fragments dans la terre de comblement, au-dessus des pieds du défunt (Fig. 2-57, 2-58).

Les analyses anthropologiques ont montré que trois individus sur les sept appartenant à cette phase présentaient des pathologies osseuses remarquables (Fig. 12-5). Les atteintes sont variables, résultat d'accidents ou de malformations. Le squelette de S.61  présente par exemple une fracture de la clavicule, mais le squelette de S.56  présente le plus grand nombre de pathologies, ayant assurément entraîné une incapacité physique (cf. 12.5).

2.3.2 Analyse et datation de la troisième phase du cimetière

Les bornes chronologiques de la troisième phase du cimetière semblent relativement aisées à établir, mais la datation de chaque sépulture est moins précise.

Les sépultures sont postérieures à la construction du bâtiment 2 : elles recouvrent soit les tranchées de construction des murs (au sud), soit des niveaux de chantier correspondant (au nord). De plus, l'orientation des fosses est strictement parallèle aux murs du bâtiment 2 (< 83°), contrastant nettement avec les sépultures de la phase précédente, dont l'orientation répondait à celle des murs du bâtiment 5 (Fig. 12-6, 12-7).

Les éléments fournissant un terminus ante quem à cette phase 3 du cimetière sont le dépôt lors de la phase 5 de remblais scellant les sépultures les plus récentes et leur marquage de surface (Ens.4018), ainsi que le creusement de la grande tranchée est-ouest F.1033  (Ens.4017). Ces couches contiennent des tessons de céramique des 14e-15e siècles (groupe technique to4b), associés avec d'autres des 12e-14e siècles (groupes techniques to1k ; to7b).

Toutefois, la céramique découverte dans les sépultures ou les couches d'occupation et de remblais est relativement homogène et datée de la fin du 12e siècle jusqu'au 13e siècle avec des tessons plus anciens redéposés (groupes techniques ; to1k ; to7b ; to7p ; to2c ; to6a). Les deux datations carbone 14 réalisées sur S.52  et S.53 , correspondant à la fin de l'utilisation du cimetière dans cette zone, sont cohérentes avec la datation du mobilier (Fig. 12-9). Les fourchettes chronologiques s'étendent de la fin du 12e siècle au milieu du 13e siècle pour S.53  ou jusqu'à la fin du 13e siècle pour S.52 . La fin de l'utilisation du cimetière peut donc être datée de la fin du 13e siècle au plus tard. Les tombes ayant été recouvertes par la suite par des remblais datés du début du 15e siècle, il existe donc un hiatus d'occupation correspondant au 14e siècle (Fig. 0-60, 0-62). Le bloc servant de marquage en surface pour la sépulture S.52  semble tronqué : il manque la moitié supérieure de la marelle. On peut donc supposer que cette zone a connu au moins une phase d'arasement et de remblaiement après l'abandon de la fonction funéraire de cet espace et avant le creusement de la tranchée du début du 15e siècle.

2.4 Synthèse sur le bâtiment 2 : fonctions des espaces et datation du premier état du bâtiment

Les caractéristiques architecturales du bâtiment 2 dans son premier état livrent des informations précises sur son fonctionnement et son utilisation.

La chronique des abbés de Marmoutier indique la construction par Hervé de Villepreux (abbé de 1177 à 1187) d'un grand bâtiment pour les hôtes de marque, que les données archéologiques permettent d’identifier au bâtiment 2. Sa position comme sa forme semblent en effet répondre à la fonction d'hôtellerie, très importante dans les monastères médiévaux.

Cum in cella novitiorum, episcopi, alli praelati, abbates et nobiles viri hospitio recepti, conventum omnino lavatorium absque obviatione servientium vix posset. Ubi magni cordis Herveus, ad tumultum illum tranquillandum, pro bono et quiete conventus, intra triennium ordinationis suae, aulam novam speciosissimam, ante ecclesiam, cum granariis subtus, multae valentiae et sumptibus XXIII millium solidorum disposuit.
(Chronique des Abbés de Marmoutier : 323)

Claire Lamy propose la traduction suivante (cf. 1.3.1.):
« Comme, dans la cella des novices, les évêques, les autres prélats, les abbés et les hommes nobles reçus à l’hôtellerie, jetaient beaucoup de trouble dans le monastère, à tel point qu’un moine pouvait à peine aller et revenir au lavabo sans être empêché par les serviteurs, alors dans le champ du cœur, Hervé pour mettre fin à ce tumulte, pour le bien et la tranquillité de ce convent, au cours de la troisième année de son ordination, [fit faire] une nouvelle salle, de très bel aspect, devant l’église, avec des greniers en dessous, d’une grande capacité, pour une dépense de 23 000 sous. »

2.4.1 La forme du bâtiment, les circulations et les accès

L'édifice mesurait 54 m de long, comportait au rez-de-chaussée un passage à l'ouest et une grande pièce à l'est, tous deux voûtés, et un étage couvert par la charpente, probablement accessible directement depuis l'extérieur (Fig. 2-1, 2-3).

2.4.1.1 La hiérarchie des façades

L'édifice a été conçu en établissant une distinction claire entre les façades nord et sud, notamment à l'étage. La façade nord est éclairée au niveau 2 par des baies géminées, tandis que le mur sud n'est percé que de petites ouvertures en lancette (Fig. 2-59, 2-60). À l'intérieur de l'édifice, le décor peint permet d'homogénéiser les ouvertures.

L'apparence extérieure d'un bâtiment, comme pour tout édifice laïc ou ecclésiastique, permet au commanditaire d'affirmer sa richesse et son statut. Aussi les grandes ouvertures ouvrant au nord, dans l'entrée du monastère, portent un décor mouluré. Les dimensions de l'édifice et ses ouvertures qui semblent espacées régulièrement participent à cette volonté de démonstration, tout en offrant aux occupants la possibilité de se montrer, les fenêtres des espaces résidentiels étant au Moyen Âge un moyen de se mettre en scène.

Au sud, les ouvertures ne semblent répondre qu'à des contraintes fonctionnelles, offrant luminosité et aération mais sans décor ni mise en scène. L'espace situé au sud était réservé au service et au fonctionnement de l'abbaye. Même si l'on doit restituer de ce côté des annexes associées à l'hôtellerie (écuries par exemple), la cour sud semble réservée aux famulii et non aux hôtes.

Cette séparation des espaces et des activités est également perceptible par les circulations définies dans l'édifice.

2.4.1.2 Les circulations

Le passage ouest constitue un axe de circulation important, entre l'entrée du monastère, accessible aux laïcs, et l'espace situé au sud, réservé au service. Sa largeur implique la circulation de marchandises et de véhicules, le passage ouvrant également dans la pièce du rez-de-chaussée (Fig. 2-61, 2-62).

Cet espace était accessible à la fois par l'est, le sud et l'ouest, mais l'emplacement de ces ouvertures indique une restriction de l'accès, les portes ouvrant soit vers l'église à l'est, soit dans le passage à l'ouest, débouchant dans une zone à l'accès restreint au sud de l'hôtellerie.

L'étage, lui, devait comporter un accès direct depuis la cour d'entrée du monastère, selon une disposition courante des salles à l'étage dans les édifices résidentiels jusqu'au 14e siècle (63-67 rue des Halles à Tours, Marot 2013, étude n°60 ; Litoux et Carré 2008 : 117). La seule porte connue, ouvrant au sud au-dessus du passage, semble être un accès de service, débouchant près de la porte vers la grande pièce du rez-de-chaussée.

Les deux portes orientales, héritées du bâtiment 5, remplissent peut-être une fonction similaire. La présence du mur M.1032  à l’angle nord-est du bâtiment (mur de terrasse ou de clôture), dirige le passage vers le sud-est de l’édifice, où se trouvent les cuisines du monastère, le fumoir et l'aile ouest du cloître, dont la fonction, qui n’est pas mentionnée dans les sources écrites des 12e-13e siècles, pouvait inclure celliers et vestiaires, l’aile orientale abritant le chapitre et le dortoir et l’aile méridionale le réfectoire (Lorans 2014 : 323-324). Une fonction de cellier est ainsi attestée dans l'aile ouest du cloître de la Trinité de Vendôme par exemple (Simon 2015, vol.1 : 318) ou dans l'abbaye Saint-Philibert de Tournus (Saint-Jean Vitus 2010).

2.4.2 Le rez-de-chaussée

L'existence de ces trois accès au rez-de-chaussée indique une volonté de diriger et de faciliter les circulations. La fonction la plus indiquée de cet espace de 450 m2 semble être le stockage, conformément au texte de la chronique qui évoque la présence de greniers sous la grande salle ([citation 7], Chronique des abbés de Marmoutier : 318-320). Toutefois, des éléments architecturaux montrent qu'un soin important a été accordé à ce lieu, qui pouvait aussi remplir d'autres fonctions.

Les voûtes couvrant le rez-de-chaussée et le décor peint associé montrent que les commanditaires ont voulu construire un bâtiment de qualité à tous les étages (Fig. 2-63). Si le décor sculpté est limité, les supports sont moulurés et la construction a été réalisée de manière à harmoniser l'ancien bâtiment 5 avec son extension.

Cette mise en valeur du niveau inférieur n’exclut pas la fonction de stockage, car on peut trouver des parallèles dans l'architecture monastique (Deshayes 2008 ; Deshayes 2015a : 734-738) comme domestique, où des maisons urbaines comportent des niveaux bas semi-enterrés voûtés et décorés, pour remplir à la fois la fonction de stockage et de représentation, les marchands utilisant ces pièces comme espaces de vente (à Rouen : Pitte 1994, ou Orléans : Alix 2008). Dans le cas de Marmoutier, la mise en valeur est attestée, mais cet espace était-il accessible pour d'autres raisons que le simple stockage de marchandises ?

La banquette observée partiellement dans le mur nord indique une fonction bien spécifique, puisque ces aménagements sont souvent associés aux réfectoires ou aux salles capitulaires. Il pourrait donc s'agir d'un espace où l'on se regroupait. Toutefois, la banquette n'est pas attribuée à la phase d'origine de l'hôtellerie de façon certaine. Si elle est postérieure, sa présence peut malgré tout matérialiser une fonction existant dès l'origine, et qui a pu se prolonger pendant les phases 4 et 5, puisque la mise en valeur du rez-de-chaussée reste prégnante à cette période (cf. 3.1.2, 3.1.5 et 4.3). La présence de la banquette ne constitue donc qu'un indice pour définir la fonction de la pièce à l'origine.

De plus nous ignorons s'il existait des partitions dans cet espace. Les disparités dans la largeur des travées pourraient indiquer l'existence d'un autre mur de refend entre les travées 2 et 3, et nous ne pouvons pas exclure la présence de cloisons en bois, puisqu'elles ne laissent pas nécessairement de traces dans les murs ni au sol.

L'absence de cheminée exclut la fonction de cuisine, mais la cuisine du monastère pouvait aussi approvisionner l’hôtellerie. La consommation d’aliments dans le bâtiment est attestée par le mobilier recueilli lors de la fouille des latrines. Il fournit des indices sur l’alimentation à la fin de la phase 3 et au début de la phase 4, lorsque la fosse est utilisée comme dépotoir. On y trouve de la vaisselle de service de qualité (mais qui a peut-être été réutilisée dans une fonction liée aux latrines), des restes osseux de gibiers à plume, de poissons marins, qui indiquent le haut statut des occupants de l'hôtellerie. Le lieu des repas n’est pas certain : espace dédié au rez-de-chaussée ou à l’étage ?

Le rez-de-chaussée de l'hôtellerie, à l'architecture soignée et aux accès aisés, pouvait donc servir de lieu de stockage comme d'espace de réunion, avec une fonction de réfectoire pour les hôtes ou les pauvres, ou de lieu de distribution des aumônes, les seules certitudes étant qu'il ne s'agissait ni d'un espace domestique (cuisine) ni d'un lieu de résidence.

2.4.3 L’étage

L'étage remplit, lui, tous les critères d'un espace de résidence et d'apparat : les vestiges laissent supposer que l'accès se faisait directement depuis l'extérieur (cf. 2.1.6.1) ; les ouvertures montrent une volonté ostentatoire, par leur décor et leur positionnement (Fig. 2-64).

La pièce avait des dimensions très imposantes, de plus de 500 m2 et 10 m de haut sous la charpente, mais il existait peut-être des cloisons ou une autre forme de séparation pour définir différents espaces d’accueil. Le décor peint montre néanmoins une volonté de mettre en valeur ce volume d'une manière homogène, en décorant toutes les ouvertures ainsi que les corniches qui couvraient toute la longueur des murs gouttereaux et le mur pignon dont la frise était située à plus de 5 m de haut.

L'accès aux latrines était situé au centre du bâtiment, mais nous ignorons le nombre et la position des cheminées ; il est donc difficile de proposer une organisation interne de cet espace en se fondant sur ces informations lacunaires.

La chronique des abbés indique que l'édifice était réservé aux hôtes les plus riches, ce que semble confirmer la qualité de l'édifice (cf. 1.3.1).

2.4.4 La datation de l'édifice

Le mobilier recueilli correspondant à la construction de l'édifice apporte peu d'informations sur l'utilisation des différents espaces, les couches d'occupation ayant été largement détruites, mais il fournit des indications sur la datation du chantier. Les remblais déposés à l'est afin de rehausser le sol contiennent des tessons datés 12d-13c (groupes techniques to7b ; to1k), associés à des éléments redéposés appartenant au haut Moyen Âge et aux 11e et 12e siècles (groupes techniques to1p ; to15q ; to8p ; to1f, to8m). La surface de ces remblais, ainsi que celle des tranchées de construction des murs à l'ouest, ont été fortement perturbées par des creusements témoignant de la reprise des voûtes lors de la phase suivante. La destruction des sols d'origine rend ainsi difficile l'attribution des remblais à l'une ou l'autre phase.

Toutefois, les premières couches correspondant au chantier, que ce soit les remblais résultant de la destruction des murs 1017  et 1028 , le fond des tranchées de construction, les premières couches postérieures aux murs situées au nord dans le cimetière, sont bien datées de la fin du 12e siècle ou du début du 13e siècle (groupes techniques to7b ; 1k). Cette datation obtenue par la céramique est compatible avec les indications architecturales et les sources écrites.

Du point de vue architectural, le bâtiment 2 présente des caractéristiques qui entrent dans un champ de comparaisons19Nous remercions vivement Claude Andrault-Schmitt, professeur émérite d’hitoire de l’Art du Moyen Âge à l’Université de Poitiers de l’aide qu’elle nous a apportée dans l’analyse des bases et des voûtes du bâtiment 2.. Les bases des supports latéraux découverts dans la zone fouillée et les autres moulurations peuvent faire l’objet d’une estimation chronologique, tout comme les voûtes conservées dans le passage à l'ouest, qui témoignent du couvrement originel de l’ensemble du rez-de-chaussée (Fig. 2-8). On notera toutefois que la datation d’un bâtiment monastique est plus hasardeuse que celle d’une église : ce corpus est mal étudié ; en outre, les formes sont parfois simplifiées, ou même volontairement archaïsantes, en lien avec un usage plus ou moins noble de l’espace.

Les voûtes d’ogives quadripartites ont un profil légèrement bombé et sont dépourvues de formerets, c’est-à-dire d’une mouluration marquant la limite avec le mur (Fig. 2-17, 2-45). C’est une preuve d’ancienneté relative, fréquente dans le premier gothique méridional, qu’on ne trouve guère au-delà des années 1180. Les bases des colonnes, qui sont des indices plus fiables, sont malheureusement abîmées. Mais sans conteste leur profil classique évoque le premier gothique de chantiers datés comme la cathédrale de Sens et l’abbatiale de Pontigny (avant 1175), tout comme celui de nombre d’édifices de l’Ouest ou du Centre de la France estimés antérieurs à la fin du 12e siècle.

Le décor peint ne donne qu’une datation ad quem. Le système composé par les joints ocre rouge est placé par Alexandre Gordine et Véronique Legoux à la fin du 12e siècle, tandis que le type du décor des claveaux avec des colonnettes stylisées est généralement attesté plus tard dans le 13e siècle (Legoux 2013 : 8).

L'architecture de l'édifice est donc compatible avec la datation que donnent les textes. La chronique évoque en effet l'abbatiat d'Hervé de Villepreux (1177-1187), qui aurait entrepris cette construction la troisième année de son abbatiat, soit en 1180 (cf. 2.4).

2.4.5 La proposition de restitution en trois dimensions

La modélisation proposée pour le bâtiment 2 lors de la phase 3 repose sur les données architecturales des zones 3 et 4, où sont conservées trois travées sur la hauteur complète de l'élévation et six autres uniquement sur la partie basse du niveau 1. La représentation comporte donc inévitablement une part d'hypothèse pour les élévations de la partie orientale notamment, où le bâtiment 5 a été incorporé à la nouvelle hôtellerie (Fig. 2-59, 2-60).

Le plan comporte peu d'incertitudes : elles sont principalement liées au nombre de contreforts, puisque la fouille ne s'est pas étendue sur tout le pourtour du bâtiment, et sur la présence d'un mur de refend entre les troisième et quatrième travées, qui n'est qu'indirectement attestée. Les volumes et la hauteur des murs sont assurés par les éléments conservés côté ouest, mais d'éventuelles irrégularités liées à la présence des maçonneries du bâtiment 5 ne sont pas restituables.

Les portes représentées sur la modélisation sont celles qui ont été observées directement : le passage à l'ouest (Fig. 2-61, 2-62) et la petite porte intérieure donnant vers la pièce voisine, les deux portes à l'est héritées du bâtiment 5 et la porte de l'étage au-dessus du passage, qui ouvrait certainement sur une galerie ou un escalier en bois accolé à la façade, mais qui n'a pas été modélisé. À l'étage, le mur nord n'a conservé aucune trace de porte à l'étage, donc aucun accès n'a été représenté de ce côté, même si on peut supposer que la grande salle de l'étage devait être accessible directement depuis l'entrée du monastère au nord, la porte au sud, ne constituant probablement pas l'accès principal.

Les fenêtres pour cet état sont en partie restituées, au rez-de-chaussée comme à l'étage, en s'appuyant sur les données de la partie occidentale du bâtiment (cf. 2.1.6.2).

Des vues intérieures et extérieures avec des textures et un traitement réaliste ont été créées pour restituer les détails architecturaux et le décor des pièces (Fig. 2-63, 2-64). Le voûtement du rez-de-chaussée est restitué à partir de la travée située à l’ouest qui conserve encore son couvrement originel, d'une colonne engagée avec chapiteau et du départ des voûtes des travées 3 et 4 et de la partie basse des supports latéraux découverts en zone 4. En revanche, si la position des supports centraux est connue, la forme qu’ils prenaient dans leur premier état est incertaine, et une proposition a donc été faite, en s’appuyant sur la forme des moulures des colonnettes engagées. La restitution du rez-de-chaussée proposée ici ne montre pas l'hypothèse du mur de refend à la troisième travée.

Le décor peint est restitué à partir des traces nombreuses conservées en zone 3, au rez-de-chaussée comme à l'étage (cf. 2.1.9). La vue de l'étage montre l'hypothèse d'une charpente voûtée lambrissée, restituée à partir des bois en remplois découverts dans la charpente actuelle. À l'étage, certains éléments intérieurs n'ont pas été intégrés à la restitution, comme une porte d'accès vers la tourelle des latrines, dont on ne connaît pas la forme, ou des cheminées, dont la présence est supposée mais pas assurée.

Conclusion du chapitre 2

Les données architecturales et archéologiques permettent de confirmer que le bâtiment 2 correspond bien à l'édifice construit par Hervé de Villepreux à la fin du 12e siècle. La réutilisation partielle de bâtiments antérieurs n'est pas indiquée dans le texte, qui valorise l’action de l’abbé en faveur de la communauté, mais la position des bâtiments et la volonté de préserver les constructions plus anciennes suggèrent que le bâtiment 2 perpétue la fonction d'accueil, au sens large, de cet espace, situé près de l'entrée du monastère, même si, d’après la chronique, il est réservé aux hôtes de marque.

Le nouveau bâtiment a une ampleur bien plus importante que le précédent, qui présentait toutefois une certaine qualité architecturale. L'hôtellerie remplit donc une fonction ostentatoire très forte, puisque l'accueil des hôtes de marque est une obligation importante de Marmoutier, qui a des répercussions sur l'image du monastère. Les frais engagés et le soin apporté à la construction de l'hôtellerie, ainsi que la volonté de mettre en scène l'entrée du monastère, démontrent l'importance de cet édifice aux 12e-13e siècles.

L'architecture de l'hôtellerie monastique de Marmoutier répond à des formes et des caractéristiques partagées par nombre d'hôtelleries de monastères bénédictins. Mathilde Gardeux a montré que ces édifices répondent à des critères communs en ce qui concerne leur position, la forme des grandes salles, la présence d'un décor peint ou sculpté, et les éléments de confort (Gardeux 2018 : 521-564). Sur ce point, la tourelle de latrines de Marmoutier fait figure d'exception, en revanche, la présence d'une cheminée est incertaine, tandis que la plupart des autres édifices d'accueil en comportent.

Les hôtelleries monastiques empruntent de nombreuses caractéristiques à l'architecture seigneuriale et hospitalière, témoignant de l'importance de la fonction d'apparat, répondant aux exigences de l'abbé (Gardeux 2018 : 547-554).

La fonction d'accueil des hôtes de marque, clairement définie dans le texte relatant la construction par Hervé de Villepreux, est confirmée par l'architecture et l'archéologie (ouvertures, décor de l'étage, présence de latrines, etc.). Mais existait-il des lieux d'accueil des plus pauvres à proximité ? Mathilde Gardeux évoque l'hypothèse d'un accueil des pauvres au rez-de-chaussée de plusieurs hôtelleries, de manière à les séparer des hôtes de marque (Gardeux 2018 : 556-562). La présence de cheminées ou d'un banc comme à Marmoutier suggère bien une fonction d'accueil, qu'il est difficile de définir avec précision. L'absence de cheminée au rez-de-chaussée tend à écarter la possibilité d'un hébergement, mais il pourrait s'agir malgré tout d'un espace d'accueil, un lieu de distribution des aumônes par exemple. Une aumônerie (elemosyna) est mentionnée au 13e siècle (Lorans 2014 : 360). L’étude du cimetière de Marmoutier fournit des arguments, à travers l'état sanitaire des individus inhumés près des bâtiments, pour les phases 1 et 2 comme pour la phase 3, contemporaine du bâtiment 2 (cf. 12.5). La fonction d'accueil et d'assistance à une population spécifique, résidant ou travaillant dans le monastère ou à proximité peut donc être proposée pour le rez-de-chaussée alors que l’étage accueillait les grands, ecclésiastiques ou laïcs, dans des conditions correspondant à celles des grandes salles seigneuriales. Dès lors, hébergés à proximité immédiate de la porte, ces hommes et leurs serviteurs n’avaient plus à traverser le monastère et ne troublaient plus la quiétude des moines, comme le rapportent le coutumier (chapitre 58) et la chronique (cf. 2.4).

CHAPITRE 3. PÉRIODE 2, PHASE 4 : LES TRANSFORMATIONS MÉDIÉVALES DE L'HÔTELLERIE (BÂTIMENT 2, 13E-14E SIÈCLES)

Chapitre 3. Période 2, Phase 4 : Les transformations médiévales de l'hôtellerie (bâtiment 2, 13e-14e siècles)

Émeline Marot

La fouille et l'analyse du bâti ont révélé une phase de travaux à la jonction des 13e et 14e siècles, ayant touché toutes les parties du bâtiment et correspondant à des adaptations aux goûts et aux besoins de cette époque (Fig. 3-1).

Les travaux de la phase 4 comprennent l'abandon de la fonction de latrines de la tourelle située au sud du bâtiment et utilisée comme dépotoir (Fig. 10-9, 10-6, 10-12 et 10-34) avant un comblement complet, la reprise des supports et probablement des voûtes associées dans la partie orientale de l'édifice, la création d'une première séparation au rez-de-chaussée, le percement de nouvelles fenêtres (Fig. 3-21) à l'étage et enfin la reprise du décor peint. L'édifice a reçu un décor qui semble homogène au rez-de-chaussée comme à l'étage (Fig. 3-24) : aplats ocre jaune et faux-joints blancs, auquel s'ajoute une large frise à l'étage, courant sur tous les murs et comportant des blasons.

Les travaux de reconstruction de l'église abbatiale, réalisés entre le début du 13e siècle et le début du 14e siècle, se sont achevés par la construction d'un porche en avant de la façade, joignant la tour des cloches au nord et l'angle nord-est de l'hôtellerie au sud (Fig. 0-196, phase 4). Le pilier ainsi aménagé à l’angle de l’hôtellerie a englobé les maçonneries antérieures et a nécessité le bouchage de la porte nord-est du bâtiment.

L'ensemble des travaux réalisés lors de cette phase montre une volonté d'adapter l'édifice aux goûts du moment, mais on retrouve les mêmes éléments qu'à la phase précédente : un rez-de-chaussée voûté, un décor peint omniprésent, une grande salle à l'étage avec frise décorée, etc. Les transformations indiquent plus une continuité dans l'utilisation de l'édifice que de véritables bouleversements fonctionnels. L'étage, où le décor peint révèle la volonté ostentatoire des constructeurs, semble réservé à l'accueil. Le rez-de-chaussée, à l'architecture toujours soignée mais quelque peu opportuniste en ce qui concerne les remplois des bases, est divisé par une cloison légère, témoignant peut-être de la juxtaposition de plusieurs activités. D'autres modifications semblent avoir eu plus de conséquences : la suppression de la grande porte orientale a pu bouleverser les circulations dans et autour du bâtiment et modifier l'utilisation de la pièce ; la suppression des latrines paraît être un recul dans l'équipement domestique de l'édifice, alors que la création ou la modification d'une cheminée implique l'inverse. La fonction générale du bâtiment ne semble donc pas avoir changé par rapport à la phase 3 : la fonction d'hôtellerie est certainement toujours remplie au 14e siècle.

La fouille et l'analyse du bâti ont révélé une phase de travaux à la jonction des 13e et 14e siècles, ayant touché toutes les parties du bâtiment et correspondant à des adaptations aux goûts et aux besoins de cette époque (Fig. 3-1, 3-35).

3.1 Les travaux de la fin du 13e siècle ou du début du 14e siècle

3.1.1 La modification de la tourelle de latrines (EA 1341 , Ens.4096)

3.1.1.1 Le comblement de la tourelle

La fouille de la tourelle de latrines, en 2013-2014 puis 2016, a révélé les transformations de la structure après la phase originelle de construction et d'utilisation.

Tout d'abord, le conduit visible dans le mur sud de la tourelle (EA 1374 ) a été bouché par une maçonnerie irrégulière de moellons et de blocs de petit appareil liés au mortier de chaux, tout en laissant en place les sédiments organiques déposés sur l'appui (Agr.823). Au fond de la tourelle, des niveaux de remblais massifs (Agr.838) ont été déposés au-dessus des couches associées au fonctionnement des latrines (Fig. 0-68). La couche inférieure constitue l'interface avec les sédiments organiques : elle contenait de nombreux blocs de tuffeau, des pots de céramique et des ossements animaux, signifiant une utilisation de la fosse comme dépotoir (US 43003-43182, cf. 10.4). Au-dessus ont été déposés plus de 2 m de sédiments sableux clairs composés de poudre de tuffeau et contenant des déchets de mortier, des blocs de tuffeau brisés et de très nombreux fragments d'enduits peints (US 42895, 43180, 43181). Ceux-ci, comportant des éléments de joints rouges et des aplats rouges, jaunes, verts et noirs, correspondent au premier décor du bâtiment 2 (phase 3, Fig. 2-47, 2-48, 2-49). La présence de ces fragments d'enduit et des matériaux de démolition témoigne d'une reprise importante des élévations intérieures (cf. 3.1.3-3.1.5). Enfin, une couche brune épaisse de 1,5 m environ correspond au dernier remplissage de la tourelle pour cette phase, démontrant une volonté de combler le conduit au moins jusqu'au niveau d'occupation intérieur du bâtiment (autour de 51 m NGF).

3.1.1.2 Un changement de fonction de la tourelle

Ces sédiments témoignent d'une transformation importante de la fonction de la tourelle 1341 . D'abord utilisée comme fosse de latrines à la phase 3, elle est utilisée lors de la phase 4 comme dépotoir indifférencié, puis pour jeter des matériaux de démolition au moment d'une phase de travaux de l'édifice et enfin comblée méthodiquement. Ce comblement signifie l'arrêt de la fonction de latrines de la tourelle, qui ne semble pas remplacée par une autre structure : aucun aménagement de latrines ou de fosses n'a été identifié pour cette phase dans l'édifice ou à proximité immédiate.

La tourelle est toutefois conservée en élévation, remplissant une fonction incertaine. Peut-être est-elle transformée en tourelle d'escalier en partie haute dès cette phase, mais il n'existe de traces archéologiques et iconographiques d'une transformation de ce type que pour les phases suivantes. Aucune ouverture ne semble percée au rez-de-chaussée et nous ignorons jusqu'à quelle hauteur la tourelle a été comblée.

La datation de ce changement de fonction peut être évaluée par le mobilier en céramique contenu dans les niveaux de dépotoir. Les nombreux pots complets découverts datent du début du 14e siècle, les tessons des couches de tuffeau peuvent être attribués à la période 13c-14b (cf. 10.1.2.1), tandis que les couches supérieures ont une datation plus large des 14e-15e siècles (US 43181, groupes techniques to6a ; to2a). La transformation des élévations intérieures et l'abandon de la fonction de latrines peuvent donc être attribués au début du 14e siècle, tandis que la suite du comblement a pu s'effectuer sur un temps plus long.

3.1.2 La modification des voûtes au rez-de-chaussée et une première division des espaces

Le rez-de-chaussée a été modifié par le remplacement des supports centraux et des voûtes, après une première phase d'utilisation du bâtiment dont les niveaux d'occupation sont mal connus (cf. 2.1.5). En effet, les vestiges ténus du premier sol témoignent d'un arasement à l'intérieur du bâtiment 2 (F.1256 , Agr.685), auquel a succédé un chantier attesté dans plusieurs secteurs, épargnés par des arasements ultérieurs. Une bande centrale, entre les colonnes EA 1009  et EA 1166 , constitue ainsi une zone d'observation privilégiée pour cette phase.

3.1.2.1 Des travaux après le décaissement : remblais et bouchage de la porte nord-est POR 1250  (Ens.4049, 4050, 4051, 4078)

Au centre, une série de couches témoignant d'un chantier a été observée sur 25 cm d'épaisseur, recouvrant les remblais de la phase précédente. Des couches de tuffeau jaune alternent avec des sédiments argileux sombres ou des couches de sable et de mortier pulvérulent (Agr.725-726). Des niveaux plans marquent des phases de circulation successives, peut-être pendant les travaux, associant de fines couches de chaux et de limon (Agr.720).

À l'est, les couches appartenant à la même phase sont moins nombreuses et plus difficiles à identifier à cause des arasements successifs des sols (Agr.729). Quelques trous de piquet et une fosse (F.1238 ) sont toutefois attestés, la dernière ayant servi à aménager une maçonnerie contre le mur M.1014 , servant de fondation au bouchage de la porte POR 1250  (Fig. 3-1). Cette construction a été nécessaire pour compenser l'absence de marches à l'extrémité sud de la porte et établir une base solide au bouchage, réalisé en blocs de grand appareil de tuffeau jaune de 30 à 40 cm de haut (Agr.723, Fig. 1-25). Ce bouchage a nécessité la destruction partielle des piédroits pour insérer un bloc sur deux et ancrer la nouvelle construction dans le mur M.1014  (Fig. 0-53). La colonnette d'angle nord-est EA 1246  est restée intacte, la reprise ayant épargné quelques blocs du piédroit nord la bordant. Seul le parement intérieur du bouchage de la porte a pu être observé, la fouille n'étant pas étendue plus à l'est.

Toutes ces couches correspondant à des travaux contiennent des tessons de céramique redéposés, issus des couches sous-jacentes perturbées, associés à du mobilier de la fin du 13e siècle et du début du 14e siècle (groupes techniques to2a ; to4b ; to6a ; to7b).

3.1.2.2 Le remplacement des supports centraux (Ens.4049, 4078)

Les supports centraux étaient constitués lors de la phase 3 de fondations maçonnées cubiques pour les trois piles orientales, surmontées par des supports inconnus, mais que l'on peut supposer similaires aux colonnettes latérales : un fût cylindrique reposant sur une base moulurée.

Le remplacement des supports lors de la phase 4 a fortement perturbé l'organisation originelle, tout d'abord par le creusement de fosses circulaires à l'emplacement des supports cubiques originels (F.1227 , 1383 ), qui ont été réduits d'une assise dans le cas des supports EA 1166  et EA 1169  (Fig. 0-63). Les fosses ont ensuite été comblées de blocs de tuffeau (dont des remplois) liés au mortier de chaux, formant un radier de fondation pour les nouveaux supports. Un parti pris similaire a été choisi pour les supports occidentaux EA 1010  et EA 1316 , mais il est difficile de déterminer si les fosses remplies de mortier résultent du chantier de la phase 3 ou des transformations de la phase 4. Le support EA 1009  a, lui, été construit de façon plus simple, le nouveau support ayant été directement posé sur le support cubique antérieur, dont il dépasse légèrement. Tous ces aménagements avaient pour objectif de créer des socles pour les supports à la même hauteur pour la construction des voûtes. Le support EA 1169  a en outre été flanqué d'un bloc de 40 cm sur 60 cm du côté nord, un aménagement similaire à celui effectué sur le support latéral EA 1051 , où un bloc de 40 cm sur 80 cm a été placé contre le socle d'origine après le creusement d'une petite fosse (F.1138 ). Ces deux blocs à la surface plane affleurent au niveau du sol, mais leur fonction est incertaine.

Le niveau de sol existant au moment du chantier est attesté par les couches conservées dans les travées centrales et par la forme des supports maçonnés 1166  et 1169 , construits en fosses aveugles à l'origine, que les arasements de la période moderne ont mis au jour. Le niveau de sol fonctionnant avec les bases peut ainsi être restitué à 51,20 m NGF, qui correspond au niveau des supports centraux antérieurs et des supports latéraux, toujours utilisés.

Les supports placés au-dessus de ces fondations, dont quatre sont encore conservés, sont constitués de blocs moulurés au plan complexe : des bases quadrilobées dont les lobes sont disposés en patte d'oie (Fig. 0-57). Les variations de formes des blocs correspondent à des degrés différents de sculpture et de finition, mais ils appartiennent à un même modèle. Ces bases sont composées d'un socle en forme de patte d'oie surmonté d'un tore en demi-cœur renversé en encorbellement sur tout le pourtour, associé à de petits supports de largeur et épaisseur variable (Fig. 2-13, 3-2, 3-3, 3-4). Au-dessus du tore principal, les moulures alternent scoties et petits tores, pour former des lobes de taille différente : un lobe d'un côté (25 à 30 cm de diamètre) et trois de l'autre, deux identiques encadrant un autre plus petit (20 à 25 cm de diamètre). Les blocs comportent des tracés préparatoires bien visibles (lignes directrices, cercles concentriques, Fig. 3-5, 3-6), mais les moulures sont restées inachevées pour deux des blocs.

Ces bases sont disposées selon des orientations différentes et deux d'entre elles sont surmontées de fûts cylindriques simples qui ont été associés aux bases moulurées au plus tard au 16e siècle, l'ensemble ayant été rubéfié lors de la phase 6 (Fig. 0-57). Ces données démontrent qu'il s'agit de l'utilisation opportuniste de blocs destinés à un autre bâtiment et qui ont été réformés pour diverses raisons. Les similitudes avec les bases de l'église gothique de Marmoutier, encore en place, montrent qu'elles étaient destinées au chantier de l'abbatiale, probablement au rond-point du chœur, si l'on considère leur plan atypique. Ces bases, très proches de celles de la cathédrale de Tours (Andrault-Schmitt 2010 : 196-208), ont été datées sur des critères stylistiques par Claude Andrault-Schmitt des années 1220/1230, correspondant à l'abbatiat de Hugues de Roches, qui fit construire la nef de l'église (Lelong 1989:118-121). Toutefois, cette datation ne correspond pas à la mise en place des bases dans l'hôtellerie : la céramique recueillie dans les couches de travaux correspondant indique la fin du 13e siècle ou le début du 14e siècle (groupes techniques to2a ; to2c ; to4b ; to6a ; to7b). Ces blocs ont peut-être été conservés pendant plusieurs décennies avant leur utilisation dans un bâtiment différent de leur destination initiale.

3.1.2.3 La construction de voûtes à ogives chanfreinées

Le changement des supports centraux, réalisé au moins dans la partie orientale de l'édifice, implique une reconstruction importante d'une partie des voûtes du bâtiment, mais les couvrements correspondant aux supports remplacés n'ont pas été conservés en place. Le passage ouest conserve les voûtes originelles de la fin du 12e siècle, et les voûtes des travées suivantes ont été en grande partie détruites, mais les vestiges montrent eux aussi des voûtes appartenant au premier état, tandis que la partie orientale du bâtiment a été arasée en dessous du niveau des couvrements.

Toutefois, une série de blocs lapidaires découverts en fouille dans des remblais et des murets de la fin du 18e siècle semble correspondre à cette phase de travaux (M.1012  et M.1013 , Ens.4024-4025, Fig. 3-7). Les 31 blocs appartiennent à une voûte sur croisées d’ogives chanfreinées et présentent des formes très homogènes ainsi qu'une peinture ocre jaune identique. Ils comprennent deux clés de voûte, 24 claveaux, un départ d'ogive en tas de charge et quatre blocs de voûtains. Les blocs forment des ogives chanfreinées de 25 cm de haut et 21 cm de large au maximum pour 12,5 cm au niveau du chanfrein (Fig. 3-8, 3-9). Ils ont des dimensions de 45 cm de côté pour les clés de voûte et de 37 à 45-50 cm de long pour les blocs d'ogives. Ils sont associés à d'autres blocs probablement contemporains présentant la même peinture : sept blocs de parement et un claveau appartenant à une baie (Fig. 3-10). Par ailleurs, d'autres blocs chanfreinés ont été utilisés pour remplacer les supports latéraux et centraux à la fin du Moyen Âge d’après les données stratigraphiques, ce qui n’empêche pas la possibilité de remploi de blocs plus anciens.

Il est difficile de déterminer avec certitude la partie de l’édifice modifiée par l’insertion de ces nouvelles voûtes, mais nous savons que les bases orientales ont été remplacées et le lieu de découverte des blocs, dans un niveau de démolition du bâtiment à l'est de la zone 4, indique qu’il pourrait s’agir de cette même partie du bâtiment, certains claveaux ayant été trouvés en connexion, comme s’ils étaient tombés et laissés en place lors de la démolition.

Les traces de peinture ocre jaune visibles sur les blocs permettent de les associer chronologiquement à la fois au deuxième état du décor de l'hôtellerie, correspondant à une reprise de l'étage (cf. 3.1.5) et à la phase de travaux du rez-de-chaussée qui s'achève, après le remplacement des supports centraux, par l'aménagement d'un sol et d'une cloison.

3.1.2.4 La fin des travaux au rez-de-chaussée (Ens.4076, 4077, 4078)

À deux endroits du rez-de-chaussée, des couches correspondant à des chantiers ont été identifiées, mais elles ne sont pas au contact des fosses des supports centraux et leur chronologie est donc incertaine (Agr.611 et 628, Ens.4078). Des décaissements ultérieurs ont ainsi laissé une bande de sédiments près du mur M.1001 , correspondant à des couches de tuffeau, de mortier friable et de sédiments sableux clairs, succédant à une rubéfaction de la zone (Agr.611).

Au centre, la fosse de construction F.1137  du support EA 1009  a été scellée par une série de couches d'occupation et de remblais, conservés sur un espace limité autour de la base (Ens.4077). Une des couches de remblais, épaisse de 10 cm, semble constituée de fragments de sols détruits (terre brune brûlée, charbons, US 40715), tandis que les couches d'occupation ne sont parfois conservées que sous la forme de lambeaux de faible surface.

Au-dessus, des couches correspondant à un chantier ont été découvertes à plusieurs endroits, comprenant une couche de chaux de 1 cm d'épaisseur qui constitue un sol plan très régulier, recouverte d'une pellicule de pigment ocre jaune bien identifiable (US 40554, Ens.4076, Agr.555, Fig. 3-11, 3-12), caractéristique du deuxième état du décor peint (cf. 3.1.5). Des fragments de cette peinture ont également été découverts dans les couches sous-jacentes, ce qui incite à les associer à une même phase de travaux, qui serait intervenue au début du 14e siècle, après le remplacement des supports centraux et d'une partie de la voûte. Ce sol recouvert d'ocre est situé à 51,2 m NGF. Cette altitude constante et les arasements ultérieurs qui n'ont épargné que des lambeaux du sol démontrent une volonté de conserver le niveau de circulation d'origine, fonctionnant avec les bases des supports de la voûte.

3.1.2.5 La construction d’une cloison nord-sud (F.1111 , Ens.4076)

Après le dépôt des sédiments ocre jaune, une cloison orientée nord-sud (F.1111 ) a été aménagée entre les supports 1009 , 1125  et 1051  (Agr.556), associant matériaux légers et maçonnerie (Fig. 3-11).

Elle est attestée par plusieurs creusements situés dans le même alignement dans les murs M.1001  et M.1002  (Fig. 3-13) ainsi que dans la base de la colonne 1009  (Fig. 3-14). Ce sont des trous de section carrée creusés horizontalement dans les murs et la base afin d'encastrer une sablière basse supportant une cloison placée à l'ouest de la colonne 1009  et des colonnettes engagées 1125 et 1051 . Le creusement dans le mur 1002  (UC 40525) mesure 20 cm de large pour 15 cm de profondeur et 20 cm de hauteur. L'autre creusement (UC 40592, M.1001 ) a une profondeur de 24 cm ; il est large de 13 cm pour une hauteur de 16 cm. Des bourrelets de mortier devant les encastrements conservent le négatif des pièces de bois qui y étaient insérées.

Ces trous sont associés à la construction d'un muret orienté nord-sud, de 1,25 m de long, constitué de huit blocs de petit appareil globalement alignés sur leur côté est (F.1111 ), qui pourrait correspondre au seuil d'une porte aménagée dans la cloison (Fig. 3-12). Dans ce cas, il faudrait restituer une cloison en deux parties entre M.1002  et la base de la colonne 1009, interrompue à l'emplacement du seuil. Deux sablières basses de 75 cm au nord et 2,75 m au sud pouvaient alors supporter la cloison, aucun trou de poteau correspondant à un aménagement sur poteaux plantés n'ayant été repéré. Cependant, les blocs ne sont alignés que sur le côté est, certains dépassant largement vers l'ouest ; cette disposition paraît curieuse pour un seuil.

Par ailleurs, un creusement quadrangulaire a été effectué au-dessus de la base 1009  (Fig. 0-57). Il semble correspondre à un encastrement, mais il est difficile de l'associer avec certitude avec le Fait 1111 , puisqu’il n’est pas situé dans l'axe de la cloison. Ce dispositif a néanmoins été nécessairement creusé et utilisé avant la phase 7, au moment où les bases sont recouvertes par d'épais remblais.

Les matériaux légers formant la cloison n'ont laissé aucune trace ; nous ignorons donc quelle était sa technique de construction en élévation et comment elle s'articulait avec les voûtes. Il s'agit du premier indice de partitionnement de l'espace intérieur au rez-de-chaussée à l'est du mur de refend et cette séparation a été placée à un endroit spécifique de l'édifice, où les murs présentent une inflexion. Visuellement, cet axe devait déjà constituer un repère dans la pièce originelle, et la matérialisation de cette division traduit peut-être la juxtaposition de fonctions différentes au rez-de-chaussée. La banquette observée dans la partie occidentale ne s'étendait probablement pas à l'est de la cloison si l'on considère la technique d'implantation de la sablière dans les murs gouttereaux. La présence ou l'absence de cette banquette participe peut-être à la définition des fonctions des différents espaces.

Plusieurs fosses mal datées pourraient être associées à des travaux avant ou après la construction de la cloison F.1111  (F.1116 , 1119 , 1121 , 1142 , Agr.571, Fig. 3-15).

3.1.2.6 Des sols carrelés ?

Notons enfin la présence de carreaux de pavement, découverts dans des contextes de remblais postérieurs, mais qui pourraient être associés aux travaux de cette phase, sans pouvoir s'assurer de leur provenance exacte (Fig. 3-16).

Plusieurs exemples de carreaux décorés ont été identifiés dans des couches du 15e au 18e siècle, mais leurs formes et leurs décors permettent de les attribuer aux 13e et 14e siècles. Il s'agit notamment de carreaux à motifs bicolores ou tricolores jaunes, oranges et blancs, représentant des animaux héraldiques, une simple croix, un chevalier ou différents motifs en quart de couronne, impliquant des décors composés de plusieurs carreaux (Fig. 3-17). D'autres, plus simples et plus difficilement datables, sont recouverts d'aplats vert foncé, avec des incisions ou recouverts de marbrures vertes, marron et noires.

Ils présentent quelques similitudes avec les carreaux découverts lors des fouilles de l'église abbatiale par Charles Lelong (Lelong 1992, Henri 2006), mais comprennent également des décors spécifiques. Ils peuvent être comparés aux découvertes réalisées à Saint-Maur des Fossés (Lion passant), Saint-Martin des Champs et Provins (chevalier), et Boves (quart de couronne) (Chapelot, Chapelot et Rieth 2009).

La présence de ces carreaux dans les remblais intérieurs du bâtiment 2 ou dans les couches de démolition ne suffit pas pour attribuer au rez-de-chaussée de l'hôtellerie des sols de carreaux polychromes. Ils pourraient provenir d'un autre édifice ou appartenir au sol de l'étage, dont aucun élément matériel n'a été conservé en place.

Toutefois, il est nécessaire de proposer l'hypothèse de sols carrelés au-dessus des couches de terre battue mal conservées et qui appartiennent plus probablement au chantier qu'au sol définitif. Les nettoyages réguliers de sols construits et la récupération probable des matériaux au cours des siècles suivants permettraient d'expliquer les nombreux hiatus observés pour l'occupation du rez-de-chaussée du bâtiment 2, du 13e au 16e siècle, dans de nombreux secteurs fouillés.

3.1.3 La transformation des ouvertures de l’étage (Ens.3009)

À l'étage du bâtiment, des travaux ont été entrepris pour remplacer certaines des fenêtres dans le mur sud (Fig. 0-37, 0-38). Les jours étroits créés lors de la phase précédente n'étaient probablement plus en adéquation avec les besoins des occupants lors de la phase 4, puisque de grandes baies ont été créées à l'étage, remplaçant une baie en lancette sur deux, d'après ce qui peut être observé dans la partie encore en élévation.

Les deux baies conservées (BAI 511  et BAI 519 ) sont larges de 1,6 m et hautes de 2,5 m à l'extérieur (Fig. 3-18, 3-19), présentent un léger ébrasement interne (1,70 m de large à l'intérieur) et leur embrasure descend jusqu'au sol (3,7 m de haut). Leurs sommets sont positionnés à la même hauteur que les ouvertures précédentes, mais les baies descendent donc plus bas. Elles sont également décalées latéralement, ce qui a conduit à la préservation partielle de la baie 547  à côté de la fenêtre 519 . En revanche, si la fenêtre 511  a remplacé une ouverture plus ancienne, elle en a effacé toute trace. Les baies ont été créées par l'insertion dans la maçonnerie de piédroits en blocs de moyen appareil et moellons de tuffeau, supportant des linteaux chanfreinés à soffite surélevé à l'extérieur, tandis que l'embrasure est couverte d'arcs surbaissés extradossés à l'intérieur (Fig. 3-20, 3-21). Il s'agissait certainement de baies à croisées à l'origine, mais les maçonneries en comportent peu de traces.

Leur positionnement indique qu'elles éclairaient l'étage directement couvert par la charpente, comme dans la phase précédente, en complément des baies géminées présentes dans le mur nord, qui ne semblent pas avoir été transformées lors de cette phase. Le positionnement en quinconce des deux ouvertures conservées avec la fenêtre géminée permet de restituer cinq baies pour l'ensemble du mur sud.

3.1.4 L'équipement domestique

Un unique bloc découvert dans les remblais de démolition fournit des informations sur l'équipement domestique (LAP 404, Fig. 3-7, 3-22). Ce bloc d'angle taillé en L et présentant des faces obliques pourrait appartenir au manteau d'une cheminée à hotte pyramidale, une forme identifiée du 12e au 15e siècle (Diot 2007). La présence de suie dans l'angle rentrant et les traces de coulures des peintures du deuxième état du décor du bloc semblent confirmer la fonction et la position du bloc. Il aurait donc existé une cheminée au moins à partir de la phase 4 : le bloc porte des traces d'un aplat ocre jaune, mais aucune trace de faux-joint rouge correspondant à la phase 3. La présence d'un décor ultérieur (rinceau rouge et aplat bordeaux) ainsi que le contexte de découverte du bloc permettent de supposer que la cheminée est restée en place jusqu'à la destruction partielle de l'édifice, au début du 19e siècle. Elle pourrait donc correspondre à une des souches de cheminées représentées sur les vues modernes du bâtiment, mais les sources ne s'accordent pas sur leur position précise. Il existe une cheminée dans le pignon occidental, dont la forme actuelle du 18e siècle a certainement remplacé une plus ancienne (Fig. 0-166, 0-179), une ou deux autres près du contrefort large du mur sud (Fig. 0-166, 0-177, 0-179), une à l'est de la tourelle (Fig. 0-177) ou dans le pignon oriental (Fig. 0-183). Toutefois, aucun vestige identifiable n'est visible dans la partie conservée du bâtiment et ces différentes cheminées ne sont donc pas datées, ce qui empêche de situer la cheminée médiévale correspondant au bloc découvert.

3.1.5 Le remplacement du décor peint

Les travaux de l'hôtellerie ont inclus une reprise très importante du décor intérieur, remplaçant totalement les faux-joints rouges et la frise discrète de la phase précédente.

3.1.5.1 La restitution du décor de l’étage (Ens.3009)

Les fragments d’enduit et les blocs de tuffeau trouvés dans les latrines témoignent de cette phase de travaux dans une partie du bâtiment, ayant conduit à l’arrachement des enduits peints d’une partie de l’édifice ainsi qu'à la destruction de maçonneries (pour la création des ouvertures côté sud notamment), avant la réalisation d’un nouveau décor. Les nombreuses traces du premier état de décor conservées à l’extrémité ouest du bâtiment indiquent que l’on a favorisé à cet endroit le recouvrement par des nouvelles peintures, sans retirer les premières.

Le décor de cette nouvelle phase se caractérise par la présence d’un aplat ocre jaune appliqué au-dessus d’un badigeon blanc sur l’essentiel des maçonneries, sur lequel ont été tracés des faux-joints à l’aide de peinture blanche (Fig. 3-23, 3-24). Les blocs ainsi délimités sont plus réguliers et plus petits que les pierres réelles du mur (15 cm de haut pour 20-35 cm de long environ). Cette peinture jaune est encore conservée sous forme de traces sur les parements intérieurs en zone 3, en partie haute principalement (M.505 ), et plus ponctuellement en zone 4 (M.1002  et M.1014 ). Les traits blancs ont par endroits préservé le pigment ocre sous-jacent, ce qui fait apparaître les joints jaunes sur un fond plus clair, formé par le badigeon de chaux de préparation. L'altération du décor est due en grande partie au décollement de ce fin badigeon qui recouvrait directement les pierres.

Ce décor couvrant est associé à des faux claveaux au-dessus des baies comme la fenêtre 511  (Fig. 3-10). Il est constitué de traits ocre rouge délimitant des colonnettes en épingle, plus larges que celles de la phase précédente, reliées par des arcs présentant une excroissance centrale. Ces arcs et colonnettes sont remplis avec une peinture blanche (?), tandis que l’intérieur des arcades est jaune comme le reste du mur. Un claveau découvert en fouille et inventorié sous le numéro LAP 377 présente un décor identique, avec deux colonnettes dont les traits se prolongent sur l'intrados de l'arc (Fig. 3-10). Cette découverte indique que les modifications ont touché tout l’édifice. Les grandes baies du mur nord ayant été conservées dans leur état originel, leur décor de colonnettes a visiblement été copié et adapté. Ces formes rappellent celles visibles sur un parement dans une des tours de l'enceinte de Saint-Martin à Tours (12-14 rue Baleschoux, Marot 2013 vol. 3 p.37 et suivantes).

La baie 643  montre un aplat ocre jaune au revers de l'ouverture, avec une bande bordeaux soulignant l'intrados de l'arc en plein cintre, et peut-être un autre motif au centre (Fig. 3-25). Cela montre une volonté d'homogénéiser le décor lors de la phase 4 entre les anciennes et des nouvelles fenêtres. Un décor similaire est observable sur l’arc 552  donnant accès au passage voûté (cf. 3.1.5.2).

Le décor de la partie supérieure des murs a été fortement modifié lors de cette phase, où on a recouvert le décor précédent pour mettre en place une frise haute de 80 cm courant sur tous les murs (Fig. 3-23). Véronique Legoux et Alexandre Gordine avaient interprété les traces de ce décor de façon différente. Ce dernier décrivait la frise comme des « rinceaux ocre rouge Bordeaux se détachant sur un fond alternativement blanc et jaune » et la corniche comme ayant conservé des traces d’ocre rouge, avec une bande jaune en partie basse (Gordine 2008 : 76).

Véronique Legoux décrit la corniche comme une alternance de longs rectangles jaunes et rouges et apporte plus de précisions sur les étapes de mise en place de la « frise ornementale de rinceaux, roses, jaunes et blancs » : « L’esquisse des motifs de la frise a été peinte en rose (US 14). Puis les formes ont été remplies avec de la couleur rose, rouge et jaune (US 15) et la frise bordée de deux bandes horizontales jaunes et rouges (largeur 4 cm), disposées en miroir. Enfin le dessin a été repris à l’aide de larges tracés rouge violacé (US 16).» (Legoux 2013 : 9). Toutefois, une observation et d’un relevé systématique des traces de peinture en 2016 a conduit à réinterpréter ou préciser des hypothèses.

Il semble que la corniche a été intégralement badigeonnée de blanc puis d’ocre jaune, avec des traces de rouge semblables aux traces noires du premier état, qu’Alexandre Gordine qualifie de marbrures. Dans le prolongement de cette corniche, la frise de rubans du premier état a elle aussi été recouverte d’ocre jaune à taches rouges. La frise est bordée en partie basse de deux bandes, jaune puis rouge/bordeaux, tandis que les motifs de la frise s’étendent en haut jusqu’au ras de la corniche, recouvrant les bandes colorées de l’état 1. Dans la partie centrale, des aplats jaunes et roses sont recouverts d’aplats rouges ou roses plus foncés, avec des rehauts de rouge/bordeaux (Fig. 3-26).

Les larges zones laissées sans peinture rouge montrent des limites courbes semblant correspondre à la bordure de blasons, colorés en bandes ou en chevrons jaunes et roses, s’étendant sur toute la hauteur de la frise. Plusieurs formes aux contours sinueux laissées en jaune entre chaque blason montrent la présence de motifs anguleux récurrents mais mal identifiés car très fragmentaires. À ces décors s’ajoutent les variations de couleurs et les tracés réalisés en rouge foncé sur fond rouge clair, qui correspondraient aux rinceaux indiqués par Véronique Legoux et Alexandre Gordine (Fig. 3-23).

Le motif proposé dans cette restitution est comparable à ce qui a été observé au 6 rue Notre-Dame à Périgueux, où une frise de blasons rouges, blanc et jaunes associés à des rinceaux est bordée de bandes rouges et jaunes au-dessus d’un aplat jaune à faux joints noirs, l’ensemble étant daté des 13e-14e siècles (Ricarrère et al. 2007). Un décor de blasons similaire a également été découvert sur les murs du logis du Mesnil-sous-Jumièges (Seine-Maritime), supposé avoir une fonction d'hôtellerie pour l'abbaye et construit dans la première moité du 14e siècle. On voit au sommet des murs gouttereaux et sur le pignon une frise formée de blasons jaunes et roses peints entourés d'aplats de couleur bordeaux sur un fond rouge et encadrée de bandes jaunes (Juhel 2007 ; Gardeux 2017). Les couleurs sont donc identiques à celles du décor de l'hôtellerie de Marmoutier et les motifs sont très proches. Les quelques traces visibles sur les blasons du Mesnil-sous-Jumièges laissent supposer l'existence de détails effacés des armoiries et il en était peut-être de même à Marmoutier. Les motifs héraldiques utilisés comme bordure sont un décor courant aux 13e-14e siècles, dans les édifices civils comme dans les bâtiments non cultuels des établissements religieux (Davy 2005) comme à l'abbaye Saint-Étienne de Caen (Faisant et Saint-James 2010) ou dans d'autres hôtelleries monastiques bénédictines (Gardeux 2018 : 545-546).

La frise de l'hôtellerie de Marmoutier s'étendait sur tout le pourtour des murs conservés, tandis que les aplats ocre jaune sont encore visibles sur l'ensemble des parements, jusque sur le pignon au-dessus de la frise (Fig. 3-24). Ce décor est donc très homogène au moins dans le tiers occidental de l'édifice, impliquant l'absence d'une division pérenne dans le volume de la pièce de l'étage, qui devait être couverte directement par la charpente, avec peut-être l'ajout d'un lambris à cette phase (seuls les trous de clous ont été découverts dans quelques bois en remploi). La création d'une frise plus haute et le changement de couleur des murs indiquent une adaptation aux goûts de l'époque, mais également une volonté ostentatoire manifeste.

3.1.5.2 Les peintures au rez-de-chaussée (Ens.4048, 4076)

Les traces du décor peint sont plus ténues au rez-de-chaussée. Du côté est du mur de refend M.502 , quelques fragments de peinture ocre jaune ont été épargnés par les piquetages ultérieurs et des traces sont encore visibles sur les départs des arcs de la voûte (M.503 , Fig. 0-35). Quelques traces de faux joints noirs et blancs horizontaux ont été repérées sans qu'il soit possible de les attribuer avec certitude à cet état du décor.

En zone 4, outre les traces d'ocre conservées sur le sol de mortier (Ens.4076, cf. 3.1.2.4), le mur M.1014  présente des traces d'ocre jaune recouvrant à la fois le mur de la phase 2 et le bouchage de la porte POR 1250  (Ens.4048, Agr.711, Fig. 0-53). La colonnette engagée EA 1306 , dans le mur M.1002 , conservait les traces d'un aplat ocre jaune, mais également de rehauts de couleur rouge.

Le passage voûté situé à l'ouest du bâtiment semble avoir reçu un décor peint plus important, mais il est difficile de déterminer la chronologie des décors avec précision, de nouveaux aplats jaunes leur ayant été superposés à la période moderne. À l'intérieur, les murs latéraux conservent les traces de faux-joints rouges doubles, différents de ceux de la première phase (Fig. 0-33). Leur superposition n'est pas aisée à observer, mais nous pouvons supposer que les lignes doubles constituent un deuxième état du décor.

À l’extérieur, le passage conserve des traces de peintures identifiées au nord sur les deux rouleaux de claveaux formant l'arc 552 , mieux préservées sur la partie inférieure (Fig. 0-39). Chaque joint entre les claveaux est souligné d'une colonnette stylisée formée de traits rouges enserrant un triangle jaune au sommet (Fig. 3-27). Les traits sur les joints se prolongent sur l'intrados des deux rouleaux de l'arc, mais les claveaux ne semblent pas avoir porté de peinture couvrante sur les pierres. L'exécution de ce décor rappelle les colonnettes peintes sur les ouvertures de la phase précédente, mais celles de l'arc 552  sont différentes : elles semblent plus simples et associent deux couleurs. Ces décors du passage pourraient ainsi correspondre au deuxième état du décor peint, même si les doubles joints pourraient être une phase intermédiaire.

Enfin, les blocs lapidaires découverts en fouille correspondant aux voûtes à ogives chanfreinées sont tous recouverts d'aplats ocre jaune (Fig. 3-8) et les blocs des voûtains et des murs comportent en plus des traces de faux-joints blancs identiques à ceux repérés à l'étage (Fig. 3-28).

La mise en place du deuxième état du décor clôt donc une phase de travaux importants dans l’édifice, attribuables au tournant des 13e et 14e siècles : reconstruction d’une partie des voûtes du rez-de-chaussée (partie orientale ?) et percement de nouvelles fenêtres à l’étage. Le décor lui-même montre un changement important par rapport au décor du premier état, ayant touché les maçonneries du rez-de-chaussée comme de l’étage, et jusqu’aux arcs du passage voûté.

Notons que les traces de décor postérieures, associées à un badigeon de chaux, sont mal datées et pourraient intervenir peu de temps après la pose du décor ocre jaune. Un bloc découvert dans des remblais modernes, mais provenant du parement d'un mur porte ainsi un décor végétal rouge et noir sur un aplat blanc (LAP 405, Fig. 3-29). Associé à un décor de faux-joints rouges, un quintefeuille rouge est encerclé d'un rinceau gris-noir d'où partent des traits gris plus clairs. Par ailleurs, des traces de peinture rouge, jaune et bleue (ou noire ?) ont été repérées sur les murs 1001  et 1002  en zone 4 en 2009 : elles semblent former un décor similaire de rinceaux et de fleurs appliqué sur un fin enduit de chaux. Il s’agit peut-être des seuls éléments du décor en place sur les maçonneries du rez-de-chaussée. Cette association de faux-joints et de fleurs ou de rinceaux fleuris est couramment observée pour les 13e et 14e siècles (Juhel 2007 : 9-10 ; Terrier-Fourmy 2002 : 41, 43, 57, 93 ; Marot 2013 : fiche 7). Des rinceaux similaires étaient associés au décor héraldique de Périgueux (Ricarrère et al. 2007), et un décor de rinceaux et quintefeuille a été daté de la fin du 13e siècle ou de la première moitié du 14e siècle, au manoir de Courtchamp à Chinon (Carré 2013). Le bloc LAP 405 porte des traces ocre jaune sous le badigeon de chaux, ce qui indique la postériorité du décor de rinceaux, mais peut-être faut-il envisager un décor remanié peu après, associant aplats jaunes et rinceaux sur fond blanc en fonction des espaces du bâtiment. Les traces sont toutefois trop lacunaires pour s'assurer de cette hypothèse.

3.1.6 L’occupation extérieure contemporaine (Ens.3008, 4090, 4091)

Près de l'entrée nord du passage voûté, à l'ouest du bâtiment, des aménagements de sols extérieurs ont pu être observés, sous la forme d'une alternance de couches de tuffeau, de sable et de galets et de limon gris (Agr.1028, Fig. 0-69). Au-dessus, des couches de mortier sont recouvertes par une dernière couche d'occupation (US 30390, 30391, Agr.1027, 1026). Cette succession de sols sur une cinquantaine de centimètres montre que le passage était entretenu, nettoyé et rehaussé au besoin. La céramique contenue dans ces niveaux indique une datation large des 13e-14e siècles (groupe technique to2a).

Au sud du bâtiment, à l'est de la tourelle de latrines, des niveaux très similaires à ceux du passage ont été observés sur 70 cm d'épaisseur, alternant couches de tuffeau concassé (US 30675, Fig. 0-62), de sable, de mortier et couches d'occupation brunes, montrant là encore un entretien régulier des sols extérieurs (Ens.4090 et 4091). Les couches inférieures portent en outre la trace d'une ornière orientée est-ouest, témoignant d'une circulation longeant le bâtiment au ras de la tourelle de latrines (Agr.610, F.1151 , 1154 , Fig. 3-30). Les couches supérieures correspondent à un remblai massif de tuffeau concassé associé à du mortier qui témoigne peut-être d'un chantier à proximité (Agr.605). Ces agrégations correspondent à une occupation datée des 13e-14e siècles pour les plus anciennes et des 14e-15e siècles pour les deux dernières.

Les alentours de l'édifice étaient donc constitués de cours extérieures régulièrement entretenues, dont la surface a probablement été arasée par la circulation et rehaussée au besoin au cours des siècles.

3.2 La jonction avec le porche de l’église

Les travaux de reconstruction de l'église abbatiale, réalisés entre le début du 13e siècle et le début du 14e siècle, se sont achevés par la construction d'un porche en avant de la façade, joignant la tour des cloches au nord et l'angle de l'hôtellerie au sud-ouest. Ce porche, large de 28 m et profond de 13 m environ, aurait été réalisé entre 1312 et 1352 selon la Chronique des abbés de Marmoutier (Chronique : 330-331 ; Lelong 1980 : 161-162 ; Lelong 1989 : 115). Il est représenté sur plusieurs documents iconographiques et est encore attesté par des maçonneries dans des états de conservation divers.

La gravure du Monasticon Gallicanum et le dessin de Cassas montrent la façade sud du porche (Fig. 0-177, 0-180), le dessin de Thomas Pringot montre sa face ouest en 1781 (Fig. 0-183), tandis que les aquarelles de Forbes (LC, Tours, Marmoutier, est 3 et 5) et Morillon (Fig. 0-184) montrent l'édifice en cours de démolition en 1802-1803. En outre, plusieurs plans du monastère représentent le porche au 18e siècle (Fig. 0-167, 0-168). Ces documents permettent de restituer un porche ouvert par trois arcades de largeur inégale à l'ouest et une à chaque extrémité, couvert par des voûtes sur croisées d'ogives (Fig. 3-31).

Le pilier nord-ouest est conservé en élévation contre la terrasse au pied de la tour des cloches, et comporte des colonnettes engagées à chapiteaux de feuillages supportant encore le départ des voûtes et des arcades latérales, avec des ogives associant tore en amande et cavets. Les fouilles de Charles Lelong avaient mis au jour les bases de trois des piliers accolés à la façade de l'église, dans un état de conservation très variable : les deux piliers situés au sud sont conservés sous la forme de quelques blocs constituant le soubassement, tandis que le pilier nord est préservé jusqu'au niveau de la base moulurée et qu'une surface de carrelage y est encore associée (Fig. 3-32). Au sud-ouest, un large pilier en forme de croix représenté sur des plans du 18e siècle (Fig. 0-164) a été dégagé lors de la fouille de l'hôtellerie.

3.2.1 La construction d’un pilier à l’angle nord-est de l’hôtellerie (Ens.4062, 4063)

Avant la construction du porche, l'angle nord-est de l'hôtellerie se prolongeait vers l'est par un muret faisant peut-être office de mur de terrasse, laissant l'accès à la porte 1250  située dans le pignon. Le pilier du porche (M.1032 , PIL 1422 ), dont seule la moitié ouest a été dégagée, a été construit en englobant en partie ce muret (Fig. 3-1, 3-33). Il est constitué d'une fondation de blocs, moellons et mortier de chaux formant un ressaut de 50 cm surmonté d'une assise formée de blocs de grand appareil réguliers (Ens.4063). La fondation a probablement été construite en partie dans une tranchée au nord, mais la fouille n'a pas atteint ces niveaux. Au sud, seule l'élévation a été dégagée. La construction est hétérogène : le muret antérieur a été englobé dans des maçonneries dont les assises ne coïncident pas (UC 42269 et 42273), tandis qu'au nord, deux techniques très différentes ont été utilisées : blocs taillés formant des parements réguliers et moellons, qui semblent indiquer des phases de construction distinctes (Fig. 3-34).

Le plan du pilier PIL 1422  peut être restitué, malgré les destructions importantes du 19e siècle. Il semble légèrement plus complexe que le plan indiqué par les sources du 18e siècle (Fig. 0-164) : il comportait un mur de liaison avec le mur M.1002  et présentait une forme de croix aux pans coupés (Fig. 3-1). Le pilier mesurait 3,5 m du nord au sud ; un parement oblique peut être restitué au nord, tandis que la partie sud est formée de plusieurs angles, correspondant probablement au large contrefort surmonté de pinacles représenté sur la vue du Monasticon Gallicanum (UC 42215, Fig. 0-177).

D'autres remaniements ont été réalisés autour du pilier (Ens.4062). Plusieurs blocs de calcaire allongés ont été mis en place dans une tranchée orientée est-ouest située au nord du pilier, mais leur fonction n'est pas assurée : marche ou autre aménagement lié au pilier (F.1418 ) ? L'angle du mur gouttereau nord de l'hôtellerie M.1002  semble également avoir été reconstruit en partie, associé à une maçonnerie recouvrant la base du pilier du porche (radier de fondation ou sol de pavés ? F.1419 ). Il est possible que toutes ces constructions correspondent à la même phase d'aménagement du pilier, mais les niveaux d'occupation correspondant au porche ont été fortement perturbés par la suite. Les maçonneries observées appartiennent essentiellement au soubassement du pilier si l'on compare avec un autre support du porche conservé à quelques mètres au nord-est en zone 1 (Fig. 3-32). Le niveau des bases moulurées est à une altitude supérieure à l'arase du pilier pilier 1422  (52,5 NGF). Il faut donc restituer une fondation en tranchée surmontée d'une construction aux parements réguliers constituant le soubassement du pilier, dont l'élévation à proprement parler ne débute qu'à 52,8 m NGF (la base moulurée). Il existe donc un hiatus dans la stratification, les niveaux de construction de la base du pilier du 14e siècle étant recouverts directement par des couches de la fin du 16e siècle (Ens.4060-4061).

3.2.2 Le bouchage de la porte nord-est lié à la construction du porche ?

La construction du porche au contact du bâtiment a certainement entraîné des modifications dans l'utilisation de l'espace et les circulations de cette zone. La porte POR 1250 , située à l'angle nord-est, a été bouchée à l'aide de blocs de grand appareil régulier à une date qui pourrait coïncider avec les travaux de construction du porche (Agr.723, Ens.4049). La position du pilier gêne en effet le passage dans l'alignement de la porte, qui est probablement devenue inutilisable (Fig. 3-1). De plus, le niveau de construction des fondations du pilier est situé à environ 52 m NGF, soit un mètre plus haut que le seuil de la porte à l'intérieur du bâtiment. Si on ne peut pas exclure une construction du pilier avec des fondations étagées, plus basses au sud, les remaniements du terrain ont certainement modifié les circulations autour de l'hôtellerie. Si la porte sud a été conservée pour préserver l'accès au rez-de-chaussée (POR 1255 ), la porte nord-est POR 1250  a probablement été condamnée au moment de la construction du porche.

3.2.3 L’abandon de la zone funéraire (Ens.4019) et les abords du bâtiment

Au nord de l'hôtellerie, la zone funéraire observée depuis le 11e siècle semble abandonnée à la fin du 13e siècle, au moins dans la partie fouillée. Les dernières sépultures conservaient les traces de marquages en surface : blocs dont un gravé d'une marelle ou monticule, recouverts au plus tard au début du 15e siècle par des remblais (cf. 2.3.1). La concordance des travaux de l'hôtellerie et du porche témoigne des transformations importantes de ce secteur du monastère au début du 14e siècle, et il est en conséquence difficile de déterminer la raison précise de l'abandon du cimetière.

La construction du porche a marqué la fin de l'édification de la nouvelle église abbatiale, entamée un siècle plus tôt : elle peut donc avoir entraîné un changement radical de l'utilisation de la cour d'entrée du monastère, la priorité étant donnée à la monumentalité et à la mise en scène que gênait peut-être l'expansion progressive du cimetière de laïcs (Lorans 2014 : 383-384). Les travaux dans l'hôtellerie marquent, eux, un renouvellement, une volonté de mettre au goût du jour un édifice vieux d'un siècle, et l'abandon du cimetière peut également s'expliquer à l'aune de ces changements.

La charnière des 13e et 14e siècles semble donc propice aux transformations de l'hôtellerie, mais également de tout l'espace d'entrée du monastère. Outre le porche et le cimetière, des changements ont eu lieu plus à l'ouest, où l'enceinte du monastère édifiée au 12e siècle est partiellement reconstruite au sud du portail (Ens.3014). Le tronçon correspondant est actuellement conservé sur 25 m de long environ, mais il a été remplacé au nord par des maçonneries modernes. Le module des blocs utilisés et leur mise en œuvre diffèrent de ce qui a été observé pour la phase précédente, et il est possible d'avancer une datation du 14e siècle pour cette reprise (Fig. 0-80).

3.3 Synthèse de la phase 4 : Adaptation de l’édifice mais fonction d’accueil préservée ?

Les travaux de la phase 4 comprennent l'abandon de la fonction de latrines de la tourelle située au sud du bâtiment, la reprise des supports et probablement des voûtes associées dans la partie orientale de l'édifice, la création d'une première séparation au rez-de-chaussée, la création de nouvelles fenêtres à l'étage et enfin la reprise du décor peint (Fig. 3-1). L'édifice a reçu un décor qui semble homogène au rez-de-chaussée comme à l'étage : aplats ocre jaune et faux-joints blancs, auxquels s'ajoute une large frise à l'étage, courant sur tous les murs et comportant des blasons et des rinceaux jaune, rose et rouge.

La restitution en trois dimensions du bâtiment pour la phase 4 montre peu de changements extérieurs par rapport à la phase précédente : seule la façade sud a été modifiée par le percement de fenêtres à croisées plus grandes, remplaçant en partie les anciennes baies en lancette (Fig. 3-35). La petite baie de la deuxième travée n'a pas été représentée : il est difficile de déterminer si elle a été conservée ou bouchée lors de cette phase. La partie orientale du bâtiment a été pourvue d'une baie par travée, mais cette disposition reste hypothétique.

À l'intérieur, seul l'étage a fait l'objet d'une modélisation détaillée, afin de représenter le changement du décor, bien renseigné par les traces conservées sur les murs (Fig. 3-24). Une reprise du voûtement du rez-de-chaussée, peut-être partielle, est attribuée à cette phase, d’après l’analyse des blocs lapidaires et du décor, mais les incertitudes quant à la mise en œuvre empêchent de proposer une restitution fiable de ces transformations.

À partir de cette phase, l'angle nord-est du bâtiment est transformé par la construction du pilier du porche de l'église abbatiale, qui n'est pas représenté sur la modélisation.

L'ensemble des travaux réalisés lors de cette phase montre une volonté d'adapter l'édifice aux goûts du moment, mais on retrouve les mêmes éléments qu'à la phase précédente : un rez-de-chaussée voûté, un décor peint omniprésent, une grande salle à l'étage avec frise décorée, etc. Les transformations indiquent plus une continuité dans l'utilisation de l'édifice que de véritables bouleversements fonctionnels. L'étage, où le décor peint révèle la volonté ostentatoire des constructeurs, semble réservé à l'accueil. Le rez-de-chaussée, à l'architecture toujours soignée mais quelque peu opportuniste en ce qui concerne les remplois des bases, est divisé par une cloison légère, témoignant peut-être de la juxtaposition de plusieurs activités. D'autres modifications semblent avoir eu plus de conséquences : la suppression de la grande porte orientale a pu bouleverser les circulations dans et autour du bâtiment et modifier l'utilisation de la pièce ; la suppression des latrines paraît être un recul dans l'équipement domestique de l'édifice, alors que la création ou la modification d'une cheminée implique l'inverse.

La fonction générale du bâtiment ne semble donc pas avoir changé par rapport à la phase 3 : la fonction d'hôtellerie est certainement toujours remplie au 14e siècle.

CHAPITRE 4. PÉRIODE 3, PHASE 5 : LE CHANGEMENT D'AFFECTATION DU BÂTIMENT 2 (14E-15E SIÈCLES)

Chapitre 4. Période 3, Phase 5 : Le changement d'affectation du bâtiment 2 (14e-15e siècles)

Émeline Marot

La période 3 commence par une phase de travaux importants dans le bâtiment 2 (phase 5), comprenant une refonte de l'organisation de l'étage, des remaniements importants des ouvertures et des circulations et enfin l'ajout de constructions accolées (Fig. 4-1). Toutes ces transformations marquent une modification sensible de la fonction de l'édifice.

La multiplication des niveaux, l'ajout de fenêtres (Fig. 4-8) et la modification des accès indiquent un changement fonctionnel des étages, répondant à des besoins différents de ceux de la phase précédente. La grande salle sous charpente, dont le décor avait été remanié à la fin du 13e ou au début du 14e siècle, a été divisée pour former des pièces plus réduites en hauteur mais également en superficie si l'on restitue la présence de cloisons en matériaux légers. L'absence de décor peint aux étages marque également un changement important, impliquant une fonction résidentielle uniquement, sans volonté ostentatoire. Toutefois, les reprises de maçonneries ont été soignées, et les différentes réparations indiquent une volonté de conserver l'édifice en bon état.

Le rez-de-chaussée subit différentes transformations, parfois mal datées et dont une partie nous est inconnue du fait de l'arasement des sols intérieurs. La cloison est restée en usage, un aménagement a été réalisé dans les murs à l'est et la tourelle a été modifiée. Le décor peint du rez-de-chaussée a été mis au goût du jour, contrairement aux étages où il semble avoir été supprimé. L'ajout de bâtiments annexes au nord à l'emplacement de l'ancien cimetière marque également une rupture avec la phase précédente (Fig. 4-26).

L'organisation de l'édifice a donc changé lors de cette phase, la priorité étant donnée à la création de pièces plus réduites, tout en conservant un espace décoré au rez-de-chaussée, servant peut-être à l'accueil ; la fonction de stockage a pu être en partie remplie par les annexes construites au nord. Ces changements peuvent correspondre soit à une évolution des besoins de l'hôtellerie, la fonction d'accueil aux 14e-15e siècles revêtant peut-être une signification différente qu'aux 12e-13e siècles, la priorité ayant pu être donnée à l'aménagement de chambres individuelles, soit à un changement d'utilisation du bâtiment. Nous savons que le bâtiment 2 correspond à la maison du Grand Prieur à la fin du 17e siècle, mais sa fonction a peut-être changé dès le 15e siècle.

La période 3 commence par une phase de travaux importants dans le bâtiment 2, comprenant une refonte de l'organisation de l'étage, des remaniements importants des ouvertures et des circulations et enfin l'ajout de constructions accolées au bâtiment (Fig. 4-1, 4-29, 4-30). Toutes ces transformations marquent une modification sensible de la fonction de l'édifice.

4.1 Les transformations des étages du bâtiment aux 14e-15e siècles

La pièce de 11 m de haut couverte directement par la charpente aux phases précédentes a été divisée lors de la phase 5 pour créer trois niveaux dans le volume initial (deux étages et un niveau de comble, Fig. 4-2). Ces travaux ont entraîné des modifications importantes des élévations : des ouvertures sont réduites ou supprimées, tandis que de nouvelles sont créées et des accès aménagés (Fig. 0-71).

4.1.1 La création d’étages et la transformation des ouvertures existantes (Ens.3006, Agr.1006)

4.1.1.1 L'aménagement de planchers pour la création de deux nouveaux étages (niveaux 3 et 4)

La construction des nouveaux étages a été réalisée par l'insertion de corbeaux dans les murs pour supporter deux planchers (PLF 513 -516 -628  et PLF 644 ) afin de former trois niveaux de 3 m de haut environ (Fig. 4-2).

Le plancher du niveau 3 (PLF 513 -516 -628 ), nouvellement créé, était supporté par six corbeaux conservés dans le mur sud (UC 30024, 30025, 30026, 30078, 30079, 30080, Fig. 0-38, 4-3), quatre autres dans le mur nord (UC 30092, 30095, 30248, 30250, Fig. 0-40, 4-4) et un unique corbeau situé dans le mur pignon ouest, contemporain d'une reprise importante du mur au moins au niveau 2 (UC 30136, Fig. 0-32). Les éléments manquants sont dus aux remaniements des ouvertures et des sols à la période moderne, mais il est possible de restituer l'organisation originelle du plancher.

Les corbeaux en quart de rond de forme identique sont hauts de 25 cm pour 30-36 cm de large, et 40 cm pour le corbeau isolé 30136. Ils sont placés en vis à vis et étaient certainement au nombre de huit par mur pour la partie conservée, espacés de 1,8 m, 2,3 m, 1,5 m, 2 m, 2 m, 2,3 m et 2 m. Ces corbeaux supportaient probablement les sommiers, orientés nord-sud, qui eux-mêmes supportaient les solives du plancher (Fig. 4-5) La portée de 10 m des sommiers semble importante, mais le corbeau 30136, situé dans le pignon ouest, plus bas que ceux des murs gouttereaux, semble indiquer la présence d'une poutre de renfort orientée est-ouest. Or, si elle reposait contre le pignon ouest d'un côté, cela implique l'existence d'un mur de refend, d'une cloison ou d'une file de supports intermédiaires pour supporter l'autre extrémité de la poutre et son prolongement dans le reste de l'édifice.

Au niveau 4, le plancher PLF 644  est attesté par quatre corbeaux dans le mur pignon M.501 , dont la disposition laisse supposer l'existence d'un cinquième par symétrie (UC 30111, 30112, 30113, 30127, Fig. 0-32, 4-6). Ils mesurent 25 cm de haut pour 25 à 30 cm de large et sont espacés de 1,5 et 2,3 m, et sont situés à 0,8 et 1 m de distance des murs gouttereaux. Ils sont placés 25 cm au-dessus du sommet des murs, ce qui implique une structure de plancher indépendante des murs latéraux. L'aménagement des corbeaux et des baies associées (cf. 4.1.2) indique qu'aucune ferme de la charpente avec entrait n'était collée contre le mur pignon à ce moment, que cela résulte de l'organisation d'origine ou d'un réaménagement de la charpente.

La structure du plancher peut être restituée : les corbeaux portaient un bois parallèle au mur, qui, lui, soutenait les solives orientées est-ouest. Elles reposaient donc à l'autre extrémité sur les entraits des fermes principales de la charpente, dont l'espacement fournissait les intervalles nécessaires sur toute la longueur du bâtiment. Les solives pouvaient ainsi être réparties régulièrement et disposaient de points d'appui suffisants, ce qui n'aurait pas été le cas avec des sommiers perpendiculaires au pignon et des solives orientées nord-sud.

L'étage ainsi créé mesurait donc plus de 3 m au plus haut, mais la forme de la charpente réduit l'espace disponible (Fig. 4-2). Il est possible qu'un lambris ait été installé au plus tard à cette phase, s'il ne l'a pas été lors de la phase précédente, les traces de clous sur les bois en remploi ne pouvant être datées précisément (Avrilla 2012a).

4.1.1.2 La réduction des fenêtres et le bouchage de la porte du niveau 2

La hauteur des corbeaux placés pour supporter le nouveau plancher du niveau 3 étant incompatible avec les ouvertures préexistantes de l'étage, elles ont toutes été modifiées (Fig. 0-27).

La baie du mur nord (BAI 643 ) a ainsi été transformée : la structure interne de baies géminées a certainement été supprimée, mais le couvrement en grands blocs fermant l'ouverture en partie haute a été conservé, puisqu'il coïncidait avec le niveau du nouveau plancher (Fig. 0-40). Une nouvelle maçonnerie visible à l'extérieur était donc destinée soit à fermer entièrement la baie, soit à la boucher partiellement tout en soutenant les blocs de la partie supérieure. La transformation de l'ouverture en porte lors de la phase 9 a détruit les éléments qui permettraient de s'en assurer.

Au sud, la porte située à l'étage à l'angle sud-ouest (POR 512 ) a été bouchée au moment de l'installation du corbeau UC 30026. Ce bouchage est constitué de moellons recouverts de mortier côté intérieur, mais il est plus soigné à l'extérieur, effaçant presque l'emplacement de la porte par l'insertion de blocs de moyen appareil très similaires à ceux de la construction d'origine (Fig. 0-37, 0-38). Seul l'extrados de l'arc couvrant la porte est encore partiellement identifiable, les claveaux ayant été retirés et la reprise s'étendant de l'arc couvrant le passage jusqu'en haut du contrefort adjacent à la porte (Fig. 3-18). Il semble donc s'agir d'une restauration soignée, destinée à conserver l'homogénéité de la façade, tandis que le mur était probablement enduit et peint à l'intérieur.

Les deux baies créées lors de la phase 3 dans le mur sud, FEN 511  et 519 , sont réduites en hauteur afin de correspondre au niveau du plafond. Ces transformations ne sont visibles que sur la fenêtre 511 , mais la fenêtre 519 , remaniée par la suite, a probablement connu les mêmes changements. L'intervention est minimale : une plate-bande clavée est insérée sous le linteau couvrant originellement la fenêtre 511 , sans perturber le reste de l'ouverture (Fig. 3-18, 3-20). Le niveau 2 reste ainsi éclairé par les ouvertures existantes, sans nouveau percement lors de cette phase.

4.1.2 La création de nouvelles ouvertures aux niveaux 3 et 4 (Ens.3006)

4.1.2.1 Les ouvertures du niveau 3

De nouvelles fenêtres ont été nécessaires pour éclairer les niveaux 3 et 4, nouvellement aménagés (Fig. 0-28). Le niveau 3 est ainsi pourvu de cinq baies dans la partie conservée du bâtiment : une dans le mur sud M.505  (FEN 517 ), deux dans le pignon M.501  (FEN 531  et 532 ) et deux dans le mur nord M.506  (FEN 526  et 530 ).

La disposition en quinconce des baies dans les murs gouttereaux permet de restituer cinq ouvertures par mur, réparties entre les contreforts, en décalage par rapport aux baies du niveau 2.

Ces fenêtres sont aménagées par le percement des maçonneries antérieures, mais elles constituent des interventions très limitées, puisque seuls quelques blocs ont été retirés avant l'ajout de blocs formant le couvrement et, pour certaines baies, les piédroits (Fig. 0-31, 0-71). Il s'agit de baies rectangulaires chanfreinées mesurant à l'extérieur 1,07 m de haut pour 77 cm de large, couvertes de plates-bandes clavées (Fig. 4-7). À l'intérieur, elles sont couvertes d'arcs surbaissés extradossés et l'embrasure montant de fond mesure 2 m de haut pour 1,15 m de large (Fig. 4-8, 4-9). La baie du mur gouttereau sud est placée au niveau du plancher, tandis que les baies du mur nord sont surélevées de 25 cm, celles du pignon sont surélevées de 30 cm environ et sont plus hautes de 10 cm (Fig. 0-71).

La création de ces ouvertures a entraîné la destruction partielle de la corniche peinte et de la frise. Le décor de la phase 4, à présent interrompu à de nombreux endroits et tronqué par la création des étages, ne semble donc plus avoir la même importance à partir de la phase 5.

4.1.2.2 Les ouvertures du niveau 4

Au niveau 4, sous comble, deux baies identiques à celle du niveau 3 ont été aménagées dans le mur pignon, et dans le même axe, de part et d'autre du contrefort central (FEN 533  et 534 , Fig. 4-7). Ces baies rectangulaires chanfreinées sont couvertes à l'extérieur de plates-bandes clavées et d'arcs surbaissés à l'intérieur (Fig. 4-10). Elles ont été condamnées après la destruction partielle de l'édifice au début du 19e siècle et la création d'une charpente plus basse que l'originale.

Ce niveau était également éclairé par des lucarnes, représentées sur plusieurs documents iconographiques anciens. Leur nombre est toutefois incertain, les dessins n'étant pas nécessairement concordants, mais il existait probablement une lucarne au nord dans la partie orientale (Fig. 0-183) et deux à trois côté sud (Fig. 0-177, 0-179). Un relevé en élévation du 18e siècle, représentant le bâtiment de façon plus détaillée, montre une lucarne à croisée et à fronton orné de crochets sur les rampants et d'un fleuron au sommet, une forme caractéristique des 14e et 15e siècles (Fig. 0-166, Lefebvre 2007 : 13). Aucune trace matérielle n'a été conservée de ces ouvertures, la charpente ayant été entièrement démontée au 19e siècle.

Les baies percées dans le pignon aux niveaux 3 et 4 sont les premières ouvertures attestées dans ce mur, qui était aveugle jusqu'à cette phase.

Toutes ces ouvertures semblent correspondre à une unique phase de construction, les baies insérées dans les murs étant très similaires entre elles et compatibles avec la datation des 14e et 15e siècles des lucarnes. La baie 531  a de plus été aménagée en même temps que le corbeau 30111, ce qui confirme la contemporanéité de l'ensemble des travaux et permet de dater la phase 5 des 14e et 15e siècles.

4.1.3 Les consolidations et modifications ponctuelles (Ens.3006)

Outre les transformations liées aux planchers et aux ouvertures, des reprises ponctuelles des maçonneries ont été identifiées pour la phase 5.

Il s'agit notamment d'une partie du mur pignon 501  au niveau 2, dont la modification ne semble pas uniquement liée à l'insertion du corbeau 30136 (Fig. 0-32). Ce tronçon construit en moellons et mortier couvrant, très semblable au bouchage de la porte 512  au même niveau, pourrait témoigner de la destruction d'un aménagement antérieur, comme une cheminée située derrière le contrefort central. Toutefois, l'installation d'une cheminée à l’époque moderne et les enduits récents ont masqué les indices éventuels.

Au niveau 3, les angles des murs gouttereaux ont été consolidés, à la suite de désordres structurels qui ont provoqué des fissures. Elles ont été bouchées à l'intérieur comme à l'extérieur dans le mur 505 , interrompant les peintures antérieures, et une partie du mur 505  a été reparementée côté extérieur (UC 30537, Fig. 0-39). De plus, le contrefort 557  a été partiellement reconstruit avec des blocs de moyen appareil plus petits que ceux de la construction d'origine (UC 30237).

Ces modifications indiquent une volonté d'entretenir l'édifice, de restaurer les parties fragilisées, afin d'assurer la stabilité de l'ensemble au moment où la structure interne est remaniée.

4.1.4 L'aménagement d'un escalier au sud du bâtiment

4.1.4.1 L'occupation extérieure au sud (Ens.4089)

Au sud du bâtiment, dans le secteur 1 situé à l'est de la tourelle, un ensemble de couches témoigne d'une circulation extérieure, après le chantier de la phase précédente.

Une première série de couches de poudre de tuffeau et de limon gris a été datée des 14e-15e siècles par les quelques tessons de céramique découverts (Agr.549 ; groupe technique to4b). Au-dessus, une sorte de chemin orienté est-ouest a été aménagé (F.1136 ), associé à trois trous de piquet (F.1103 , 1104 , 1105 , Agr.548). Le fait F.1136 , observé sur plus de 6 m de long, était constitué d'une superposition de couches de tuffeau, de sable et de galets tassés, déposés dans une petite dépression de 1 m de large pour 15 cm de profondeur, creusée dans les couches sous-jacentes, à 51,65 m NGF environ (Fig. 4-11). Cet aménagement correspond au ragréage du sol de la cour sur une durée indéterminée et les couches d'occupation qui le recouvrent correspondent à l'agrégation 547.

La composition du Fait 1136  indique qu'il s'agit d'une zone régulièrement érodée, mais sa position, partant de l'angle de la tourelle, fait pencher pour une érosion due à l'eau : peut-être existait-il un appentis contre la façade sud du bâtiment, ayant entraîné la détérioration du sol à cet endroit. La datation de ces couches est imprécise, mais la céramique semble indiquer le 14e siècle (groupes techniques to4b ; to2a).

4.1.4.2 La construction d’un escalier droit (Ens.4088)

Après ces couches de circulation et de ragréage des sols, le mur M.1003  a été construit à l'angle nord-est du secteur 1, correspondant à la base d'un escalier maçonné dont l'extrémité ouest uniquement a pu être observée dans l'emprise de la fouille (Fig. 4-1).

Le mur M.1003 , formant un petit massif de 2,5 m de large, a été construit contre le mur M.1002  après l'arasement du contrefort CTF 1245  au niveau du sol extérieur (Fig. 4-12, 4-13). Le premier état de la maçonnerie est constitué d'un radier qui semble aménagé sans fondation au-dessus du sol de la cour avec un plan irrégulier, des blocs dépassant à l'angle pour servir de renforts. Au-dessus, une maçonnerie irrégulière de blocs de moyen appareil et de moellons de tuffeau liés au mortier de chaux a été construite, formant l'angle sud-ouest de l'édicule et ménageant une petite porte au nord contre le mur gouttereau du bâtiment. Le côté sud de la petite pièce ainsi formée est constitué d'un bloc étroit qui semble correspondre au bouchage d'un autre passage. La porte POR 1026  mesure 60 cm de large, présente une feuillure interne avec des traces d'encastrement d'huisseries ou d'un système de fermeture, et un seuil formé de plusieurs blocs posés sur l'arase du contrefort plus ancien, situé à 51,8 m NGF environ. La porte ouvrait sur une petite pièce au sol couvert de carreaux de dimensions variées (15 à 20 cm de côté, SOL 1007 , Fig. 4-14). Cet aménagement est contemporain d'une petite niche dans le mur 1001  (NCH 1162 ). Les maçonneries indiquent une construction en plusieurs étapes, mais il est difficile de dater chaque partie. La chronologie relative indique que le mur 1003  a été construit après le 14e siècle et avant le dépôt de couches d'occupation dont la datation reste incertaine, 15e ou 17e siècle (Ens.4100, cf. 5.2).

La position de la porte et des sols indique un décalage de 60 cm environ entre le sol intérieur du bâtiment et les niveaux de circulation extérieurs.

La restitution de la forme complète de cette maçonnerie peut être proposée en se fondant sur les plans et les vues du bâtiment à la période moderne. Ils montrent une construction de 5,5 m de long pour 2,5 m de large formant un escalier à rampe droite accolé contre le mur gouttereau (Fig. 0-165, 0-180). Cet aménagement est également représenté sur la vue du Monasticon Gallicanum et de façon plus schématique sur la vue de Gaignières (Fig. 0-177, 0-179).

Ces éléments permettent de restituer un escalier droit sous lequel a été aménagé un cagibi au sol carrelé. Les dimensions indiquées sur le plan du 18e siècle coïncident avec les vestiges et l’édicule formant la base de l'escalier semble donc ne pas avoir été modifié jusqu'à cette date. En revanche, il est probable que la volée d'escalier a subi des transformations : il s'agit probablement d'un escalier en pierre porté par un arc dans son premier état, mais nous savons qu'à la fin du 18e siècle, il prend la forme d'un escalier en bois couvert attesté par le procès-verbal de 1797 (Fig. 0-195), et la peinture de C.-A. Rougeot (Fig. 0-182).

L'escalier débouchait au niveau 2 soit vers la pièce de l'étage, par une porte ouverte dans le mur gouttereau, comme ce qui est représenté sur le plan de Cassas (Fig. 0-180), soit vers l'ancienne tourelle de latrines, dans l'alignement de la volée de marches.

L'étage semble donc à cette phase accessible directement depuis l'extérieur côté sud, mais nous ignorons si un accès complémentaire a été créé à l'intérieur, perçant les voûtes du rez-de-chaussée.

4.1.4.3 La fonction de l'ancienne tourelle de latrines (Ens.4095)

La transformation de l'ancienne tourelle de latrines en escalier est attestée pour la période moderne, après une reconstruction de l'élévation (phase 8, cf. 7.1.4.1), mais sa fonction avait peut-être évolué dès la phase 5. En effet, après la création des étages supplémentaires, de nouveaux accès étaient nécessaires et la tourelle, par sa hauteur, fournissait un accès possible. Toutefois, aucun indice matériel ne permet de confirmer cette interprétation pour les parties hautes de la tourelle.

En partie basse en revanche, les transformations sont attestées par des aménagements de sols dans l'emprise de la tourelle, au-dessus des remblais de la phase précédente (Fig. 0-68). Des couches de remblais de tuffeau constituent la préparation du sol, en régularisant les remblais jusqu'à atteindre un niveau horizontal (Agr.821). Au-dessus, une couche de mortier de chaux gris friable est surmontée d'une autre couche plus solide constituant l'assise des carreaux de 17 cm de côté dont les empreintes sont encore visibles (F.1367 , Agr.820, Fig. 4-15). Seuls deux carreaux ont été conservés en place, les autres ayant été récupérés. Le sol ainsi formé était situé à une altitude de 51,35 m NGF. Au sud, une limite rectiligne dans le mortier semble indiquer la présence d'une pièce de bois encore insérée dans les trous de boulins situés au sud des murs est et ouest de la tourelle. Sa fonction est inconnue et la poutre semble avoir été retirée avant la construction du sol suivant.

Après la récupération des carreaux, l'intérieur de la tourelle a été remblayé sur une quinzaine de centimètres (Agr.819), avant la construction d'un sol carrelé similaire au premier, comportant un niveau de mortier de chaux gris sur lequel ont été posés des carreaux de terre cuite de 16 et 19 cm de côté, attestés uniquement par leurs empreintes (F.1358 , Agr.818, Fig. 4-16, 4-17). Ce nouveau sol était situé à environ 51,5 m NGF et occupait toute la surface intérieure de la tourelle.

Le mobilier en céramique contenu dans les remblais et les deux sols indique une datation du 15e siècle pour ces aménagements intérieurs de la tourelle (groupe technique to8c).

Ces deux carrelages successifs, situés plus bas que le niveau de circulation extérieur contemporain (F.1136  : 51,65 NGF), mais plus haut que le sol intérieur, constituent le sol d'une petite pièce de 4 m2 environ pour laquelle aucun accès contemporain n'a été identifié (Fig. 0-68). Les maçonneries de la tourelle comme du mur gouttereau s'élèvent plus haut que les carrelages, sans ouvertures pour les murs les plus hauts et sans traces d'usure caractéristique d'un seuil pour le mur M.1030 , plus bas que les autres. Notons toutefois que le mur M.1005 -1029  a été partiellement remanié au-dessus de 53 m NGF.

Aussi, la pièce était peut-être accessible par une trappe depuis l'étage, constituant un espace de stockage ou une cache, la tourelle ayant ainsi trouvé une nouvelle fonction au moins au niveau 1.

4.2 Des aménagements internes au rez-de-chaussée

4.2.1 L'occupation contemporaine de la cloison F.1111  (Ens.4073)

La cloison F.1111 , construite lors de la phase précédente, est restée en fonction pour une durée difficile à déterminer (Fig. 4-1). L'état de conservation des couches d'occupation montre en effet que cet espace a été fortement perturbé par l'arasement qui intervient lors de la phase suivante, avant le dépôt de remblais couvrant l'ensemble (Ens.4072, cf. 5.6).

Les traces de l'occupation contemporaine de la cloison sont très lacunaires (Agr.554) et difficiles à associer avec des structures plus éloignées (Agr.572, 553). Des lambeaux de couches d'occupation sont conservés à distance de la cloison, contenant des fragments de carreaux glaçurés verts, appartenant peut-être à un sol intérieur détruit (Agr.759, US 40540). Deux fosses très peu profondes accolées au muret sont difficiles à interpréter : sont-elles liées à la construction ou à un réaménagement de la cloison (F.1110  et F.1114 ) ? Seule couche montrant un effet de paroi, l'US 40538 indique que la cloison est restée en utilisation pendant que des dépôts s’accumulaient à l'est, avant la destruction de la structure et la formation de couches d'occupation recouvrant cette zone (Agr.554 et Ens. 4072).

À quelques mètres à l'ouest de la cloison, une zone limitée a été rubéfiée, associée à un petit foyer (F.1139 , Agr.572), avant d'être recouverte par des couches d'occupation entre lesquelles s'intercale le creusement d'une petite fosse (F.1159 , Agr.553). Il est toutefois difficile de comparer ces structures avec celles observées près du muret. À l'extrémité orientale du bâtiment, aucune couche contemporaine n'a été identifiée.

L'ensemble du mobilier en céramique indique une datation du 14e siècle ou du premier quart du 15e siècle (groupe technique to3e ; to1j ; to7b ; to4b ; to6a ; to5a ; to2a ; to5b), ce qui implique un hiatus chronologique correspondant au reste du 15e siècle entre les phases 4 et 5 (cf. 5.6). La caractérisation fonctionnelle de chacun des deux espaces séparés par la cloison est donc difficile du fait de la mauvaise conservation des couches d'occupation, mais des traces dans les murs apportent des éléments complémentaires.

4.2.2 Des trous d'encastrement dans les murs (Ens.4047)

Dans le mur pignon M.1014 , au moins six trous répartis régulièrement sont identifiés, mesurant 15 cm de large pour 20 cm de haut et 15 cm de profondeur environ, dont la base est située à 51,6 m NGF (Fig. 4-18). D'autres trous dans les murs M.1001  et M.1002  sont situés plus haut, à 51,95 m NGF, au niveau d'une série de trous de boulins correspondant à la phase de construction initiale. Cinq nouveaux creusements sont visibles dans le mur nord M.1002 , tandis que dans le mur M.1001 , deux trous seulement sont visibles, dont la nature n'est pas certaine (trous de boulin ou creusements?). Les trous sont répartis de façon plus irrégulière dans les deux murs gouttereaux que dans le pignon, les reprises des parements ayant pu en masquer certains. Tous les trous sont situés dans les maçonneries les plus anciennes, à l'est de la cloison F.1111 , qui constituait peut-être une limite à ce moment, en séparant deux pièces à la fonction différente, la pièce orientale seule ayant été aménagée avec ces creusements. La disposition des trous indique une possible superposition : les bois orientés est-ouest dans le mur 1014  soutiendraient les bois orientés nord-sud insérés dans les deux autres murs (Fig. 2-10).

Toutefois, l'utilisation synchrone de ces éléments n'est pas certaine, de même que leur datation. Ils ont été creusés au niveau des trous de boulin originels, ce qui peut indiquer une réutilisation opportuniste, qui a pu avoir lieu à différents moments. En effet, la chronologie des trous d'encastrement ne repose que sur quelques indices. Ils sont postérieurs à la phase 4 puisque certains d'entre eux sont creusés dans le bouchage de la porte POR 1250 . Au moins un des trous est antérieur à la rubéfaction qui a touché le bâtiment lors de la phase 6, mais il est difficile d'assurer qu'il est contemporain des autres. Certains des trous ont été bouchés lors de la phase 6 (Ens.4038), alors que d'autres sont toujours visibles. Aussi, une partie de cet ensemble 4047 placé dans la phase 5 pourrait être plutôt associée à la fin de la phase 6, au moment où certains des trous (dans le mur 1014  notamment) ont été assurément réutilisés, si ce n'est creusés à ce moment-là (cf. 6.2.1, Ens.4036).

4.3 Le remplacement du décor peint (Ens.3006, 4046)

Le troisième état du décor est identifiable presque exclusivement par des blocs lapidaires découverts en fouille, très peu de traces ayant été conservées en place sur les murs (problème de conservation ou d’identification ?). En zone 3 comme en zone 4, le décor de la phase 4 et les traces d'ocre jaune ont été recouverts par de simples badigeons de chaux. En revanche, l'étude du lapidaire révèle plusieurs types de décors postérieurs aux aplats d'ocre jaune, associés à un fond blanc. Toutefois, la contemporanéité des différentes traces n'est pas certaine.

Parmi les blocs appartenant au deuxième état des voûtes du rez-de-chaussée décrit précédemment, seize portent deux états successifs de décor : la peinture ocre jaune correspondant à la phase 4, puis un badigeon blanc recouvert de peinture rouge, noire et jaune (Fig. 3-7). Le lait de chaux semble mal adhérer aux blocs recouverts d'ocre : il est généralement conservé uniquement sous forme de traces, ce qui pourrait expliquer l'absence de cette phase du décor sur certains des blocs.

Les blocs les mieux préservés montrent que la face inférieure des ogives était décorée d'une file de losanges parfois irréguliers formés par des tracés rouges et un aplat jaune, les intervalles étant colorés en noir ou gris. Des lignes rouges longitudinales sont dessinées sur les chanfreins tandis que quelques traces de peinture noire sur le jaune semblent indiquer des décors complémentaires (LAP 391, Fig. 3-9). Le bloc LAP 398 montre deux aplats rouge et gris séparés par un trait noir, indiquant peut-être des variations dans les couleurs des losanges sur les ogives.

Un autre bloc provenant des couches de démolition du bâtiment porte, au-dessus du pigment ocre jaune, un enduit fin recouvert d'un aplat rouge et de traits blancs, noirs et gris. Les couleurs et le motif des traits, en diagonale, indiquent une parenté avec le décor porté par les ogives (bloc US 40627).

Un autre bloc qui pourrait appartenir à une cheminée porte un décor de larges rinceaux rouge-orangé et d'aplats bordeaux sur un fond blanc-beige (LAP 404, Fig. 3-22), apposés au-dessus des pigments ocre jaune de l'état précédent. Les coulures de la peinture rouge indiquent la position du bloc, à l'angle du manteau d'une cheminée, probablement ornée d'un bandeau de rinceaux formant un arc sur la face antérieure.

La datation de ces différentes traces de décor est difficile à établir et leur contemporanéité n'est pas assurée. Les losanges ou les formes géométriques sont attestés du 12e au 14e siècle (Le Deschault de Monredon 2015 ; Terrier-Fourmy 2002), tandis que les rinceaux du bloc de la cheminée sont réalisés avec un pigment sensiblement différent, indiquant peut-être un autre état du décor. Des traces de rinceaux et de quintefeuilles ont en outre été identifiées sur le lapidaire et les murs du rez-de-chaussée, mais pourraient être associées à la phase précédente en se fondant sur les indices chronologiques, sans certitude (LAP 405, UC 41208, 41269, cf. 3.1.5.2).

Ces éléments indiquent qu'un nouveau décor a été appliqué sur les voûtes du rez-de-chaussée, probablement au cours du 14e siècle. Le niveau 1 remplissait peut-être une fonction de réception, en complément d’une fonction de stockage, comme certains niveaux bas de maisons laïques au Moyen Âge, et son décor aurait été remis au goût du jour au cours de la phase 5, recouvrant le premier état du décor où l'ocre jaune dominait.

Pour ce qui est des étages, il n'y a pas d'attestation directe d'un décor : les murs ne semblent pas en porter de traces, aucun décor n'est associé aux nouvelles baies de l'étage et seul un bloc hors contexte indique l'existence d'une cheminée peinte, non localisée. Le remaniement des étages comme les décors attestés par le lapidaire sont postérieurs au décor ocre jaune, mais il est difficile d'assurer leur contemporanéité à cause de l'imprécision des datations et de l'absence de relations stratigraphiques directes.

Les étages ont pu être traités différemment du rez-de-chaussée. La création de niveaux multiples remplaçant la grande salle originelle probablement aux 14e-15e siècles a certainement détérioré et rendu caduc le décor de la phase précédente, conçu pour une pièce haute sous charpente. Le badigeon blanc observé est bien postérieur au percement des fenêtres des niveaux 2 à 4 et à la création de nouveaux planchers, mais a-t-il été appliqué à la fin des travaux ou plus tard, entre les 16e et 18e siècles, dans un but d’entretien, comme l'envisage Véronique Legoux (Legoux 2013 : 10) ? Si ce badigeon constitue le seul revêtement des murs des étages dès les travaux des 14e-15e siècles, il a pu coexister avec un décor au rez-de-chaussée, qui remplissait une fonction différente.

4.4 La construction de bâtiments accolés au nord au 15e siècle

4.4.1 La construction d'une annexe semi-enterrée au nord du bâtiment 2

Après l’arrêt des inhumations dans le secteur fouillé, plusieurs constructions ont été observées au nord du bâtiment 2 (Fig. 4-1). Les couches recouvrant les dernières sépultures côté nord correspondent à un remblai peu épais surmonté d'une couche de mortier semblant constituer un niveau de sol dont seul un lambeau est conservé (US 40148, Ens.4018).

Au sud du secteur, une bande de 2 m de large environ a été perturbée par le creusement d'une tranchée longeant le mur 1002  et le contrefort CTF 1127  (F.1033 , Ens.4017, Fig. 4-19, 4-20). Cette tranchée est profonde de 20 cm environ à l'est et de 40 cm à l'ouest, où le fond plat forme le niveau de construction du mur M.1004 , perpendiculaire au mur gouttereau M.1002 . La tranchée, après la construction du mur, a été comblée avec des remblais contenant du tuffeau concassé et du mortier, vestiges du chantier de construction, puis des couches d'occupation ont scellé l'ensemble (Ens.4016, cf. 4.4.3).

Le mur M.1004 , large de 75 cm, a été observé sur 1,8 m de long, son extrémité nord ayant été perturbée par la construction de M.1011  dans son prolongement (Fig. 0-51). Il est construit en partie basse en tranchée aveugle comblée de moellons et de mortier de chaux, tandis que la partie supérieure présente des techniques de construction différentes. La face orientale du muret forme un assemblage irrégulier de blocs de moyen appareil et de moellons de tuffeau liés au mortier de chaux, certains étant posés sur une arête (Fig. 4-21), tandis que le côté occidental comporte un parement et des assises plus régulières (Fig. 4-22).

Ce mur a un pendant situé à 7,2 m à l'ouest, mesurant 75 cm de large pour une longueur observée de 1,5 m, qui présente lui aussi un parement régulier et un autre irrégulier (M.1018 ). Cette technique indique que ces murs délimitent une pièce semi-enterrée aménagée au nord du bâtiment 2 (Fig. 4-1, 4-23). Le niveau de sol intérieur était situé à 51,2 m NGF tandis que le niveau de circulation à l'extérieur est à 52,7 m NGF environ (sur US 40045). L'extension des murs de cette pièce vers le nord est inconnue, les maçonneries ayant été modifiées au 18e siècle.

Une porte a été créée dans le mur 1002  pour faire communiquer le rez-de-chaussée du bâtiment 2 avec la nouvelle pièce (POR 1345 ). Elle est située au centre d'une travée, ce qui pourrait indiquer l'agrandissement d'une baie préexistante. Une partie du mur 1002  a été remaniée en même temps que la création de la porte et la construction du mur M.1018 . Ce dernier a ainsi été chaîné avec le mur 1002  grâce à une maçonnerie irrégulière de moellons, recouverte de mortier de chaux (UC 43025).

L'embrasure de la porte a été créée en bûchant le mur originel (UC 42780-42781) jusqu'au niveau de la semelle de fondation en préservant les blocs du parement intérieur pour aménager une feuillure et des piédroits chanfreinés (Fig. 0-55, 0-49). L'embrasure a été reparementée côté est, avec la reprise du piédroit et d'une partie du parement nord du mur M.1002  (UC 43016-43226, Fig. 4-24). Côté ouest, la maçonnerie est irrégulière, les blocs d'origine ont été bûchés avant l'application d'un enduit couvrant (UC 43227, Fig. 4-25). Un seuil a ensuite été aménagé directement au-dessus des fondations, le dessus étant situé à 51,3 m NGF, soit légèrement au-dessus du niveau de sol intérieur du bâtiment 2 (UC 42800). Un sol de pavés dont seuls quelques blocs sont conservés est attesté dans l'embrasure de la porte (UC 43200, Fig. 4-26).

La porte mesure 1,2 m de large au sud pour 1,5 m au nord, l'ouverture du battant se faisant donc vers la pièce nord. Le système de fixation et de fermeture de la porte est encore visible : des petits trous carrés de 4 à 7 cm de côté associés à des fiches métalliques sont visibles de chaque côté de l'embrasure, dans une zone bûchée par la suite ; à l'est, un trou carré de 12 cm de côté et d'au moins 80 cm de profondeur pourrait correspondre à un premier système de fermeture, à moins qu'il ne s'agisse d'un trou de boulin utilisé lors des transformations. Côté ouest, le piédroit intérieur comporte une rainure irrégulière verticale de 5 cm de large creusée dans les blocs d'origine du mur M.1002 .

La pièce, dont le seul accès connu est la porte POR 1345 , était donc semi-enterrée et ouvrait au niveau du sol intérieur du bâtiment, mais nous ignorons tout de son élévation et de sa couverture. Il pourrait s'agir d'un cellier, mais cette hypothèse est difficile à vérifier, étant donné l'absence de couches correspondant à l'occupation intérieure : les sols ont été détruits, comme en témoignent les vestiges des pavés, avant l'abandon et le remblaiement complet de la pièce lors de la phase 7. Sa datation repose donc sur la fouille de la tranchée F.1033 , à l'est du mur 1004 , qui indique un chantier se déroulant avant le milieu du 15e siècle, l'essentiel des tessons de céramique correspondant à du mobilier redéposé des 11e-14e siècles (groupes techniques to7b ; to1k ; to4b ; to1L).

4.4.2 D'autres constructions au nord-est (Ens.4017)

Plus à l'est, des observations ont pu être faites sur le mur M.1002  et sur des maçonneries accolées, mais elles ont été limitées, le secteur n'ayant pas été fouillé (Fig. 4-1). La chronologie relative des constructions fournit ainsi peu d'indications pour associer ces murs au bâtiment précédemment décrit ou au porche situé à l'est.

Le mur M.1015  a été construit perpendiculairement au mur M.1002  : il mesure 65 cm de large et 2,9 m de long, son extrémité formant un retour d'équerre vers l'est, sur 1,2 m environ (Fig. 4-27). Cette forme semble impliquer qu'il s'agit du côté ouest d'une construction accolée au mur gouttereau nord, mais aucun mur présentant une technique identique n'a été repéré à l'est.

Il a été construit en blocs de moyen appareil de tuffeau liés au mortier de chaux, formant des assises et un parement régulier. Il a été accolé contre le parement nord de M.1002 , sans reprise de la maçonnerie. À l'est de ce mur, le parement de M.1002  semble toutefois avoir été par la suite partiellement bûché en partie haute, mais le parement est resté intact plus bas. À trois mètres à l'est, le parement de M.1002  est recouvert d'un mortier de tuileau orangé, qui a pu être mis en place dans l'emprise du bâtiment délimité à l'ouest par le mur 1015 , mais leur chronologie ne peut être établie avec certitude (Fig. 4-28).

Ce mortier est antérieur à la construction du mur M.1016 , qui semble associé à une reprise du parement nord du mur 1002 , jusqu'à l'angle de l'édifice (Fig. 4-1). Le mur a en effet été modifié sur 8,3 m de long, augmentant sa largeur de 20 cm. Le mur M.1016  a été construit à la limite de cette reprise, perpendiculaire à M.1002  et plaqué contre le mortier de tuileau. Il est construit en blocs et moellons de tuffeau formant une maçonnerie très irrégulière, n'ayant pas de parement bien défini à l'ouest. Cette technique de construction rappelle celle des murs M.1004  et M.1018 .

Si M.1015  formait le côté ouest d'un bâtiment dans un premier temps, il semble avoir été détruit ou réduit au moment de la construction de M.1016 , formant une terrasse, à 10 m à l'ouest du porche de l'église. La chronologie est incertaine en l'absence de mobilier datant, mais la technique de construction de M.1015  pourrait indiquer qu'il est le plus ancien, sans pouvoir préciser sa datation ni le lien avec la fin de l'utilisation du cimetière (phase 4), tandis que le bâtiment formé par les murs M.1004  et M.1018 , construit avant le milieu du 15e siècle, pourrait être contemporain de M.1016 .

4.4.3 L'occupation contemporaine des annexes (Ens.4016)

La tranchée F.1033 , réalisée le long du mur M.1002  et ayant servi en partie à la construction du mur M.1004  a été scellée par des couches de remblais et d'occupation résultant du piétinement pendant le chantier contenant du mortier, des charbons et des ardoises ainsi qu'un mobilier métallique et céramique abondant indiquant une datation du 15e siècle (Agr.588 ; groupes techniques to3e ; to4b).

Au-dessus d'une autre couche d'occupation située à 52,7 m NGF, d'épaisses couches de tuffeau concassé constituent des recharges d'un sol extérieur sur lequel un petit foyer a été aménagé (F.1016 , Agr.520). Près du bâtiment, une dépression correspond probablement à une érosion due au ruissellement ou à un système de drainage. La céramique contenue dans ces couches fournit une datation du 15e siècle (datation 14d-15d, groupes techniques to10 ; to11a ; to6a ; to7b ; to4b).

Ce sol, situé à 53 m NGF, est le dernier laissé en place au moment de la destruction du bâtiment au 19e siècle, puisqu'il est directement recouvert par des remblais de démolition (Ens.4001). Les couches correspondant à l'occupation postérieure, qui ont certainement entraîné un rehaussement plus important de ce côté du bâtiment, ont donc été arasées.

Une des seules traces de l'occupation postérieure est constituée par une fosse dépotoir creusée à l'angle du contrefort CTF 1127 , mesurant au minimum 1 m sur 2 m pour 1,3 m de profondeur (F.1023 , Agr.519, Fig. 0-61). Elle contenait un mobilier très abondant (métal, verrerie, céramique) mais peu d'ossements, semblant indiquer un rejet domestique spécifique. Son niveau de creusement originel n'est pas connu, mais la datation des tessons de céramique indique qu'elle n'a pas été creusée immédiatement après le sol précédemment décrit, mais au plus tôt à la fin du 15e siècle (datation 15d-16d, groupes techniques to6b ; to9b ; to4d).

4.5 Synthèse de la phase 5 : Des transformations architecturales importantes liées à un changement fonctionnel ?

Les transformations du bâtiment 2 regroupées dans la phase 5 correspondent à un remaniement important de la structure interne de l'édifice en partie haute, avec la création de nouveaux étages, et des transformations plus ponctuelles au rez-de-chaussée (Fig. 4-1).

La multiplication des niveaux, l'ajout de fenêtres et la modification des accès indiquent un changement fonctionnel des étages, répondant à des besoins différents de ceux de la phase précédente. La grande salle sous charpente dont le décor avait été remanié à la fin du 13e ou au début du 14e siècle a été divisée pour former des pièces plus réduites en hauteur, mais également en superficie si l'on restitue la présence de cloisons en matériaux légers. L'absence de décor peint aux étages marque également un changement important, impliquant une fonction résidentielle uniquement, sans volonté ostentatoire. Toutefois, les reprises de maçonneries ont été soignées, et les différentes réparations indiquent une volonté de conserver l'édifice en bon état.

Le rez-de-chaussée subit différentes transformations, parfois mal datées et dont une partie nous est inconnue du fait de l'arasement des sols intérieurs. La cloison F.1111  est restée en usage, un aménagement a été réalisé dans les murs à l'est et la tourelle a été modifiée. Le décor peint du rez-de-chaussée a été mis au goût du jour, contrairement aux étages où il semble avoir été supprimé. L'ajout de bâtiments annexes au nord à l'emplacement de l'ancien cimetière marque également une rupture avec la phase précédente.

La modélisation du bâtiment en trois dimensions pour la phase 5 montre l'ajout d'étages, entraînant la modification des fenêtres et des accès (Fig. 4-29, 4-30). Les maçonneries conservées montrent que les baies de l'étage sont réduites au sud, tandis que de nouvelles fenêtres sont percées pour éclairer les deux nouveaux étages au-dessus. Des lucarnes, visibles sur les vues modernes de l’édifice, sont associées à cette phase et donc intégrées à la modélisation. Au sud, la tourelle de latrines est transformée en tourelle d'escalier en partie haute : elle est à présent accessible par un escalier droit contre la façade, attesté en fouille et représenté sur des vues de la période moderne.

Côté nord, l'hypothèse d'un bâtiment en appentis, accessible par la porte 1345 est représentée, entraînant la destruction de deux contreforts. La forme et le nombre des ouvertures côté nord restent très hypothétiques : la baie géminée originelle semble avoir été partiellement bouchée à cette phase, donc des baies plus petites ont été représentées. Au rez-de-chaussée, les baies originelles en plein cintre ont été conservées dans la restitution, puisque la baie servant de référence ne semble pas avoir été transformée avant le 18e siècle.

Seuls les extérieurs ont fait l'objet d'une modélisation pour cette phase.

L'organisation de l'édifice a donc changé lors de cette phase, la priorité étant donnée à la création de pièces plus réduites, tout en conservant un espace décoré au rez-de-chaussée, servant peut-être à l'accueil ; la fonction de stockage a pu être en partie remplie par les annexes construites au nord. Ces changements peuvent correspondre soit à une évolution des besoins de l'hôtellerie, la fonction d'accueil aux 14e-15e siècles revêtant peut-être une signification différente qu'aux 12e-13e siècles, la priorité ayant pu être donnée à l'aménagement de chambres individuelles, soit à un changement d'utilisation du bâtiment. Nous savons que le bâtiment 2 correspond à la maison du Grand Prieur à la fin du 17e siècle, mais sa fonction a peut-être changé dès le 15e siècle.

CHAPITRE 5. PÉRIODE 3, PHASE 6 : L'UTILISATION ARTISANALE DU REZ-DE-CHAUSSÉE (15E-16E SIÈCLES)

Chapitre 5. Période 3, Phase 6 : L'utilisation artisanale du rez-de-chaussée (15e-16e siècles)

Émeline Marot et Gaël Simon

Cette phase est presque exclusivement représentée par des aménagements du niveau 1 du bâtiment, qui connaît à ce moment des transformations nombreuses mais relativement ponctuelles (Fig. 5-1), tandis que les étages de l'édifice n'ont livré aucun élément susceptible d'être attribué à la même période, l'utilisation de ces niveaux semblant avoir laissé peu de traces de la fin du 15e siècle au 17e siècle.

Le rez-de-chaussée a dans un premier temps rempli une fonction artisanale liée à la métallurgie du bronze, avec l’aménagement d’un four de bronzier (Fig. 5-4) et de deux moules à cloche de formes différentes, dont un semble ne jamais avoir servi (Fig. 5-15).

La cour située au sud du bâtiment a été criblée de trous de piquet dont la fonction reste incertaine : clôture, activité artisanale ?

L’extrémité ouest du bâtiment a été transformée par le bouchage du passage voûté originel, réduisant les accès au rez-de-chaussée.

Le reste du niveau 1 a lui aussi été modifié avec l’ajout d’un muret partitionnant l’espace, suivi d’un incendie localisé puis le creusement d’une gorge horizontale se prolongeant sur tous les murs, à la fonction incertaine. Ce creusement a par la suite été supprimé et les murs restaurés, avec la transformation de certains supports de la voûte, et un dallage (Fig. 5-46) a été aménagé dans la partie centrale du bâtiment.

Enfin, la phase 6 se termine par une nouvelle utilisation artisanale du rez-de-chaussée, liée à la métallurgie du fer : foyers, battitures et couches épaisses de charbon (Fig. 5-53).

Les structures artisanales identifiées au rez-de-chaussée, essentiellement dans la partie orientale, témoignent d'un changement fonctionnel de cet espace. Les fours et moules à cloche indiquent peut-être une activité ponctuelle, répondant à un besoin spécifique. Les décapages successifs des couches d'occupation intérieure ont détruit les indices qui auraient permis de déterminer si un atelier durable a été aménagé vers la fin du 15e siècle.

La gorge creusée dans les murs sur tout le pourtour du rez-de-chaussée, puis son bouchage associé à une restauration des murs et des supports, indiquent qu'un volume intérieur unique a été privilégié pendant une partie de la phase 6, au cours du 16e siècle. La pièce semble entretenue, peut-être par étapes successives, avec le nettoyage des sols et les réparations dans les murs, mais il est difficile d'en déduire une fonction spécifique.

Toutefois, la création de la cloison M.1037  montre une volonté de distinguer des pièces, ce qui est plus perceptible pour la fin de la phase 6, les activités artisanales étant limitées à la pièce orientale, tandis qu'un dallage est aménagé dans la partie centrale uniquement. La création ou la modification des accès à l'est comme à l'ouest a probablement contribué également à cette spécialisation des espaces, accentuée lors de la phase suivante.

Cette phase est presque exclusivement représentée par des aménagements du niveau 1 du bâtiment, qui connaît à ce moment des transformations nombreuses mais relativement ponctuelles, tandis que les étages de l'édifice n'ont livré aucun élément susceptible d'être attribué à la même période, l'utilisation de ces niveaux semblant avoir laissé peu de traces de la fin du 15e siècle au 17e siècle.

La chronologie relative des aménagements du rez-de-chaussée n'est pas toujours aisée à identifier, les reprises des murs étant nombreuses et parfois isolées les unes des autres comme de la stratification au sol (Fig. 5-1).

5.1 La première phase de l’utilisation artisanale du rez-de-chaussée : la métallurgie du bronze (fin du 15e siècle)

5.1.1 Un four de bronzier et deux moules à cloche (Ens.4010, 4045)

5.1.1.1 Le four F.1181 -1192  et la structure F.1270  (Ens. 4045)

Deux structures, creusées dans les couches des phases précédentes, ont été fouillées dans la partie orientale du bâtiment 2. Il s'agit d'un four de bronzier (F.1181 -1192 ) et d'un moule à cloche (F.1270 ), éloignés de 1,7 m (Fig. 5-2, 5-3, 5-4). Leur élévation originelle et le niveau de sol associé sont inconnus, du fait de l'arasement des sols intérieurs à plusieurs reprises.

Le four F.1181  a été construit dans une fosse profonde d'au moins 1,2 m, le four lui-même mesurant 80 cm de diamètre (40 cm de diamètre intérieur), accolé à une fosse d'accès rectangulaire de 0,8 m sur 1,9 m (F.1192 , Agr.668). Le fond plat de la fosse a servi d'assise au soubassement du four, construit avec un rang de blocs de tuffeau plaqués contre les parois, formant un carré ouvert par un petit couloir vers le sud-ouest (UC 41836, Fig. 5-5). Au-dessus, le four a été construit à l'aide de briques de différents modules liées à l'argile, formant une cheminée cylindrique (UC 41100). Une autre ouverture a été ménagée vers l'ouest, trois assises au-dessus de la précédente, pour accéder à la surface de la sole, détruite, mais indiquée par des traces d'arrachement dans l'argile des parois intérieures à 50,17 m NGF, soit 30 cm au-dessus de la base du four. La partie haute du four n'est pas conservée au-dessus de 51 m NGF (Fig. 5-3, 5-6).

Le four a été utilisé, comme en témoignent les traces de rubéfaction et de vitrification des parois de briques, au-dessus de la sole. Le foyer était donc situé sur la sole, où étaient déposés les creusets. La forme de F.1181  rappelle celle du four du 15e siècle découvert place de la République à Besançon, dans lequel des creusets ont été retrouvés posés sur la sole (http://multimedia.inrap.fr/atlas/besancon/sites/2688/Place-de-la-Revolution). La partie supérieure du four F.1181  devait comporter des tuyères dont des négatifs dans l'argile ont été découverts (Fig. 5-7).

La fin de l'utilisation du four est marquée par la destruction de la partie supérieure et le comblement de la fosse d'accès et du four lui-même avec des déchets de bronze, des fragments de terre brûlée, des blocs de tuffeau rubéfiés, des charbons et des fragments de parois de four (briques et argile calcinée, bloc d'argile avec empreintes de végétaux et négatifs de tuyères ; Agr.667). Les déchets de bronze semblent appartenir à des petits objets difficiles à identifier. Une dernière étape de remblaiement a été effectuée après le tassement des sédiments, recouvrant à la fois la fosse 1192  et la légère pente aménagée à l'ouest (Agr.719).

À 1,8 m à l'est du four F.1181 , une autre structure de 1,7 à 1,95 m de diamètre et 1,2 m de profondeur a été creusée dans les niveaux intérieurs du bâtiment (F.1270 , Fig. 5-8, 5-9). Le fond est tapissé d'argile marron, formant un bourrelet sur lequel a été montée une paroi d'argile et de TCA formant un cercle de 90 cm de diamètre pour 5 cm d'épaisseur, conservé sur 30 cm de haut (UC 41849, Fig. 5-10, 5-11). Le fond a été comblé dans et autour du moule par un sédiment sableux contenant de nombreux fragments d'argile brûlée provenant de la paroi effondrée, des carreaux de terre cuite, des charbons et des déchets de bronze (US 41844, 41852, Fig. 5-12). La partie haute de la fosse a été comblée par un sédiment argileux contenant le même type de mobilier, issu de la destruction du moule, affleurant à 50,9 m NGF (US 41841).

Cette structure correspond à un moule à cloche, dont les parois construites en argile et TCA constituent le moule (interne ou externe ?) servant à couler le métal. Ses dimensions indiquent une cloche de 90 cm ou 1 m de diamètre pour environ 1 m de haut. Sa structure et ses dimensions rappellent les moules à cloche découverts à Saint-Mexme de Chinon (Motteau 2006) ou près de l'église de Rigny (Zadora-Rio et Galinié 1992). Ces structures présentaient des états de conservations différents, mais toutes avaient des dimensions similaires (90 cm à 1 m de diamètre) et contenaient des fragments de moules encore en place en argile ou en terre cuite et argile. Le mieux conservé, le fait F.290 à Chinon, montrait deux cercles de tuiles liées à l'argile : le noyau servant de support à la fausse cloche et la base de la chape constituant le moule externe. La structure de Marmoutier est moins complète, mais elle semble appartenir au même groupe typologique.

Le four F.1181  situé à proximité n'a toutefois pas nécessairement servi à la fonte du bronze pour couler la cloche. Ces deux structures sont séparées de près de 3 m (du centre de la chambre de chauffe au centre du moule, Fig. 5-8) et le niveau de la sole du four est situé plus bas que le sol du bâtiment. la technique de moulage des cloches nécessite la présence d’un four en connexion avec le moule afin de réduire le trajet du métal en fusion. Le refroidissement trop rapide du métal avant l’entrée dans le moule aurait pour conséquence la constitution de bulles d’air qui fragiliseraient la cloche et lui feraient perdre en qualité de résonance. Le four ayant servi à fondre le bronze destiné à la cloche a pu être construit en surface et être entièrement détruit une fois sa fonction remplie.

La céramique contenue dans les couches comblant les structures ne permet pas d'assurer leur contemporanéité : en effet, une grande partie du mobilier est redéposée et la céramique la plus récente des faits F.1181 -1192  date des trois premiers quarts du 15e siècle (groupes techniques to3f ; to3e), tandis que le fait F.1270  contient des tessons de la fin du 15e siècle ou du début du 16e siècle (groupes techniques to7c ; to10a). Toutefois, les informations disponibles sont partielles : la surface conservée du four et du moule à cloche est située à 51 m et 50,9 m NGF, mais elle ne correspond pas au niveau de circulation contemporain. Un arasement postérieur a en effet perturbé les sols correspondant à cette phase artisanale, détruisant les parties hautes du four et du moule et les couches d'occupation correspondantes.

5.1.1.2 La structure F.1143  (Ens. 4010)

Une autre structure a été identifiée à une dizaine de mètres à l'ouest des deux autres, comprenant une fosse de plan circulaire de 1,5 m de diamètre, creusée dans les sols antérieurs, se prolongeant par une fosse plus étroite à l'est, longue d'un mètre (F.1143 , Fig. 5-13, 5-14, 5-15). L'ensemble est conservé sur 1,1 m de profondeur environ et a été fouillé en deux étapes, en 2007 puis 2012 après l'extension de la zone de fouille vers l'ouest.

La fosse circulaire comportait deux banquettes plaquées contre les parois formées de blocs de tuffeau blanc liés à la chaux, avec des ardoises posées à plat au sommet (Fig. 5-16). Elles sont hautes de 25 cm et ménagent un couloir de 20 cm de large au milieu, orienté vers l'entrée de la fosse. Au-dessus, un anneau d'argile ocre a été construit, recouvrant partiellement le conduit central en conservant une ouverture au fond. Cet anneau en argile mesure 1 m de diamètre au total, pour 20 à 30 cm de large et 3 cm d'épaisseur, mais montre un relief plus important au centre, sur un diamètre de 65 cm (Fig. 5-17).

L'ensemble de la fosse a été comblé par des sédiments sableux contenant de nombreux déchets de bronze issus de la coulée d'une cloche et de fragments de terre brûlée, provenant de la démolition d'une structure artisanale (Fig. 5-18).

Cette structure rappelle celle des fours à cloche du site de Pendelle (Escaudes, Gironde ; http://www.inrap.fr/pendelle-4298), de Missignac (Aimargues, http://www.inrap.fr/aimargues-de-la-villa-antique-au-bourg-medieval-12969, http://multimedia.inrap.fr/atlas/Nimes/decouvertes-Nimes/p-20780-Decouvertes-remarquables-a-Nimes-Four-a-cloche.htm) ou d'Issoudun (Schweitz et Rossillo 1982). Sur ce dernier site, la sole construite avec des blocs de tuffeau forme des couloirs qui servent à la répartition de la chaleur sous le moule en argile posé au-dessus.

Ces comparaisons permettent donc de supposer une fonction de four à cloche pour le Fait 1143 , construit selon une technique différente du fait F.1270 , qui ne comportait pas de sole maçonnée à la base, et pour produire une cloche de dimensions plus réduites (70 cm de diamètre contre 90 cm dans F.1270 ). Toutefois, le fait F.1143  semble ne jamais avoir servi, puisqu'aucune trace de rubéfaction n'a été identifiée sur les blocs ou sur l'anneau d'argile. Les parois, elles, ne comportent que les traces de chauffe correspondant à l'occupation du haut Moyen Âge, dont les couches sont coupées par le creusement du fait F.1143 .

Comme pour les deux autres faits, la partie supérieure de F.1143  a été écrêtée par un arasement ultérieur, perceptible dans la partie ouest (Fig. 0-59), qui a donc détruit une partie des informations, comme d'éventuelles structures associées construites au-dessus du sol.

Le mobilier en céramique recueilli dans le comblement comporte une grande part d'éléments redéposés, mais les tessons les plus récents indiquent les trois derniers quarts du 15e siècle ou le début du 16e siècle (groupe technique to1c).

Trois structures artisanales liées à la métallurgie du bronze ont donc été identifiées dans le bâtiment : un four dont la fonction n'est pas assurée, ayant pu servir à la fabrication de petits objets dont on a découvert des déchets, et deux moules à cloches, construits selon des techniques différentes et dont un seul semble avoir été utilisé (Fig. 5-13). Toutes paraissent contemporaines : elles contiennent des déchets de coulées de bronze similaires, mais leur datation, à la fin du 15e siècle, n'est pas précise. La fonction artisanale a probablement été relativement ponctuelle : le four de bronzier a pu servir à plusieurs reprises, mais il ne comporte pas de traces de réparation, ce qui exclut une utilisation longue. De plus, un moule à cloches ne sert qu'une fois, puisqu'il est détruit pour extraire la cloche. En outre, les fondeurs de cloches sont généralement itinérants, répondant aux besoins ponctuels d'une communauté (Gonon 2002 : 265-275).

La présence de moules à cloche dans un édifice monastique autre qu’une église demeure exceptionnelle et pose le problème de la destination de la cloche fabriquée dans le fait F.1270 . Était-elle destinée à l’église, à la tour des cloches, la porterie ou à l’hôtellerie ?

5.1.2 Occupation intérieure autour des structures artisanales et le décaissement qui a suivi (Ens.4044)

Si aucune couche contemporaine n'a été conservée au contact des structures artisanales, des traces d'occupation semblent toutefois appartenir également au début de la phase 6, dans des espaces préservés par les arasements ultérieurs, le long du mur M.1001  à l'est (Agr.721) et au sud du four F.1181  (Agr.717-718).

Les couches de l'agrégation 721, limitées à une surface de 1 m2 au pied de la porte POR 1255 , soit à 3,5 m du fait F.1270 , forment une alternance de couches de tuffeau jaune, de mortier et de limon gris, correspondant probablement à des ragréages du sol intérieur et à l'occupation correspondante (Fig. 5-19). Leur disposition et leur état de conservation indiquent que ces couches ont été fortement arasées dans le reste du rez-de-chaussée, probablement après l'abandon des structures artisanales. Ces couches sont relativement mal datées, puisqu'elles comportent une grande part de mobilier redéposé (antique, 12e et 13e siècles) et leur arasement a pu faire disparaître les couches les plus récentes, postérieures à la première moitié du 15e siècle. Cette agrégation peut donc être contemporaine des fours et moules à cloche ou leur être légèrement antérieure.

Les deux faits correspondant aux agrégations Agr.717 et 718 sont situés au sud du four F.1181  et de sa fosse d'accès F.1192 . Le trou de piquet F.1195 , repéré à 60 cm de F.1192 , contenait un sédiment résultant de la décomposition du bois. Sa chronologie est incertaine : il peut correspondre au fonctionnement de la structure artisanale comme lui être légèrement postérieur (Fig. 5-20). La fosse F.1194 , large de 30 cm, est, elle, bien postérieure puisqu'elle recoupe le comblement de F.1192 , mais sa fonction est inconnue.

Enfin, les couches de l’agrégation Agr.715 témoignent probablement de l'occupation qui a suivi l'arasement des couches d'occupation correspondant à l'activité artisanale. Elles sont situées au nord du four F.1181 , près du mur 1002 , et leur surface, à 50,85 m NGF, est plus basse que les sols des phases précédentes, ce qui montre la profondeur du décaissement effectué, de plus de 35 cm au centre du bâtiment, mais moins le long des murs. C'est probablement à la suite de ce décaissement que les fondations des supports centraux EA.1166  et EA.1169  ont été dégagées sur près de 30 cm.

5.2 L'occupation extérieure au sud : une fonction artisanale ? (Ens.4100)

L'espace situé au sud du bâtiment près du mur M.1003 , correspondant à un escalier droit construit lors de la phase précédente, est utilisé pendant la phase 6 avec le creusement de nombreux trous de piquet (Fig. 5-2, 5-21).

Ces piquets ont des formes rondes ou quadrangulaires et mesurent de 2 à 7 cm de côté et 1 à 4 cm de profondeur (F.1059 , 1060 , 1062 , 1064 , 1065 , 1071 , 1089 , 1091 , 1092 , 1093 , 1094 , 1095 , 1099 , 1100 , 1101 ). Ils ont été plantés en plusieurs étapes, séparés par des couches de tuffeau, des niveaux d'occupation (Agr.543, 758, 756) et une zone de rubéfaction qui a touché l'angle des murs M.1001  et M.1005  (Agr.757). Un seul alignement de trois à quatre piquets a été observé sur 1,5 m de long, la position des autres ne semblant pas correspondre à une structure identifiable. Toutefois, l'étendue réduite des couches d'occupation et la faible profondeur des trous semblent indiquer des nettoyages et arasements réguliers des sols extérieurs, ce qui a pu faire disparaître des structures et des niveaux de sols.

La fonction de ces piquets reste incertaine : s'agit-il d'un aménagement de clôture ou lié à une activité artisanale ? Sont-ils liés à l'utilisation de la pièce formée par le mur M.1003  sous l'escalier ?

La datation de ces aménagements est difficile à établir, le mobilier étant quasiment inexistant et en partie redéposé, mais les tessons de céramique les plus récents indiquent le début du 16e siècle. Ces structures sont peut-être liées à l'ensemble Ens.4087, placé dans la phase suivante, qui correspond également à des trous de piquet, mais qui contient du mobilier plus tardif.

L'occupation de cet espace au sud du bâtiment est donc difficile à cerner chronologiquement et fonctionnellement, ces piquets ayant pu être placés pendant toute la phase 6, soit de la fin du 15e siècle au milieu du 17e siècle.

5.3 La condamnation du passage occidental (16e siècle ?) (Ens.3007)

Les dernières traces de circulation dans le passage voûté ont été observées au sud, sous l'arc 504 . Elles sont constituées de sédiments argilo-limoneux bruns, recouverts par des couches de mortier correspondant au chantier destiné à condamner le passage (Agr.1306). Ces couches permettent de proposer un terminus post quem au bouchage du passage côté sud, fin 15e-début 16e siècle, tandis qu'au nord du passage, seules les maçonneries permettent d'établir une chronologie relative, la fouille n'ayant pas été étendue devant le passage (Fig. 5-22).

5.3.1 Le bouchage du côté nord du passage

Si on peut supposer une synchronie du bouchage des deux arcs constituant les accès au passage, les techniques de construction différentes permettent de nuancer. En effet, le bouchage de l'arc ARC 552  situé au nord a été réalisé en blocs de moyen appareil de tuffeau jaune aux angles arrondis, correspondant probablement à des remplois (UC 30207, Fig. 0-39, 5-23). Les éléments conservés permettent de supposer que cette maçonnerie a entièrement bouché l'arc, sans laisser d'accès. En effet, l'objectif de la condamnation du passage était de créer une nouvelle pièce, dont le sol, horizontal contrairement à celui du passage originel, nécessite la création d'un mur en terrasse au nord, pour compenser la pente du terrain.

Dans le secteur fouillé à proximité, un hiatus a été observé dans la stratification, correspondant aux 15e-16e siècles. Le niveau de sol au 14e siècle était situé à 52,3 m NGF, puis des arasements ont probablement fait disparaître la stratification postérieure, avant le dépôt de nouveaux remblais à partir du 17e siècle (Fig. 0-69). À cette date, nous pouvons supposer que le passage est déjà bouché.

5.3.2 Le bouchage du côté sud du passage

Le bouchage de l'arc ARC 504 , constituant l’extrémité sud du passage, a été observé en élévation, mais également dans le sondage réalisé au pied, où la base du mur a pu être dégagée (Fig. 0-37, 0-70, 2-20). Au-dessus des couches de remblais de l'agrégation 1036, situées à 51 m NGF environ, des blocs de silex et de tuffeau ont été placés pour former un léger ressaut, appuyé contre les piédroits de l'arc. Au-dessus, une maçonnerie irrégulière de moellons et de blocs de moyen appareil de tuffeau est surmontée d'une élévation plus régulière, où les blocs forment des assises, de petits moellons calant l'ensemble. Une partie de l'élévation est masquée à l'intérieur comme à l’extérieur par du béton récent, mais la partie supérieure est dégagée. Sa technique de construction, en moellons, et la présence d'une fenêtre à plate-bande clavée (FEN 503 ) semblent indiquer qu'il s'agit d'un réaménagement plus tardif, rendu nécessaire par le rehaussement des sols intérieurs (Fig. 5-24, cf. 7.1). Le niveau de sol au moment du bouchage est incertain, mais nous connaissons l'altitude des sols situés plus à l'est lors de cette phase, autour de 51,3 m NGF, soit peu de changements par rapport au sol originel.

Le seul accès attesté à la nouvelle pièce semble être la porte POR 564 , ouvrant vers le reste du rez-de-chaussée, mais aucune ouverture vers l'extérieur n'a été identifiée. La création de portes et fenêtres aux 17e et 18e siècles, après le rehaussement du niveau de sol, a peut-être entraîné la destruction des ouvertures originelles.

Le bouchage du passage indique une volonté de transformer cette pièce et de lui donner une nouvelle fonction, qui reste inconnue pour cette phase.

La condamnation du passage a supprimé des accès au bâtiment, puisqu'il ouvrait à la fois vers la cour au sud de l'édifice et vers le rez-de-chaussée par la porte POR 564 . Malgré l'existence de la porte située à l'extrémité sud-est du bâtiment, les accès semblent réduits. Il est toutefois possible qu'une des portes modernes de la partie encore en élévation masque une ouverture plus ancienne que la fouille permettrait de révéler. Les alentours du bâtiment sont mal connus pour cette période : il existait peut-être un espace de circulation contournant l'édifice à l'ouest.

5.4 Des partitions intérieures, cloisons et planchers ?

5.4.1 Le muret M.1037  et l'occupation associée

Après l'utilisation artisanale du rez-de-chaussée, un mur de refend nord-sud a été construit dans la partie orientale, isolant les deux dernières travées (M.1037 , Ens.4043, Fig. 5-22, 5-25). Ce mur n'a été préservé que sous la forme de quelques blocs et de la tranchée de fondation F.1188 , mais il est associé à plusieurs fosses et couches d'occupation.

Plusieurs trous de poteau, disposés de part et d'autre, pourraient correspondre à une structure ayant servi à la construction du mur M.1037  (Agr.709). Leur chronologie avec le muret n'est toutefois pas assurée : deux des fosses sont scellées par des couches butant contre M.1037 , tandis que les autres semblent avoir conservé un poteau en place plus longtemps (Agr.656, cf. 5.4.2). Une seule fosse est située à l'ouest (F.1235 ), quatre sont situées à l'est le long du mur (F.1187 , F.1193 , F.1239 , F.1240 ) et une autre un peu décalée (F.1185 ). Certaines fosses contenaient des négatifs de poteaux de 8 à 10 cm de côté, calés par des blocs de tuffeau (F.1185 , 1193 ). Leur disposition incite à envisager une structure ancrée également dans les murs gouttereaux, un trou d'encastrement étant situé dans l'alignement du fait F.1240  (UC 41278, Agr.722). Cet alignement de poteaux est similaire à ce qui est aménagé contre le mur oriental lors de la phase suivante (cf. 6.2.1, Ens.4036,phase 7), mais la stratigraphie semble indiquer un décalage chronologique.

Le mur lui-même a été construit dans une tranchée peu profonde (F.1188 , Agr.708). Bien visible au sud, elle mesurait 50 cm de large pour uniquement quelques centimètres de profondeur conservée (Fig. 5-26, 5-27). Les quelques blocs formant encore le mur étaient visibles autour du support central EA 1166  et devant le support sud EA.1167 . La construction reliait donc les différents supports et a été réalisée en moellons de tuffeau liés au mortier de chaux, associés à un bloc en remploi : un claveau d'une ogive moulurée d'un tore et de doucines, réalisé en calcaire dur, dont la taille n'a pas été achevée. Sa provenance est inconnue, la moulure ne correspondant pas à celle des voûtes du bâtiment 2 (Fig. 5-28, 5-29). Cette maçonnerie constituait peut-être un solin surmonté d'une élévation en matériaux légers prenant appui sur les supports de la voûte. Son mauvais état de conservation ne permet pas d'identifier une porte de communication entre les deux pièces ainsi définies.

Des couches d'occupation butent contre le muret à l'est comme à l'ouest, mais à des hauteurs différentes, le sol étant légèrement plus bas à l'est, où l'on suppose qu'un décaissement a été effectué après l'abandon des structures artisanales, jusqu'à 50,85 m NGF au point le plus bas (Agr.665, Ens.4042). Les sols situés à l'ouest de M.1037 , à 51,15 m NGF, sont constitués de limons ou d'un sédiment argileux marron. À l'est, à 51,05 m NGF environ, les sols sont conservés dans une bande de 90 cm de large, le long du mur sud M.1001 . Une plaque de plomb fondu y a été découverte entre deux couches de circulation (US 41566). Elle peut indiquer une activité artisanale ponctuelle.

Les tessons de céramique découverts dans la tranchée de construction du mur ou les couches d'occupation postérieures indiquent une datation de la fin du 15e siècle ou de la première moitié du 16e siècle (groupes techniques to2f ; to3c ; to7c ; to7f ; to11a).

5.4.2 L'incendie dans la partie orientale du bâtiment et l'occupation postérieure (Ens.4041, 4074)

Le rez-de-chaussée a été touché par un feu localisé essentiellement dans la travée délimitée par les supports EA 1009  et EA 1166 , plus ponctuellement à l'est, près des murs, et à l'ouest, sur la colonne EA 1010 .

Le feu a ainsi rubéfié les couches d'occupation des agrégations Agr.665 (autour du muret M.1037 ) et Agr.759 (autour de l'EA 1009 ), situées autour de 51,1 m NGF. Il a également entraîné la destruction partielle des deux supports centraux 1009  et 1166 , dont un côté des bases a éclaté sous la chaleur, et a touché le muret M.1037  (Fig. 5-30, 5-31). Plus à l'est, la partie basse des murs M.1001  et M.1014  a été endommagée (Fig. 0-48), et dans une moindre mesure, le mur 1002 . La colonne centrale EA 1010  a été touchée des côtés nord et ouest : la base a été brisée et la rubéfaction a marqué la base comme le fût. En revanche, contrairement à ce qui est visible à l'est, seul un lambeau de couche d'occupation rubéfié a été repéré, au sud de la colonne. L'absence de couches d'occupation antérieures à l'incendie dans cette zone est probablement due en partie au décaissement réalisé lors de la phase 7.

Par la suite, les sols ont certainement été nettoyés afin de retirer les gravats résultant de l'incendie (fragments de tuffeau provenant des bases, parties du muret M.1037 ?).

Les couches déposées ensuite, localisées autour de la base EA 1166  et du mur M.1001  (Ens.4040), comprennent des poches de chaux résultant peut-être de réparations effectuées sur les maçonneries à la suite de la rubéfaction. Des niveaux comparables, bien que plus lacunaires, ont été repérés près des supports EA 1051  et EA 1125  (Agr.625, Ens.4072).

Toutefois, ces niveaux très localisés sont difficiles à placer chronologiquement par rapport aux transformations suivantes du bâtiment, qui se concentrent essentiellement sur les maçonneries (cf. 5.4.3). De même, le comblement des fosses placées près du muret M.1037  est assurément postérieur à la rubéfaction et est antérieur aux couches de la phase 7, mais sa chronologie reste très incertaine (Agr.656). Deux des fosses ont été comblées avec des blocs de calcaire dur moulurés appartenant probablement à l'appui d'une baie, résultant d'une destruction (Fig. 5-32).

5.4.3 La gorge creusée dans les murs : plancher surélevé ou lambris ? (Ens.4009, 4039)

Les murs périphériques observés en fouille comportent tous une gorge peu profonde horizontale, créée à un niveau globalement constant, autour de 51,9 m NGF dans la partie occidentale des murs M.1001  et M.1002 , et de 51,75 ou 51,8 m NGF dans la partie orientale du bâtiment, la jonction se faisant de part et d'autre des colonnes engagées EA 1050  et EA 1125  (Fig. 5-33). Cet aménagement est donc situé approximativement 60 à 75 cm au-dessus du niveau de sol rubéfié (cf. supra).

Sa chronologie avec l'incendie et les aménagements de la phase 6 n'est pas assurée : s'il est certain que ce creusement est postérieur au bouchage de la porte POR 1250  (phase 4), la limite chronologique basse est plus difficile à établir. Une observation ponctuelle semble indiquer que le creusement de la gorge est postérieur à la rubéfaction (la surface des pierres a été rubéfiée, mais pas l'intérieur de la gorge), mais d'autres indices pourraient le contredire, notamment pour ce qui est du bouchage de la gorge, qui a pu être réalisé en plusieurs étapes. La maçonnerie englobant la colonne EA 1165 , contemporaine du bouchage de la gorge, est alignée avec le muret M.1037  : cela implique-t-il une destruction puis une reconstruction du muret ou au contraire une construction en une seule phase après le bouchage de la gorge ? Dans ce cas, la gorge pourrait être attribuée au début de la phase 6, avant la construction de M.1037 , voire à la fin de la phase 5, avant les activités artisanales. Le ou les décaissements qui ont suivi l'utilisation des fours et l'incendie ont probablement fait disparaître des indices.

Cette gorge mesure environ 5 cm de hauteur et de profondeur et a été taillée en continu dans les parements des murs et dans les supports engagés, le creusement faisant le tour des fûts ou formant des pans droits, notamment pour les colonnes des angles (EA 1246 , Fig. 5-34, 5-35). Les supports les mieux conservés montrent de plus, du côté oriental uniquement, des trous carrés peu profonds de 10 cm de côté, dont le bas est aligné sur celui de la gorge (EA 1124 , 1150 , 1165 , 1306 , Fig. 5-36). Un creusement similaire est visible du côté sud de la colonne du mur pignon EA 1247 . Cette disposition implique l'encastrement d'une structure de bois à la fois dans les murs et dans les supports latéraux, selon des dispositions difficiles à établir.

La continuité de la gorge démontre que le rez-de-chaussée présentait un volume unique à ce moment-là, sans cloisons ou murs de refend qui auraient interrompu le creusement horizontal, au moins dans la partie observée, soit les deux tiers orientaux de l'édifice. Cela implique soit que l'élévation du muret M.1037  (seul indice de partition attesté pour la phase 6) a été détruite par l'incendie au-dessus du solin de pierre, soit que le muret n'était pas encore construit et que la gorge doit être placée en phase 5.

La position de la gorge reprend en partie celle des trous d'encastrement observés lors de la phase 5 dans le mur M.1014 , sans qu'il soit possible d'établir une corrélation entre eux, et aucune structure au sol ne peut lui être associée.

D'autres aménagements mal datés ont été observés dans les maçonneries, comme une série de trous dans le mur pignon M.1014 , juste au-dessus du creusement horizontal et d'autres dans le mur M.1002  au niveau de la gorge ou du sol (Agr.710), mais il est difficile de déterminer si elles participent à la même structure ou à des aménagements successifs.

Plusieurs hypothèses pour la fonction de cette gorge peuvent toutefois être proposées. Il peut s'agir d'un plancher partiellement encastré dans les murs, surélevé de 70 cm environ du sol antérieur, et à 25 cm au-dessus de la banquette située contre le mur nord. La position de la gorge semble correspondre au niveau de circulation extérieur attesté au sud lors de la phase 5, ce qui pourrait indiquer une volonté d’harmoniser la hauteur des sols. Toutefois, la rainure seule ne pourrait porter le poids correspondant à un plancher, et les trous d'encastrement sont peu nombreux et irrégulièrement répartis.

La relation de la gorge avec les portes existant lors des phases 5 et 6 n'apporte que peu d'informations à la fois sur la chronologie et sur la fonction de cet aménagement. La porte sud-est POR 1255 , existant depuis la construction originelle, a pu être perturbée par le creusement de la gorge, mais des reprises masquent l'essentiel des piédroits. Elle a été rehaussée après la condamnation de la gorge (cf. 5.5.2). Les piédroits de la porte nord POR 1345  portent des traces du creusement de la gorge, mais il est difficile de déterminer si ce creusement est antérieur ou postérieur à la création de la porte, et elle ne montre pas de traces d'un rehaussement. Les circulations sont donc difficiles à interpréter dans l'hypothèse d'un plancher aménagé grâce à la gorge dans les murs.

Il est possible que ces traces soient le résultat de la pose d'un lambris contre les maçonneries, dans le cadre d'un réaménagement du rez-de-chaussée. Les lambris peuvent en effet être fixés sur des tasseaux insérés dans les maçonneries pour une meilleure fixation. La partie haute des murs n'étant pas conservée, il est difficile de déterminer la hauteur possible de cet aménagement : la gorge constituait-elle la limite supérieure ou un support intermédiaire ? La fonction des trous d'encastrements dans les colonnettes engagées reste incertaine dans cette hypothèse : ils pouvaient servir à fixer un bois parallèle au mur et fixé dans la gorge.

5.5 La restauration des murs, réparations et transformations des pièces

Le creusement de la gorge et de trous d'encastrement a été suivi, après un temps difficile à estimer, par une phase de restauration du rez-de-chaussée du bâtiment qui comprend le bouchage de la gorge, la réfection d'une partie des parements, le remplacement de certains des supports et l'aménagement de portes (Fig. 5-22).

5.5.1 Bouchage de la gorge (Ens.4008, 4038) et modification des supports (Ens.4007, 4038)

Le bouchage de la gorge a été réalisé de différentes manières qui peuvent être contemporaines. Dans la majorité des tronçons, le bouchage a été réalisé avec de petits moellons insérés dans la gorge et liés au mortier de chaux dont la surface a été lissée. Ce bouchage minimal, encore visible à plusieurs endroits (entre les EA 1051  et 1067, ou autour des EA 1124  et 1315 ), a pourtant mal tenu ailleurs et la gorge a donc été découverte en grande partie vide (Fig. 0-89, 5-33).

Certaines zones ont reçu un traitement différent, avec une reprise en mortier de chaux plus étendue, par exemple en bouchant certains trous d'encastrement en même temps (UC 41731, M.1014 ) et en étendant la zone couverte de mortier (UC 41290, M.1002 ). La colonne EA 1165  a de plus été englobée au même moment dans une maçonnerie de moellons et mortier de chaux qui pourrait correspondre à la reprise du muret M.1037  en élévation, positionné dans le même axe.

D'autres reprises sont plus importantes et plus soignées, notamment quand les supports ont été remplacés totalement ou en partie.

Le fût de la colonne EA 1170  a été remplacé par des blocs plus larges, associés à une reprise du parement de part et d'autre, en moellons et mortier de chaux, tandis que le support EA 1167  a connu une modification similaire (Fig. 0-48, 0-87). La base de la colonne engagée EA 1168  dans le mur M.1002  a été remplacée par un bloc octogonal comportant le départ d'un fût aux dimensions de la colonne originelle (UC 41303, Fig. 5-37).

La colonne engagée EA 1315  a, elle, été remplacée entièrement par des blocs octogonaux (F.1328 , UC 42737) lorsque le parement du mur M.1001  a été repris au revers de la tourelle de latrines, pour les deux assises situées au-dessus de la gorge (UC 43038, 40009, Fig. 0-67, Fig. 5-38). La forme et les dimensions du bloc utilisé sont compatibles avec les ogives chanfreinées créées lors de la phase 4, mais il s'agit probablement d'un remploi (Fig. 0-58, 9-11). Il faut peut-être associer à la même agrégation la reprise du support central EA 1316  avec un socle pyramidal tronqué et un fût carré à angles chanfreinés se terminant en congés, positionné au-dessus d'un socle maçonné enterré appartenant au premier état des supports (Ens.4007, Fig. 5-39).

5.5.2 Création de deux portes, POR 1255  et POR 1458  (Agr.707 et 808)

La rénovation des parements intérieurs est contemporaine de la modification de la porte POR 1255 , élargie et surélevée par rapport à l'état originel (Fig. 5-40). Après l'agrandissement de l'ouverture jusqu'à la colonne d'angle EA 1248  et le creusement d'une petite tranchée devant le seuil (F.1190 ), deux assises de blocs de moyen appareil de tuffeau ont été construites à la base, tandis que le piédroit oriental a été reconstruit, avec des blocs de dimensions variables (UC 41257, Fig. 5-41). Le bouchage postérieur UC 41255 masque le niveau du seuil de ce nouvel état de la porte (le revers de la porte POR 1255  et les sols associés n'ont pas pu être observés), mais il correspond probablement au sol observé plus à l'ouest en secteur 1 pour la phase précédente, autour de 51,7 m NGF. Le rehaussement de la porte implique la création de marches pour descendre au niveau du sol intérieur, attestées par une plaque de mortier localisée en avant de la porte, mesurant 55 cm de large (UC 41329, Fig. 5-41). Cette couche est située à 51 m NGF, correspondant au niveau du sol décaissé après les activités artisanales du début de la phase 6 et le nettoyage à la suite de la rubéfaction.

L'autre porte est très mal conservée et sa forme reste incertaine du fait des reconstructions ultérieures à son emplacement, près de l'escalier extérieur M.1003  (POR 1458 , Agr.808, Fig. 5-40). À l'extérieur, elle est indiquée par la présence d'un bloc de 40 cm de haut que l'on peut associer à l'UC 40009, en vis à vis (Fig. 5-42), ainsi qu'à quelques blocs situés plus bas, témoignant d'une reprise du mur M.1001  (UC 42354, 42356, Fig. 5-43). À l'intérieur, l'emprise de l'UC 40243, qui constitue le bouchage de cette porte, indique un niveau de seuil similaire à celui de la porte POR 1255 , autour de 51,7 m environ. L'ouverture serait située à l'angle de l'escalier M.1003  à l'extérieur et contre la colonne engagée EA 1050 , remaniée lors du bouchage au 18e siècle, soit une largeur possible de 1 m à 1,3 m. Ces observations restent lacunaires du fait de la grande reprise réalisée au 18e siècle, mais notons qu'une porte est représentée à cet endroit sur la vue du Monasticon Gallicanum (17e siècle, Fig. 0-177) ainsi que sur un plan du 18e siècle (Fig. 0-165).

La circulation au rez-de-chaussée est donc plus aisée lors de la phase 6, grâce au nombre de portes et à leur position, définie en fonction du niveau de sol extérieur contemporain, contrairement au premier état de la porte 1255  dont le couvrement était probablement trop bas pour le niveau de circulation au 16e siècle.

5.6 La construction d’un sol dallé dans la partie centrale (Ens.4072)

À l'intérieur, les sols ont également été réaménagés dans la partie centrale, mais il est difficile de déterminer leur chronologie avec la rubéfaction, l'aménagement de la gorge puis la restauration des murs en l’absence de contacts stratigraphiques. Toutefois, leur construction semble participer à la même phase de réaménagement que les reprises des murs et des supports, ce que semble confirmer le mobilier en céramique appartenant au 16e siècle (groupe technique to7f ; to4d), associé à des tessons redéposés des 13e-15e siècles (groupe technique to6a ; to4b ; to5b).

Le dallage F.1108  n'a été préservé que sur une faible surface, dans la travée délimitée par les supports EA 1009  et EA 1010  (Fig. 5-44). Il fait suite au dépôt de couches marquant au nord l'abandon définitif de la cloison F.1111 , les trous d'encastrement étant comblés (Agr.568 et 569), et de couches d'occupation au sud, très lacunaires et mal datées (Agr.625). Il est probable que les sols intérieurs ont été arasés avant la construction du dallage, puisque les couches de préparation reposent par endroits directement au-dessus de couches du haut Moyen Âge : ces secteurs comportent donc un hiatus d'occupation très important (Fig. 5-45).

Le dallage est conservé dans deux zones triangulaires, de 2 à 3 m de côté (Fig. 5-46). Le lit de préparation est constitué de couches de poudre de tuffeau ou de sédiments hétérogènes clairs, épais de 1 à 7 cm. Au-dessus, les dalles sont liées avec un sédiment limoneux gris au sud ou une couche brune compacte au nord, résultant du remaniement des couches de terre noire du haut Moyen Âge. Les matériaux présentent des différences : au sud, les dalles de calcaire lacustre dur utilisées sont de grandes dimensions, associées à quelques blocs plus réduits (Fig. 5-47), tandis qu'au nord, les gros blocs sont moins nombreux et une partie du dallage n'est constituée que de petits blocs de silex ou de calcaire lacustre (Fig. 5-48). L'état lacunaire du sol et la céramique peu abondante ne permettent pas de déterminer s'il s'agit d'une reprise postérieure.

Le dallage a été partiellement détruit lors de la phase suivante, mais le bord oriental du dallage correspond à la limite originelle. En effet, les dalles semblent avoir été posées à cet endroit contre les vestiges du mur M.1017 , détruit en élévation depuis la phase 3, mais dont les fondations affleurent à 51,2 m.

La surface du dallage est située à 51,4 m NGF environ, soit plus haut que les sols médiévaux. Il a probablement été nettoyé régulièrement dans un premier temps, tandis que de fins sols de terre s'accumulaient à l'est (Ens.4099, phase 7), avant sa destruction partielle à l'ouest (Ens.4075, phase 7). Ce niveau est compatible avec la porte 1458 si l'on restitue deux marches pour descendre dans le bâtiment.

5.7 La deuxième phase artisanale à l'extrémité orientale du bâtiment : la métallurgie du fer (16e siècle, Ens.4037)

La partie orientale du rez-de-chaussée a rempli une fonction artisanale, perceptible par des traces au sol et sur le mur pignon M.1014  (Agr.705).

Cet espace, encore limité à l'ouest par le muret M.1037 , conserve des couches d'occupation essentiellement localisées à l'est, dans une bande de 2,5 m de large, près du mur M.1014  (Fig. 5-22, 5-49). Au-dessus de couches fines, un dépôt limoneux gris compact mesurant jusqu'à 5 cm d'épaisseur constitue le sol de circulation de la forge, situé autour de 50,9 m NGF (US 41445). De nombreuses particules de fer, des battitures et des clous entiers sont en effet incrustés dans le sol limoneux, mais également dans les murs M.1014  et M.1002  (Fig. 5-50, 5-51). Des concentrations plus fortes de ces éléments ferreux sont perceptibles au nord, devant le bouchage de l'ancienne porte POR 1250  et légèrement plus au sud. La base UC 41303 de la colonne engagée EA 1168  comporte également des incrustations de fer. Le mur M.1014  porte en outre des traces de suie très marquées, indiquant la présence d'un feu aux fumées mal évacuées dans la pièce, conservées au-dessus d'un badigeon de chaux difficile à dater.

Le mobilier en céramique contenu dans ces couches indique le 14e siècle et le début du 15e siècle (groupes techniques to4b ; to7b), mais il s'agit probablement de mobilier redéposé, puisque l'on peut associer les traces de forge aux restes de deux petits foyers successifs, contenant des tessons datés des 16e-17e siècles (F.1243  et F.1244 , Agr.704, groupe technique to10a). Ces structures mesurent 40 cm de diamètre et sont peu profondes (Fig. 5-52). Elles ont été comblées de charbon, de mortier et de terre argileuse brune (cf. 11.2.3).

D'autres petits creusements ont été identifiés (Agr.703) : trois trous de piquet, deux situés au nord, à 1 m environ du mur pignon (F.1229  et F.1230 ), le dernier au sud étant plus proche (F.1237 ), et deux petites fosses peu profondes au sud, dont la partie supérieure a peut-être été écrêtée (F.1232  et F.1233  ; Fig. 5-49). Le sol 41445 comporte en outre de nombreux petits creusements peu profonds, comblés de charbon.

Toutes ces structures sont en effet scellées par une alternance de couches de charbon et de mortier qui recouvrent toute la zone située contre le mur pignon M.1014 , parfois associées à de fines couches d'occupation (Fig. 5-49). Le charbon a été déposé en remblais épais, mais non brûlé sur place. La première couche de charbon est conservée au sud, où elle atteint plusieurs centimètres d'épaisseur. Elle est recouverte d'une couche de mortier de chaux très localisée, la couche de charbon suivante étant toujours limitée au sud, à l'angle des murs M.1001  et M.1002 . Elle est recouverte par une couche de mortier s'étendant au sol mais également aux murs, masquant partiellement la colonnette d'angle EA 1248  (UC 41441-41768-41774). La couche suivante, constituée de charbon mêlé de terre, s'étend jusqu'au nord, sur une épaisseur variable, allant jusqu'à 10 cm (Fig. 5-53). Les dernières couches de mortier sont percées par le creusement d'une série de trous de poteau appartenant à la phase suivante (cf. 6.2.1).

Ces épaisses couches de charbon proviennent probablement du curage de foyers et contenaient également des battitures. L'apport de ces remblais a rehaussé le sol jusqu'à retrouver le niveau du sol du 13e siècle, vers 51,2 m NGF. Le mobilier contenu dans ces couches est constitué en partie de tessons de céramique et de verre du haut Moyen Âge redéposés, de céramique du 14e siècle et de tessons correspondant au 16e siècle ou au début du 17e siècle (groupe technique to10a), fournissant une datation pour cette phase artisanale liée à une forge.

5.8 Synthèse de la phase 6 : Changement fonctionnel du niveau 1

Les structures artisanales identifiées au rez-de-chaussée, essentiellement dans la partie orientale, témoignent d'un changement fonctionnel de cet espace (Fig. 5-1). Les fours et moules à cloche indiquent peut-être une activité ponctuelle, répondant à un besoin spécifique. Les décapages successifs des couches d'occupation intérieure ont détruit les indices qui auraient permis de déterminer si un atelier durable a été aménagé vers la fin du 15e siècle.

La gorge creusée dans les murs sur tout le pourtour du rez-de-chaussée, dont la fonction reste incertaine, puis son bouchage associé à une restauration des murs et des supports, indiquent qu'un volume intérieur unique a été privilégié pendant une partie de la phase 6, au cours du 16e siècle. La pièce semble entretenue, peut-être par étapes successives, avec le nettoyage des sols et les réparations dans les murs, mais il est difficile d'en déduire une fonction spécifique.

Toutefois, la création de la cloison M.1037  montre une volonté de distinguer des pièces, ce qui est plus perceptible pour la fin de la phase 6, les activités artisanales étant limitées à la pièce orientale, tandis qu'un dallage est aménagé dans la partie centrale uniquement. La création ou la modification des accès à l'est comme à l'ouest a probablement contribué également à cette spécialisation des espaces, accentuée lors de la phase suivante.

CHAPITRE 6. PÉRIODE 3, PHASE 7 : LES RÉAMÉNAGEMENTS DU BÂTIMENT (17E-DÉBUT 18E SIÈCLES)

Chapitre 6. Période 3, Phase 7 : Les réaménagements du bâtiment (17e-début 18e siècles)

Émeline Marot et Gaël Simon

L'occupation du bâtiment lors de la phase 7 est marquée par une distinction forte entre les différentes parties du rez-de-chaussée. L’espace est déjà divisé par le muret M.1037 , hérité de la phase précédente et qui définit deux pièces principales : une à l'est, l'autre au centre de l'édifice, dont l'étendue vers l'ouest est inconnue. La phase 7 correspond à la mise en place de nouveaux cloisonnements et d’aménagements ponctuels (Fig. 6-92). Cette division de l'espace implique des modes d'occupation distincts des différentes pièces.

La séparation la plus durable a été la construction des murs de refend M.1008 -1009  et M.1033 , qui ont formé trois pièces. La partie orientale semble avoir nécessité des renforcements des voûtes (Fig. 6-17) en deux étapes distinctes, probablement associés à des cloisonnements, tandis que la pièce centrale a été divisée par des murets et des cloisons régulièrement remaniées (Fig. 6-55), les niveaux de sols étant bien identifiables, parfois constitués de pavés.

À l'ouest, l'occupation du rez-de-chaussée n'est pas connue et l'utilisation des étages ne semble pas avoir été modifiée pendant cette phase. Toutefois, certaines transformations ne sont pas précisément datées. C'est le cas des rehaussements du sol intérieur attribués à la phase suivante, mais qui ont pu ne pas intervenir de façon synchrone dans toutes les pièces. Les abords du bâtiment ont eux aussi connu une occupation dense : ensemble de trous de piquets, dallage à l’ouest et ajout de murs de clôture au nord comme au sud.

L'occupation du bâtiment lors de la phase 7 est marquée par une distinction forte entre les différentes parties du rez-de-chaussée, par la mise en place de cloisonnements, par des aménagements localisés ou des activités spécifiques (Fig. 6-1). Les étages semblent, eux, ne pas avoir conservé de traces d'aménagements.

Au niveau 1, l'espace est toujours divisé au début de la phase 7 par le muret M.1037 , qui définit deux pièces, une à l'est, l'autre au centre de l'édifice, dont l'étendue vers l'ouest est inconnue.

6.1 L'occupation intérieure au centre du bâtiment (17e siècle, Ens.4099, Agr.550)

Les témoins de l'occupation intérieure dans la partie centrale de l'édifice sont limités à une bande située entre le dallage F.1108  et le muret M.1037 . Plus à l'ouest, dans les secteurs 10 et 11, les arasements ont détruit tous les sols jusqu'à atteindre les couches du haut Moyen Âge.

Le dallage construit lors de la phase précédente (F.1108 ) a été recouvert partiellement par de fines couches d'occupation qui s'étendent vers l'est, affleurant par endroits au même niveau que la surface des dalles et plus bas dans d'autres zones. Elles reposent directement sur l'arase du mur M.1017  et des remblais déposés lors de sa destruction pendant la phase 3 (Fig. 6-2, 6-3).

Certaines couches ont une coloration brun rouge bien identifiable, et s'étendent essentiellement près de la partie sud du dallage (US 40500). La couche 40544 témoigne de la destruction de sols antérieurs : elle contenait des fragments de terre tassée et rubéfiée, portant des traces d'ocre jaune, qui appartenaient peut-être aux sols médiévaux perturbés par l'installation du dallage. D'autres sont constituées de poudre de tuffeau blanc (US 40499, 40501), recouvrant des lambeaux de sols et témoignant d'un nettoyage de cette zone, seule la partie près du dallage ayant été épargnée.

Ces couches s'intercalent avec le creusement de petites fosses ayant servi à l'installation de piquets et de poteaux (Fig. 6-4). Trois des fosses sont situées auprès du dallage : F.1117 , un creusement irrégulier et peu profond, F.1113 , qui contenait un piquet de forme carrée de 5 cm de côté et F.1112 , formé d'une fosse carrée de 20 cm plaquée contre les dalles, avec une paroi tapissée de mortier et contenant le négatif d'un piquet circulaire de 5 cm dans un angle (Fig. 6-5). Les deux derniers faits mesuraient 15 cm de profondeur. Deux autres fosses plus grandes situées à l'est, F.1107  et F.1118 , contenaient des poteaux dont le négatif de 17 cm sur 13 cm était bien visible dans le premier, calé par un bloc de tuffeau (Fig. 6-6). La fonction de ces structures est difficile à déterminer, puisque leur position et leur diversité de forme ne permettent pas de reconnaître une structure particulière.

La datation de cet ensemble de couches d'occupation ne repose que sur quelques éléments, puisque la plupart des unités stratigraphiques semblent contenir essentiellement du mobilier redéposé des 13e-14e siècles ou des 15e-16e siècles. Toutefois, deux couches contiennent du mobilier en céramique attesté à partir du milieu du 17e siècle (groupe technique to4a), ce qui fournit un terminus post quem pour les couches les plus récentes, tandis que les couches inférieures (US 40500 par exemple) peuvent être légèrement antérieures.

6.2 Les consolidations ou modifications du couvrement à l’est au rez-de-chaussée (17e siècle)

Dans la partie orientale, au-delà du muret M.1037 , l'occupation semble très différente de celle observée à l'ouest. De nombreux poteaux ont été mis en place, en plusieurs étapes, intercalés avec des phases d'occupation et de ragréage de sols (Fig. 6-1).

6.2.1 Une structure sur poteaux contre le mur oriental (Ens.4036, Agr.701)

Après le dépôt des épais remblais charbonneux marquant la fin de l'occupation artisanale à l'extrémité orientale du bâtiment, une série de trous de poteau a été creusée, formant une ligne contre le mur pignon M.1014  (Fig. 6-7). Ces six structures sont régulièrement réparties, séparées de 1,2 m à 1,8 m. Leurs formes variées sont en partie dues à l'adaptation aux éléments architecturaux enterrés qui ont constitué des contraintes : les deux fosses situées au nord ont dû être creusées dans les blocs constituant les marches de la porte 1250  (Phase 2). Le fait F.1210 , contenant deux poteaux, a ainsi pris la forme de deux petits creusements étroits en partie basse, dans le bloc de la marche F.1251 , permettant le calage des poteaux de 15 et 20 cm de côté (Fig. 6-8). Le fait F.1209  ne contenait, lui, qu'un seul poteau de 20 cm de côté, dont la mise en place a détruit en partie un bloc des marches. Le fait F.1221 , creusé contre le socle de la colonne engagée EA 1247 , contenait un poteau de dimensions similaires, tandis que le Fait F.1223  au sud était associé à un poteau de 12 cm.

Ces quelques différences permettent toutefois de restituer une structure sur poteaux régulière, collée contre le mur pignon M.1014 , et qui semble avoir été pérenne au nord, les bouchages de certains des négatifs de poteaux étant postérieurs au dépôt de nouvelles couches d'occupation dans ce secteur (F.1209 , F.1210 , F.1221 ). La structure semble avoir également été ancrée dans le mur pignon M.1014  : la maçonnerie porte en effet des trous d'encastrement situés dans l'alignement des fosses, creusés à ce moment-là ou plus anciennement (Agr. 722, phase 5, Fig. 4-18).

En revanche, cet alignement ne semble pas lié à d'autres poteaux plus éloignés du mur, qui auraient constitué l'extrémité de cloisons orientées est-ouest, pour former des box d'écuries par exemple, les espacements correspondant globalement aux préconisations de 1,5 m d'espace pour chaque cheval (Dufour 2012 : 63). Cette absence ne semble pas liée aux décaissements ultérieurs car les fosses situées contre le mur sont profondes et leurs équivalents auraient donc été repérés à la fouille. Peut-être faut-il y voir un autre type d'aménagement lié à la présence d'animaux, comme des mangeoires, puisque des trous d'encastrement dans les murs ont parfois été interprétés de cette façon pour des écuries médiévales (Beuchet 2014 : 25-28 ; Beuchet 2017). Ces hypothèses d'un aménagement de cloisons ou de mangeoires restent très incertaines.

Ces poteaux régulièrement espacés pourraient également être liés à une transformation du mur M.1014  ou à un renforcement des voûtes, étant donné l'ancrage très important de la structure, à la fois au sol et dans le mur pignon.

La position des poteaux contre le mur s'apparente à celle des poteaux placés près du mur M.1037  de l'autre côté de la pièce, mais dont la mise en place semble antérieure. Elles sont de plus à mettre en relation avec d'autres séries de supports ajoutés au cours de la phase 7 dont la position est incompatible avec des cloisons.

6.2.2 L'occupation intérieure et les ragréages de sols (Ens.4035, Agr.654, 698, 699)

Après la mise en place des poteaux de l'ensemble Ens.4036, des remblais ont été déposés contre le mur M.1014 , comblant les trous de poteau situés au sud (F.1218 , F.1223 , F.1224 ), mais entourant les poteaux situés côté nord, parfois en les renforçant avec la mise en place de blocs de tuffeau, comme autour du fait F.1225 . Ces couches, mesurant jusqu'à 15 cm d'épaisseur, ont été piétinées en surface. Leur datation est fournie par des tessons de céramique de la fin du 16e siècle ou de la première moitié du 17e siècle (groupes techniques to21c ; to19c) et une monnaie de 1633 (US 41395). Elles contiennent en outre du mobilier redéposé, comme de la céramique des 14e et 15e siècles ou des déchets de bronze provenant des structures artisanales de la phase précédente, partiellement perturbées.

Ces couches ont été recouvertes par des ragréages de sols, formés par une alternance de mortier rosé, de remblais hétérogènes, de sédiments argileux marron et de couches de poudre de tuffeau blanc ou jaune (Fig. 6-9).

Ces couches forment deux bandes orientées nord-sud, la première située à l'est, face à la porte POR 1255  (Fig. 6-10, 6-11), l'autre étant localisée à l'est du support central EA 1166 , à l'autre extrémité de la pièce (Fig. 6-12). L'emprise et l'épaisseur des couches de tuffeau, notamment, indiquent une usure importante du sol à ces endroits, qui a été réparé par l'apport régulier de sédiments fortement piétinés. Une seule de ces couches contenait du mobilier en céramique, appartenant à la seconde moitié du 17e siècle (groupe technique to21c).

La surface de ces couches a été noircie par la circulation et elles comportent parfois des traces de végétaux piégés.

6.2.3 Des supports enterrés maçonnés : échafaudages ou renforts pour la voûte ? (Ens.4035, Agr. 652, 697, 702)

Les sols d'occupation précédemment décrits ont été perturbés par l'aménagement de supports, trous de poteau ou fondations maçonnées, disposés en trois rangées orientées nord-sud (Fig. 6-13).

Quatre fosses ont ainsi été creusées près de la rangée de trous de poteau de l’agrégation 701, à 90 cm du mur pignon M.1014  : une petite fosse peu profonde (F.1207 ) et trois trous de poteau, conservant le négatif de poteaux quadrangulaires de 15 cm de côté calés par des blocs de tuffeau (F.1208 , F.1217 , F.1222 , Agr.652, Fig. 6-14). Ces fosses, profondes de 40 à 50 cm et espacées de 2,9 et 2,1 m, sont associées à des trous d'encastrement dans le mur pignon M.1014 , comme l'étaient les trous de poteau de l'agrégation 701. Ces trous d'encastrement (UC 41592, 41732 et 41727, Agr.697) mesurent 35 cm de haut et sont placés au-dessous du niveau de la gorge, soit à 51,5 m NGF environ (Fig. 6-15, 6-16).

Cette structure, implantée à la fois dans le sol et dans le mur pignon, était complémentaire des poteaux des faits F.1209 , 1210  et 1221 , érigés pendant l'agrégation Agr.701 et toujours en place. Certaines des nouvelles fosses s'intercalent entre les trous de poteau précédents, ce qui indique un renforcement de la structure originelle servant probablement de support au mur ou à la voûte.

Plus à l'ouest, deux lignes formées de deux à trois supports ont été créées autour de la base de la colonne centrale EA 1169  (Fig. 6-13, Fig. 6-17). Leur disposition, globalement symétrique, associe deux supports centraux, de part et d’autre de l'EA 1169  (F.1171 -1266  et F.1178 ) et des supports intermédiaires : F.1172  et F.1183  à l'ouest, et F.1191  à l'est, associé à un trou de piquet (F.1216 ).

Ces supports montrent trois techniques de construction différentes. Le fait F.1172  comportait un calage de blocs de tuffeau témoignant du négatif d'un poteau carré de 35 cm environ. Le fond de la fosse était tapissé de carreaux de terre cuite de 15 cm de côté disposés sur plusieurs épaisseurs (Fig. 6-18), un aménagement rappelant celui du fait F.1142 , appartenant à la phase 4. Les fosses F.1183  et F.1191 , profondes de 40 et 20 cm, contenaient chacune un gros bloc (tuffeau ou silex) dont la face supérieure affleurait à plat (à 50,85 m et 51 m NGF), calée par un comblement de terre et de blocs. Enfin les deux supports centraux F.1178  et F.1171 -1266  résultent du remplissage de deux fosses de 70 et 50 cm de profondeur par des maçonneries composées de blocs de tuffeau ou de calcaire dur liés au mortier de chaux (Fig. 6-19, Fig. 0-65). La surface du Fait F.1178  est constituée d'un large bloc de calcaire dur horizontal de 50 sur 80 cm, situé à 51 m NGF, tandis que le Fait F.1171 -1266  présente une surface plane faite d'ardoises et de TCA posées à plat et liées au mortier de chaux sur laquelle est visible le négatif d'un poteau ou d'une colonne de 26 cm de diamètre, à 50,85 m NGF. La robustesse des deux derniers supports indique qu'ils portaient un poids important, les autres supports servant de renforts secondaires. Il ne s'agit donc probablement pas de poteaux destinés à former un partitionnement interne, qui n'auraient pas nécessité de telles fondations. Les différences de niveau entre les supports impliquent des ajustements ponctuels, mais empêche également de connaître précisément le niveau du sol contemporain, les supports pouvant être partiellement recouverts avant l'arasement de la partie supérieure (cf. 6.3.1.1).

Ces aménagements pourraient être destinés à consolider la voûte par l'ajout d'étais en complément des colonnes centrales originelles (EA 1166  et EA 1169 ). Le nombre de supports semble impliquer que la voûte a subi des désordres structurels importants. Cette phase d'aménagement est interprétée comme une consolidation plutôt qu'une reconstruction de la voûte, car aucun élément architectural ne permet d'affirmer que les voûtes sont détruites avant la phase suivante.

La datation de ces travaux, du 17e siècle, est établie essentiellement par chronologie relative, les fosses ne contenant pas de mobilier à l'exception du fait F.1183 , où ont été découverts des tessons de céramique redéposés des 15e-16e siècles (groupe technique to3c).

6.2.4 Le remblaiement des faits et l'occupation (Ens.4034)

Certains supports sont scellés par des couches témoignant de ragréages de sols similaires aux précédents (Agr.654), montrant une alternance de couches de mortier friable, de poudre de tuffeau blanc et de limon, formant une large bande occupant l'espace entre les supports EA 1166  et EA 1169  (Agr.651, Fig. 6-20, 6-21). Le mobilier qu'elles contiennent permet de les dater de la seconde moitié du 17e siècle, tandis que d'autres couches d'occupation, conservées le long du mur M.1001  au sud, renfermaient essentiellement du mobilier redéposé.

Deux des fosses ont été scellées par de nouveaux remblais hétérogènes (F.1207 , 1217 ), conservés très partiellement à l'angle sud-est du bâtiment (Agr.696).

6.3 La construction de supports cubiques dans la moitié orientale du bâtiment

6.3.1 Des décaissements des sols intérieurs à l'est et à l'ouest (Ens.4006, 4033, 4075)

6.3.1.1 L'arasement des sols intérieurs à l'est du bâtiment (Ens.4033)

Toute la partie centrale de la pièce orientale semble avoir été décaissée pour atteindre 50,9 m NGF environ (F.1469 ). Cet arasement est perceptible à la fois par la « marche » formée au bord du muret M.1037  et par l'état de conservation des sols situés contre le mur pignon M.1014 . En effet, les sédiments à cet endroit ont été arasés en formant une pente vers l'ouest, ce qui a écrêté certaines des fosses, conservées sur quelques centimètres de profondeur seulement (F.1207 , F.1232 ). Le muret M.1037  semble être encore en place après cet épisode, puisqu’il a servi de limite occidentale au décaissement (Fig. 6-1, 6-22).

6.3.1.2 L'arasement des sols intérieurs à l’ouest et la destruction du dallage (début 17e siècle) (Ens.4006, 4075)

Dans la pièce centrale du bâtiment, la phase 7 est marquée par un décaissement des sols intérieurs (F.1293 , 1294 , 1468 ), détruisant la partie ouest du dallage F.1108  construit à la phase précédente, mais également les sols sous-jacents, mettant au jour des couches du haut Moyen Âge (Fig. 6-22). Vers l'ouest, cet arasement a touché toute l'emprise des secteurs 10 et 11, à l'exception de l'angle sud-ouest, où un lambeau de sol d'origine est préservé au-dessus de la fondation du mur 1028  (phase 3).

Dans les secteurs 2 et 3, le décaissement a été partiel : une partie du dallage est laissée en place à l'est, formant un arc de cercle autour d'une dépression dont le fond est situé à 51,1 ou 51,2 m NGF, soit plus bas que les sols antérieurs (Fig. 6-23).

6.3.2 La construction de supports contre les murs M.1001  et M.1002  (Ens.4029)

Ces décaissements ont été suivis de l'aménagement de supports contre les murs gouttereaux nord et sud (Fig. 6-24). Les cinq structures sont inégalement préservées, mais elles montrent des similitudes dans leur positionnement et leur technique de construction.

6.3.2.1 Les deux supports situés au centre du bâtiment (Agr.531, 551)

Deux supports ont été construits contre le mur M.1002 , au nord, de part et d'autre de la colonnette engagée EA 1125 , c'est-à-dire là où se fait l'inflexion du bâtiment. En face, le mur M.1001  ne comporte aucune structure comparable (Fig. 6-24).

Ces supports sont formés de blocs quadrangulaires de calcaire plaqués contre le parement du mur M.1002  au-dessus d'une fondation de moellons et mortier de chaux. L'aménagement du support EA 1259  a été réalisé après le creusement d'une tranchée peu profonde de 3,3 m sur 80 cm (F.1046 ), dans laquelle a été construite une fondation de petits moellons et mortier de chaux formant des ressauts, la tranchée étant comblée progressivement de mortier friable (Fig. 6-25, 6-26). Cette tranchée correspond à la reprise du mur, reconstruit en blocs de moyen appareil de tuffeau de 20 à 25 cm de haut, soit d'un module plus petit que les blocs originels du mur (UC 40584). Le bloc formant le support a été posé au-dessus de ces fondations et contre le nouveau parement. Il mesure 45 cm de long, 30 à 40 cm de large et 40 cm de haut (UC 40308). Il est associé à un creusement peu profond dans le mur M.1002 , large de 40 cm environ pour 5 cm de profondeur, commençant au niveau de la face supérieure du cube, située à 51,8 m NGF (UC 41356).

Le support EA 1260  a été construit plus simplement, dans une tranchée aveugle, dans laquelle a été aménagée la fondation du bloc, dont elle ne dépasse que de quelques centimètres sur les côtés (Fig. 6-27). Le bloc mesure 45 cm de long pour 30 cm de large et 45 cm de haut ; sa surface est située à 51,6 m NGF, plus bas que le bloc précédent (Fig. 6-28). Au-dessus, le mur ne comporte pas de creusement peu profond comme pour l'autre support, mais il existe un trou d'encastrement plus étroit 50 cm au-dessus du bloc, et dont la datation est difficile à établir (UC 41271). Les deux éléments peuvent être contemporains et correspondre à l'ancrage d'un support dans le mur M.1002 .

Des couches témoignant d'un chantier de construction peuvent probablement être associées au même ensemble : il s'agit d'une plaque de mortier de chaux posée sur un lit de sable ocre occupant la partie sud de l'espace dégagé après la destruction partielle du dallage (US 40626, Agr.551, Fig. 6-29). Le mortier remonte contre les dalles encore en place et pourrait correspondre à une aire de gâchage.

6.3.2.2 Les trois supports situés à l'est du bâtiment (Agr.647)

Dans la pièce orientale, trois supports ont été identifiés, mais ils sont beaucoup moins bien conservés que les deux supports précédents. Deux sont visibles dans le mur nord et un troisième dans le mur sud, tous situés dans l'alignement des supports enterrés construits (cf. 6.2.3, Ens.4035, Fig. 6-24).

Le support EA 1261  a été aménagé après une reprise du parement M.1002 , à l'est de la colonne engagée EA 1168  avec des blocs de moyen appareil de tuffeau d'un module plus grand que le parement originel (UC 41300, Fig. 0-50, 0-89). Deux assises de 26 et 20 cm sont surmontées d'une troisième assise de 14 cm, positionnée à hauteur de la gorge. L'EA 1261  était conservée sous la forme d'un radier de maçonnerie plaqué contre cette reprise du mur M.1002 , mesurant 65 cm de long pour 45 de large et seulement 10 cm de haut (F.1182 , UC 41005, Fig. 6-28, 6-30). Il peut s'agir de la fondation d'un support cubique comme les EA 1259  et 1260 . Cette fondation est associée à un creusement peu profond dans le mur identique au creusement situé au-dessus du support EA 1259 . Il mesure 35 cm de large pour au moins 75 cm de haut, commençant à 51,5 m NGF (UC 41306). Ce creusement est partiellement bouché par une bande verticale de mortier descendant jusqu'à la fondation, indiquant l'existence d'un support plaqué contre le mur (UC 41308). Au-dessus, une plaque de mortier masque le reste du parement.

Le support EA 1263 , à l'ouest de la colonnette engagée EA 1168 , est attesté par une plaque de mortier au sol à 51,1 m NGF (UC 41006) et par un creusement peu profond dans le mur, de 40 cm de côté pour 5 cm de profondeur, situé 1,1 m plus haut (Fig. 6-28, 6-31).

Enfin, le support EA 1262 , situé au sud, est matérialisé par une petite tranchée au sol, mesurant 65 cm de long pour 50 cm de large et 10 à 15 cm de profondeur (F.1203 ), et par un creusement peu profond dans le mur M.1001 , mesurant 45 cm de large et au moins 70 cm de haut et commençant à 51,35 m NGF (Fig. 6-28, 6-32).

6.3.2.3 La fonction de ces supports

Toutes ces structures, bien qu'inégalement conservées, présentent toutes des traces de la fondation de supports contre les murs gouttereaux, et d'ancrage du support dans les maçonneries, à des hauteurs différentes, correspondant certainement à l'insertion d'un bloc sur deux, comme ce qui a été fait lors de la phase 3.

Si la nature de support des cinq structures présentées ne paraît pas faire de doute, le contexte de leur construction est plus difficile à percevoir. Les similitudes très fortes entre les cinq supports permettent de proposer une phase de construction commune, située au milieu du 17e siècle ; cette datation est fragile, puisqu'elle ne repose que sur quelques tessons de verre, la céramique étant rare et essentiellement redéposée (groupes techniques to4a ; to7b ; to10a).

Toutefois, cette contemporanéité indique-t-elle un aménagement unique ? Il est probable que le mur M.1037  était encore en fonction à ce moment, séparant deux pièces et divisant les supports en deux groupes.

La disposition des supports semble indiquer un fonctionnement différent (Fig. 6-24). Les trois supports situés à l'est sont placés dans l'axe des supports précédemment créés, complétant ces alignements. Un quatrième support a peut-être été entièrement détruit face à l'EA 1263 .

Les deux supports situés à l'ouest sont, eux, isolés, aucun support similaire n'ayant été implanté dans le mur M.1001  en face ou plus à l'ouest, dans les secteurs 10 et 11. Ils correspondent peut-être à un renfort très ponctuel de la voûte, à l'emplacement de l’inflexion du bâtiment, qui a peut-être entraîné des fragilités structurelles.

La construction de ces supports n'implique donc pas nécessairement l'existence d'un volume unique dans le bâtiment à ce moment-là, les deux groupes semblant répondre à des fonctions structurelles indépendantes, même si elles témoignent d'une fragilité de l'édifice, dont la voûte a peut-être dû être renforcée à plusieurs reprises.

6.3.2.4 L'occupation associée aux supports ?

À l'ouest, quelques couches témoignent de l'occupation après l'installation des supports (Ens.4028), mais elles sont très localisées et difficiles à dater. Une couche épaisse déposée contre le mur M.1002  a ainsi recouvert la fondation du support EA 1259 , mais elle ne contenait que du mobilier redéposé des 15e-16e siècles (US 40133).

Dans la partie orientale du bâtiment, les traces d'occupation observées sont difficiles à placer chronologiquement par rapport aux supports (Ens.4029) et elles n'ont été conservées que sous forme de lambeaux dans le quart sud-est de la pièce.

Des objets découverts dans les remblais de démolition postérieurs pourraient indiquer une fonction d'écurie pour cette pièce (cf. 6.4.3, Ens.4027, Agr.643 : boucles de harnachement, outils).

6.4 La transformation des partitions internes du bâtiment

6.4.1 La destruction des structures antérieures (Ens.4027, Agr.645, 695)

Dans la pièce orientale, quatre trous de poteau ont été aménagés près du muret M.1037 , mais leur fonction et leur datation sont incertaines (F.1173 , 1179 , 1184 , 1186 , Agr.650). Il peut s'agir d'un complément du dispositif de consolidation de la voûte ou d'un échafaudage lié à la destruction du muret M.1037 . Ces fosses sont irrégulièrement espacées et forment une ligne nord-sud (Fig. 6-33, 6-34). Elles contiennent un à deux négatifs de poteaux et deux d'entre elles ont une forme en équerre (F.1184  et F.1186 , Fig. 6-35).

La destruction du mur M.1037  intervient peu après, puisque le comblement de ces fosses est scellé par des couches composées de matériaux de démolition. Elles sont constituées essentiellement d'argile marron et de fragments d'enduits de chaux blancs, qui semblent appartenir à une cloison aux parements enduits, que l'on peut identifier comme l'élévation du mur M.1037  (cf. 6.4.3, les couches de démolition). Il est toutefois difficile de déterminer s'il s'agissait d'une cloison à structure de pan de bois et hourdis de torchis ou un muret plus large construit en bauge.

De plus, tous les supports créés lors de la phase 7 sont détruits à ce moment-là. Les fosses-supports sont recouvertes entièrement par les remblais et les supports maçonnés contre les murs sont démontés en grande partie, ne laissant que des traces de mortier au sol et sur les murs, ainsi que les encastrements peu profonds en partie haute.

Cette démolition coïncide avec la construction du mur M.1008 -1009  à l'ouest de M.1037 .

6.4.2 La construction de murs de refend à l’est et à l’ouest (milieu 17e siècle, Ens.4027 et 4098)

6.4.2.1 Le mur central M.1008 -1009 

Le mur M.1008 -1009  est constitué de deux tronçons jointifs mais décalés, formant un plan en baïonnette (Fig. 6-33, Fig. 6-36). Il est globalement orienté nord-sud, légèrement oblique par rapport aux murs qui l'entourent, et placé entre les supports centraux EA 1009  et EA 1166 , 1 à 2 m à l'ouest du muret M.1037 , à présent détruit.

Il a été construit dans une tranchée aveugle, qui s'élargit légèrement à la jonction des deux tronçons (F.1176 -1212 ). Les fondations, profondes d'au moins 1,4 m, sont formées d'assises grossières de moellons et de blocs de moyen appareil de tuffeau jaune, recouvertes de couches de mortier de chaux ne comblant pas les trous entre les blocs (Fig. 0-92). L'élévation est plus régulière en partie basse de l'élévation : les blocs utilisés présentent des faces planes et forment des assises légèrement irrégulières en partie masquées par un mortier de chaux couvrant, régularisant les parements est et ouest (UC 40840, 40843, Fig. 6-37, 6-38). En partie haute, essentiellement au nord, le mur semble construit de façon plus irrégulière : une partie du mur est liée à l'argile et l'enduit de mortier qui recouvrait le parement n'a pas été conservé partout (Fig. 6-39). De plus, le tronçon nord (sur 2 m de long environ) est probablement plus tardif, édifié en même temps que l'apport de remblais lors de la phase 8 (UC 40841, 40842, cf. 7.1.2.2).

Ce mur était conservé au même niveau que les murs gouttereaux, mais a été écrêté au cours de la fouille pour des raisons de sécurité. Cette intervention a permis de préciser sa technique de construction : il a été plaqué à ses extrémités contre les murs M.1001  et M.1002 , sans reprises des maçonneries, ce qui a préservé sur les murs gouttereaux des peintures appartenant aux phases précédentes.

Les raisons de la construction de M.1008 -1009  selon un plan en baïonnette sont incertaines. L'objectif était peut-être de fournir une meilleure stabilité à cette travée et à sa voûte : des renforts avaient été ajoutés à l'est comme à l'ouest, mais pas à cet endroit, près de l'ancien muret M.1037  (Fig. 6-33). Sa construction a peut-être été envisagée dès l'origine comme une sorte de mur de terrasse afin de retenir les remblais déposés par la suite de chaque côté pour rehausser le niveau de sol.

6.4.2.2 Le mur de refend ouest M.1033  (Ens.4098)

Le mur M.1033 , observé partiellement à la limite ouest de la zone de fouille, n'est pas daté avec précision, les relations stratigraphiques du mur avec les couches des secteurs 10 et 11 n'ayant pu être identifiées (Fig. 6-33). Toutefois, sa technique de construction permet de le rapprocher du mur M.1008 -1009 .

Le mur nord-sud M.1033  a été construit dans l'axe de la colonnette engagée EA 1412  et des supports associés, qui n'ont pas été observés. Il mesure 60 cm de large environ et a été dégagé sur une seule assise côté est et sur quatre assises côté ouest, grâce à la réalisation d'un petit sondage de 3 m de long situé au sud-ouest du mur. Trois techniques de construction différentes ont été identifiées. En partie basse, des blocs de moyen appareil et des moellons de tuffeau jaune sont liés au mortier de chaux ou à l'argile pour former des assises irrégulières (UC 42992). En partie haute, une plaque de mortier couvrant est partiellement conservée du côté ouest, indiquant une volonté de régulariser le parement (Fig. 6-40). L'assise supérieure, conservée au centre du bâtiment uniquement, a été construite de façon plus soignée, du côté oriental au moins, où de grands blocs de moyen appareil forment un parement régulier (Fig. 6-41). La position du mur implique qu'il a soit englobé soit remplacé le support central. Enfin, l'extrémité sud du mur a été construite en moellons liés à l’argile. Elle correspond probablement au bouchage d'un accès et semble plus tardive, édifiée au moment du remblaiement général du bâtiment (cf. 7.1.2.2, Agr.842, Fig. 6-40).

Quelques traces d'occupation sont attestées à l'est du mur M.1033 , dont il est difficile de déterminer la chronologie étant donné leur isolement. Il s'agit de remblais argileux ou hétérogènes contenant des fragments de tuffeau (Agr.792), associés à une petite fosse ayant pu servir de support, le fond étant tapissé d'ardoises (F.1330 , Agr.791).

6.4.3 Les remblais de démolition déposés dans la pièce orientale (Ens.4027, Agr.643)

À l'est du bâtiment, au-delà du mur M.1008 -1009 , d'épais remblais issus de démolitions recouvrent l'ensemble de la surface de la pièce (Fig. 6-42). Ils sont constitués essentiellement d'un sédiment argileux marron, déposé sur 15 cm d'épaisseur, contenant des poches de mortier pulvérulent, des fragments d'enduit blanc collés à des blocs d'argile contenant de la paille, ainsi que des ardoises, des tuiles et des carreaux de terre cuite. Certains de ces éléments proviennent de la destruction d'une paroi d'argile à la surface lissée et enduite, que l'on peut identifier comme l'élévation du muret M.1037 . Ce niveau a été recouvert par une couche sableuse épaisse de 40 cm par endroits, contenant du mortier, des TCA et des ardoises. Ces couches contenaient un mobilier métallique important témoignant probablement de la fonction d'écurie du bâtiment avant les travaux (fers, boucles de harnachement Fig. 10-46, étrille, Fig. 6-43, 10-50, 10-51) et le mobilier en céramique indique une datation du milieu du 17e siècle (datations 16b-17b et 17b-18a, groupes techniques to19c ; to10a ; to2i). Ces remblais de démolition et les couches qui les recouvraient contenaient également des fragments de terre cuite pouvant correspondre à des statues religieuses similaires à celles étudiées pour le Maine aux 16e et 17e siècles (http://www.sculpturesdumaine.culture.fr/fr/accueil.htm), mais le caractère très fragmentaire des éléments découverts ne permet pas de s'en assurer (cf. 10.5.1.8, Fig. 10-41).

Le dépôt de ces couches montre une volonté d'égaliser et d'aplanir ces remblais de démolition, mais également de gommer la différence de niveau entre les deux sols situés à l'origine de part et d'autre du muret M.1037 .

Ces couches recouvrent entièrement les vestiges des différents supports établis au début de la phase 7, signifiant la suppression des renforts de la voûte (poteaux et supports cubiques) : soit des réparations durables ont été effectuées, soit la voûte est détruite à ce moment. La construction des murs de refend et les remblais de démolition associés signifient-ils la démolition des voûtes dans tout l'édifice ou dans la partie orientale seulement ? Il est difficile de dater précisément cette transformation.

Ces remblais de démolition semblent avoir été immédiatement suivis de travaux de remblaiement, afin de rehausser le niveau de sol intérieur. Ces couches n'ont pas été fouillées à la main et le mobilier était très rare. Il est donc difficile de proposer des datations à partir des simples observations réalisées, d'autant que la destruction du bâtiment au 19e siècle a fortement perturbé les traces d'occupation postérieures aux remblais (cf. 8.2). Ces travaux ont été associés à la phase 8 et ils impliquent un décalage avec l'occupation de la pièce centrale, qui ne semble avoir été remblayée que plus tard, après une occupation prolongée à un niveau plus bas.

Les circulations dans le bâtiment après la construction des murs de refend

La construction des deux murs de refend a formé au moins trois pièces dans le bâtiment, en plus de la pièce située à l'ouest, correspondant à l'ancien passage (Fig. 6-33). Il existait peut-être également un mur de refend dès l'origine à l'ouest, séparant les travées 3 et 4, mais cela reste à l'état d'hypothèse.

À cette période, le bâtiment comportait donc probablement une pièce orientale de 9,7 m sur 12 m à l'est, desservie par la porte POR 1255  puis par la porte POR 1202  (cf. 7.1.2.1, 7.1.3.1, phase 8), une pièce centrale de 9,7 m sur 17 m, à laquelle on accédait par la porte POR 1458  et qui ouvrait au nord sur une annexe, et une pièce occidentale, mesurant 9,7 m sur 15,7 m dont les portes ne sont pas connues (correspondant à deux pièces distinctes si on retient l'hypothèse du mur de refend). Il existe plusieurs possibilités de restitution des accès. Le mur M.1033  comportait peut-être une porte côté sud, où la maçonnerie est construite différemment. Une des portes créées lors de la phase 8 dans la partie en élévation masque peut-être une ouverture située plus bas pour ouvrir au niveau du sol ou bien la pièce à l'ouest du mur M.1033  a été directement remblayée et l'occupation immédiatement postérieure correspond peut-être à la création des portes visibles aujourd'hui en élévation à l'ouest (cf. 7.1.5, phase 8).

6.5 L'occupation de l'espace central : des partitions internes secondaires

La ou les pièces occidentales, situées à l'ouest du mur M.1033  sont très mal connues puisque situées en dehors de la zone de fouille. La pièce orientale semble remblayée rapidement (cf. 7.1.2.1, phase 8), tandis que la pièce centrale a connu une occupation dense, correspondant à la seconde moitié du 17e siècle et au début du 18e siècle (Fig. 6-33).

6.5.1 Première partition dans la partie centrale, entre les murs de refend M.1008 -1009  et 1033  (milieu 17e siècle Ens.4006, 4027)

6.5.1.1 Le chantier près du mur M.1008 -1009  (secteurs 2-3, Ens.4027 Agr.530)

La construction du mur M.1008 -1009  a été suivie par l'apport massif de remblais sableux hétérogènes allant jusqu'à 45 cm d'épaisseur, formant une pente montant vers l'est (US 40307-40514). Ces couches contenaient une forte proportion de mortier pulvérulent et comportaient un mobilier abondant : deux monnaies, des tessons de vaisselle en verre et de la céramique indiquant tous le 17e siècle (groupe technique to4a). Près des restes du dallage, quelques fines couches attestent une occupation localisée, avant la formation d'une grande plaque de mortier résultant probablement de l'utilisation de cette zone comme aire de gâchage. Ce mortier, constitué de plusieurs couches superposées sur 5 cm d'épaisseur au-dessus d'un lit de sable, tapisse la dépression laissée par la destruction partielle du dallage (au-dessus du mortier US 40626), mais recouvre également en partie les remblais sableux. Le niveau d'occupation à ce moment était donc partiellement en pente.

Plusieurs petites fosses sont postérieures au mortier et participent probablement à la même phase de chantier. Trois d'entre elles ont des dimensions modestes, et leur fonction est inconnue (F.1054 , F.1106 , F.1115 ). Une autre n'a pu être observée qu'en coupe (F.1135 ), tandis que la dernière, située devant le support 1050 du mur sud, correspond à un trou de poteau de 75 cm de diamètre pour 1 m de profondeur, dans lequel aucun négatif ni élément de calage n'a été identifié (F.1090 , Fig. 6-33, 6-45). La profondeur de la fosse indique toutefois qu'elle était destinée à l'aménagement d'une structure portante ayant servi pendant le chantier et rebouchée aussitôt.

Le chantier correspondant se trouvait probablement plus à l'ouest, où des murets ont été construits.

6.5.1.2 La construction des murets M.1021 , M.1022 , M.1023  (secteurs 10-11, Ens.4006, Agr.790-806)

La partie occidentale de la pièce centrale a été subdivisée par la construction de plusieurs murets, définissant une grande pièce à l'est (correspondant essentiellement aux secteurs 2-3) et deux plus petites à l'ouest (Fig. 6-33). Ils ont été édifiés en s'appuyant contre le support central EA 1316  et contre l'EA 1325 , construit à 60 cm à l'est avec un fût de colonne hexagonal en remploi posé dans une fosse peu profonde tapissée d'ardoises.

Tous les murets sont constitués de moellons et de blocs de moyen appareil ainsi que de quelques blocs sculptés en remploi (corbeau, fût de colonnette). Ils sont essentiellement liés à l'argile marron ponctuellement associée à du mortier de chaux. Les parements sont formés de gros blocs assisés tandis que le blocage interne utilise de petits moellons. Ils sont conservés sur deux assises uniquement et correspondent probablement à des solins supportant des élévations en pan de bois et torchis ou en bauge.

Les murets M.1021  et M.1022 , orientés nord-sud et placés à l'est, ont été construits dans des tranchées peu profondes (F.1329 , 1323 ) creusées directement dans des couches du haut Moyen Âge (Fig. 6-33, 6-46, 6-47, 6-48). Ils ménagent une porte de 1 m de large (POR 1467 ) délimitée au nord par l'EA 1325  (Fig. 6-49) et au sud par un corbeau en remploi dans M.1021 . Ce dernier muret semble avoir été construit peu après les autres, une couche de circulation s'intercalant entre les différentes étapes du chantier (US 42616). L'extrémité sud de M.1021  a été détruite par le creusement d'une tranchée contre M.1001  lors de la phase suivante.

Le mur M.1023 , orienté est-ouest et placé dans l'alignement des deux supports 1316 et 1325, s'appuyait probablement côté ouest sur le mur de refend M.1033  (Fig. 6-33). Il comporte une ouverture de 1,2 m de large délimitée à l'est par un fût octogonal attesté uniquement par son négatif dans le mortier au sol (POR 1326 , Fig. 6-50). Le négatif d'un bois correspondant probablement à un seuil est identifiable au sol et par son encastrement dans l'extrémité ouest du muret.

La découverte de tessons de verre à vitre dans les couches correspondant à cet état du bâtiment indique une reprise des fenêtres éclairant le rez-de-chaussée. En effet, les couches de construction des murets contiennent notamment des tessons redéposés des 12e-15e siècles, correspondant probablement aux vitres antérieures (Ens. 4071), tandis que les couches liées à la démolition de certains de ces murets contenaient des tessons de verre à vitre vert daté des 17-18e siècles (Ens. 4005, 4070). Les huisseries ont donc été remplacées, ou les fenêtres ont été agrandies à cette période.

Les quelques tessons de céramique découverts, associés à du mobilier antique ou du haut Moyen Âge redéposé, indiquent une datation du milieu du 17e siècle (groupes techniques to21c ; to19c). Les trois pièces ainsi délimitées ont été occupées de façon très différente.

6.5.1.3 L'occupation des pièces nord-ouest et sud-ouest de la partie centrale

Le sol de la petite pièce située à l'angle nord-est, mesurant 5 m sur 4 m, a été décaissé pour former une fosse d'une quarantaine de centimètres de profondeur, préservant de petites banquettes sur le pourtour (F.1324 , Agr.806, Fig. 6-33, 6-51). Cet aménagement a été interprété comme une fosse liée à la présence de chevaux. Les couches d'occupation ultérieures sont identiques à celles s'étendant à l'est du muret M.1022  (Agr. 805). Le rebord d'un des blocs formant le dessus de la banquette médiévale a de plus été percé d'un trou, probablement pour y attacher un animal. S'il est difficile de dater cet aménagement et de le mettre en relation avec les structures au sol, il indique bien une fonction d'écurie ou d'étable à cet emplacement.

L'occupation de la pièce sud-ouest est mal connue, puisque seule une couche semble avoir été préservée avant l'apport de remblais correspondant à l'agrégation suivante. Si le sol à cet endroit n'a pas été décaissé comme au nord, il semble avoir été nettoyé régulièrement (Agr.788).

6.5.1.4 L'occupation dans la pièce orientale de la partie centrale

La grande pièce délimitée à l'ouest par les murs M.1021 -1022  et à l'est par le mur M.1008 -1009  mesurait 11 m sur 9,5 m (Fig. 6-33).

À l'est, des couches correspondant à un chantier ont été déposées (Agr.530), tandis qu'une fosse a été creusée à l'ouest devant la porte POR 1345  (F.1308 , Fig. 6-52, 6-53, 6-54). Elle mesure 2,9 m de long pour 1,7 m de large et 1,2 m de profondeur. Elle a été centrée sur l'ouverture de la porte et son creusement a entraîné le bûchage partiel de la fondation du mur (le tronçon de banquette situé à cet emplacement avait déjà été détruit au moment de la création de la porte). Ses parois ont été renforcées par des maçonneries de moellons liés au mortier de chaux épaisses de 20 à 30 cm, tandis que le fond a été laissé en terre battue.

La pièce semble avoir été occupée après cette première étape du chantier puisque des couches de circulation recouvrent ces murs, s'étendant dans toute la pièce. À l'ouest, il s'agit de fines couches argilo-sableuses (Agr. 805, Fig. 6-55). Plus à l'est, de fines couches hétérogènes ont été déposées au-dessus de l'aire de gâchage de mortier, piétinées et recouvertes de couches d'occupation (US 40260, 40394, 42618, Agr.529, Fig. 6-56). Cet ensemble de couches, s'étendant des vestiges du dallage jusqu'aux murets M.1021  et M.1022 , a livré plusieurs monnaies du milieu du 17e siècle (1635, 1640, 1652, 1655), du mobilier redéposé ainsi que des tessons de céramique appartenant à la seconde moitié du 17e siècle ou au début du 18e siècle (groupes techniques to21c ; to4a).

Des conduits de brique ont ensuite été ajoutés aux angles de la fosse F.1308 , contre le mur M.1002 , après le creusement de deux petites dépressions pour faciliter ce travail (F.1317  et 1318 , Agr. 804). Ils s'appuient en partie sur la banquette 1347  et sur les fondations bûchées de M.1002 , formant un glacis, et débordent légèrement devant la porte POR 1345 . Les structures mesurent 80 à 90 cm de long pour 40 cm de large, ménageant des conduits de 45 cm sur 30 cm (UC 42586 et 42587). Elles comportent chacune une ouverture en partie basse, couverte par un linteau de tuffeau. Le sommet des conduits atteignait probablement le niveau de la banquette, conservée de part et d'autre.

La fosse et ses conduits semblent correspondre à un aménagement de latrines. Toutefois, aucune trace d'utilisation n'a été repérée sur les parois ni au fond de la fosse. De plus, la position des conduits de part et d'autre de la porte avec une fosse s'étendant devant, même couverte d'un plancher amovible, pose le problème de la circulation dans cette zone. La porte POR 1345  est toujours en fonction à cette date, donnant accès à une pièce annexe située au nord du bâtiment. La proximité de la fosse paraît donc étrange.

L'ensemble est daté par la céramique de la seconde moitié du 17e siècle au plus tôt (groupes techniques to4a ; to21c).

Les remblais de démolition des murets appartenant à l'agrégation suivante indiquent que ces espaces ont probablement rempli une fonction d'écurie, associée à des fonctions domestiques plus générales.

6.5.2 Deuxième partition dans la partie centrale (fin du 17e siècle, début du 18e siècle, Ens.4005, 4071)

6.5.2.1 La destruction des murets et les remblais de démolition (Agr.528, 788, 804)

Après la première occupation fonctionnant avec les murets M.1021 , M.1022  et M.1023 , des changements ont été apportés aux partitions internes. Une partie des murets a été détruite, en étapes successives (Fig. 6-57).

M.1023  a été détruit rapidement et seul le tronçon situé entre les colonnes EA 1316  et EA 1325  a été préservé, tandis que le mur M.1022  semble avoir été reconstruit : l'assise supérieure est décalée par rapport à la première et elle recouvre des couches d'occupation de l'agrégation 805. Le mur M.1021  a, lui, été détruit peu après le dépôt de remblais de démolition.

Ces couches épaisses de 20 à 30 cm, réparties sur toute la surface de la pièce centrale, de M.1008 -1009  à M.1033 , résultent en partie de la destruction des cloisons. Elles recouvrent l'arase de M.1021 , remplissent en partie la fosse F.1324  située au nord-ouest et scellent le remplissage de la fosse de latrines F.1308 , dans laquelle de très nombreuses monnaies du milieu du 17e siècle ont été mises au jour. (US 42535 : quatorze monnaies de 1632-1655). La porte POR 1345 , donnant accès à une annexe au nord, est également condamnée à ce moment-là (cf. 6.6.2.3). À l'est, ces couches recouvrent le dallage F.1108  et atténuent la pente due aux remblais déposés lors de l'agrégation 530.

Certaines couches sont constituées d'un sédiment argileux marron comportant de nombreuses TCA (tuiles, carreaux complets dont des éléments décorés des 13e-14e siècles, US 40264) et de fragments de mortier (US 40180, 40200, Fig. 6-58, 6-59). D'autres couches, sablo-limoneuses, contiennent un mobilier métallique important, dont des monnaies, des plaques de plomb, des agrafes en fer destinées à la construction et des clous de charpente attestant la démolition d'une structure en bois (toiture ou cloisons ? US 41944). De nombreux fragments de vaisselle en verre ont également été identifiés (verres à jambe, bouteilles, Fig. 10-25, cf. 10.2), mais également du verre à vitre et des verres de besicles (US 42535). Plusieurs objets témoignent de l'occupation de ces pièces, comme des fers à cheval (Fig. 10-48), des boucles de harnais (Fig. 10-46), une applique en cuivre, des canifs, un compas (Fig. 10-42), et un fragment de robinet de tonneau en forme de fleur de lys (Fig. 10-38), identique à des éléments découverts lors de fouilles rue des Ponts-Chartrains à Blois (https://www.inrap.fr/faubourg-de-vienne-blois-decouverte-d-un-site-medieval-et-d-un-logis-renaissance-12323) ou au château de Caen (Guillot 2015 : 178, cf. 10.5).

Ces couches comportent un important mobilier redéposé, mais les tessons de céramique et les monnaies indiquent une datation relativement homogène de la seconde moitié du 17e siècle ou du début du 18e siècle, assurée pour certaines couches (US 40180, 40167 ; groupes techniques to21c ; to12a ; to4a).

La richesse de ces couches et la nature de leurs constituants démontrent l'importance des destructions et des réaménagements intérieurs à ce moment-là. Le rehaussement du sol créé par l'apport de ces remblais de démolition a permis la formation de nouveaux sols d'occupation autour de 51,40 m NGF (cf. 6.5.2.5).

La fosse F.1123 , située près de la colonne centrale EA 1010 , est comblée de blocs de tuffeau, de mortier et de TCA (Fig. 6-60). Le dessus est formé de pavés et de TCA qui constituent une surface plane au même niveau que la surface des remblais alentour. Une structure similaire est située 3,5 m plus à l'est, comblée de gros blocs de tuffeau (F.1481 ). La fonction de ces faits est incertaine, il pourrait s'agir des vestiges d'un sol (des réparations ponctuelles ?) ou de l'assise d'un support temporaire, comme les fosses tapissées de carreaux observées dans des agrégations plus anciennes (F.1142 , F.1172 ).

6.5.2.2 La construction de M.1020  (Agr. 787)

Le réaménagement des cloisons a été complété à l'ouest par la construction du mur M.1020 , orienté nord-sud et aligné avec le support central EA 1316  (Fig. 6-57, 6-61, 6-62). La grande pièce centrale est donc à ce moment divisée en deux par un mur au tracé en baïonnette, en miroir du mur de refend M.1008 -1009 .

Les matériaux de construction de M.1020  sont identiques à ceux des autres cloisons (gros moellons et quelques blocs de moyen appareil de tuffeau liés à l'argile marron), mais il a été construit sans tranchée, directement au-dessus des remblais de démolition. Le mur M.1021  n'était à ce moment-là pas entièrement recouvert par ces couches, mais son élévation au-dessus du solin de pierre n'existait probablement plus, étant donné la proximité de la nouvelle construction (40 cm d'espacement). Comme les autres murs, M.1020  supportait probablement une élévation en matériaux périssables, mais aucune ouverture n'a été identifiée dans la cloison, contrairement à l'état précédent du partitionnement interne. Nous ignorons donc comment se faisait l'accès à la pièce située à l'ouest des murets, puisqu'aucune porte n'est attestée dans les murs gouttereaux du bâtiment à cet endroit. Il est possible toutefois qu'une ouverture existe à l'ouest dans M.1033 , qui n'a été que partiellement observé.

6.5.2.3 L'aménagement d'une cloison à l'est (Agr. 527, 526)

À l'est de la grande pièce centrale, les traces ténues d'un aménagement ont été identifiées autour de la colonne EA 1009  (Fig. 6-63). Deux tranchées remplies de poudre de tuffeau, longues de 60 et 80 cm, larges de 10 cm et profondes de 5 cm, pourraient correspondre à une petite cloison ou à une partition ponctuelle, établie à l'aide de plaques de calcaire de part et d'autre de la colonne (F.1048 , F.1102 ). Cet aménagement a été recouvert par des remblais piétinés en surface, occupant toute la pièce (US 40085, 40197, 40213, Fig. 6-64).

Au-dessus, des couches d'occupation argileuses marron alternent avec des ragréages de sol en poudre de tuffeau blanc (US 40191, 40198, Fig. 6-65). Un trou de poteau (F.1038 ) et deux trous de piquet percent ces niveaux (F.1037 , F.1132 ). Le fait 1038  reprend la position du fait 1107 , mais le négatif du poteau a des dimensions et une position différente (Fig. 6-66). Cette particularité indique toutefois une certaine permanence des aménagements internes. Le mobilier contenu dans ces couches indique le début du 18e siècle, avec beaucoup de mobilier du milieu du 17e siècle, dont une monnaie de 1651 (US 40085).

6.5.2.4 La construction d'une nouvelle cloison sur sablière basse (Ens.4070, Agr.525)

Ces couches d'occupation ont été coupées par la construction d'une cloison sur sablière basse, orientée est-ouest et située au nord des supports centraux (F.1022 -1025 , Fig. 6-67). Elle a été identifiée dans les secteurs 2 et 3 et si son extrémité orientale n'a pas été observée, la sablière semble s'arrêter à l'ouest avant la colonne EA 1010  (Fig. 6-68, 6-69). Elle a été construite dans une tranchée large de plus d'un mètre mais peu profonde, dans laquelle des blocs de tuffeau ont été placés pour caler le bois de 25 cm de côté servant de sablière basse. Des traces organiques ont été découvertes, indiquant la décomposition en place de cet aménagement, qui a constitué une limite nette dans l'occupation intérieure : au sud, des couches d'occupation se sont succédé, scellant le calage de la sablière, tandis qu'au nord, l'occupation a probablement été arasée.

6.5.2.5 L'occupation des différents espaces de la pièce centrale (Agr.517, 786, 803)

L'espace central est donc à ce moment cloisonné : une pièce à l'ouest, au-delà de M.1020 -M.1022  et une autre à l'est, divisée par la cloison F.1022 , qui semble se limiter aux deux travées orientales (Fig. 6-57). Il pourrait donc exister une travée complète à l'ouest, ouvrant sur deux espaces, de part et d'autre de la cloison.

L'occupation au nord-ouest, au-delà de M.1022 , est caractérisée par des couches planes grises recouvertes de pigments ocre jaune, à partir de laquelle cinq fosses ont été creusées (F.1311 , 1312 , 1313 , 1314 , 1322 , Agr.803, Fig. 6-70, 6-71). Il s'agit de trous de poteau de dimensions variées, dont le fait F.1322 , qui montre le négatif d'un poteau de 33 cm de côté sur 30 cm de profondeur, comblé de sable ocre (Fig. 6-72). Leur fonction n'est pas certaine : les trous de poteau F.1312  et F.1313  forment une ligne parallèle au mur M.1002  et pourraient constituer une structure de stockage ou un système de compartimentage de l'espace.

Au sud-est, à l'angle des murs M.1001  et M.1020 , des remblais sableux ont été déposés sur 15 cm d'épaisseur environ, régularisant la surface du sol et comblant une dépression (US 41943, 40503, 40512, Agr.786).

Au sud-est, entre les murs M.1020 -1022  et M.1008 -1009 , au sud de la cloison F.1022 , une couche de circulation marron très homogène a été déposée sur l'ensemble de la surface de la pièce, englobant les blocs de calage de la sablière (US 40122, 40157, 41990, Agr.517, Fig. 6-67, 6-73, 6-74). Cette couche contenait de la céramique et des monnaies du 17e siècle (liard et double tournois de 1657 et 1639).

Elle a été recouverte par différentes couches de mortier ou de blocs de tuffeau témoignant de l'aménagement de sols construits, très partiellement conservés (Fig. 6-75). Ainsi, l'US 40132 correspond à une plaque de mortier visible au sud sur 1,5 m de large, tandis que les Faits F.1028  et F.1109  constituent les vestiges d'un sol dallé formé de blocs de tuffeau et de calcaire dur plats mesurant jusqu'à 80 cm de long, mis en place dans des fosses peu profondes (Fig. 6-67). L'emprise de ces creusements dans les sols d'occupation montre que ce dallage était plus étendu à l'origine autour de la colonne EA 1010 , mais pas vers l'ouest. Sa surface était située entre 51,4 m et 51,6 m NGF.

Au nord de la cloison, aucune trace d'occupation n'a été identifiée, ce qui indique probablement un arasement, confirmé par la profondeur réduite du trou de poteau F.1024 , situé à 60 cm au nord de la cloison (Fig. 6-67). Il mesure 40 cm de large pour 30 cm de profondeur seulement. Le sol d'occupation au nord de la cloison était donc probablement plus haut qu'au sud, avant d'être arasé et recouvert par les remblais de l'agrégation Agr.515, tandis que les sols de la pièce sud ont été épargnés (Fig. 6-73).

La fonction de chacune de ces pièces est difficile à définir avec certitude, mais le mobilier contenu dans les couches de démolition des différents aménagements indique une utilisation de l'espace similaire à l'état précédent : écuries (boucles de harnais, étrille), activités domestiques (monnaies, couteaux, bouteille et vaisselle de verre, clés, épingles) et peut-être artisanat du métal à proximité (déchets de fer et de cuivre).

6.5.2.6 La destruction des aménagements (Agr.515, 785, 802)

La cloison sur sablière a ensuite été détruite, l'effondrement des parois comblant le négatif de la sablière, qui avait commencé à se décomposer. Plusieurs aménagements ont alors été creusés dans les couches d'occupation ou dans les remblais de démolition qui les ont recouverts.

Deux trous de poteau reprennent la position d'une des tranchées comblées de poudre de tuffeau (F.1035 , F.1043 ), le premier conserve le négatif d'un poteau de 20 cm de côté, tandis que le deuxième est peu profond et large de 30 cm (Fig. 6-67). Le fait F.1036 , une structure de blocs servant à caler un poteau oblique, presque horizontal, était peut-être associé au fait F.1034 , jointif (Fig. 6-76). Ils pourraient avoir servi à installer un poteau de 15 cm de côté avec un renfort oblique de 10 cm de côté placé à la base.

Les deux derniers faits ont été aménagés en même temps que les remblais résultant de la destruction d'une grande partie du dallage F.1028 -1109 . Ces couches épaisses ont été réparties sur toute la surface de la pièce, effaçant la position de la sablière basse (US 40090, 40130, 40156) et bordant les vestiges du dallage (Fig. 6-77). Ils forment une butte dans la partie sud-est, pérennisant les irrégularités du sol à cet endroit, à l'est de la porte d'accès POR 1458 . La fonction des fosses est incertaine, mais les poteaux ont manifestement été laissés en place après le dépôt des remblais, témoignant peut-être d'une partition de l'espace. Le mobilier contenu dans les fosses et les remblais de démolition appartient au milieu du 17e siècle, et semble redéposé, étant donné que des couches sous-jacentes contenaient des tessons de céramique du début du 18e siècle (cf. 6.5.2.1).

À l'ouest, le muret M.1022  et la colonne EA 1325  sont détruits, tandis que M.1020  semble conservé au moins en partie à ce moment-là, servant d'appui à un nouveau muret.

Des remblais déposés sur 35 cm d'épaisseur ont recouvert l'arase des murs ainsi que le dessus de la banquette 1347 du mur M.1002  (Agr.785-802, Fig. 6-78). À l'angle sud-ouest, le nouveau niveau de sol est situé à 51,8 m NGF. Cet ensemble de remblais contenait des céramiques de la seconde moitié du 17e siècle et du début du 18e siècle (groupes techniques to21c ; to12a), ainsi que plusieurs monnaies du milieu du 17e siècle et des fragments de verre du début du 18e siècle.

6.5.3 Troisième partition dans la partie centrale (début du 18e siècle, Ens.4004)

6.5.3.1 La construction du mur M.1019  (Agr.784)

Ces remblais ont été coupés par la tranchée de construction du mur M.1019 , orienté est-ouest, et observé uniquement dans la section ouest de la fouille (Fig. 6-78, 6-79). Cette tranchée d'1,5 m de large pour 50 cm de profondeur est associée à des remblais au sud (tuffeau, mortier, sable, Fig. 6-80, 6-81). Seules les fondations du mur sont conservées, formées de blocs de tuffeau et de calcaire dur liés à l'argile brune (Fig. 6-82). Le mur s'appuyait contre M.1033  à l'ouest et probablement contre M.1020  à l'est, formant une petite pièce de 3 m sur 4,7 m.

6.5.3.2 L'occupation des pièces

L'occupation postérieure à la construction du mur M.1019  ne semble conservée que ponctuellement, à l'angle sud-ouest, à 51,8 m NGF (Agr. 784). Ces lambeaux témoignent d'un arasement réalisé ensuite, détruisant les derniers murets.

À l'est de M.1020 , le niveau d'occupation a été conservé à un niveau plus bas qu'à l'ouest, autour de 51,5 m NGF (Agr.524). Ils ont pu être observés en secteurs 2 et 3 mais pas en secteurs 10 et 11, le décapage mécanique préliminaire ayant été arrêté à ce niveau. Les remblais de démolition appartenant à l'agrégation précédente ont été recouverts de couches d'occupation vers l'ouest, laissant la butte en place (US 40112, 40129). Elles scellent le comblement des fosses construites dans les remblais et recouvrent par endroits les lambeaux de sols construits (F.1028 , F.1109 ), montrant que le sol est resté globalement au même niveau à cet endroit malgré le dépôt antérieur de remblais à l'est (Fig. 6-83).

La fonction de ces pièces est similaire à celle attestée pour les états précédents du partitionnement interne : les couches liées à la construction des murets comme les couches de destruction des aménagements comportent des objets liés à une fonction d'écurie, à de l'artisanat et à une occupation domestique.

La destruction des murets à l'ouest et l'arasement préalable au remblaiement de la phase 8 (Agr.783-801)

Les murets de clôture situés à l'ouest et les sols associés ont été arasés à 51,8 m NGF, puis des remblais de démolition ont été étalés, rehaussant le sol de 50 cm au-dessus des vestiges du muret M.1019  (Fig. 6-78). Ces couches contenaient des monnaies du début du 18e siècle.

À l'est, seule la partie nord de la pièce semble avoir été arasée (Fig. 6-73), les sols au sud ayant été conservés avant le dépôt de remblais sur toute la surface de la pièce (cf. 7.1.2.2, phase 8).

6.6 L’occupation autour du bâtiment

6.6.1 L'occupation au sud du bâtiment

6.6.1.1 Un ensemble de trous de piquet et de fosses près de la tourelle (Ens.4087)

Dans le secteur 1, après la phase 6 où de nombreux trous de piquet ont été creusés à une date imprécise (15e-17e siècles, Ens.4100), une occupation similaire se poursuit, cette fois assurément postérieure au début du 17e siècle. L'isolement de ce secteur rend difficile la mise en relation de l'occupation extérieure et intérieure (Fig. 6-33).

Deux phases d'aménagements de structures ont été définies pour l'occupation du secteur 1, après les couches de l'ensemble 4100.

Après le bouchage des trous de piquet précédents, quelques couches de mortier témoignent de la présence d'un chantier (mortier, fragments de tuffeau, sable, Agr.753).

Au-dessus, treize trous de piquet ont été observés, de forme quadrangulaire ou ovale, ne dépassant pas 7 cm de côté (F.1056 , 1061 , 1063 , 1073 , 1075 , 1076 , 1077 , 1078 , 1079 , 1083 , 1084 , 1085 , 1088 ), associés à un large creusement peu profond, de 70 cm sur 50 cm, conservé sur quelques centimètres de profondeur seulement et rempli d'un sédiment très charbonneux (F.1053 , Agr.752-755, Fig. 6-84). La dispersion des structures et les quelques recoupements permettent de supposer qu'elles ne sont pas toutes contemporaines, et leur fonction reste incertaine.

Tous ces faits sont scellés par une couche argileuse marron associée à d'autres couches d'occupation (chaux, charbon, tuffeau jaune comblant des dépressions, Agr.538, 751). La conservation de ces couches en deux zones distinctes au centre du secteur semble indiquer un nettoyage qui a détruit une partie du sol.

La seconde étape de fosses et trous de piquet est postérieure à ces couches d'occupation (Agr.540, 749, 750, Fig. 6-85). Elle comprend le creusement de douze trous de piquet ovales ou rectangulaires mesurant jusqu'à 14 cm de long (F.1055 , 1057 , 1058 , 1067 , 1068 , 1070 , 1072 , 1086 , 1087 , 1096 , 1097 , 1098 ), ainsi que l'aménagement de plusieurs fosses circulaires, d'une rigole et d'une tranchée (Fig. 6-86).

Les cinq petites fosses sont ovales, mesurent jusqu'à 35 cm de diamètre (F.1041 , 1042 , 1052 , 1066 , 1069 ) pour une profondeur réduite à quelques centimètres et sont situées au centre du secteur. Au milieu, le fait F.1040  forme une tranchée de 2,9 m de long et 30 cm de large, légèrement courbe et orientée nord-sud. À l'ouest, une petite tranchée de 80 cm sur 35 cm a servi à la construction d'un muret orienté nord-sud conservé sur une seule assise composée de deux blocs déposés sans liant (F.1049 , M.1007 ). La tranchée F.1040  comme le muret se prolongeaient à l'origine jusqu'au mur M.1001 . La fonction de ces différentes structures est difficile à établir, leur surface ayant été arasée par des nettoyages du secteur et leur chronologie n'est pas assurée.

Les deux phases d'occupation de cet espace, situé contre la tourelle et sous l'escalier droit plaqué contre la façade sud du bâtiment 2, près de la porte 1458 , témoignent d'une occupation dense, associée à des nettoyages répétitifs et l'implantation de structures légères (poteaux et piquets, Fig. 6-33). Le mobilier, très peu abondant, fournit une datation de la seconde moitié du 17e siècle ou du début du 18e siècle (tessons de verre et céramique, groupe technique to21c).

6.6.1.2 L'occupation à l'angle sud-ouest du bâtiment (Ens.3005, Agr.1060)

À l'extrémité ouest du bâtiment, près de l'ancien passage à présent bouché, l'occupation a été différente de part et d'autre du bâtiment 2 (cf. 6.6.2.2). Au sud, le bouchage du passage a conduit à l’utilisation de cette zone comme jardin, comme en témoignent les épaisses couches de terres noires très homogènes, sans inclusions, déposées sur 70 cm d'épaisseur (Fig. 6-87). Ces couches ont été coupées par la construction d'un mur de clôture orienté est-ouest.

6.6.1.3 La construction d'un mur de clôture (Ens.3005, 4085)

Le mur, situé au sud du bâtiment 2 et dont deux tronçons ont été observés (M.517 , M.1006 ), mesurait plus de 30 m de long, longeant le mur gouttereau (M.505 -1001 ), mais il ne lui était pas parallèle (Fig. 6-33).

Le mur M.517 , observé en coupe dans le secteur situé à l'angle sud-ouest du bâtiment à 1,8 m au sud du mur gouttereau, a été construit dans une tranchée aveugle de 60 cm de large, et est conservé uniquement en fondation, sur 40 cm de haut (Fig. 6-88). Il est constitué de moellons et de quelques blocs de tuffeau taillés, liés à l'argile, formant deux parements irréguliers.

Ce mur M.517  est situé dans le prolongement du mur M.1006 , situé en secteur 1 près de la tourelle. Il a été construit dans une petite tranchée aveugle, à 3,6 m environ du mur gouttereau sud du bâtiment 2. Seule une partie de la construction a pu être observée puisqu'elle est située en bordure de la zone fouillée et n'a été dégagée qu'en surface (Fig. 6-89). Elle est réalisée en moellons de tuffeau liés au mortier de chaux, formant un parement nord irrégulier et présentant un retour côté oriental, sur 80 cm environ, vers l'angle du mur M.1003 .

La tranchée et le mur ont probablement été aménagés à un niveau plus élevé, avant un arasement important à 51,65 m NGF, détruisant les couches d'occupation et le mur, qui n'est conservé que sur une faible épaisseur. L'occupation précédemment décrite, avec des fosses et des trous de piquet, s'est donc peut-être prolongée dans le temps et le niveau de sol a été rehaussé, avant la construction du mur M.1006 .

Les variations de la technique de construction des deux tronçons du mur sont certainement liées au mauvais état de conservation des maçonneries, arasées autour de 51,7 m NGF, en dessous de leur niveau initial de construction. Il est donc difficile de connaître précisément sa date de construction et la durée de son utilisation. La position du muret et son caractère éphémère indiquent une fonction de clôture formant un couloir étroit au sud du bâtiment 2, qui a été supprimé avant l'agrandissement de la tourelle.

6.6.1.4 L'occupation extérieure après un arasement (début du 18e siècle, Ens.4065)

Après l'arasement du secteur 1 qui a conduit à la destruction du mur de clôture (F.1273 ), de nouvelles couches d'occupation contenant des paillettes d'ardoises, des cendres et du charbon ont scellé toutes les fosses et l'arase du mur M.1006  et du muret M.1007  à 51,8 m NGF environ (Agr.532).

Une fosse a ensuite été creusée contre le mur M.1001 , face à la porte POR 1458 , afin d’aménager un caniveau (F.1045 , Agr.746, Fig. 6-57). En effet, la fosse mesurant environ 1,3 m de côté pour 35 cm de profondeur au maximum au nord (Fig. 6-90) a été comblée par un sédiment sableux servant à caler deux blocs alignés, placés à 20 cm du mur (Fig. 6-91). Cet aménagement, contenant de la céramique du 18e siècle (groupes techniques to21c, to12a), a par la suite été perturbé par le creusement d'une tranchée le long de M.1001  (cf. 7.1.2.2, phase 8).

Au-dessus de cette fosse, de nouvelles couches d'occupation régularisent le niveau du sol, par des ragréages successifs de tuffeau, de TCA ou de paillettes d'ardoise (Agr.745). Elles contiennent de la céramique et du verre des 16e-17e siècles ainsi que du 18e siècle (groupes techniques to21c, to12a).

Les couches déposées au-dessus sont plus épaisses, et marquent une volonté de rehausser le sol, jusqu'à 51,9 m NGF au centre du secteur, par des remblais parfois épais de 15 cm contenant de la poudre de tuffeau, de petits blocs et des fragments d'ardoises (Agr. 744). Le mobilier associé indique les 17e et 18e siècles (groupe technique to21c).

Les trois agrégations suivantes correspondent à l'occupation extérieure dont la chronologie avec l'agrandissement de la tourelle (cf. 7.1.4.1, phase 8) n'est pas assurée. Elles sont constituées de couches successives d'occupation et de remblais de tuffeau contenant du mobilier en céramique redéposé des 16e-17e siècles ainsi que des carreaux de sol glaçurés des 13e-14e siècles (Agr.741, 742, 743).

6.6.2 L'occupation au nord du bâtiment

Au nord du bâtiment, l'occupation au cours de la phase 7 témoigne de changements d'utilisation de l'espace (Fig. 6-92).

6.6.2.1 Au nord-est, dans le porche de l'église (Ens.4061)

L'occupation devant le porche au tout début de la phase 7 est attestée par des couches de remblais épais, piétinés en surface, très réguliers, qui constituaient peut-être la préparation d'un sol construit remplaçant le sol d'origine. Ces couches recouvrent la partie basse de la fondation du pilier sud-ouest du porche. Le mobilier associé à ces remblais indique que ces travaux ont eu lieu au plus tôt à la fin du 16e siècle ou au début du 17e siècle. Le sol correspondant était situé plus haut, d'après le carrelage encore conservé dans la partie orientale du porche.

6.6.2.2 Au nord-ouest : un sol pavé et un muret de clôture (Ens.3005)

L'occupation au nord-ouest du bâtiment après le bouchage du passage voûté médiéval a été très différente des jardins attestés au sud.

Des remblais épais de 35 cm contenant des blocs de tuffeau (issus d'un chantier ou d'une démolition ?) ont été perturbés par le creusement de petites tranchées parallèles au mur gouttereau M.506 , à la fonction inconnue (F.618 , F.645 , Fig. 0-69 Coupe 311, Fig. 6-93). Des remblais scellent ces structures puis sont déposées des couches de préparation d'un sol de pavés, conservé très partiellement près du contrefort CTF 559  (F.615 ). Les remblais qui recouvraient l'ensemble comportaient un mobilier très nombreux : métal (dont un fragment de robinet similaire à celui retrouvé en zone 4, dans l'Agr.788), verrerie et céramique, indiquant les 17e et 18e siècles (groupes techniques to19c ; to2b).

Un muret orienté est-ouest a ensuite été aménagé dans une tranchée aveugle, située à 2,45 m du mur gouttereau (M.516 , F.605, Fig. 6-94). Il correspond à un muret de clôture, dont la technique de construction est très proche de celle du mur 517  observé au sud du bâtiment. Le mobilier associé semble essentiellement redéposé, puisque les tessons correspondent à la fin du 16e et au 17e siècle.

6.6.2.3 Au centre : l'abandon des bâtiments annexes (Ens.4015) et la construction de murs de clôture (Ens.4014)

Au centre, l'annexe accolée au bâtiment a été abandonnée et les maçonneries transformées (Fig. 6-57).

La porte 1345  a ainsi été bouchée en même temps que le dépôt de remblais de démolition de l'agrégation 804 (Ens.4005, cf. 6.5.2.1, Fig. 0-50). La destruction des premières cloisons et l'abandon de l'annexe sont donc contemporains, indiquant un changement important dans l'occupation du bâtiment.

Après la récupération du sol de la pièce, dont il reste quelques vestiges dans l'embrasure de la porte (UC 43200), et la destruction partielle du piédroit ouest, la couche de remblais 41981 est déposée, recouvrant le seuil de la porte (UC 42800). Au-dessus, le bouchage a été réalisé à l'aide de moellons et de blocs de moyen appareil en même temps que le remblaiement de la pièce nord. Ainsi, les blocs du bouchage sont liés avec du mortier de chaux côté sud (UC 42778, 43196, Fig. 6-52), mais liés à la terre côté nord (US 43195, 43199, Fig. 6-95, 6-96). Les remblais sont de plus piétinés, ce qui témoigne de la circulation pendant le chantier (Fig. 6-97). Les couches comblant l'espace au nord de la porte contenaient un mobilier abondant (monnaie, vaisselle en verre, ferret, épingle à cheveux, clé, plomb à vitre, céramique) indiquant la seconde moitié du 17e siècle ou le début du 18e siècle, avec un abondant mobilier redéposé, notamment de la céramique de la première moitié du 17e siècle (US 43175, 43177, 43195, 43199 ; groupe technique to10a, to21c).

Les murs de l'annexe, peut-être détruits en partie au moment du comblement, ont de plus été remaniés. La partie nord des murs 1018  et 1004  (M.1011 ) a été reconstruite en moellons et mortier de chaux après le creusement de tranchées aveugles (1129 ). Ce remaniement n'est pas daté précisément, les tranchées ayant été creusées à un niveau situé plus haut, arasé au moment de la destruction du bâtiment au 19e siècle.

Pour la même raison, il est difficile de déterminer l'état des autres murs situés au nord du bâtiment pendant la phase 7 (M.1015  et M.1016 ) : les bâtiments correspondants sont peut-être abandonnés en même temps que l'annexe au nord de la porte 1345 .

6.7 Synthèse de la phase 7 : des réparations et de nombreuses divisions intérieures

La septième phase correspond à la division de l'espace du rez-de-chaussée et à des modes d'occupations distincts des différentes pièces (Fig. 6-98). La séparation la plus durable a été la construction des murs de refend M.1008 -1009  et M.1033 , qui ont formé trois pièces. La partie orientale semble avoir nécessité des renforcements des voûtes, probablement associés à des cloisonnements, tandis que la pièce centrale a été divisée par des murets et des cloisons régulièrement remaniées, les niveaux de sols étant bien identifiables, parfois constitués de pavés. À l'ouest, l'occupation n'est pas connue et l'utilisation des étages ne semble pas avoir été modifiée pendant cette phase. Toutefois, certaines transformations ne sont pas précisément datées. C'est le cas des rehaussements du sol intérieur attribués à la phase suivante, mais qui ont pu ne pas intervenir de façon synchrone dans toutes les pièces.

CHAPITRE 7. PÉRIODE 3, PHASE 8 : LES TRANSFORMATIONS DU 18E SIÈCLE

Chapitre 7. Période 3, Phase 8 : Les transformations du 18e siècle

Émeline Marot

La phase 8 constitue une rupture dans l'utilisation du rez-de-chaussée, dont le sol est fortement rehaussé, ce qui implique des changements importants pour adapter les circulations. De plus, la construction d'une nouvelle aile à l'ouest, le bâtiment 1, a conduit à des transformations topographiques et architecturales (Fig. 0-196 phase 8, 6-79 et 7-1).

Le remblaiement important du niveau 1 est associé à la destruction ou à la reconstruction des voûtes du rez-de-chaussée, au moins dans certaines parties de l'édifice, selon une chronologie parfois difficile à établir : il semble que la construction des murs de refend lors de la phase précédente a permis de réaliser ces travaux en plusieurs étapes, chaque pièce ayant connu une occupation différente, avec la construction de cloisons internes (Fig. 7-23). Plusieurs nouveaux accès (Fig. 7-5) ont été créés dans les trois pièces principales du bâtiment, et l’ancienne tourelle de latrines a été aménagée en escalier (Fig. 7-15).

Les changements des élévations à cette période sont pour partie liés à l'édification du bâtiment 1 contre la façade nord du bâtiment 2 (Fig. 0-75). Il s'agit d'améliorations apportées au bâtiment médiéval pour répondre aux besoins de l'époque.

Le nouveau bâtiment 1 de deux niveaux comporte une aile étroite (Fig. 0-76) accolée au bâtiment médiéval, terminée par un pavillon trapézoïdal à l’ouest. Il est lié au portail de Sainte-Radegonde, reconstruit en 1719 (Fig. 0-82).

Le bâtiment 1 et le portail font partie du programme constructif des moines mauristes, installés à Marmoutier depuis le milieu du 17e siècle (Fig. 0-196, phases 7 et 8). Le bâtiment 1, comme l'hôtellerie médiévale avant lui, semble avoir une fonction ostentatoire, destinée à mettre en valeur l'entrée du monastère. Le bâtiment 2 remplit au 17e siècle la fonction de maison du Grand Prieur (indiquée sur la gravure du Monasticon Gallicanum, probablement réalisée entre 1672 et 1689) et les nombreuses communications entre les deux corps de bâtiment indiquent qu'ils forment un ensemble architectural unique. Certains documents d’archives suggèrent qu’ils ont rempli la fonction de logis abbatial temporairement, avant la construction du nouveau logis attesté dans la partie sud du monastère mais resté inachevé en raison de la suppression du titre abbatial en 1739. L'aile et le pavillon du bâtiment 1 auraient été rapidement détruits au cours du 18e siècle si l'on se fonde à la fois sur les sources iconographiques et sur l'absence de traces d'utilisation de certaines cheminées.

7.1 Le rehaussement des sols du rez-de-chaussée du bâtiment 2 au 18e siècle

Le rehaussement des sols du rez-de-chaussée est attribué dans l'ensemble de l'édifice à la phase 8, mais il semble que la construction des murs de refend lors de la phase précédente a permis de réaliser ces travaux en plusieurs étapes, chaque pièce ayant connu une occupation différente.

La pièce orientale, à l'est du mur M.1008 -1009 , semble avoir été remblayée rapidement après la construction du mur de refend, à moins qu'un décaissement n'ait fait disparaître les traces d'occupation intermédiaires. Les remblais, qui n'ont pas pu être fouillés à la main, ne donnent aucune indication chronologique précise. La pièce centrale a, elle, connu une occupation dense après la construction des murs de refend à la fin du 17e siècle (cf. 6.1, phase 7) et le rehaussement des sols est peut-être postérieur à celui de la pièce orientale. Enfin, la partie occidentale est très mal connue, du fait de l'absence de fouilles, mais la position des ouvertures indique que le rehaussement a été réalisé au plus tard au début du 18e siècle dans les différentes pièces correspondantes.

Ces transformations sont associées à la destruction ou à la reconstruction des voûtes du rez-de-chaussée, au moins dans certaines parties de l'édifice, selon une chronologie parfois difficile à établir. La description des modifications est présentée en trois parties et pour chaque pièce (la destruction des voûtes, l'apport de remblais puis les sols, accès et circulations).

7.1.1 La destruction partielle des voûtes ou leur reconstruction

Les transformations du couvrement du rez-de-chaussée posent problème, les indices permettant de certifier leur destruction étant parfois en contradiction avec d'autres sources, notamment le procès-verbal d'estimation des biens de l'abbaye établi en 1797 (Fig. 0-195), qui indique une série de pièces voûtées au rez-de-chaussée (Description de Marmoutier : 624). Il est possible que les pièces aient connu des changements successifs au cours du 18e siècle.

7.1.1.1 La pièce orientale (Ens.4025, 4026, 4027)

La pièce orientale, délimitée par le mur M.1008 -1009 , pourrait avoir été transformée dès le début du 18e siècle : des remblais épais recouvrent les supports ayant servi à renforcer la voûte au cours de la phase 7, ce qui pourrait impliquer une destruction des voûtes dès cette date (Ens.4027, Agr.643, Fig. 6-57). D'autres indices dans les maçonneries indiquent la destruction des voûtes après le rehaussement des sols au plus tard (Ens.4026) : de grandes plaques de mortier recouvrent les murs au-dessus des colonnettes EA 1167  et 1246 , détruites en partie haute (Fig. 0-48). Plus tard, un mur de refend a été construit à l'aide de blocs provenant d'une voûte sur croisée d'ogives en prenant appui sur la base du support central EA 1169  (M.1012 , Ens.4025). Cette construction permet de certifier la destruction des voûtes médiévales, qui reposaient sur des supports centraux et latéraux.

Toutefois, il est possible qu'une nouvelle voûte ait été construite pour couvrir cette pièce : en effet, le procès-verbal indique un grand vaisseau voûté au levant du bâtiment (Fig. 0-195). La construction d'un nouveau couvrement, en fonction de la technique utilisée, ne laisserait pas nécessairement de traces dans la partie basse des murs, c'est-à-dire les parties découvertes en fouille, d'autant que ces maçonneries conservées sont majoritairement enterrées à cette date (cf. 7.1.2).

7.1.1.2 La pièce centrale (Ens.4068)

La pièce centrale, délimitée par les murs M.1008 -1009  et M.1033 , a été occupée pendant un temps après la construction des murs à un niveau proche de l'originel, fonctionnant avec les supports centraux et latéraux. Deux des supports latéraux ont été reconstruits ou renforcés au cours de la phase 8 (EA 1050 , 1051 ), et les colonnes centrales ont été laissées en place (Fig. 6-79). Tous ces indices indiquent que les voûtes dans cette partie sont probablement toujours en place pendant et après le rehaussement des sols.

7.1.1.3 La partie ouest du bâtiment (Ens.3004, Agr.1058)

La partie ouest du bâtiment, encore en élévation, montre elle aussi des transformations différentes en fonction des pièces (Fig. 6-79). L'ancien passage voûté occupant l'extrémité occidentale de l'édifice a conservé ses voûtes jusqu'à aujourd’hui, tandis que le couvrement de la pièce attenante a été entièrement détruit. En effet, les murs 502 , 505  et 506  montrent les traces d'arrachement des voûtes des deux travées conservées (Fig. 0-34, 7-2), tandis que le support latéral EA 613  a été englobé dans le mur de refend M.503  nouvellement construit, conservant une partie des arcs formant le départ de la voûte (Fig. 2-18). Ce mur comporte des moellons, mais également de nombreux blocs de remploi, dont des fragments d'ogive toriques, un bloc de calcaire dur avec un trou circulaire, des blocs de parements comportant deux états de peintures (rouge puis jaune ocre) et un bloc mouluré couvert de chaux et recouvert de peinture jaune, rouge et noire qui pourrait correspondre à un culot ou à un chapiteau. Certains blocs sont rubéfiés ou couverts de suie, pouvant indiquer un épisode d'incendie correspondant à la démolition des voûtes.

La destruction des couvrements dans cette partie de l'édifice est donc associée à la construction d'un mur de refend et de nouveaux accès (cf. 7.1.5). Sa datation ne peut pas être établie avec certitude, mais elle peut appartenir au début du 18e siècle. Le plan ADIL H236-3, non daté mais attribué à la première moitié du 18e siècle, représente ainsi des voûtes d'ogive pour les deux pièces correspondant à l'ancien passage, mais pas pour les travées suivantes (Fig. 0-165).

La destruction des voûtes dans la partie ouest a nécessité l'aménagement d'un plancher à l'étage (PLF 508 , Fig. 7-3), situé au même niveau que le sol précédent qui surmontait les voûtes (Fig. 0-40). Il semble conservé dans la pièce centrale de la zone 3 uniquement (UC 30285). Les six sommiers orientés est-ouest, dont deux accolés, ont été insérés à l'ouest dans la maçonnerie du mur M.502  au-dessus de cales de bois et à l'est dans le mur M.503 , probablement construit au même moment (Fig. 0-26). Leur chronologie est difficile à déterminer, M.503  étant recouvert d'un enduit de ciment à cet endroit.

Le linteau de bois supportant certaines des solives au nord semble indiquer que la baie médiévale 610  a été agrandie à ce moment-là pour former l'ouverture 558 , plus haute. Toutefois, les reprises ultérieures rendent difficile la description et la datation de cette transformation.

À l'est, ce niveau de plancher au niveau 2 est attesté uniquement par des traces d'arrachement dans les murs gouttereaux nord et sud (Fig. 0-38).

7.1.2 L’apport de remblais pour rehausser le niveau du sol intérieur

La phase 8 est caractérisée par le rehaussement général des sols du niveau 1 qui intervient indépendamment dans chaque partie du bâtiment, mais répond à un même projet d'adaptation du bâtiment au rehaussement des sols extérieurs. Ces remblais sont contemporains de plusieurs reprises dans les murs, comme des bouchages ou le renforcement de certaines parties (Fig. 6-79, 7-4).

7.1.2.1 Le dépôt de remblais dans la pièce orientale (Ens.4025, 4026)

À l'est, la porte POR 1255  a été condamnée à l'aide de moellons et de blocs de moyen appareil liés au mortier de chaux, tandis qu'une brèche a été créée à côté, probablement destinée à faciliter l'apport des remblais et dans le projet de créer une nouvelle porte à cet endroit (POR 1202 , Fig. 0-48, 7-5).

Cette brèche servant de passage a été comblée progressivement par des sédiments en même temps que le dépôt de remblais était effectué sur 70 cm d'épaisseur environ (Agr.638, 639, 640, 641). La coupe stratigraphique orientale montre les différentes couches versées vers le nord-est, alternant couches sableuses contenant des matériaux de démolition et sédiments argileux bruns (Fig. 0-64). Ces couches semblent avoir été déposées en une seule étape, mais une fosse a été identifiée à l'angle sud-est, comblée des mêmes sédiments (F.1199 ).

La surface de ces remblais, tassée et très régulière, constitue le nouveau sol d'occupation, établi à 52 m NGF, fonctionnant avec un mur de refend nord-sud et la nouvelle porte 1202  au sud (cf. 7.1.3.2). Aucun mobilier n'a pu être recueilli pour dater cet ensemble de couches.

7.1.2.2 Les remblais dans la pièce centrale et les modifications des maçonneries (Ens.4002, 4058, 4068, 4069)

Après le dépôt de couches de remblais composés de poudre de tuffeau jaune et de sable ocre à l'intérieur de la pièce centrale (Agr. 564, Ens.4069), plusieurs tranchées successives ont été creusées de part et d'autre du mur M.1001 , se recoupant et rendant difficile leur analyse (Fig. 6-79, 7-4). Côté intérieur, la tranchée F.1021 -1133  a été observée depuis l'emplacement approximatif de la porte 1458  jusqu'au support EA 1315 , soit 8 m de long pour 40 cm de large. La fonction de ce creusement reste incertaine, puisque les reprises des maçonneries à cet endroit semblent plutôt correspondre aux tranchées creusées par la suite. La tranchée est en effet recoupée par une autre plus réduite, moins profonde (F.1019 -1031 ), ayant pour équivalent la tranchée F.1017 -1032  au sud du mur.

Entre ces deux étapes de creusement de tranchées ont été déposés des remblais sableux jaunes, des couches de sable et des sédiments argileux attestés aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du bâtiment (Fig. 0-62, 7-7). Au nord du mur M.1001 , ils scellent en partie la première tranchée (Ens.4069, Agr.514), tandis qu'au sud du mur, ces remblais recouvrent les couches d'occupation précédentes sur une épaisseur de 20 cm (Ens.4058, Agr.740). Cette correspondance des remblais de part et d'autre semble indiquer que la porte POR 1458  est encore ouverte, faisant communiquer les deux espaces.

Les nouvelles tranchées correspondent à la construction de la maçonnerie UC 40243-40289, c'est-à-dire le bouchage probable de la porte 1458  (Ens.4068, Agr.518, 934). Les tranchées et le bouchage descendent jusqu'à 51,30 m NGF environ, soit plus bas que le niveau restitué du seuil d’après la comparaison avec la porte 1255 . Le bouchage est construit en moellons et blocs de moyen appareil de modules variés, liés au mortier de chaux et formant des assises irrégulières (Fig. 0-47, 0-48, 7-8). La reprise s'étend jusqu'à l'ouest du support EA 1050 , qui est ainsi en partie reconstruit. La base, en mauvais état, est conservée, mais le fût est remplacé par une superposition de blocs de largeurs différentes, formant un pilastre irrégulier (F.1030 , UC 40090, Fig. 7-9). Côté sud du mur M.1001 , le bouchage est plus irrégulier et comporte plusieurs boudins de mortier indiquant que la maçonnerie est construite en même temps que le comblement progressif de la tranchée F.1017 -1032 .

Une autre fosse a été creusée dans les remblais autour de la colonne engagée EA 1051 , afin de la consolider en l'englobant dans une maçonnerie de moellons en partie basse, surmontée de blocs arrondis formant un fût irrégulier de 50 cm de large (Fig. 7-10). Ces reconstructions des supports latéraux semblent indiquer une nécessité structurelle : la voûte est donc encore en place dans cette partie du bâtiment.

Ces tranchées et fosses sont scellées à l'intérieur du bâtiment par le dépôt de remblais argileux ou sableux présentant des faciès variant légèrement, contenant des nodules d'argile verte (Ens.4067, Agr.513). Les remblais ont donc été déposés en trois étapes intercalées avec des reprises du mur M.1001 , cumulant au total une épaisseur de 60 à 70 cm, jusqu'à 52,3 m NGF (Fig. 7-7). Au sud du mur, les derniers remblais sont associés à l'aménagement d'une structure accolée au mur M.1001  dont la fonction est incertaine : peut-être est-elle liée à la construction de la nouvelle porte POR 1002  (UC 40873, Agr.934).

Ces remblais sont également contemporains de reprises dans les murs M.1008 -1009  et M.1002 . L'extrémité nord du premier semble avoir été construite en même temps que le dépôt des remblais, les blocs étant liés à la terre. De plus, des blocs disposés dans ces mêmes remblais de terre jaune à l'angle des murs M.1002  et M.1009  semblent constituer un support, associé à un creusement peu profond dans le mur nord (UC 41352, 41268, Fig. 7-11).

La partie sud de M.1033  semble avoir été édifiée de la même façon, au fur et à mesure du remblaiement de part et d'autre du mur (Ens.4002, Agr.842, 841, Fig. 6-40). Le sondage réalisé à l'ouest du mur montre une occupation similaire dans la pièce voisine : des remblais alternant avec des couches résultant du piétinement, peut-être pendant le chantier. Les plans ADIL H236 et H305, datant probablement du début du 18e siècle, représentent le mur M.1033  comme un refend sans porte de communication (Fig. 0-164, 0-166).

Le dépôt de remblais s’accompagne donc dans la pièce centrale d'un renforcement des supports latéraux (reprise des anciens et ajout de nouveaux supports) et du bouchage de la porte POR 1458 , dont le seuil était trop bas pour les projets de rehaussement du sol. Les remblais sont déposés essentiellement dans le bâtiment, mais également à l'extérieur, de l'autre côté de la porte (secteur 1), la communication entre les deux étant probablement réalisée par une ouverture résultant de la préparation du nouvel accès, la porte POR 1002 , après le bouchage partiel de la porte 1458, située plus bas à cet endroit (cf. 7.1.4.1). La céramique recueillie indique une datation du 18e siècle (groupes techniques to21c ; to12a), avec un important mobilier redéposé datant du 17e siècle.

7.1.2.3 Les remblais dans la partie occidentale du bâtiment

Si les remblais n'ont pas été observés directement à l'ouest du bâtiment, en l'absence de fouilles intérieures, le résultat du rehaussement est perceptible par la position des ouvertures, portes et fenêtres. Leur altitude implique un niveau de sol similaire à ceux observés en zone 4 à l'est, au-dessus de 52 m NGF. Il est toutefois difficile de dater et de mesurer l'apport de remblais, qui n'ont pas nécessairement été similaires dans toutes les parties du bâtiment.

7.1.3 Les accès, les circulations et l'occupation dans la partie orientale du bâtiment après le rehaussement

7.1.3.1 La division de la pièce orientale et la création de nouveaux accès (Ens.4025-2026)

Les remblais déposés dans la pièce orientale sont perturbés par la construction d'un mur de refend nord-sud, M.1012 , aménagé dans une tranchée aveugle, dans l'alignement des supports 1168 -1169 -1170  qui ont perdu leur fonction originelle, le mur s'appuyant notamment sur la base du support EA 1169  (Ens.4025, Fig. 6-79, 7-12, 7-13). La voûte est donc détruite à ce moment-là au plus tard. La fondation est constituée de TCA, de blocs taillés et de moellons de différentes tailles, liés au mortier de chaux qui est irrégulièrement réparti. Le mur est constitué en grande partie de blocs lapidaires en remploi, dont un ensemble de 24 blocs couverts d'ocre jaune, correspondant à des blocs de parements et de claveaux de croisées d'ogives à large chanfrein, témoignant du deuxième état de la voûte médiévale (phase 4, cf. 3.1.2.3, Fig. 3-7). Il comporte également un lavabo liturgique en calcaire dur dont la provenance est inconnue. Le mur présente un léger ressaut au niveau du sol d'occupation, à 52 m NGF, marquant la limite entre la fondation et l'élévation, qui montre un parement plus régulier, mais utilisant les mêmes matériaux de récupération de modules très divers.

La phase de remblaiement s'achève dans la pièce orientale avec l'aménagement de la porte POR 1202  et la destruction de certains des supports de la voûte (Agr.642). La porte a été construite légèrement décalée par rapport à la brèche, afin d'aménager un seuil et des piédroits (Agr.636, Fig. 0-48, 7-5). La base de la porte est formée de gros moellons de tuffeau liés au mortier de chaux, déposés directement sur les remblais de terre piétinés. Le seuil a probablement été aménagé au-dessus de cette assise, mais le bouchage ultérieur masque en partie la construction. Le parement sud du mur montre des blocs de grand appareil régulier, qui constituent peut-être des marches à moins qu'il ne s'agisse d'un second état de la porte. Les piédroits sont formés de blocs de grand appareil de tuffeau liés au mortier de chaux qui semblent former une embrasure droite.

Cette porte POR 1202  desservait la nouvelle pièce formée à l'est du mur de refend M.1012  (Fig. 6-79), tandis que la forme du mur M.1001  permet de supposer l'existence d'une autre porte à l'ouest, à l'endroit où les démolisseurs du 19e siècle sont descendus à 52 m NGF, correspondant au niveau du seuil de la porte 1202 (Fig. 0-48). Cette porte hypothétique, POR 1459 , donnerait accès à la pièce située entre les murs M.1008 -1009  et M.1012 .

7.1.3.2 Des sols en terre dans la pièce orientale (Ens.4025)

Le sol dans la partie orientale du bâtiment, à l'est du mur M.1012 , est situé à 52 m NGF, au-dessus des remblais de l'ensemble 4026 (Fig. 7-6). L'occupation est attestée par une fine couche sableuse (US 40905) qui recouvre la surface des remblais, très tassés et horizontaux. La durée d'utilisation de ce sol est difficile à déterminer.

Entre les murs M.1008 -1009  et M.1012 , aucun sol en place n'a été observé. En revanche, après l'installation du mur M.1012 , d'autres remblais épais ont été déposés, contenant de nombreux blocs lapidaires (fragments d'ogives peintes, US 40881, Fig. 7-14). Ces couches ont pu constituer la préparation d'un sol situé à un niveau plus haut que celui situé à l'est de M.1012 , au-dessus de 52,3 m NGF. Les démolisseurs au 19e siècle étant descendus par endroits à la cote de 52 m NGF, aucune trace n'en est conservée.

7.1.3.3 Un second mur de refend à l’est et l'occupation correspondante (Ens.4024)

L'extrémité orientale de l'édifice a connu un ultime rehaussement avant la destruction de l'édifice : le sol 40905 est recouvert de remblais sur une soixantaine de centimètres d'épaisseur, constitués de couches sableuses contenant du mortier, d'argile marron ou de poudre de tuffeau.

Une nouvelle cloison, perpendiculaire à M.1012 , a été aménagée dans une petite tranchée (M.1013 , Fig. 7-4, 7-6). Ce muret, mal conservé, est constitué de blocs de tuffeau liés au mortier très sableux.

Le bouchage de la porte POR 1202  date probablement de la même phase de travaux. Il est formé de moellons liés au mortier, placés en assises débordant légèrement du mur à l'intérieur de la pièce. Il s'agit peut-être du rehaussement du seuil de la porte plutôt que d'une condamnation de l'accès, mais le niveau d'arasement du mur à cet endroit, à 52,4 m NGF, ne permet pas de l'assurer (Fig. 7-5). En effet, la cloison a formé deux pièces pour lesquelles des accès étaient nécessaires et les sols d'occupation correspondants étaient situés environ à 52,6 m NGF, encore visibles partiellement contre le mur pignon oriental (US 40899, Fig. 7-6).

La datation précise de ces dernières transformations n'est pas connue, mais l'altitude des sols correspond à celle du sol pavé encore en place dans la partie de l'édifice en élévation. Les sols comme les murs ont été largement perturbés par la destruction du bâtiment au début du 19e siècle.

Il est toutefois possible que les murs M.1012  et M.1013  aient été détruits avant le début du 19e siècle, puisque le procès-verbal de 1797 indique l'existence d'une grande pièce à l'est (Fig. 0-195), ce qui pourrait suggérer la destruction des deux cloisons avant cette date (Descriptions de Marmoutier : 624, article 57).

7.1.3.4 L’occupation extérieure, près du porche de l’église (Ens.4060)

L'occupation extérieure près de l'angle nord-est de l’hôtellerie, autour du porche de l'église, est attestée par un lambeau de sol pavé aménagé au sud du pilier 1422  à 52,3 m NGF (F.1391 ), tandis que des sols de terre battue sont conservés au nord, scellant des trous de poteau dont la fonction est incertaine (F.1397 , 1398 ).

La datation de ces sols n'est pas assurée, mais ils constituent les dernières traces d'occupation avant la destruction du bâtiment au début de la phase suivante. Ils contiennent des tessons de céramique et de verre redéposés datant des 16e-17e siècles ainsi que quelques tessons du 19e siècle, peut-être intrusifs.

7.1.4 Les accès, les circulations et l'occupation dans la partie centrale du bâtiment après le rehaussement

7.1.4.1 L'agrandissement de la tourelle médiévale et la modification des accès au sud du bâtiment (Ens.4058, 4066)

La tourelle de latrines médiévales, dont la fonction avait été modifiée au cours des phases précédentes, a été agrandie afin de la transformer en tourelle d'escalier rectangulaire en doublant sa surface au sol (Fig. 6-79).

Une maçonnerie de moellons noyés dans du mortier a ainsi été aménagée dans une tranchée aveugle creusée dans le prolongement de la tourelle vers le sud (EA.1342 , F.1164 , M.1010 , Agr.739, Fig. 0-52). Cette fondation irrégulière mesure 4 m de long, pour un minimum de 1,6 m de large, le bord sud étant situé en dehors de la zone de fouille, et elle a été observée sur près de 2 m de profondeur (Fig. 0-91, 7-15).

Le niveau de creusement est incertain : la tranchée coupe une couche de l'agrégation 744 et était soit recouverte par des remblais de l'agrégation 740, soit perçait de plus haut, les destructions du 19e siècle ayant perturbé la stratification autour du mur.

L'élévation de la tour proprement dite est connue par quelques traces au sommet des maçonneries et par des documents iconographiques modernes. Ces derniers montrent une tour de plan rectangulaire à la base, mais se prolongeant sur un plan octogonal au-dessus du niveau 2 (Fig. 0-166, 0-177). La partie basse semble aveugle, tandis que deux à trois petites fenêtres sont représentées en partie haute dans la plupart des documents (Fig. 0-166, 0-179, 0-180, 0-182). La toiture en pavillon s'élevait au-dessus du sommet du mur gouttereau M.1001 .

L'élévation est attestée par le négatif du parement intérieur, conservé dans le mortier à la surface du mur M.1010  à 52,2 m NGF environ (Fig. 7-16). Il permet de restituer des dimensions intérieures de 2,2 m sur 3,2 m. L'agrandissement a nécessité la reconstruction partielle de la tourelle, peut-être en conservant des tronçons des maçonneries médiévales. Les deux trous de poteau F.1356  et F.1357 , creusés dans les restes du carrelage de la phase précédente, pourraient donc correspondre à l'implantation d'un échafaudage à l'intérieur de la tourelle initiale (Agr. 817, Fig. 6-79, 7-17). Le fait F.1356  prenait la forme d'un demi-cercle creusé contre le mur 1030 , constituant la paroi d'origine de la tourelle. Il était profond de 1 m pour une largeur réduite au fond de 15 cm, correspondant probablement à la taille du poteau, plaqué contre M.1030 , au centre de la nouvelle tourelle, tandis que F.1357  était situé dans un angle.

Le niveau d'occupation intérieur n'est pas conservé dans l'emprise de la tourelle, les démolisseurs du 19e siècle étant descendus jusqu'à 51,9 m NGF. Toutefois, le mur oriental porte encore des vestiges d'une porte et d'un sol carrelé associé (SOL 1344 , Ens.4066, Agr.510, Fig. 7-18), situés à 52,40 m NGF. La porte POR 1039  a été créée par la destruction partielle du mur médiéval M.1005 , encore en partie en élévation (UC 41712). Le seuil de la porte est formé de carreaux posés sur l'arase du mur M.1005  et d'un grand bloc de calcaire de 90 cm de long placé à l'est du mur dans une petite tranchée aveugle recoupant les couches du secteur 1, mais son niveau de creusement n'est pas assuré. Il est donc difficile de déterminer si la porte a été créée en même temps que l'agrandissement de la tourelle, aucune relation stratigraphique directe n'ayant été observée.

La porte 1458 , qui constituait l'accès à la pièce centrale (Fig. 6-79), a été bouchée au fur et à mesure de l'apport de remblais, avant l'aménagement d'une nouvelle porte, légèrement décalée vers l'ouest, à 1,4 m de la tourelle, la porte 1202  (Ens.4066, Agr.510, Fig. 7-4). Les dernières couches de remblais sont probablement contemporaines de la création de la porte, puisque plusieurs blocs, englobés dans les remblais sableux, sont situés dans l'alignement du piédroit oriental (UC 40873).

Le mur M.1001  ayant été arasé au niveau du seuil, la technique de construction de la porte est mal connue. Le seuil est formé d'une assise de blocs maçonnés située au sommet de la reprise 40243-40289, recouverte de petits pavés de calcaire lacustre constituant le nouveau sol (cf. 7.1.4.3, Fig. 7-19, 7-20). Un ensemble d'ardoises posées à plat à l'est constitue peut-être l'assise d'un piédroit, tandis qu'à l'ouest, un aménagement similaire est constitué de mortier, d'ardoises et de carreaux de terre cuite. La porte ainsi délimitée mesure 1,7 à 2 m de large, avec un ébrasement interne. Sa position implique la destruction en élévation du support EA 1050 , pourtant remanié peu auparavant (Fig. 7-21). Soit la reprise du support ne visait pas à maintenir les voûtes, mais à fonder une partie de la porte, soit les constructeurs ont contourné la difficulté des reports de charge de la voûte.

Face à la tourelle, la pièce aménagée sous l'escalier droit (M.1003 ) a été condamnée par le bouchage de la porte POR 1026 , construit dans une petite tranchée creusée dans les remblais sableux (F.1005 , Agr.508, 509, Fig. 4-14, 7-22). La partie haute du mur, formant l'escalier droit accolé à la façade sud du bâtiment, semble encore en place après cette transformation. Toutefois, une partie de l'escalier a probablement été réaménagée au cours du 18e siècle, puisque le procès-verbal de 1797 (Fig. 0-195) comme la peinture attribuée à Charles-Antoine Rougeot conservée au Musée des Beaux-Arts indiquent un escalier de bois couvert (Fig. 0-182).

7.1.4.2 La création d’une cloison sur poteaux dans la pièce centrale (Ens.4066, Agr.512)

Les remblais déposés à l'intérieur du bâtiment dans la pièce centrale ont été percés par le creusement d'une série de trous de poteau formant une ligne orientée est-ouest, au nord des supports centraux (F.1011 , 1012 , 1014 , 1015 , 1020 , 1029 , Fig. 7-4, 7-23). Ces poteaux reprennent la position de la cloison sur sablière basse construite lors de la phase précédente, pérennisant une division interne même après le rehaussement des sols (F.1022 -1025 ). Les six poteaux mesuraient 25 à 30 cm de large, pour une profondeur de 40 à 60 cm. Ils sont espacés irrégulièrement, de 1 m à 1,5 m d'entraxe. Cette cloison a été observée dans les secteurs 2 et 3 : elle se prolongeait probablement jusqu'au mur M.1008 -1009  à l'est, mais son extension à l'ouest est inconnue, les niveaux correspondant n'ayant pas été fouillés à la main dans les secteurs occidentaux.

7.1.4.3 Le sol pavé dans la partie centrale du bâtiment (Ens.4066, Agr. 510, 511)

Le sol associé à cette cloison et à la nouvelle porte POR 1002  au sud est constitué de petits pavés de calcaire lacustre de 10 cm de côté, dont seuls des lambeaux ont été laissés en place par les démolisseurs au 19e siècle, sur le seuil de la porte 1002 et à l'angle des murs M.1001  et M.1003  (SOL 1006 , Fig. 7-24). Ce sol a été aménagé à l'intérieur sur une couche de préparation de sable, formant un niveau régulier (SOL 1274 ), la surface des pavés étant située à 52,3 m NGF au sud du bâtiment.

7.1.5 Les accès, les circulations et l'occupation dans la partie occidentale du bâtiment après le rehaussement

7.1.5.1 Les accès dans la partie ouest du bâtiment (Zone 3, Ens.3004)

L'organisation des pièces situées dans la partie occidentale du bâtiment au cours de la phase 8 (Fig. 7-4) est indiquée notamment par les plans ADIL H236 et H305 (Fig. 0-164, 0-166), qui datent probablement de la première moitié du 18e siècle, étant donné qu'ils semblent correspondre au projet de construction de l'aile ouest (bâtiment 1, cf. 7.3.2).

La partie occidentale du bâtiment, séparée des pièces orientales par le mur M.1033 , aveugle, est constituée de trois grandes pièces (l'équivalent des trois travées voûtées antérieures) et de deux pièces plus petites dans l'emprise de l'ancien passage à l'ouest. Elles présentent des portes ouvrant au sud, deux ouvrent au nord et quatre communiquent entre elles. La partie conservée aujourd’hui correspond aux pièces notées P, Q, S et T du plan ADIL H305 (Fig. 0-166).

Les portes intérieures sont encore en partie observables. La porte POR 564  permet la communication entre l'ancien passage et la travée voisine dans le mur M.502 , construit dès l'origine. La porte médiévale, fonctionnant avec l'ancien niveau de sol, a à cette période été remplacée par une porte plus haute, couverte d'une plate-bande clavée (Fig. 0-33).

Le mur situé plus à l'ouest, M.503 , correspond, lui, à une nouvelle construction, probablement contemporaine des remblais. La porte indiquée sur le plan est toutefois plus réduite que celle actuellement visible (POR 569 ), qui résulte d'une transformation de la phase 9. Le mur délimitant les travées suivantes n'est pas conservé aujourd'hui, puisqu'il a été remplacé par le bouchage du 19e siècle. Le plan indique une porte de communication ainsi que deux cheminées au sud.

Les ouvertures extérieures encore visibles aujourd'hui comprennent deux portes et une fenêtre au sud et deux portes à l'ouest (Fig. 0-37, 0-38). La porte nord est décrite avec les remaniements liés à la construction d'une aile contre la façade nord du bâtiment 2 (bâtiment 1, cf. 7.3.2).

La fenêtre 503 , ouvrant dans la pièce sud de l'ancien passage et couverte d'une plate-bande clavée non extradossée à l'extérieur et d'un arc surbaissé non extradossé à l'intérieur, a probablement été réaménagée dans le bouchage originel, réalisé lors de la phase 5.

Les portes 507  et 509  ont des formes et des dimensions différentes difficiles à dater avec précision (Fig. 7-25). La première est couverte d'un arc surbaissé non extradossé et était large de 2 m à l'origine, tandis que la porte 509 , plus étroite, était surmontée d'une imposte couverte d'une plate-bande clavée. La chronologie relative des deux ouvertures est difficile à déterminer, mais elles sont toutes deux postérieures au rehaussement du sol et la porte 509  n'a pu être créée qu'après la destruction des voûtes, étant donné sa hauteur.

Les deux portes de la façade ouest, très remaniées (POR 542 , 543 ), permettaient l'accès aux deux pièces créées par l'ajout d'une cloison sous l'arc doubleau 565 . La cloison elle-même n'a pas laissé de traces, mais elle est représentée sur le plan ADIL H305 (Fig. 0-166). Les trous d'encastrement d'un faux-plafond sont visibles dans les murs de la pièce sud uniquement, indiquant une fonction différente dans chaque espace (PLF 650 , Fig. 0-72). Chaque pièce dispose d'une niche creusée dans les murs : NCH 502  au sud, NCH 583 -NCH 623  au nord. Le plan ADIL H305 (Fig. 0-166) porte la mention de cuisine dans la pièce nord, ce qui semble confirmé par la présence d'une cheminée et d'un four dans le mur nord (Ens.3003, Agr1005, cf. 7.3.2.1).

7.1.5.2 Les sols à l'ouest du bâtiment

Les niveaux de sols encore visibles dans la partie conservée en élévation sont difficiles à dater. Tous sont postérieurs à des remblaiements, mais ils sont situés à des altitudes différentes (Fig. 0-38).

Le niveau de sol dans les deux pièces occidentales (SOL 506 ) est situé à 52 m NGF. Si le sol de carreaux visible actuellement est probablement un réaménagement réalisé après la destruction du mur de séparation et le bouchage de la porte 564 , ce niveau est peut-être le résultat d'un remblaiement antérieur à celui réalisé de l'autre côté du mur M.502 , dès la condamnation du passage au nord et au sud. Le plan ADIL H305 (Fig. 0-166) indique quatre marches dans l'embrasure de la porte 564  pour faire communiquer les deux pièces : la différence de niveau existe donc au 18e siècle.

Le sol des pièces voisines (SOL 642 ) est situé actuellement à 52,90 m NGF au nord, à 52,7 m dans l'embrasure de la porte POR 507  et 52,6 m sous la porte 509 . Il est donc plus élevé que le sol de pavés situé dans la pièce centrale en zone 4 (SOL 1006 -1274 ), mais coïncide avec le dernier sol observé près du pignon oriental (US 40899, Fig. 7-6). Il est donc possible que ce niveau résulte d'un dernier rehaussement des sols au cours du 18e siècle. Toutefois, le pavage lui-même, constitué de pavés de calcaire lacustre, a probablement été modifié au 19e siècle, après la destruction d'une partie de l'édifice et la construction du mur oriental M.504 .

Le plan ADIL H305 (Fig. 0-166) montre également de nombreuses marches devant la porte nord POR 529 , impliquant un niveau de sol nettement plus élevé au nord du mur M.506 , lié à la construction du bâtiment 1 (cf. 7.3.2).

7.2 Les transformations des étages

Les changements des élévations à cette période sont pour partie liés à l'édification du bâtiment 1 contre la façade nord du bâtiment 2 (cf. 7.3.2), tandis que d'autres lui sont antérieurs ou postérieurs (Fig. 6-79, 7-1). Des incertitudes de datation ont conduit à les présenter toutes ici.

7.2.1 La modification des ouvertures au 18e siècle (Ens.3004)

Les remaniements associés au 18e siècle ont touché essentiellement le premier des trois étages.

Au sud, une nouvelle fenêtre a été créée, à l'emplacement de la baie médiévale en lancette 522 . La baie 514  mesure 1,3 m de large à l'extérieur, 1,60 m à l'intérieur, pour une embrasure montant de fond, haute de 3 m, jusqu'au plafond (Fig. 7-26). Elle est couverte d'une plate-bande clavée constituée de blocs allongés à l'extérieur, tandis que le couvrement intérieur est masqué par la reprise du plancher.

Au nord, quelques maçonneries seulement sont attribuées au début du 18e siècle, avant la construction du bâtiment 1. Entre la baie 643  et le contrefort 549 , le mur 506  a été remanié avec l'insertion du piédroit d'une ouverture très mal conservée (OUV 551 , UC 30183), associée à une maçonnerie de moellons et de blocs de moyen appareil (UC 30174, 30190, 30508, Ens.4004, Fig. 0-39, 7-27).

Les trois fenêtres créées dans le pignon occidental M.501  présentent une technique de construction similaire : elles sont étroites (80 cm de large à l'extérieur), couvertes de plates-bandes clavées à l'extérieur, tandis que le couvrement intérieur est masqué par le plancher (FEN 535 , 537 , 539 , Fig. 7-28). Elles ont la particularité de présenter une feuillure à l'extérieur et l'appui de deux d'entre elles correspond à une reprise, les ouvertures semblant monter de fond à l'origine. La datation de ces trois fenêtres est incertaine : elles pourraient également être postérieures à certaines des transformations intérieures (boiseries) et appartenir à la fin du 18e siècle.

7.2.2 Le changement de décor intérieur de l’étage : la mise en place de boiseries (Ens.3002)

La mise en place de boiseries dans une partie de l'édifice est attestée par des encastrements dans les murs, surtout autour de certaines baies au niveau 2 (Fig. 7-29).

Les trous d'encastrement sont constitués de deux séries de creusements rectangulaires situés sur les arêtes des piédroits des baies 519 , 514  et 511  ainsi qu'autour de la niche 520  dans le mur sud (Fig. 7-30), et autour de la fenêtre 527  au nord. La baie 643  a été fortement transformée, masquant les traces éventuelles. Ces trous, placés en deux lignes à 1 m et à 2 m du sol, sont généralement associés à des rainures horizontales, mesurant 30 cm à 1 m de long.

Ces traces indiquent que des boiseries ont été mises en place à l'aide de tasseaux ancrés dans les murs, essentiellement autour des ouvertures pour constituer une base plus solide à la fixation de panneaux de bois. L'utilisation de tasseaux permet de maintenir un espace entre les murs et les panneaux, qui sont fixés par des crochets ou des clous (Roman 2015 : 34). Quelques creusements dans le mur nord pourraient constituer le prolongement de cet aménagement vers l'ouest, tandis que l'absence de traces sur le pignon ouest et autour des baies indique probablement que la structure originelle ne nécessitait pas d'ancrages nombreux dans le mur à cet endroit qui ne présentait pas de zones de fragilité, c'est-à-dire pas de fenêtres. Les trois ouvertures visibles aujourd'hui peuvent donc être postérieures au démontage des boiseries.

Ces seuls indices ne permettent pas de proposer une restitution des panneaux de bois et leur datation même est incertaine. Nous savons toutefois qu'elles sont postérieures à la reprise de la baie BAI 527  et donc à la destruction de l'aile nord (bâtiment 1). La chronologie avec la cheminée CHE 538  est incertaine, le premier état du manteau étant mal daté.

7.3 L’adjonction d’une aile au début du 18e siècle (bâtiment 1) et la reconstruction du portail occidental (Ens.3003, 3013)

Plusieurs constructions ont été réalisées à l'ouest de l'ancienne hôtellerie au cours du 18e siècle : le portail de Sainte-Radegonde, encore visible aujourd’hui, et le bâtiment 1, constituant une aile accolée au bâtiment 2 et se prolongeant vers l'ouest par un pavillon (Fig. 7-1, 7-35, 7-36).

7.3.1 Le portail de Sainte-Radegonde construit en 1719 (Ens.3013)

Le Portail de Sainte-Radegonde est situé à l'ouest de l'hôtellerie, dans le prolongement du tronçon médiéval de l'enceinte, au pied du coteau.

Le mur d’un mètre d’épaisseur comprend un portail central de 3,2 m de large (POR 638 ) et deux portes latérales d’un mètre de large (POR 637 , 639 , Fig. 0-45, 0-46). Ces ouvertures sont couvertes côté extérieur (ouest) d’arcs en anse de panier à clé pendante, tandis que des arcs surbaissés couvrent les portes latérales à l’intérieur (Fig. 0-83). La façade ouest présente un décor plus important que le revers, avec des bandeaux en relief et des pilastres aux chapiteaux moulurés. Le portail est surmonté d’un fronton trapézoïdal culminant à plus de 10 m.

L’édifice a subi des dégradations, essentiellement dans la partie haute et dans les décors réalisés dans des blocs de tuffeau blanc. La comparaison avec deux cartes postales anciennes représentant le portail est édifiante (Fig. 0-186, 0-187) ; début du 20e siècle ?) : le fronton a été tronqué de ses rampants, les sculptures des bords ont été dégradées et certaines moulures latérales ont disparu (Fig. 0-82, 7-31). Ces photographies montrent également des dégâts plus anciens, car plusieurs blocs situés en couronnement du mur de clôture semblent indiquer l’existence de décors partiellement conservés (arabesques, volutes ?). Sœur Robinet indique de plus qu’il existait à l’origine un décor sculpté sur le tympan, comportant les armes de l’abbaye entourées d’angelots, sans toutefois citer ses sources. Ce décor aurait été bûché et tronqué à la Révolution (Sœur Robinet, tome 10 : 41), mais les photographies montrent des blocs très lisses en parement du tympan. Un dessin de Louis-François Cassas représentant le portail vu de l’est en 1776 montre le fronton trapézoïdal surmonté d’une croix et le mur comporte des créneaux de part et d’autre de la porte centrale (Fig. 0-181). Plus récemment, une partie des piédroits de deux des portes ont été restaurés avec des blocs d’une nature différente, de couleur ocre rose.

La date de construction de ce portail nous est indiquée par l'abbé Casimir Chevalier dans sa publication des travaux de dom Martène :

« 1719 […] Construction de la grande porte du monastère du côté de Sainte-Radégonde. »
(Histoire de Marmoutier, vol. 2 : 559)

Les sources textuelles indiquent l'existence d'une maison construite peu de temps avant 1721 à proximité de la porte et au pied du coteau (ADIL H386), qui pourrait faire partie du prieuré des Sept-Dormants (étude Daniel Morleghem en cours). Il est possible qu'elle s'appuyait contre le mur médiéval encore conservé au nord du portail, et aurait été reconstruite ou remaniée au cours du siècle suivant, le bâtiment visible aujourd’hui ne semblant pas correspondre à un édifice du début du 18e siècle (cf. 8.3.5, Ens.3012).

7.3.2 La construction du bâtiment 1 (Ens.3003)

7.3.2.1 Les maçonneries du bâtiment 1 (Agr.1005)

Le bâtiment 1 est constitué d’une longue aile étroite de 43 m sur 6,5 m environ, plaquée contre l’extrémité ouest de la face nord du bâtiment 2, joignant vers l’ouest un pavillon de plan trapézoïdal occupant un angle de l’enceinte du monastère, de 13 m sur 16,5 m au maximum (Fig. 7-1). Seuls le mur sud de l’aile (M.512 ) et les murs nord (M.523 ), est (M.522 ) et ouest du pavillon (M.524 ) sont aujourd’hui partiellement conservés (Fig. 0-41, 0-42, 0-43, 0-44). Toutefois, le bâtiment est connu par des dessins du 18e siècle correspondant certainement au projet de construction, puisque les quatre versions des plans et les deux représentations de l’élévation de la face sud présentent des différences de détail (Fig. 0-164, 0-165, 0-166). La comparaison avec les vestiges permet de préciser quel a été le projet adopté, même si des informations manquent sur la façade nord, détruite et peu représentée sur ces documents modernes.

Le niveau 1 est percé au nord de deux petites portes et de trois fenêtres, éclairant les pièces accolées à l'ancienne hôtellerie (Fig. 0-29), tandis que le mur sud est largement ouvert de quatre grandes baies de 1,8 m de large couvertes d’arcs surbaissés (BAI 590 , 597 , 598 , 629 , Fig. 0-76, 0-77) ainsi que de deux grandes portes d'une forme similaire aux fenêtres mais plus larges : POR 591 , dans le mur 512  (3 m de large), et POR 630 , dans le mur 522 , correspondant au pavillon occidental (Fig. 0-78).

Celui-ci comportait trois baies au sud (détruites) et trois autres au nord, plus réduites que celles de l’aile est-ouest (1 m de large) et avec un long glacis sous l’appui (633 , 634 , F.635 , Fig. 0-79), tandis que le mur ouest était laissé aveugle (M.524 ). Cette maçonnerie construite en même temps que le reste du bâtiment 1 correspond à une reprise du mur d’enceinte médiéval sur le même tracé sur une vingtaine de mètres, mais avec une technique de construction différente, employant des moellons irréguliers et des blocs de moyen appareil allongé en remploi (Fig. 0-81). L’angle du pavillon est épaissi par une maçonnerie de moellons et blocs de grand appareil de tuffeau jaune, afin de compenser l’angle obtus dans les pièces du pavillon.

Un second niveau est représenté sur le document ADIL H305, comportant côté sud cinq baies dans le corps principal et trois autres dans le pavillon (Fig. 0-166). Il est attesté par deux pans des murs 512  et 522 , le premier conservant le piédroit d’une baie (BAI 632 , Fig. 0-77).

Les élévations des deux niveaux sont rythmées par des bandeaux horizontaux et des méplats entourant les baies (Fig. 0-76, Fig. 0-77). Seuls les bandeaux et les encadrements des ouvertures sont construits en pierre de taille de moyen ou grand appareil de tuffeau jaune et blanc (uniquement pour les arcs surbaissés), tandis que le reste des maçonneries des façades extérieures et intérieures est construit en moellons de tuffeau associés à des blocs de moyen appareil probablement en remploi.

Les toitures sont représentées sur le document ADIL H305 : une couverture à deux pans sur l'aile nord et en pavillon au-dessus de l'extrémité occidentale, toutes couvertes d'ardoises.

Une cave a été construite sous l'extrémité orientale de l'aile, accolée au mur nord du bâtiment médiéval : elle était couverte d'une voûte en berceau légèrement surbaissé construit en blocs de grand appareil de tuffeau (VOU 624 , Fig. 7-32), tandis que les murs ouest, nord et est sont construits en moellons liés au mortier de chaux. L'accès semble se faire à l'origine par une trappe dans la voûte (TRE 640 ).

7.3.2.2 L’organisation interne du bâtiment 1 et les adaptations du bâtiment 2

Les plans ADIL H236 et H305 permettent de restituer l'organisation interne du bâtiment, mais il est toutefois difficile de déterminer quelle part du projet a effectivement été réalisée, puisqu'ils montrent la présence de nombreux murs de refend, dont la position n'est pas toujours identique (Fig. 0-164, 0-165, 0-166). Seuls deux murs de refend sont assurés archéologiquement : le mur séparant l'aile du pavillon (M.522 ), dans lequel une porte de communication est encore visible - elle est de taille réduite et couverte d’une plate-bande clavée (POR 631 , Fig. 0-78) - et le mur 514 , vers l'ouest, dont les fondations ont été observées en fouille dans le secteur 2 (Fig. 7-1). Il a été construit dans une tranchée étroite, et la fondation forme des ressauts successifs (Fig. 0-69, coupe 293).

Les plans indiquent deux à quatre pièces dans le pavillon, auxquelles s'ajoute un espace à l'angle de l'enceinte, accessible depuis l'extérieur et servant de latrines. L'aile comprend huit pièces en enfilade de dimensions variables. Deux escaliers intérieurs sont représentés, à chaque extrémité du bâtiment. Le premier, en volée droite, occupe la pièce à l'ouest, suivie de deux grandes pièces ouvertes au sud, d'une autre ouverte des deux côtés puis de quatre pièces plus petites, peut-être destinées au service et éclairées par des ouvertures plus réduites au nord. Le second escalier occupe toute la pièce située à l'extrémité, devant la porte 529 .

Le niveau des sols peut être partiellement restitué, puisque les volées de marches au pied des portes ont manifestement été nécessaires pour faire communiquer les différents niveaux : le sol extérieur au sud était nettement plus bas que le sol intérieur du bâtiment 1, qui se trouvait lui-même plus haut que le sol actuel, puisque les sols intérieurs n'ont pas été observés lors de la fouille du secteur 2. Notons que quelques carreaux hexagonaux, qui ont été découverts dans des remblais postérieurs (US 30532) pourraient correspondre à ces sols. De plus, de nombreuses marches sont représentées devant la porte POR 529 , permettant de descendre jusqu'au niveau intérieur du bâtiment 2.

Cette porte, comme d'autres aménagements, ont été créés au moment de la construction du bâtiment 1, soit en adaptant les éléments existants, soit en en créant en fonction de l'utilisation du nouvel édifice (Fig. 0-39).

La fenêtre FEN 558 , située au rez-de-chaussée du bâtiment 2, est probablement modifiée à ce moment-là (elle est représentée sur le plan ADIL H305), tandis que la porte POR 529  est créée pour établir un accès entre les deux constructions (Fig. 7-27). Le mur médiéval est percé d'une grande brèche avant l'insertion des piédroits et du couvrement en plate-bande clavée non extradossée, aménagé en blocs de grand appareil de tuffeau (Fig. 0-40).

À l'étage, les remaniements sont nombreux : les maçonneries montrent les traces d'encastrement de deux planchers, sous la forme de trous carrés, espacés de 25 cm environ, visibles à l'est et au-dessus de l'arc 552  (Fig. 0-39). L'ouverture OUV 550  créée précédemment est condamnée lors du percement de la porte POR 527 , contemporaine de la porte 529  du rez-de-chaussée. Elle est couverte d'une plate-bande clavée, mesure 1,5 m de large pour 2,8 m de haut et descend à l'origine jusqu'au niveau du plancher, ouvrant dans la cage d'escalier représentée sur le plan ADIL H305.

Elle est très différente de la porte 555  située plus à l'ouest, correspondant manifestement à une porte de service (Fig. 0-39, 7-33). Large de 90 cm pour 2 m de haut, elle a été aménagée près de l'ancien contrefort 557 , bûché au-dessus du rez-de-chaussée.

À côté, une série de cheminées a été créée, légèrement décalées d'un niveau à l'autre : la cheminée 567  se trouve au rez-de-chaussée du bâtiment 2, associée au four 568 , la cheminée 553  est située au niveau 1 du bâtiment 1 (à côté du placard 599 ), tandis que la cheminée 554  ouvre au niveau 2 du bâtiment 1. Toutes sont aménagées en blocs de tuffeau blanc, la première formant un coffre contre le mur M.502 , les deux dernières étant construites dans l'épaisseur du mur, en profitant notamment du retrait créé par l'arc 552 .

À l'angle nord-ouest, quelques reprises ont été nécessaires pour aménager les conduits des cheminées (UC 30229) et ancrer le mur sud de l'aile (M.512 ) dans les contreforts médiévaux, sur deux niveaux (Fig. 7-33).

La datation du bâtiment 1 est discutée en synthèse du chapitre, dans le cadre de l'analyse fonctionnelle de l'ensemble formé des bâtiments 1 et 2 (cf. 7.4).

7.3.2.3 La destruction du bâtiment 1 (Ens.3016)

La destruction du bâtiment 1 n'a été que partielle, puisque certains murs ont été conservés en élévation. Les murs extérieurs du pavillon ont été préservés au niveau 1, après bouchage des fenêtres, pour maintenir la fermeture de l'enceinte (Fig. 7-34). Le mur sud du pavillon (M.512 ) associé au mur M.522  a été conservé en partie basse après le bouchage des fenêtres pour maintenir la terrasse supérieure, correspondant au terrain au nord des bâtiments, le niveau au sud étant plus bas de près de 2 m. Les raisons de la conservation d'un tronçon du mur de l'étage du pavillon sont toutefois plus incertaines.

La destruction du bâtiment a de plus entraîné de nouvelles transformations du mur M.506 . La porte 527  a été transformée en fenêtre par une réduction à la fois en largeur et en hauteur, tandis que les cheminées et la porte 555  ont été condamnées (Fig. 7-33).

La cave a été conservée, après la création d'un nouvel accès par un escalier à l'ouest (ESC 627 , phase 9), mais le mur nord du bâtiment 1 et les murs de refend, ainsi que les sols intérieurs ont été entièrement détruits, le niveau actuel étant situé en dessous du sol intérieur originel.

7.4 Synthèse de la phase 8

La modélisation en trois dimensions des bâtiments 1 et 2

La modélisation en trois dimensions pour la phase 8 montre de nombreuses transformations du bâtiment, par l'ajout d'une aile au nord-ouest, associée à la construction du portail de Sainte-Radegonde. Cette construction est attestée par quelques murs encore en élévation et par des documents iconographiques représentant le plan et la façade sud de la nouvelle aile, ainsi que l'extrémité ouest du bâtiment 2. Ces documents permettent de proposer une restitution de la forme du bâtiment ainsi que des ouvertures des parties détruites au nord comme au sud (Fig. 7-1, 7-35, 7-36).

La tourelle d'escalier a été agrandie, ce qui est attesté par la fouille archéologique et corroboré par des documents iconographiques du 18e siècle, qui montrent également que l'escalier droit accolé contre la façade sud a été complété par une toiture en appentis.

Au nord-est, le bâtiment accolé est détruit, probablement remplacé par des murs de clôture, non représentés sur la modélisation.

Seuls les extérieurs ont fait l'objet d'une modélisation pour cette phase.

La datation du bâtiment 1 et la fonction des bâtiments 1 et 2

La date de construction et la durée d'utilisation du bâtiment 1 sont incertaines. Sa construction n'est en effet pas mentionnée dans les sources écrites et les données stratigraphiques, recueillies dans le secteur 3 au nord du bâtiment 2, sont peu utilisables. La tranchée de construction du mur 514  (F.603 ) n'a pas fourni d’indications précises (elle a été creusée dans des couches contenant du mobilier des 17e et 18e siècles) et les sols d'occupation intérieurs ne sont pas conservés.

L'iconographie fournit, elle, des indices parfois difficiles à utiliser. Le bâtiment 1 est représenté sur les plans ADIL C277 (Fig. 0-167) et ADIL_II-3-1-15 (2) (Fig. 0-168), qui sont probablement postérieurs à 1736, puisque le logis abbatial au sud est déjà construit, mais semble absent du plan de Cassas, datant de 1749 (Fig. 0-180). Seuls quelques murs de terrasse ou de clôture sont indiqués à cet emplacement. D'autres représentations ne respectent pas les distances entre les bâtiments : le plan AMA_II-14-1 montre par exemple les ruines du pavillon directement au contact de l'ancienne hôtellerie (Fig. 0-169).

L'étude architecturale permet toutefois de proposer une chronologie. Les points communs architecturaux sont nombreux entre le portail de Sainte-Radegonde et le bâtiment 1. Ils présentent des soubassements en ressaut, des bandeaux en relief, les matériaux sont similaires et les assises à la jonction du portail et du pavillon sont cohérentes. Ces éléments impliquent une contemporanéité relative. Soit les deux parties ont été construites lors du même chantier, soit il existait un projet global et des pierres d'attente ont été placées avant la poursuite de la construction. La mention de la construction du portail en 1719 nous indiquerait donc également la date approximative de construction de l’aile et du pavillon.

Le bâtiment 1, comme le portail de Sainte-Radegonde, fait donc partie du programme constructif des moines mauristes, installés à Marmoutier depuis le milieu du 17e siècle. Le portail décoré, nouvellement construit au goût du début du 18e siècle, est situé au débouché d'une voie de communication importante vers Tours et permet d'accéder à l'église abbatiale par un long passage bordé au nord par le coteau et au sud par le bâtiment 1, prolongeant l'axe du bâtiment 2. Le bâtiment 1, comme l'hôtellerie médiévale avant lui, semble donc avoir une fonction ostentatoire, destinée à mettre en valeur l'entrée du monastère. Il existe des différences toutefois avec l'organisation médiévale de cet espace. L'architecture du bâtiment 1 démontre une volonté de mettre en valeur et d'ouvrir la façade méridionale plutôt que le côté nord. Des ouvertures larges éclairent les pièces au sud, tandis que la façade nord est presque aveugle. Cette disposition est conforme aux thèses hygiénistes des Mauristes, préconisant de créer de grandes fenêtres, préférentiellement au sud ou à l'est, dans les bâtiments qu'ils construisent ou réaménagent (Bugner 1987 : 111).

Le bâtiment 2 remplit au 17e siècle la fonction de maison du Grand Prieur (indiquée sur la gravure du Monasticon Gallicanum) et les nombreuses communications entre les deux corps de bâtiment indiquent qu'ils forment un ensemble architectural unique. La construction du bâtiment 1 n'est pas mentionnée dans les textes, mais il est possible que, dans le projet initial, la fonction de maison du Grand-Prieur ait été également étendue à l'aile et au pavillon ouest.

Toutefois, la relecture de certains documents permet d'apporter des précisions sur la construction et la fonction de l'édifice. Charles Lelong mentionne qu'en 1730 un bâtiment situé près de l'église a été réaménagé pour servir de logis abbatial, le logis situé à Rougemont étant jugé inhabitable depuis 1720 : « un grand bâtiment au bout de la galerie duquel il y a un pavillon commencé qu'ils s'obligeront d'achever avec écuries et autres commodités et un grand emplacement servant de jardin » (Lelong 1989 : 49, citant ADIL H305 ?). Cette description d'un bâtiment inachevé correspond au bâtiment 1, ce qui expliquerait la présence du document représentant le plan et l'élévation de cet édifice dans une liasse concernant le logis de Rougemont (ADIL H305). Cette association dans une même cote, qui semble étrange, prend sens si les bâtiments 1 et 2 correspondent bien au bâtiment réhabilité pour en faire le logis abbatial.

Le bâtiment 1 aurait donc été construit avant 1730 mais laissé inachevé. À partir de 1730, après réaménagement, il semble remplir la fonction de logis abbatial, avant le début des travaux d'un logis neuf situé au sud contre l'enceinte, en projet depuis 1720, mais finalement commencé en 1736 uniquement. Les bâtiments 1 et 2 auraient donc rempli cette fonction de logis abbatial temporairement, soit jusqu'à la construction du logis sud en 1736, soit jusqu'à la suppression de la fonction d'abbé en 1739 (Lelong 1989 : 51).

L'aile et le pavillon du bâtiment 1 auraient été rapidement détruits si l'on se fonde à la fois sur les sources iconographiques et sur l'absence de traces d'utilisation de certaines cheminées. Si la date de destruction précise reste inconnue, elle intervient nécessairement au cours du 18e siècle, avant la Révolution, puisque le procès-verbal d'estimation ne comporte aucune mention de l'édifice (Fig. 0-195), et probablement dans les années 1740. En effet, le plan de Trudaine semble représenter le bâtiment 1 encore en place (dessin antérieur à 1745), mais le bâtiment n'est figuré sur le plan de Cassas que sous la forme du pavillon et du mur de terrasse formé par son ancien mur sud (1749, Fig. 0-180) que sous la forme du pavillon et du mur de terrasse formé par son ancien mur sud.

Les transformations intérieures du bâtiment 2 au cours du 18e siècle ont essentiellement eu pour objectif d'harmoniser les niveaux de sols intérieurs et extérieurs, et de créer de nouveaux accès côté sud, multipliant les portes au rez-de-chaussée et aménageant une tourelle d'escalier, complémentaire de l’escalier droit adjacent. Une partie des transformations sont liées à la construction du bâtiment 1 contre la façade nord, qui a bousculé les circulations intérieures. Il s'agit d'améliorations apportées au bâtiment médiéval pour répondre aux besoins de l'époque.

Le plan ADIL H305 indique qu'une cuisine se trouvait à l'extrémité ouest du bâtiment 2 et on peut donc supposer l'existence d'offices et de pièces à fonction utilitaire au rez-de-chaussée de l'édifice. Le procès-verbal de 1797 indique notamment la présence de trois écuries et d'une remise (Fig. 0-195). Si cette description est postérieure à la période de fonctionnement conjoint des bâtiments 1 et 2, la fonction de ces espaces n'a probablement pas beaucoup changé au cours du siècle, d'autant que la fonction d'écurie est attestée dès le 17e siècle à cet endroit et que le texte de 1730 mentionne lui aussi la présence d'écuries. Le rez-de-chaussée de l'aile et les étages remplissent probablement des fonctions résidentielles et de réception (appartements, salons).

La destruction du bâtiment 1, qui semble être intervenue peu de temps après sa construction, a conduit à de nouveaux remaniements du bâtiment 2 et probablement au changement de fonction de certains espaces, dévolus à l'abbé. Il est possible que la fonction de logis du Grand Prieur ait subsisté.

CHAPITRE 8. PÉRIODE 4, PHASE 9 : LA DESTRUCTION PARTIELLE DU BÂTIMENT AU DÉBUT DU 19E SIÈCLE ET LES RÉAMÉNAGEMENTS POSTÉRIEURS

Chapitre 8. Période 4, Phase 9 : La destruction partielle du bâtiment au début du 19e siècle et les réaménagements postérieurs

Émeline Marot

La dernière période d'utilisation de l'ancienne hôtellerie commence au moment de la Révolution et des changements associés : la vente, la réaffectation et la destruction d'une grande partie des bâtiments du monastère. Des plans de la fin du 18e siècle et le cadastre de 1811 représentent différentes étapes de la démolition progressive : l’ancienne hôtellerie a été détruite après l’église abbatiale, entre 1802 et 1809 (Fig. 0-196 phase9 et 8-1).

Les deux tiers orientaux du bâtiment ont été rasés (Fig. 0-14) et une partie des matériaux a été laissée sur place, comme des blocs des voûtes, tandis que les pavés des sols ont été récupérés. La partie ouest conservée en élévation a été réaménagée, avec la construction d’un nouveau mur oriental et la mise en place d’une charpente plus basse que l’ancienne, réutilisant de nombreux bois provenant de différents bâtiments médiévaux du monastère : l’ancienne hôtellerie mais également le dortoir, le réfectoire et les écuries (Fig. 8-9).

Les transformations et les destructions des bâtiments et de leurs abords après la Révolution ont considérablement perturbé la lecture de l'édifice médiéval. À l'intérieur, les niveaux de plancher ont été modifiés, les ouvertures transformées, les murs de moyen appareil médiéval ont été masqués sous des enduits, tandis que des constructions accolées ont achevé de modifier les murs extérieurs, déjà fortement perturbés lors de la phase précédente.

La dernière période d'utilisation de l'ancienne hôtellerie commence au moment de la Révolution et des changements associés : la vente, la réaffectation et la destruction d'une grande partie des bâtiments du monastère.

8.1 Les premiers changements après la Révolution

À la suite de la Révolution, le domaine de Marmoutier a été divisé pour en louer ou en vendre différentes parties, avant le démantèlement final de 1799 (Chérault 2011 ; Chérault 2012 ; Chérault 2019). Le bâtiment 2 et les vestiges du bâtiment 1 ont à ce moment été séparés en deux lots (Fig. 7-34).

Le premier procès-verbal d'estimation des biens remonte à 1791 (Fig. 0-195). À cette date, le projet est de faire de la partie ouest de l'enclos un lot séparé, mais la vente de ces terrains ne semble effective qu'en 1796. Cet ensemble, incluant l'ancien pavillon du bâtiment 1, à présent transformé en une terrasse, et les deux pièces de l'ancien passage du bâtiment 2, a été vendu au Citoyen Hurteaux ou Heurteaux, nommé dans le procès-verbal de 1797.

Le plan ADIL 1Q283 (Fig. 0-170) désigne le bâtiment 2 comme « ancien bâtiment pour hôtes ». Le plan représente, en plus des murs de terrasse appartenant à l'ancienne aile ouest, un mur de clôture partant de l'angle sud-ouest du bâtiment 2. Le mur de clôture situé au nord de l'ancienne hôtellerie date probablement aussi de cette période-là. Il sépare la zone située au pied du coteau, délimitant ainsi les différentes parcelles au plus tard en 1811, date du premier plan cadastral de la commune de Sainte-Radegonde (Fig. 0-174).

Un plan réalisé en 1795 montre la même organisation de cette partie du monastère, exclue de l'emprise de l'hôpital militaire créé à Marmoutier entre 1793 et 1796 (Fig. 0-171). La partie orientale de l'ancienne hôtellerie semble, elle, faire partie de l'hôpital, mais son utilisation précise n'est pas connue.

Ces affectations à des lots différents sont probablement la cause des transformations des deux pièces occidentales du rez-de-chaussée. La porte 564 , qui permettait la communication avec le reste du bâtiment, a ainsi été bouchée, tandis que les deux portes 542  et 543 , situées dans le mur pignon, ont été modifiées ou agrandies. Le carrelage de terre cuite a été refait ensuite, puisqu'il scelle le bouchage de la porte 564 , puis a été modifié à une date incertaine, après la suppression de la cloison séparant les deux pièces (SOL 506 ).

Le bâtiment 2, comme le reste du monastère, est vendu en 1799 et détruit en partie avant 1809, puisqu'il ne subsiste que le tiers occidental du bâtiment en élévation sur le plan du projet de dépôt de mendicité (1809, Fig. 0-172), ce que confirme le plan cadastral de 1811 de la commune de Sainte-Radegonde (Fig. 0-174).

8.2 La destruction partielle du bâtiment au début du 19e siècle (Ens.3001, 4001)

La destruction de l'ancienne hôtellerie semble avoir été menée après celle de l'église abbatiale, si l'on considère l'aquarelle réalisée par Morillon, datée de 1802 (Fig. 0-184). On y voit le porche et la façade de l'église en partie détruits, tandis que le mur nord du bâtiment 2 est encore en élévation.

La partie orientale du bâtiment a donc certainement été occupée jusqu'au début du 19e siècle, mais il est difficile d'en préciser la fonction. Les derniers niveaux de sol du rez-de-chaussée sont mal conservés (Agr.630) et les sources textuelles ne mentionnent pas spécifiquement le devenir de l'édifice après la Révolution.

Les destructions au début du 19e siècle se sont limitées aux sept travées orientales, l'extrémité ouest étant probablement encore occupée par le citoyen Heurteaux (Fig. 8-1). Le terrain étant en pente et le bâtiment 2 constituant une terrasse, la destruction des maçonneries a constitué un remaniement important de la topographie de cet espace.

Les murs situés au nord ont été arasés autour de la cote de 53 m NGF, c'est-à-dire plus bas que les niveaux de sol extérieurs à cet endroit, qui ont ainsi été écrêtés : les remblais de démolition recouvrent directement des couches du 15e siècle en secteur 4 par exemple (Agr.507, Fig. 0-61). Quelques structures fouillées correspondent probablement à des installations d'échafaudages ou de renforts placés pour faciliter la destruction, comme au pied du pilier du porche, à l'angle nord-est du bâtiment 2 (Agr. 846, F.1388 , 1392 ).

L'intérieur du bâtiment, le mur sud M.1001  et le terrain situé au-delà ont été arasés de 52,5 m à 52 m NGF. Là encore, les destructeurs sont descendus plus bas que les sols du 18e siècle, notamment en récupérant le sol de pavés de la pièce centrale (SOL 1274 , Fig. 8-2).

Le terrain, encore en partie en pente après les destructions, a été recouvert par d'épais remblais, permettant de régulariser le sol. Ils sont composés de matériaux de démolition (fragments de tuffeau, mortier, ardoises, TCA) et de couches de sable et de galets. Une grande tranchée oblique a été creusée peu après à l'extrémité orientale du bâtiment, détruisant un peu plus le mur pignon M.1014  (F.1249 -1387 ).

Le plan cadastral de 1811 montre l'état des bâtiments 1 et 2 après ces destructions : les deux tiers orientaux du bâtiment 2 ont disparu et une seule grande parcelle sans divisions est représentée entre le coteau et les anciennes écuries (parcelle 532, Fig. 0-174). La partie ouest du bâtiment 2, conservée en élévation, est divisée entre deux propriétés, selon les dispositions de la fin du 18e siècle.

8.3 Les aménagements de la partie conservée en élévation et les utilisations postérieures du bâtiment (Ens.3000)

La destruction de l'extrémité orientale de l’édifice a amené à des transformations importantes de la partie subsistante. Les destructeurs ont conservé le bâtiment sur une longueur de 17 m, soit trois travées, préservant les contreforts 545  et 549  à l'extrémité orientale, qui a été fermée par un mur de moellons non chaîné aux murs médiévaux (M.504 , Fig. 0-7, 8-3, 8-4). Il comporte deux fenêtres au rez-de-chaussée (FEN 570 , 572 ) et une porte à l'étage (POR 571 , Fig. 0-73, Fig. 0-36). La charpente originelle a été complètement démontée, mais les bois ont été préservés et réemployés par la suite pour réaliser une couverture plus basse, tandis que le pignon occidental a été écrêté et les baies supérieures bouchées (BAI 533 , 534, Fig. 0-32).

À l'intérieur, les planchers ont été en grande partie remaniés, du fait de la destruction des murs à l'est et de la réorganisation interne du bâtiment : les deux travées occidentales ont été traitées différemment de la travée orientale, la limite étant formée par le mur 503  au rez-de-chaussée et par les cloisons 521 -524  aux étages, mais tous ces aménagements semblent contemporains (Fig. 0-26, 0-27, 0-28, 0-38, 0-40).

8.3.1 Les modifications des planchers et la création de cloisons

La partie occidentale du bâtiment (deux travées)

La position des planchers a été fortement perturbée, mais le plancher du niveau 1 de la travée centrale semble avoir été préservé depuis la phase précédente, car les sommiers et les solives étaient insérés dans des maçonneries anciennes conservées de chaque côté (PLF 508 , Fig. 0-26, Fig. 0-38, 8-5). Il est formé de six sommiers orientés est-ouest, dont deux accolés, reposant sur des cales de bois insérées dans les murs M.502  et M.503 . Les solives, très nombreuses, sont espacées de 30 cm en moyenne et comportent plusieurs bois en remploi. Cette organisation indique que le plafond a été aménagé avant le 19e siècle, probablement dès la destruction des voûtes médiévales. Le carrelage qui le recouvre à l'étage est difficile à dater, mais il a été modifié ponctuellement aux 19e et 20e siècles.

À l'extrémité ouest, la hauteur du sol de l'étage n'a pas varié car elle correspond au dessus des voûtes du rez-de-chaussée. En revanche, le plancher lui-même a été modifié et remplacé depuis le 18e siècle.

Au niveau 2, les plafonds 513  et 516  couvrant les pièces occidentales (entre le mur 501  et la cloison 521 ) ont été reconstruits au même niveau qu'auparavant, mais en modifiant l'orientation de certains bois grâce à la mise en place de cloisons servant de soutien, formant une structure complexe (Fig. 0-27).

La partie ouest du bâtiment est ainsi divisée au niveau 2 en quatre pièces par des cloisons de pans de bois avec un remplissage de briques, percées de portes à impostes vitrées (CLO 515 , 574 , 575 ). Ces cloisons servent de support intermédiaire pour les sommiers, orientées est-ouest (PLF 513 -516 , Fig. 8-6). Ils sont associés à des sablières reposant le long des murs nord et sud sur les corbeaux installés lors de la phase 5. Seule la pièce centrale au nord est aménagée différemment, avec des sommiers orientés nord-sud, probablement à cause de la présence de la nouvelle porte d'accès (POR 528 ) et de l'escalier menant à l'étage supérieur, le long de la cloison 521  (ESC 584 , Fig. 0-27).

Au niveau 3, la cloison 524  a été aménagée légèrement décalée par rapport à la position de la cloison 521 , formant une ligne droite alors que la cloison inférieure était en forme de baïonnette (Fig. 0-28). Outre la paroi de l'escalier, deux cloisons partagent l'espace à ce niveau à l'ouest du bâtiment. Une pièce est ainsi formée par les cloisons 518  et 576  à l'angle sud-est et est couverte d'un plafond aux solives de faible section (PLF 648 ). La moitié sud du plancher de cet étage est recouverte d'un carrelage (Fig. 8-7).

La partie orientale du bâtiment (une travée)

Les planchers de la travée orientale (PLF 510 , PLF 525 ) ont été abaissés par rapport aux niveaux du 18e siècle, entraînant le bouchage partiel des portes 509  et 529  (cf. 8.3.3). Le plafond du niveau 1 (PLF 510 , Fig. 8-8) présente des différences notables avec le plafond de la pièce voisine, plus ancien (PLF 508 ). Il ne comporte que trois sommiers orientés est-ouest reposant à l'ouest dans le mur 503  sur le linteau de l'ouverture 569  (agrandie à ce moment-là) et insérés dans le mur 504  nouvellement créé à l'est et constituant le nouveau mur oriental du bâtiment (Fig. 0-26). Les solives sont moins nombreuses que dans le plancher 508  et sont espacées de 50 à 70 cm. Un poteau de renfort a été ajouté sous un des sommiers.

À l'étage supérieur, le plancher 525 , constitué de solives orientées est-ouest, est ancré à l'est dans le mur 504  et à l'ouest dans la cloison 521 , qui délimite les deux parties du bâtiment (Fig. 0-27). Aux niveaux 2 et 3, les planchers sont donc situés de part et d'autre de cette cloison à des niveaux différents (Fig. 0-38). La cloison 521 , comportant de nombreux bois en remploi avec traces de mortaises, est dédoublée du côté nord : elle est formée de parois de briques à l'ouest et de bois à l'est.

Des trémies ont été aménagées dans les deux planchers de l'extrémité orientale du bâtiment, à l'angle nord-est (TRE 646  et 647 ).

8.3.2 La nouvelle charpente

La charpente réalisée pour couvrir la partie restante du bâtiment a une structure à fermes et pannes à deux pans, fermée par une croupe à l'est et plaquée contre le mur pignon à l'ouest. Elle présente une pente plus faible que la charpente originelle, d'où le bouchage des fenêtres supérieures, devenues inutiles après la suppression d'un niveau de comble. L'étude de cette charpente, menée par Raphaël Avrilla (Avrilla 2012a et b), a révélé que les pièces de bois utilisés sont presque exclusivement des remplois provenant de cinq bâtiments différents, identifiés par la forme et les dimensions des bois (98 % de remplois). Des datations par dendrochronologie ont été réalisées par Dendrotech (Le Digol 2012, http://www.dendrotech.fr/fr/Dendrabase/site.php?id_si=033-24-37261-0002).

La charpente comporte trois fermes : deux, à l'ouest, ont une structure similaire tandis que la dernière, à l'est, présente des différences du fait de la présence de la croupe (Fig. 0-28, 0-38, 8-9). Elles soutiennent deux cours de pannes et la panne faîtière. Pour chaque ferme, les entraits sont associés à un poinçon ainsi qu'à deux ou quatre contrefiches et sont renforcés par des aisseliers ancrés dans les maçonneries médiévales, un peu au-dessus du plancher du niveau 3. La croupe est formée par une demi-ferme et deux arêtiers assemblés aux coyers.

L'étude de Raphaël Avrilla a permis d'identifier six lots, correspondant à au moins cinq bâtiments distincts (Fig. 8-10). Parmi ceux-ci, le lot n°3 concerne directement l'hôtellerie. Il est constitué des bois datés de 1175-1191, formant les arbalétriers de la charpente actuelle, mais ils correspondraient aux faux-entraits ou aux entraits retroussés de la charpente d'origine du bâtiment 2, c'est-à-dire une charpente voûtée à chevrons formant fermes (Avrilla 2012a : 43-44, Fig. 8-7, 8-11, 8-12).

Les autres lots correspondent certainement à des remplois d'autres bâtiments du monastère, tous démolis ou en cours de démolition au moment où la charpente du bâtiment 2 a été refaite. Le lot n°1, daté de la fin du 14e siècle ou du début du 15e siècle, pourrait correspondre à la charpente du dortoir du monastère, d'après la largeur restituée de l'édifice. Le lot n°2, daté du deuxième quart du 14e siècle, comporte des bois avec des marques nombreuses, qui permettent de restituer un bâtiment d'au moins 54 m de long pour 13 m de portée. Ces dimensions pourraient correspondre au réfectoire du monastère. Le lot n°4 témoigne de la construction à Marmoutier d'un bâtiment avec une charpente de type roman dans le deuxième quart du 12e siècle. Toutefois, il n'a pas été possible d'identifier précisément l'édifice correspondant. Le dernier lot bien identifié, le n°5, est constitué de bois à double courbure formant les écharpes d'une charpente voûtée, témoignage exceptionnel d'un type de construction rarement identifié. Ces bois proviennent très probablement des écuries du monastère, d'après les dimensions et le relevé établi par Pinguet en 1809 et qui montre très clairement la structure de la charpente, datée du début du 13e siècle.

8.3.3 Les modifications des ouvertures

L'abaissement des niveaux de planchers à l'est aux niveaux 1 et 2 a nécessité le bouchage partiel de la porte 529  au nord, la condamnation de l'imposte surmontant la porte 509  au sud, et le bouchage définitif de la fenêtre 519  à l'étage, qui avait peut-être été réduite en hauteur dans un premier temps pendant la phase 5 (Fig. 0-38, 0-40). Ce dernier bouchage a été réalisé à l'aide de blocs de grand appareil de tuffeau blanc, similaires à ceux utilisés pour la réduction de la porte 507  au rez-de-chaussée réalisée au même moment, l'ouverture passant de 2,5 m à 1,2 m de large (Fig. 7-25). La porte 569 , séparant deux pièces du rez-de-chaussée, a également été élargie, si l'on compare avec le plan H305 datant du 18e siècle (Fig. 0-166). Le sol 642  a probablement été refait à ce moment-là avec des pavés de calcaire lacustre au même niveau que le sol du 18e siècle.

Au nord, la fenêtre FEN 558 , résultant de la transformation de la baie médiévale 610 , a été à nouveau modifiée pour en réduire la hauteur, à cause de la construction de l'escalier droit ESC 548  contre la façade (Fig. 0-26, 0-39).

Cet escalier débouche à l'étage devant la porte 528 , créée à l'emplacement de la baie médiévale 643  dont seul le couvrement en plein cintre a été conservé (Fig. 0-27, 2-24).

8.3.4 Les accès

La destruction partielle du bâtiment et les réaménagements intérieurs ont nécessité une adaptation des accès. Si toutes les pièces du rez-de-chaussée étaient largement accessibles depuis l'extérieur, ce n'était pas le cas des niveaux supérieurs.

L'escalier menant aux étages jusqu'au 18e siècle se trouvait au milieu de la façade sud, associant un escalier droit à une tourelle d'escalier en vis. Tous deux ont été détruits avec les deux-tiers orientaux du bâtiment 2. La création de l'escalier 548  contre la façade nord a donc été indispensable pour maintenir un accès au premier étage (Fig. 0-26, 0-39, 0-75). Il est composé d'une volée droite aboutissant à un palier devant la porte 528 . Ce palier est supporté par une voûte légèrement surbaissée dont la base s’appuie contre le contrefort 557 .

Au nord, l'accès à la cave a été modifié en même temps que la création de l'escalier droit extérieur. Cet accès coudé ESC 627  est ainsi placé à l'ouest de la cave et débouche sous la voûte de l'escalier 548  (Agr.1057). Plus récemment, la voûte de la cave a été partiellement détruite et remplacée par une dalle de béton (PLF 641 ) et le soupirail 625  a été créé ou modifié.

Au niveau 2, l'escalier intérieur 584 , construit en bois en même temps que les cloisons, menait aux pièces occidentales de l'étage supérieur (Agr.1009).

Les pièces orientales aux niveaux 2 et 3 constituaient, elles, un ensemble indépendant, accessible par la porte 571  ouvrant au premier étage dans le mur oriental et par deux trappes dans les planchers. Cet espace a probablement une vocation agricole dès les remaniements du début du 19e siècle.

8.3.5 Les ajouts liés aux nouvelles utilisations du bâtiment

Le bâtiment a eu des fonctions successives au cours des 19e et 20e siècles : probablement bâtiment regroupant des fonctions d’habitation et d'exploitation au début du 19e siècle, école au moment où les sœurs du Sacré-Cœur réinvestissent le monastère en 1847, puis bâtiment agricole et habitation.

Si la fonction d'école n'a pas laissé de traces, d'autres utilisations ont entraîné des aménagements ponctuels de l'édifice et de ses abords.

La fonction de bâtiment de ferme a nécessité, outre la modification des accès pour faciliter les circulations, des transformations au rez-de-chaussée du bâtiment. Des cloisons de bois ont ainsi été ajoutées à l'est, des mangeoires en pierre ont été créées contre les murs 503 , 506  et 504  et des râteliers ont été insérés dans certains murs (Ens.3000). La fonction d'étable du bâtiment est confirmée par un plan de 1875 réalisé par la congrégation (Fig. 0-175), qui montre aussi la construction de nouveaux murs de clôture autour du bâtiment, formant une petite cour au sud.

L'occupation du terrain après la destruction de la partie orientale du bâtiment (Ens.3000, 4000) est attestée par un chemin orienté est-ouest, construit en matériaux très tassés observé au sud (F.1001 , Fig. 8-3), représenté sur le plan de 1875), entouré de jardins où ont été creusées des fosses de plantations carrées, qui ont détruit plus profondément certaines des maçonneries enfouies : M.1004  au nord et M.1005  au sud (F.1003 , F.1267 ).

Des appentis ont été construits plus tard au nord du bâtiment en pierre et bois, masquant le grand arc du passage médiéval. L'occupation récente autour de l'édifice est attestée par plusieurs fosses dépotoirs découvertes au nord et au sud du bâtiment, ainsi que par des tranchées d'installation de conduits d'évacuation (F.600 , 601 , 602 , Agr.1016, 1017, 1032).

Les modifications les plus récentes correspondent à l'ajout d'un enduit de ciment sur tous les murs de la pièce centrale et l'ajout de clapiers en béton à l'extérieur contre une partie du mur sud.

À l'intérieur du bâtiment, tous les murs des pièces résidentielles aux niveaux 2 et 3 ont été recouverts d'enduits de plâtre, ne laissant intacts que les murs de la travée orientale et une partie de ceux du comble.

Les vestiges du bâtiment 1, réduits à quelques murs depuis le 18e siècle, forment encore au 19e siècle un long mur est-ouest et une terrasse à l'extrémité ouest à l'emplacement du pavillon (Fig. 8-4). Des appentis ont été construits contre ces murs dès le début du 19e siècle (Ens.3012 ; Fig. 0-174, 0-175). Ils ont été conservés jusque dans les années 1990, au moment où un projet de mise en valeur du site est lancé et où ces constructions récentes ont été démolies (Saint-Jouan 1992).

Conclusion du chapitre 8

Les transformations et les destructions des bâtiments et des abords après la Révolution ont considérablement perturbé la lecture de l'édifice médiéval. À l'intérieur, les niveaux de plancher ont été modifiés, les ouvertures transformées, les murs de moyen appareil médiéval ont été masqués sous des enduits, tandis que des constructions accolées ont achevé de modifier les murs extérieurs, déjà fortement perturbés lors de la phase précédente, surtout le mur nord 506 .

CHAPITRE 9. LA CONSTRUCTION À MARMOUTIER

Chapitre 9. La construction à Marmoutier

Émeline Marot

L'étude des bâtiments d'accueil et de l'hôtellerie de Marmoutier a renseigné de nombreux aspects de la construction, du 10e au 19e siècle. Le choix des matériaux, le déroulement des chantiers, la mise en œuvre des maçonneries et l'organisation des bâtiments peuvent ainsi être analysés sur la longue durée et être pris en compte pour une étude à l'échelle du monastère.

La pierre est le principal matériau utilisé (Fig. 9-1), avec des variations dans les modules et la mise en œuvre au cours du temps. Le tuffeau jaune, facilement extrait du coteau local, est utilisé à toutes les périodes dans le monastère, et il domine dans les maçonneries médiévales, tandis que le tuffeau blanc n’apparaît qu’au 18e siècle sur le site, provenant d’un lieu d’approvisionnement plus lointain.

Les blocs de moyen appareil utilisés aux 11e et 12e siècles sont cubiques ou rectangulaires et sont plus petits que les modules utilisés pour l’hôtellerie de la fin du 12e siècle, qui alternent en assises de hauteur très variable. Les blocs les plus gros sont utilisés pour les ouvertures et les chaînages à la période moderne et au 19e siècle, associés à des parements en moellons (Fig. 9-10).

La terre cuite est utilisée principalement pour les sols et les toitures, dont un ensemble important de tuiles creuses à crochets datées du 12e siècle, qui peuvent être associées à la toiture du bâtiment 5 (phase 2). Les ardoises, attestées ponctuellement à Marmoutier avant le 13e siècle, deviennent le matériau de couverture le plus utilisé à partir de cette date.

Le déroulement des chantiers proprement dits peut être abordé grâce à la fouille des niveaux de construction et à l'analyse architecturale. La récupération des matériaux a été importante à toutes les périodes, et chaque phase de chantier en a livré des traces : tranchées de récupération de murs, remblais issus du grattage du mortier sur des blocs de tuffeau, négatifs de dalles ou de carreaux, etc. La planification des chantiers est également essentielle, en réutilisant des fondations plus anciennes, en décaissant ou remblayant pour égaliser le terrain (phase 3 notamment), ou en construisant des fondations adaptées au terrain ou aux caractéristiques du nouveau bâtiment. Des traces d’échafaudages permettent de détailler la méthode de construction des élévations, surtout pour le bâtiment 2 (phase 3).

Différents aspects fonctionnels ou décoratifs des bâtiments peuvent être restitués à partir des éléments découverts en fouille : la forme des baies, les vitrages (Fig. 9-23 et 9-17) à différentes périodes, les cloisons qui présentent différents types de construction (poteaux plantés, sablières, solins de pierre), l’équipement domestique (latrines, cheminées), et le décor sculpté ou peint, renouvelé à plusieurs reprises au cours du Moyen Âge, et témoignant des changements fonctionnels de l’édifice.

9.1 Les matériaux de construction

9.1.1 La pierre

La pierre est un matériau qui peut être étudié à Marmoutier sur la longue durée : des traces ont été identifiées en zone 1 pour l'Antiquité, à l'emplacement de l'église abbatiale, tandis que les constructions observées en zones 3 et 4, correspondant à l'hôtellerie, fournissent des informations sur les types de pierre et leur mise en œuvre du 10e au 19e siècle.

9.1.1.1 Les types de pierre

Le tuffeau jaune est utilisé presque exclusivement jusqu'au 18e siècle : il constitue l'essentiel des matériaux des bâtiments 5 et 6, construits aux 10e-12e siècles (Fig. 9-1), mais également du bâtiment 2, construit à la fin du 12e siècle, tout comme de la plupart des reprises postérieures des parements (Fig. 9-2). Toutefois, des faciès différents peuvent être repérés, caractérisés par une oxydation en surface rendant la pierre grise ou jaune ou par une solidité plus ou moins grande des surfaces.

Le tuffeau jaune-gris est ainsi caractéristique d'une majorité des constructions de Marmoutier. Cette similitude est le résultat soit de remplois de blocs, soit de l'exploitation des mêmes carrières au cours de tout le Moyen Âge et d'une partie de la période moderne. Le coteau, tout proche, est creusé de nombreuses carrières présentant des traces d'extraction modernes et peut-être médiévales, d'après les premières observations. Il est donc possible que cette pierre ait été extraite sur place dès le Moyen Âge. Des analyses pétrographiques et une étude détaillée des carrières permettraient de vérifier cette hypothèse.

Au 18e siècle, le tuffeau blanc commence à être employé, mais il ne s'agit pas d'une utilisation exclusive, même pour des constructions ex nihilo. Les deux types de tuffeau, jaune et blanc, sont par exemple utilisés pour le portail de Sainte-Radegonde (M.525 , Fig. 9-3, 9-4) ou pour le bâtiment 1, datés du début du 18e siècle. La partie basse du portail est construite en tuffeau jaune-orangé ou jaune-vert, d'une couleur différente du tuffeau jaune utilisé pour les maçonneries médiévales, indiquant un lieu d'approvisionnement différent, tandis que la partie supérieure du portail central, qui présente des moulures et des décors, est construite en tuffeau blanc à la surface très altérée par endroits. Les deux matériaux sont donc employés pour des parties différentes de l'édifice, en fonction de leurs caractéristiques techniques et peut-être esthétiques. C'est le cas également dans le bâtiment 1 : l'essentiel des maçonneries du rez-de-chaussée est construit en tuffeau jaune-vert (moellons ou blocs de moyen et grand appareil), tandis que les arcs surbaissés des baies du rez-de-chaussée et toutes les ouvertures de l'étage sont réalisés en tuffeau blanc (Fig. 9-5).

Des blocs de tuffeau blanc ont également été insérés dans les maçonneries médiévales au 18e siècle, afin d'aménager les pièces du bâtiment 1 contre la façade nord du bâtiment 2 (portes et cheminées des niveaux 1 et 2, CHE 553  et 554 , POR 555 , Fig. 9-6, 9-7) ou lors du réaménagement ou du bouchage d'ouvertures de la façade sud (POR 507 , FEN 519 , Fig. 9-8). Au 19e siècle, ce type de matériau est utilisé pour les ouvertures du mur 504 , fermant le bâtiment à l'est. Tous ces blocs de tuffeau blanc présentent des parements entièrement lisses, sans traces d'outils, ce qui résulte d'un lissage volontaire des surfaces.

Au 19e siècle, un calcaire dur au faciès non identifié est utilisé pour des reprises ponctuelles du bâtiment 2, notamment pour le contrefort 545  et la porte 509 , avec des blocs de grandes dimensions, jusqu'à 1,5 m de long, présentant des traces de pic ou de boucharde avec ciselure périphérique.

Le silex est utilisé ponctuellement dans les maçonneries, sous la forme de moellons, principalement dans les fondations des maçonneries (M.1001 , M.1002 , M.1027 ), dans le blocage des murs médiévaux ou pour des bouchages modernes (NCH 1162 , POR 1202 ). Par ailleurs, de gros blocs de silex plats ont été utilisés ponctuellement comme pavage aux 15e et 16e siècles (F.1108 ) puis parfois réemployés comme base de supports (F.1191 ). L'utilisation du silex résulte probablement de l'exploitation des ressources locales, le tuffeau du coteau contenant des nodules de silex de dimensions parfois très imposantes, intégrés dans les maçonneries des églises médiévales par exemple.

Le calcaire lacustre est utilisé très rarement dans les maçonneries de l'hôtellerie (M.1017 ), mais a en revanche été exploité sous la forme de pavés. Le pavage F.1108 , réalisé aux 15e-16e siècles, était constitué de gros blocs aux formes irrégulières mesurant jusqu'à 50 cm de côté (Fig. 9-9). Au 18e siècle, ce sont des blocs plus petits et plus réguliers qui sont utilisés pour paver l'intérieur du bâtiment 2 et la cour située au sud (SOL 1006 , 1274 ). Ces petits pavés cubiques mesuraient 10 à 13 cm de côté et semblent plus réguliers que ceux utilisés pour le sol 642 , au rez-de-chaussée du bâtiment actuel, datant probablement du 19e siècle.

L'utilisation de l'ardoise est attestée sur le site depuis le haut Moyen Âge, impliquant un approvisionnement précoce, probablement depuis l'Anjou voisin, justifié par l'importance du monastère de Marmoutier (cf. 2.1.7.1, Fig. 2-35). Toutefois, l'utilisation généralisée du matériau ne semble pas effective avant la fin du 12e siècle sur le site comme dans d'autres édifices tourangeaux.

Enfin, les ressources locales sont exploitées sous la forme de sable, probablement extrait du lit de la Loire tout proche, et de poudre de tuffeau résultant de l'érosion du coteau, utilisé pour des ragréages de sols et l'assainissement de terrains humides.

9.1.1.2 Les formes, dimensions et les techniques de taille de la pierre

Les états successifs des bâtiments médiévaux présentent des techniques de construction similaires, les différences tenant essentiellement au module des blocs.

La partie inférieure des fondations est généralement construite en moellons, de taille variable en fonction des périodes de construction (gros blocs pour la phase 1, blocs plus réduits pour les suivantes). Des fondations formant des ressauts successifs en pierre de taille sont attestées uniquement pour la construction des contreforts du bâtiment 2 lors de la phase 3.

Les élévations des bâtiments médiévaux, lorsqu'elles sont conservées, sont le plus souvent construites en pierres de taille disposées en assises réglées, avec des hauteurs de blocs variables. Les bâtiments 5 puis 2 sont construits selon cette technique, tout comme la tour des cloches, construite dans la seconde moitié du 11e siècle. La plupart des reprises des maçonneries, s'intégrant dans des murs préexistants, sont réalisées elles aussi en pierre de taille, tandis que les constructions nouvelles des 18e et 19e siècles utilisent des moellons pour l'essentiel des élévations, conservant les blocs appareillés pour l'encadrement des ouvertures.

Les modules utilisés

La comparaison des dimensions des blocs de différentes unités de construction témoigne des variations propres à chaque phase chronologique (Fig. 9-10). Les dimensions données pour les hauteurs de blocs correspondent à des tendances pour 45 des unités de construction ; elles ne sont pas exhaustives et sont données à titre indicatif, puisqu'il n'y a pas eu de campagne de mesures systématiques des blocs. Les longueurs de blocs, très variables, n'ont pas fait l'objet de mesures spécifiques.

Les maçonneries du bâtiment 5 (M.1014 , parties orientales de M.1001  et M.1002 , phase 2) sont construites en blocs de moyen appareil d'un module carré ou rectangulaire dont les hauteurs varient de 16 à 26 cm. Ces proportions sont caractéristiques de cette phase de construction ainsi que d'une reprise moderne où les maçons se sont adaptés à la maçonnerie originelle (UC 41300, phase 7).

Les murs du bâtiment 2, édifiés dans le prolongement des murs du bâtiment 5 vers l'ouest, ont été construits à l'aide de blocs de moyen appareil de dimensions plus grandes. Deux modules distincts sont utilisés, avec quelques variations. Un premier ensemble est constitué de blocs mesurant de 18 à 36 cm de haut, avec une forte proportion d'Unités de Construction comportant des blocs mesurant entre 20 et 32 cm de haut. Le second groupe comporte des UC avec des blocs mesurant 20 à 40 cm de haut, soit des blocs de moyen et de grand appareil. Ce dernier groupe de module est attesté également pour le bouchage de la porte 1250  dans le mur M.1014 , daté de la fin du 13e siècle (phase 4), contrastant fortement avec les maçonneries de la phase 2 (Fig. 1-25).

Des changements dans les alignements d'assises sont parfois perceptibles entre les différentes travées, la jonction se faisant à l'emplacement des supports latéraux, espacés de 5 m (Fig. 9-11).

Il ne semble pas exister de répartition spécifique volontaire entre ces deux groupes (observés indistinctement pour les parements intérieurs et extérieurs, pour la partie orientale comme occidentale de l'édifice), si ce n'est que les modules les plus grands sont attestés uniquement au niveau 1. L'approvisionnement en blocs et la progression du chantier de travée en travée expliquent probablement les différences.

L'alternance de hauteurs différentes est donc très marquée dans les maçonneries de cette phase, ce qui est perceptible sur les relevés des parements intérieurs et extérieurs (Fig. 0-37, 0-38).

Deux derniers types de modules ont encore été identifiés : une UC comportant des blocs strictement calibrés, mesurant 26 cm de haut et correspondant à des reprises des ouvertures du bâtiment 2 au 18e siècle (30082, phase 8), et d'autres blocs aux variations de hauteur assez faibles (30 à 36 cm), mais aux longueurs de blocs très imposantes, jusqu'à 1,5 m de long, et correspondant aux consolidations du 19e siècle (30161, phase 9).

Les traces d'outils

Les blocs de tuffeau jaune appartenant au bâtiment 5 (phase 2) présentent de nombreuses traces d'outils, essentiellement du layage oblique aux traits peu espacés, généralement réguliers mais d'orientations variables (Fig. 1-23).

Les blocs du bâtiment 2 (phase 3) comportent des traces variées, témoignant de degrés de finition différents en fonction de la destination des blocs (Fig. 2-14). Les pierres de moyen et grand appareil destinées à aménager les fondations des murs, des contreforts ou des supports de la voûte présentent des traces de layage larges de dimensions différentes et aux orientations variées, probablement réalisées à la polka (Fig. 2-7). Un même bloc peut porter des traces très différentes sur chaque face (EA 1287 ).

Les blocs des élévations, en revanche, portent les traces d'un layage plus fin, mais pas toujours homogène en ce qui concerne l'espacement ou l'inclinaison des traces.

Le sommet du mur gouttereau sud était par ailleurs recouvert ponctuellement d'un enduit de chaux très fin dès l'origine, fixé au mur grâce aux encoches faites au pic sur les blocs.

Le bloc couvrant la baie 522  conserve encore à l'extérieur des traces d'un layage très régulier sur l'intrados de l'arc, préservé sous un bouchage moderne, tandis que la face du bloc a été érodée. Cette érosion a fortement touché les élévations extérieures des murs, mais également les parois intérieures de la tourelle de latrines, dont les blocs présentent des faces lisses et des arêtes émoussées.

9.1.2 La terre cuite architecturale

La terre cuite architecturale est abondamment utilisée à Marmoutier depuis l'Antiquité sous la forme de tuiles, carreaux ou briques et même quelques éléments de décor comme des antéfixes et modillons pendant le haut Moyen Âge (Simon 2017 : 38-39 et 47). Les constructeurs médiévaux ont exploité ce matériau sous la forme de tuiles creuses au 12e siècle (cf. 1.2.3.1 et 9.2.2, Fig. 1-39), puis plus ponctuellement de tuiles plates à la période moderne.

Les carreaux sont attestés à partir de la fin du 12e siècle, mais surtout aux 13e-14e siècles, pour lesquels de nombreux fragments décorés ont été repérés, toujours découverts dans des couches de remblais postérieures (Fig. 3-17). Il s'agit de carreaux à motifs bicolores ou tricolores jaunes, oranges et blancs, représentant des animaux héraldiques, une simple croix, un chevalier ou différents motifs en quart de couronne, impliquant des décors composés de plusieurs carreaux. D'autres, plus simples et plus difficilement datables, sont recouverts d'aplats vert foncé, avec des incisions ou recouverts de marbrures vertes, marron et noires (cf. 3.1.2.6).

Par la suite, des carreaux carrés plus simples ont été identifiés pour le 15e siècle dans une petite pièce située au sud du bâtiment 2 (SOL 1007 ) et dans l'ancienne tourelle de latrines (phase 5, SOL 1358  et 1367 ) ou pour les 18e-19e siècles à l'ouest, encore en place dans le bâtiment en élévation (SOL 506 , 651 , 652 ). Quelques carreaux hexagonaux ont également été découverts dans les couches postérieures à la destruction du bâtiment 1, l'aile ouest du début du 18e siècle, de laquelle ils proviennent peut-être (US 30352).

L'utilisation de briques est attestée dans un premier temps pour des structures artisanales aux 15e-16e siècles (four F.1181  et moules à cloches F.1143  et 1270 ), puis pour des aménagements des 17e-18e siècles (conduits de latrines F1308 , contrecœur de cheminée 553 ), et enfin aux 19e-20e siècles.

Notons que l'argile crue a été utilisée comme liant pour l'aménagement des structures artisanales de la fin du Moyen Âge, de quelques murs de refend et solins de pierre (M.516 , 517 , 1013 , 1019 -1023 , 1037 ), ainsi que pour la réalisation de cloisons en torchis ou en bauge à la période moderne (phase 7, cf. 6).

9.1.3 Les matériaux périssables

Le bois est utilisé dans la construction à Marmoutier pour la réalisation des charpentes, des huisseries, de planchers et des cloisons intérieures des différents bâtiments, du 12e au 19e siècle. Peu d'éléments médiévaux ont été conservés en place, mais ces aménagements ont laissé des traces indirectes. Quelques bois de la charpente de l'hôtellerie de la fin du 12e siècle ont ainsi pu être identifiés en remploi dans la charpente réalisée au 19e siècle pour couvrir la partie subsistante de l'édifice (cf. 2.1.7 ; 8.3.2). Les maçonneries et les sols des bâtiments successifs portent les traces d'encastrement de planchers, de cloisons, de supports divers, qui montrent l'importance des partitionnements intérieurs en bois. Les huisseries médiévales et modernes sont, elles, attestées par la découverte de ferrures, de pentures, de clés ainsi que par la présence de gonds encastrés dans les maçonneries. La partie du bâtiment en élévation conserve, elle, les états les plus récents des planchers, cloisons et charpente (fin du 18e siècle, 19e siècle).

La paille a été utilisée dans le torchis constituant les parties hautes des cloisons intérieures du bâtiment à la période moderne (phase 7). Ces séparations ont été réalisées avec des solins de pierre très peu fondés surmontés d'une élévation en terre crue mêlée de végétaux, dont une grande quantité a été découverte en fouille, sous la forme de remblais de démolition des cloisons, répartis sur toute la surface des pièces. Il est en revanche difficile de déterminer si les cloisons ont été réalisées avec une structure de pan de bois au hourdis de torchis ou s'il s'agissait de parois de bauge, plus larges. Toutes ces cloisons étaient recouvertes d'un enduit de chaux.

9.1.4 Le métal

Le métal est attesté dans la construction sur le site de l'hôtellerie dès la première phase aux alentours des 10e-11e siècles et jusqu'au 19e siècle (Fig. 10-31).

Des fragments de plomb repérés dans les couches de la première phase peuvent être identifiés comme des plombs de vitrages, indiquant l'existence de bâtiments soignés à cet endroit ou à proximité. D'autres éléments similaires ont été repérés pour la phase 7, associés à des tessons de vitraux géométriques (cf. 9.2.4.2).

Le fer est utilisé dans la construction sous forme de pitons, d'agrafes, d'anneaux à sceller ou de clous de dimensions différentes, que l'on trouve à toutes les périodes. Un certain nombre de clous mesurant 15 à 20 cm de long pourraient correspondre à des clous de charpente, principalement repérés pour le 17e siècle (phase 7). Le fer est de plus utilisé pour les huisseries : gonds scellés dans les maçonneries, ferrures et pentures de volets ou de panneaux vitrés.

9.2 La mise en œuvre

9.2.1 Les chantiers de construction

Le déroulement des chantiers proprement dits peut être abordé grâce à la fouille des niveaux de construction et à l'analyse architecturale.

9.2.1.1 La récupération des matériaux

La récupération des matériaux semble avoir été importante à toutes les périodes : de nombreux murs ont été partiellement récupérés, soit en creusant des tranchées de récupération (M.1028 ), soit en arasant les parties supérieures et en débarrassant les blocs utilisables du mortier resté collé. Cette étape est attestée par les nombreuses couches de blocs de mortier et de poudre de tuffeau correspondant à différents chantiers de construction ou de réaménagement de l'hôtellerie.

Les matériaux utilisés pour les sols sont particulièrement visés par les récupérations, si l'on considère les nombreux décaissements réalisés au rez-de-chaussée depuis le Moyen Âge, qui témoignent de destructions répétées des niveaux de sols. La récupération est manifeste dans certains cas, comme pour le sol F.1108 , dont une partie des dalles a été descellée, pour les sols F.1358  et F.1367 , datant de la fin du Moyen Âge, dont les carreaux n'ont laissé que des empreintes dans le mortier sous-jacent, ou encore les pavés de calcaire lacustre formant le sol F.1274  dont il reste quelques blocs et des empreintes dans le sable servant de lit de pose. Cette dernière récupération est intervenue au début du 19e siècle, après la destruction des deux tiers orientaux du bâtiment médiéval. Cette période atteste particulièrement l'importance de la récupération dans un chantier de construction : pavés, blocs et surtout bois de charpente ont été collectés dans toute l'ancienne abbaye, et réutilisés comme en témoigne la nouvelle charpente du bâtiment 2, où le taux de remploi atteint les 98 % et où les bois proviennent d'au moins six bâtiments différents (cf. 8.3.2).

9.2.1.2 Les contraintes du terrain

La préparation du terrain a demandé un travail considérable lors des phases les plus anciennes. Des aménagements de terrasses sont attestés depuis l'Antiquité sur le site, à la fois à l'emplacement des futures églises (zone 1) et sous l'hôtellerie médiévale (zone 4). Le terrain naturel présente en effet des contraintes topographiques fortes : le coteau au nord est associé à des terrasses naturelles du substrat recouvertes d'une épaisseur variable de sédiments, formant une pente irrégulière vers le sud. Les bâtiments construits devaient donc répondre à ces contraintes, que ce soit en aménageant des terrasses ou en construisant des fondations très profondes et étagées, ce qui a été réalisé pour les deux premières phases chronologiques (cf. 1). La troisième, correspondant à la construction de l'hôtellerie de la fin du 12e siècle, a comporté une étape importante de terrassement afin de régulariser le terrain, en arasant les sols à l'ouest pour remblayer l'intérieur du bâtiment 5, fortement décaissé lors de la phase précédente (cf. 2.1.1, phase 3, Fig. 2-4). La création d'une assise régulière pour construire les bâtiments est donc une étape nécessaire du chantier, réfléchie et planifiée avec soin.

L'occupation ultérieure autour de l'hôtellerie médiévale a consisté essentiellement en des remblais progressifs, qui ont gommé les irrégularités du terrain extérieur tout en accentuant la différence de niveau avec l'intérieur de l'édifice. Le dernier grand chantier lié à l'aménagement du terrain a donc été réalisé au 18e siècle, avec le remblai systématique de l’intérieur du bâtiment pour faciliter les circulations (cf. 7.1, phase 8, Fig. 7-6, 7-7).

9.2.1.3 Les lieux de travail

Un certain nombre de couches stratigraphiques témoignent des travaux réalisés pour la construction des bâtiments. Des couches d'éclats de tuffeau montrent un travail de taille des blocs, probablement des ajustements ponctuels au moment de la pose, tandis que des couches de poudre de tuffeau associées à des fragments de mortier de chaux montrent le nettoyage de blocs de récupération afin de les réemployer.

Une zone concave, recouverte de plusieurs épaisseurs de mortier superposées témoigne d'une aire de gâchage de mortier située à l'intérieur même du bâtiment lors des travaux du 17e siècle (Agr. 530). Des épandages de mortier et des poches localisées de chaux ont été identifiés pour chaque chantier de construction médiéval ou moderne, le mortier inutilisé étant parfois déposé en couches très épaisses, jusqu'à recouvrir une partie du mur M.1014  et la colonnette d'angle EA 1248  lors de la reprise des murs à la fin du 16e siècle (US 41768, Agr.703).

Notons enfin que certaines structures artisanales ou témoignages indirects d'artisanat dans les bâtiments ou à proximité peuvent être liés aux chantiers de construction (forge pour des outils, moule à cloche, fabrication de vitrages).

9.2.1.4 Les échafaudages

Les maçonneries originelles des bâtiments 5 et 2 fournissent quelques indications sur les méthodes d'échafaudage et la progression de la construction.

Les maçonneries du bâtiment 5, bien que conservées sur une hauteur réduite, présentent trois trous de boulins non traversants dans le mur gouttereau nord (M.1002 ), situés à 90 cm ou 1 m au-dessus du ressaut de fondation (Fig. 1-24). Les murs sud et est, plus remaniés, ne comportent aucun trou d'encastrement assurément d'origine (cf. 1.2.1).

Le bâtiment 2 conserve, lui, des trous de boulins plus nombreux dont plusieurs sont traversants, essentiellement observés dans les parties hautes et dans les parties moins remaniées (cf. 2.1.3). La majorité des trous de boulins est rectangulaire, et aménagée en laissant un espace vide entre deux blocs de moyen appareil. Les seuls trous plus petits identifiés, créés par la taille de l'angle ou de la partie inférieure des blocs, ont été découverts dans les murs de la tourelle de latrines, où des bois de dimensions plus réduites ont certainement été utilisés (F.1380 , F.1423 , Fig. 2-40).

Le pignon ouest M.501  comporte quatre rangées de trous de boulin de 15 cm de large définissant des espacements de 1,2 m entre chaque platelage (Fig. 2-15), tandis que le mur sud montre des boulins aux espacements verticaux très irréguliers, parfois une seule assise d'écart entre deux rangées de boulin, juste au-dessous de la corniche sommitale (Fig. 2-16). Ces irrégularités correspondent probablement à des besoins spécifiques de la construction, mais la conservation inégale des trous de boulin rend difficile la restitution des échafaudages.

Si les parements extérieurs du bâtiment montrent une grande régularité des assises, que ce soit d'une travée à l'autre ou entre les murs et les contreforts, la partie basse des parements intérieurs comporte des irrégularités. La jonction avec le bâtiment 5 antérieur a tout d'abord nécessité la liaison des deux maçonneries, construites avec des blocs de modules différents, ce qui a produit des irrégularités dans les maçonneries. De plus, la construction des fondations sur un terrain irrégulier a entraîné des différences de niveau entre les murs et entre les travées, de part et d’autre des fondations des supports latéraux ou des contreforts. Les premières assises des élévations sont donc conçues pour rattraper ces différences par l'emploi de blocs de hauteurs variables, ce qui est bien visible de part et d'autre de la colonnette EA 1315 , pour la dernière assise de fondation comme pour les trois assises suivantes (Fig. 9-11). Ces irrégularités impliquent aussi que le chantier s'est déroulé une travée après l'autre, en commençant à l'est, à la jonction avec le bâtiment 5.

9.2.2 Les matériaux de couverture

Les matériaux de couverture identifiés sur le site sont la tuile et l'ardoise, mais des couvertures en matériaux périssables ont pu exister sans laisser de traces.

Des fragments d'ardoises de couverture sont attestés sur le site dès le haut Moyen Âge (cf. 2.1.7), mais ce n'est qu'à partir du 12e siècle que l'on peut attribuer avec certitude un matériau de couverture au bâtiment correspondant. La tuile a en effet été utilisée pour le bâtiment 5 (phase 2), puis l'ardoise pour les constructions suivantes.

De grandes quantités de tuiles creuses à crochet et partiellement glaçurées ont été recueillies dans un remblai de démolition déposé pour la construction de l'hôtellerie de la fin du 12e siècle (phase 3, Ens.4079 et 4080, cf. 1.2.3.1, Fig. 1-39, 1-40A). Ce terminus ante quem impose de voir dans ce lot imposant de tuiles les restes de la toiture du bâtiment 5, partiellement détruit à ce moment-là.

Ces tuiles, que l'on peut donc dater du début du 12e siècle environ (phase 2), sont de deux types (tuiles courantes A et tuiles couvrantes B), auxquels on peut associer des fragments de tuiles faîtières ou d'épis de faîtage, identifiés sous la forme de crochets de plus de 12 cm retrouvés isolés (cf. 1.2.3.1, Fig. 1-43). Elles sont réalisées en argile de couleur orangée avec peu d'inclusions.

Les tuiles du type A sont de forme trapézoïdale de 19 à 21 cm de large pour 30 cm de long estimés (Fig. 1-41). Elles ont une courbure légère et comportent un ergot trapézoïdal de petites dimensions (3 à 4 cm) ajouté au bord supérieur, et recourbé vers l'intérieur, qui est destiné à maintenir les tuiles sur les supports de la toiture. Ces tuiles ne comportent pas de glaçure.

Les tuiles du type B sont trapézoïdales et mesurent environ 30 cm de long pour 11 à 15 cm de large (Fig. 1-42). Leur courbure est plus importante et elles comportent des crochets de 5 à 7 cm situés environ aux deux tiers supérieurs de la tuile, recourbés vers l'extérieur, de façon à retenir les tuiles supérieures. Les fragments montrent des traces de glaçure de couleur ocre marron à verte sur le pureau (Fig. 1-45B).

Ces tuiles étaient assemblées au mortier au moins dans une partie de la toiture (bordures et limite inférieure ?), puisque des blocs comportant des empreintes de tuiles ont été découverts et que la plupart des fragments de TCA portent des traces de coulures de chaux (Fig. 1-44, 1-45A). Cette couverture était probablement associée à une charpente d'une pente de 40° à 50° (Fig. 1-46).

Au moment de la construction du bâtiment 2, une partie de ces tuiles a été jetée, mais d'autres ont pu être récupérées et réutilisées ailleurs. Toutefois, le matériau de couverture du nouveau bâtiment semble avoir été l’ardoise, si l'on prend en compte les lots d'ardoises découverts en calage de supports dans des fosses du tournant des 12e-13e siècles ainsi que dans les niveaux d'abandon de la tourelle de latrines au début du 14e siècle et la pente à 60° de la toiture, encore attestée par le pignon occidental de l'édifice (cf. 2.1.7). Si nous ne pouvons exclure l'utilisation de matériaux mixtes, la forte pente du toit semble écarter une couverture lourde composée de deux épaisseurs de tuiles liées au mortier. L'ardoise paraît être le matériau dominant à cette période à Marmoutier et pour les édifices avoisinants tels que la Chapelle Saint-Libert à Tours (Riou et Dufaÿ 2016) ou le Prieuré saint-Cosme à La Riche (Dufaÿ, Capron et Gaultier 2018).

À partir de cette date, l'ardoise semble utilisée pour la majorité des constructions de Marmoutier : des toits couverts d'ardoises sont représentés sur la vue de Gaignières (1699, Fig. 0-178) et sur les dessins du bâtiment 1 (ADIL H305, 18e siècle, Fig. 0-166).

9.2.3 Les partitions internes

Les premiers états des bâtiments n'ont pas conservé de traces correspondant assurément à des partitionnements internes, même si des creusements asymétriques dans les murs du bâtiment 5 semblent impliquer l'existence d'un cloisonnement longitudinal qui expliquerait les différences entre les deux parties de l'édifice (cf. 1.2.4).

Le bâtiment 2 conserve encore les traces de plusieurs états de partitionnements internes au rez-de-chaussée, tandis que la partie conservée de l'étage n'en n'a révélé aucun indice.

Le rez-de-chaussée formait a priori deux grandes pièces à l'origine. La première cloison a été mise en place dès la phase 4 et consistait en une sablière basse orientée nord-sud insérée à la fois dans les murs gouttereaux et dans la base du support central EA 1009  (F.1111 ). Cette petite cloison en bois contraste nettement avec la plupart des cloisonnements attestés par la suite (phases 6 et 7), qui sont formés de solins en pierre surmontés de parois d'argile enduite (bauge ou torchis? M.1037 , M.1021 , M.1022 , M.1023 ), créés pour couper cet espace en différentes pièces parfois non communicantes. Les dernières cloisons attestées ont une technique de construction différente, mais sont toutes deux orientées est-ouest : une sablière basse placée dans une tranchée de construction (F.1022 -1025 ) et une cloison sur poteaux plantés (phase 8, cf. 7.1.4.2).

9.2.4 Les ouvertures

9.2.4.1 Les huisseries

Les huisseries des ouvertures ne sont renseignées qu'indirectement avant le 19e siècle.

Pour le bâtiment 5 (phase 2), les blocs appartenant à une baie géminée découverts dans des remblais de démolition ont été associés à plusieurs éléments de ferrure correspondant manifestement aux pentures des volets ou battants vitrés de la baie (cf. 1.2.2.2, Fig. 1-33 et Fig. 1-34). Les blocs des piédroits portent également des traces d'encastrement de gonds indiquant un système de fermeture intérieur.

Les ouvertures du bâtiment 2 (phase 3) ont quant à elles été très partiellement conservées, puisque bouchées ou agrandies lors des phases suivantes. Le mode de fermeture des différentes ouvertures n'est donc pas connu, que ce soit pour les baies en lancettes, les baies géminées, les portes ou encore les grands arcs ouvrant sur le passage voûté, dont on ignore s'ils pouvaient être clos ou non.

Les états ultérieurs apportent plus d'informations, comme la porte 1345 , percée ou réaménagée à la fin du Moyen Âge. Elle comporte une feuillure pour le positionnement d'un battant et plusieurs trous d'encastrement pour une barre et les ferrures de gonds.

Les cloisons modernes conservaient également des traces d'ouvertures, notamment les murs M.1021  et M.1023 , où les portes de 1 m de large étaient délimitées par des blocs en remploi dans lesquels ont peut-être été insérés des gonds comme cela a été fait à une période indéterminée dans le fût du support central EA 1316 . Les couches associées à ces cloisons ont livré des éléments de verrous, des clés, des clous de charpentier, qui indiquent la présence de nombreux éléments en bois disparus (cf. 10.5.3).

9.2.4.2 Le verre à vitre

James Motteau et Émeline Marot

La chronologie du verre à vitre

Les tessons de verre à vitre identifiés dans les zones 3 et 4 renseignent sur fabrication du verre et l'utilisation du verre depuis le haut Moyen Âge jusqu'au 19e siècle (Fig. 9-12, 9-13). Ils ont été découverts soit en contexte présumé d'origine, soit redéposés dans des couches postérieures.

Le verre à vitre du haut Moyen Âge

La fouille de la zone 4 a révélé la présence de verre à vitre et de fragments de plomb dès le haut Moyen Âge, et donc l'existence de bâtiments à la construction soignée bien avant l'édification des bâtiments d'accueil des 10e-12e siècles. La datation de ces tessons de verre repose sur leur composition ou leur technique de fabrication et ils ont été identifiés dans des couches du haut Moyen Âge ou redéposés dans des couches du Moyen Âge central ou de l'époque moderne.

Quelques fragments proviennent de couches de la phase 1 (10-11e siècle). Ils correspondent visuellement à deux types de verre, le premier sans trace notable d’altération, à base de fondant sodique utilisé à l’époque romaine ou à base de fondant mixte, sodique et potassique, obtenu par ajout de cendres végétales au premier, et un second type, plus ou moins altéré à base de fondant potassique tiré de plantes terrestres.

La date d’apparition du second type est mal définie et souvent contestée par les analystes. Actuellement, le mobilier le plus ancien à base de fondant potassique a été analysé à Paderborn (Saxe) et correspond au sac du palais carolingien en 778, peu de temps après sa construction. Pour ce site, une datation pendant le troisième quart du 8e siècle est donc plausible. D’autres sites en Europe de l’Ouest et Centrale sont datés du début du 9e siècle (Krueger et Wedepohl 2003).

Le verre à vitre médiéval

L’unique tesson de verre à vitre de la phase 1 rattaché au bâtiment 6 (construction et occupation extérieure au 10e siècle) ainsi que les artefacts provenant du comblement des sépultures du premier état du cimetière ne représentent que cinq exemplaires auxquels il faut ajouter un plomb à vitre à ailes plates en forme de H.

Les fragments de verre à vitre découverts en phase 2 dans le comblement des sépultures du 2e état du cimetière et dans les couches associées sont en majorité altérés (dix exemplaires) ; seuls trois tessons ne portent pas de trace d’altération.

De la fin du 12e siècle au 14e siècle (phases 3 et 4) peu de verre à vitre a été récupéré et il appartient à la catégorie à fondant potassique caractéristique du Moyen Âge. De rares tessons montrent des traces de grisaille rouge (comblement de la sépulture 56 , 3e état du cimetière, US 40271).

Un tesson en bon état, de teinte bleue probablement due au cuivre, et provenant des latrines mérite l’attention par son décor géométrique de lignes et de points en grisaille blanche (phase 4, Agr. 838, EA 1341 , objet 17.43182.1, Fig. 9-14). Ce verre ne présentant pas de traces d’altération marquée est à base de fondant sodique et nettement différent des verres bleus à fondant potassique du chœur de la cathédrale Saint-Gatien datés du 13e siècle, d'après les analyses de verre effectuées à l’IRAMAT à Orléans (Gratuze 2018). Deux petits fragments bleu gris, de la même couche, sont à base de fondant potassique.

À partir de la phase 5, de la fin du 14e siècle à la fin du 15e siècle, on constate un accroissement du nombre de tessons altérés, de même conception que les fragments des phases précédentes. Les exemplaires, souvent en mauvais état de conservation, n’apportent que peu de renseignements quant à leur date de pose, un vitrage pouvant rester en place plusieurs siècles.

Le verre de la phase 6 est presque totalement altéré (fin du 15e siècle ou début du 16e siècle) et la plupart de ses exemplaires sont épais de 3 à 5 millimètres.

Un tesson d’aspect rouge se démarque du lot ; il est en verre doublé (phase 6, 17.41439.4, Fig. 9-15) : le verrier a trempé une paraison de verre ordinaire vert plus ou moins pâle dans un creuset de verre rouge de façon à obtenir une fine pellicule rouge adhérente au verre vert, ce qui permet cependant le passage de la lumière. Une datation du 12e ou 13e siècle est envisageable, d'après des comparaisons avec les fragments de cives en verre doublé rouge placés dans les écoinçons des verrières du chœur de la cathédrale Saint-Gatien de Tours (renseignement Van Guy).

Le verre à vitre médiéval recueilli est parfois coloré en vert pâle et un certain nombre de tessons portent des traces de découpe au grugeoir.

S'il est difficile de préciser l'origine exacte des fragments de vitrages, les éléments peints ou colorés semblent indiquer qu'une partie au moins des fenêtres de l'hôtellerie médiévale présentait une mise en valeur spécifique par des vitraux décorés dès la construction à la fin du 12e siècle.

Le verre à vitre de la période moderne

Les tessons de verre à vitre modernes sont plus nombreux et témoignent de plusieurs techniques de fabrication.

Quelques tessons sont fabriqués selon la technique des manchons (soufflage d’un cylindre puis étalement dans un four chaud après choc thermique selon une génératrice). Les indices les plus marquants sont les bords rectilignes des plaques ainsi obtenues. Les tessons identifiés à Marmoutier sont de teinte verte, avec parfois des traces d’altération plus ou moins profonde, ils portent des traces de grugeage sur certains côtés et leur épaisseur varie de un à deux millimètres (objet 17.40130.6). Cette technique, présente dès le haut Moyen Âge, revient à l’honneur à partir du 16e siècle (Motteau 2007).

Au 17e siècle, en phase 7, apparaît un nouveau type de verre de teinte verdâtre plus ou moins pâle et très peu altéré ou faiblement par rapport au verre médiéval. L’épaisseur des tessons est variable, généralement inférieure à celle des verres médiévaux, et est souvent comprise entre 1,5 et 3 millimètres. La présence éventuelle de stries circulaires sur les tessons et la variation marquée d’épaisseur sont des indices pour déterminer le mode d’obtention de ce verre. Les carreaux sont découpés dans des cives façonnées par la technique des plateaux : après ouverture d’une boule et réchauffage devant l’ouvreau du four, tout en effectuant un mouvement rotatif adéquat, le verrier obtient un disque avec une bosse centrale épaisse de plusieurs millimètres, la boudine, qui se forme à l’emplacement du pontil ; cette partie n’est pas toujours utilisée par le vitrier et est alors jetée. Apparue au Moyen Âge, cette technique se perpétue jusqu’à la Révolution pour certains édifices. La réalisation de verre en plateau est attestée à Marmoutier pour la période moderne à la fois par des tessons constituant la bordure de cives (17.41572.10) et par des fragments de boudine. Dans des niveaux de la seconde moitié du 18e siècle a été découverte une chute de cive avec sa boudine caractéristique ainsi que la trace de l’empontillage et qui montre la découpe de fragments de verre à vitre au fer chaud (objet 17.40007.3, Agr. 502, phase 7, Fig. 9-16). Le verre est de bonne qualité, de teinte verdâtre, sans trace d’altération notable.

Le verre est souvent très fragmenté. Certains bords sont taillés au diamant et parfois retouchés au grugeoir. Des traces d’enchâssement dans les plombs sont visibles sur quelques bords, laissant une trace de l’ordre de 3 à 5 mm ; aucune trace de mastic n’a été mise en évidence. Ceci permet d’en déduire la dépose de vitres formées de ce verre pendant cette phase.

Une variante de ce verre, presque incolore, a servi de support à des scènes peintes trop fragmentaires pour être interprétées sauf l’une qui met en scène deux personnages tentant de s’emparer d’une bourse contenant des pièces d’or (17.42535.15, Fig. 9-17, 9-18 et 17.42543.3, Agr.804, Fig. 9-19). Un fragment de légende dont il ne subsiste que « Amour hay » accompagne l’action. La petite taille des personnages laisse supposer que ces fragments étaient placés relativement bas pour pouvoir être vus, dans un emplacement comme médaillons sur des fenêtres étant plausible. Ces fragments peints peuvent présenter des analogies avec des médaillons du 16e siècle. Dans le même contexte de découverte, un tesson remonté à partir de fragments provenant de deux couches, et issu probablement d'un panneau différent du (ou des) précédent(s) par son décor, est peint en rouge. Son interprétation est incertaine et l'emplacement de cet élément pouvait se situer en bordure de panneau (objet 17.42543.3, Fig. 9-19).

Dans la phase 7 (17e siècle) les fragments du Moyen Âge représentent environ vingt pour cent du verre à vitre, Ce schéma n’évolue guère jusqu’aux phases 8 (18e siècle) et 9 (19e siècle-20e siècle).

En phase 8 (18e siècle) un amas de carreaux entiers a été récupéré dans l’US 40884, ensemble relié à un réaménagement partiel du bâtiment 2 (Agr.631). Ces carreaux, découpés dans des cives, étaient agencés dans une vitrerie géométrique caractérisée par la présence de morceaux de verre de forme simple (triangles, polygones, cercles), l’ensemble mis en valeur par des plombs (17.40884.5 à 34, Fig. 9-20, 9-21).

Les carreaux de l’US 40884 sont découpés dans des cives avec un diamant (découpe franche). Les bords de cives sont employés sans traitement particulier alors que les autres côtés des carreaux sont parfois repris au grugeoir. Plusieurs tailles sont possibles pour une forme donnée. Le tableau suivant résume leurs principales caractéristiques.

Les tessons de verre à vitre moderne découverts indiquent des changements des ouvertures, à la fin du 16e siècle ou au début du 18e siècle et surtout au tournant des 17e et 18e siècles, étant donné la grande quantité de tessons découverts ainsi que quelques éléments de plombs de vitraux. Ces travaux sont certainement liés à la présence des Mauristes, qui ont entrepris à Marmoutier à la fois l'amélioration des bâtiments existants et la construction de nouveaux édifices, comme l'aile formant le bâtiment 1, au début du 18e siècle. Le verre à vitre découvert peut provenir en partie du nouveau corps de bâtiment et en partie de l'ancienne hôtellerie médiévale, dont les ouvertures ont probablement été agrandies et les vitrages refaits pour correspondre aux exigences et aux goûts de l'époque.

La datation de ces fragments vert pâle à vert foncé, sans décor de grisaille a été confirmée par les analyses réalisées en 2018, qui permettent de les situer dans cette fourchette des 16e - 18e siècles (Gratuze 2018). Le verre correspond à celui utilisé à cette époque et les fragments étudiés ne sont pas tous issus du même creuset. Le mode de fabrication et la teinte de ces éléments incitent à les comparer avec les productions de verre à vitre d'Orbigny (Fig. 9-22). L'atelier des Verreries, lieu-dit de la commune d'Orbigny situé en forêt de Brouard à la limite sud-est de l’Indre-et-Loire avec le département de l’Indre, a produit du verre en plateaux à une date indéterminée (Motteau 2014 : 35-36). Les premières analyses réalisées indiquent un lien de parenté entre ces différents verres, et il n'est donc pas exclu que certains fragments d’Orbigny fassent partie de la vitrerie découverte à Marmoutier.

Les décors du verre à vitre

Quelques fragments de verres médiévaux portent des traces de grisaille rouge en mauvais état de conservation. Le décor représente des tiges végétales (acanthes ?) séparées par des cages à mouche (17.40015.1, Fig. 9-23).

Les fragments de verre peint du 16e ou du 17e siècle décrits ci-dessus sont les exemplaires les plus récents pour l’emploi de la peinture.

Un autre type de décor joue avec la découpe géométrique des carreaux et l’enchâssement dans les plombs, mais la date de pose de ces fenêtres à vitrerie géométrique n’a pas été déterminée, le mobilier de l’US 40884 correspondant à la dépose.

9.2.5 Les éléments de confort

Les éléments de confort dans les édifices étudiés sont essentiellement concentrés dans la première phase d'occupation du bâtiment 2 (phase 3, cf. 2.1.8). L'hôtellerie comportait en effet une tourelle de latrines maçonnée hors-œuvre accessible depuis l'étage, où se trouvaient les espaces d'accueil. Le rez-de-chaussée comportait une banquette (EA 1347 ), ce qui peut indiquer une fonction sociale de cet espace (réunion, repas). Si la présence d’une cheminée n'est pas attestée archéologiquement pour la phase 3, elle reste probable (cf. 2.1.8.3), et quelques blocs découverts dans des remblais tardifs indiquent l'existence d'une cheminée au plus tard lors de la phase 4, correspondant au tournant des 13e-14e siècles (cf. 3.1.4).

De plus, un bloc creusé d'une vasque a été découvert dans un mur construit à la fin du 18e siècle (M.1012 , Fig. 9-24). Il pourrait correspondre à un lavabo liturgique resté inachevé puisque le trou d'évacuation n'est pas percé à travers toute l'épaisseur du bloc. Il est similaire à ceux encore en place dans une des chapelles de l'église abbatiale gothique (Fig. 9-25), mais sa provenance comme sa datation exacte sont difficiles à déterminer.

Lors des phases suivantes, les bâtiments présentent des éléments de confort d'une nature différente, si l'on considère que les transformations architecturales portent essentiellement sur l'ajout et l'agrandissement des fenêtres, répondant ainsi aux nouveaux goûts et aux nouveaux principes d'hygiène, notamment à la période moderne avec l'arrivée des moines Mauristes. Une fosse de latrines a également été ajoutée au rez-de-chaussée, plusieurs siècles après l'abandon de la tourelle de latrines médiévale.

9.2.6 Les décors

Les décors dans les bâtiments étudiés se concentrent sur les ouvertures ou sur les murs.

Le bâtiment 5 comportait ainsi des baies géminées dont un exemplaire a été découvert dans des remblais de démolition, comportant un chapiteau sculpté de feuillages et d'entrelacs (cf. 1.2.2.2, Fig. 1-35). Au moins un des murs a été recouvert d'un enduit de chaux beige portant des traces de faux-appareil ou d’autres motifs.

Le décor sculpté du bâtiment 2 (phase 3 et suivantes) est, en l'état des connaissances, limité aux moulures des voûtes sur croisées d'ogives et de leurs supports, dont les chapiteaux étaient très simples, à corbeilles lisses. Les baies géminées de la façade nord, attestées par les vestiges de la baie 643  portaient peut-être un décor sculpté plus abondant, mais aucun bloc correspondant n'a été découvert.

Le décor peint constitue donc l'essentiel du décor de l'hôtellerie et ce, de sa construction lors de la phase 3 jusqu'à la fin du Moyen Âge, où le décor a été masqué sous des badigeons de chaux. Deux à trois états de décors ont été repérés sur les maçonneries et sur les blocs lapidaires découverts dans les remblais de démolition tardifs.

Le premier état, datant du tournant des 12e et 13e siècles, comportait un décor de faux-joints rouges sur fond blanc appliqué sur l'ensemble des maçonneries des deux niveaux, voûtes comprises (cf. 2.1.9, Fig. 2-42). Il était associé à des faux claveaux stylisés sur les couvrements des baies, à des aplats colorés sur les corniches intérieures des murs gouttereaux et à une frise de rubans plissés en trompe-l’œil.

Le deuxième état des peintures constitue un changement important un siècle plus tard environ, lorsque les murs ont été repeints en ocre jaune avec des faux-joints blancs et qu'une nouvelle frise, plus haute, a été peinte sur tout le pourtour du bâtiment, associant blasons et arabesques (?) dans des tons rouges, roses, blancs et jaunes (cf. 3.1.5, Fig. 3-23).

Les dernières traces de décors qui se superposent aux autres sont plus ponctuelles et leur chronologie n'est pas assurée : des blocs d'ogives comportaient des traces d'un décor de losanges rouge noir et rouges, des quintefeuilles rouges, des rinceaux bordeaux, etc. (cf. 4.3, Fig. 3-9, 3-22, 3-29).

Conclusion

L'étude des bâtiments d'accueil et de l'hôtellerie de Marmoutier a fourni des informations précieuses sur de nombreux aspects de la construction, du 10e au 19e siècle. Le choix des matériaux, le déroulement des chantiers, la mise en œuvre des maçonneries et l'organisation des bâtiments peuvent ainsi être analysés sur la longue durée et être pris en compte pour une étude à l'échelle du monastère.

CHAPITRE 10. VIVRE À MARMOUTIER

Chapitre 10. Vivre à Marmoutier

Alexandre Longelin, Philippe Husi, James Motteau, Émeline Marot, Benjamin Dufour, Matthieu le Bailly, Colin Duval et Yvon Dréano

La fouille de l’ancienne hôtellerie et de ses abords a permis de recueillir des informations précieuses sur différents aspects de la vie quotidienne dans cette partie du monastère.

La céramique a fourni des indices de datation à toutes les périodes mais l’ensemble découvert dans la tourelle de latrines permet d’aborder spécifiquement le vaisselier (Fig. 10-6 et 10-12) sur une période relativement courte, avec la présence de vaisselle de qualité et un lot de pichets marqués.

De nombreux éléments de vaisselle de verre ont également été recueillis, dont un ensemble de verres à jambe (Fig. 10-25) correspondant à l’occupation du 18e siècle, en complément des fragments de verre à vitre illustrant l’équipement des bâtiments.

Des analyses parasitologiques réalisées sur les sédiments de la tourelle de latrines ont permis de dresser le bilan sanitaire et les habitudes alimentaires des occupants de l’hôtellerie à la fin du 13e siècle et au début du 14e siècle. Les parasites et œufs repérés indiquent la consommation de végétaux crus ou mal lavés, d’abats et de viande insuffisamment cuite. Des problèmes d’hygiène sont également attestés, courants dans les populations médiévales. En complément, l'étude de l'aire funéraire située au nord a permis de caractériser l'état sanitaire et l'alimentation des individus inhumés (chapitre 12).

Le principal dépôt cohérent de restes osseux animaux provient de la tourelle de latrines qui a servi de dépotoir. Il témoigne de pratiques bouchères, artisanales, alimentaires, de pêche, de chasse et de commerce plus anecdotiques, mais révélatrices du statut et des mœurs des occupants de l'hôtellerie à la fin du 13e et au début du 14e siècle. L’influence des règles monastiques peut être reliée à la consommation des poissons et des volailles, qui est favorisée par rapport aux autres types de viandes, et le gibier y est très rare. Le statut privilégié des consommateurs est attesté par un approvisionnement lointain pour les poissons marins, tandis que d’autres éléments témoignent des pratiques d’autres occupants du site, avec l’utilisation des latrines comme dépotoir, quelques traces d’artisanat (récupération de peaux de chats), etc.

Enfin, les objets du quotidien découverts sont abondants pour les dernières phases d’occupation, puisque la stratification est mieux conservée pour la période moderne (phases 7 et 8). Ils renseignent sur les occupants – outils (Fig. 10-43), vêtements (Fig. 10-34 et 10-32), armes, toilette, jeux – ou permettent de préciser la fonction de certains espaces, comme les écuries, contenant de nombreux éléments liés à cette activité – étrilles (Fig. 10-50), fers, éléments de harnachement.

10.1 La vaisselle en terre cuite

Alexandre Longelin et Philippe Husi

Avant d’aborder les questions de la chronologie et de l’interprétation sociale du site à partir de la céramique, il est important de présenter rapidement les choix méthodologiques retenus pour le traitement de ce mobilier. La nature des contextes et donc du corpus céramique est double avec : (i) le corpus 1 comprenant des niveaux de construction, de remblaiement et d’inhumation, très perturbés, sans occupation réellement attestée et avec un corpus céramique quantitativement faible et très fragmentaire ; (ii) le corpus 2 constitué d’un seul ensemble clos sous la forme de latrines appartenant à l’état premier de l’hôtellerie de la fin du 12e siècle dont la qualité a permis non seulement de dater précisément le deuxième état d’occupation du bâtiment, mais aussi d’aborder les questions socio-fonctionnelles.

10.1.1 Chronologie générale du site à partir de la céramique

Deux traitements de la céramique ont donc été mis en œuvre dans cette étude (corpus 1 et 2). Devant la faiblesse des effectifs et la quasi-absence d’éléments typologiques archéologiquement complets, nous avons fait le choix pour l’analyse du corpus 1 d’attester la présence des groupes techniques (productions) en contexte et de se référer à la typologie et aux datations proposées pour la Touraine sur le site du réseau d’information sur la céramique médiévale et moderne (ICERAMM : https://iceramm.huma-num.fr/). Les informations contenues sur le site ICERAMM pour la région proviennent de l’étude de la céramique issue de contextes chrono-stratigraphiques fiables (Husi 2003 et Husi 2013). Bien que chaque occurrence qui se réfère à un groupe technique dans le texte pointe par un lien hypertexte sur ICERAMM, nous avons fait le choix de présenter succinctement, dans un tableau de synthèse, l’ensemble des groupes techniques datant par phase (Fig. 10-1). Pour le corpus 2 représenté par le comblement des latrines, nous avons fait le choix d’une étude exhaustive et quantifiée (cf. 10.1.2).

Bien que les effectifs des groupes techniques et a fortiori des éléments typologiques soient faibles, l’éventail des productions est bien représentatif des périodes envisagées.

Pour les premiers bâtiments (Période 1, phase 1), les groupes techniques sont réalisés en post-cuisson oxydante, de couleur blanche à beige, sans traitement de surface (to1f, to8ad) ; sont peints avec des bandes rouges, productions régulièrement mises au jour en Touraine (to1n) ; sont entièrement couverts d’une peinture également rouge, plus rarement visibles à Tours (to1q). Les quelques indices typologiques traduisent la présence de pots à lèvre rectangulaire et gorge sommitale (pot 2-1) et bien qu’on ne puisse le prouver avec certitude, de cruches à bec ponté, une des seules formes associées à ce décor de bandes peintes (cruches 3-1/to1n). La céramique permet de donner une datation du 10e siècle, ne dépassant pas le tout début du 11e siècle pour ces premiers bâtiments. En effet, la transition entre les faciès des céramiques de la fin du haut Moyen Âge et du Moyen Âge central se fait dans le courant du 10e siècle et peut durer jusqu’au début du 11e siècle, mais ici aucun indice n’atteste le second faciès.

Les niveaux liés au premier bâtiment d’accueil (Période 1, phase 2) ont révélé quelques productions fines de couleur blanche (to1K ; to8f), parfois légèrement micacées (to17u) ou glaçurées (to7b), également fines de couleur rose (to1L) ou enfin plus grossières et beiges (to8m). Les formes associées à ces groupes techniques sont des pots à lèvre en bandeau et des pichets avec une glaçure mouchetée (pot 2-2/to1k ; pichet 1/to7b). La datation proposée par la céramique pour cette phase est comprise entre la fin du 11e siècle et le début du 13e siècle.

Ont été mises au jour dans les niveaux de l’hôtellerie (Période 2, phase 3) des productions et des formes qui, pour certaines, sont les mêmes que celles de la période précédente (pichet 1-1/to7b ou pot 2-2/to1k). On recense également un fragment de pichet avec une forme en « S » réalisé dans une pâte blanche (pichet 10-2/to1k) et quelques nouvelles productions glaçurées mouchetées (to7p, to7h) ou monochromes (to2k). La datation fournie par la céramique est comprise entre le 12e et le 13e siècle. Il faut associer à cette datation les quelques récipients du premier comblement des latrines, hérités de cette phase 3 et retrouvés dans le comblement final appartenant à la phase 4 (cf. 10.1.2).

La phase de transformation de l’hôtellerie dans son deuxième état (période 2, phase 4) est celle qui a révélé le plus de céramique, notamment issue du comblement principal des latrines datées entre la deuxième moitié du 13e et le début du 14e siècle, seul ensemble clos mis au jour dans la fouille et qui fait l’objet d’un texte séparé (cf. 10.1.2). Il s’agit donc ici de comprendre si la céramique plus éparse issue des autres niveaux associés à ce deuxième état du bâtiment 2 ne diffère pas du mobilier mis au jour dans les latrines. Les groupes techniques présents corroborent bien les résultats de l’analyse de la céramique des latrines. En effet, les productions recensées peuvent toutes être comprises entre le milieu du 13e et le 14e s., avec des groupes techniques très caractéristiques de cette période comme les pichets des ateliers de Saint-Jean-de-La-Motte dans la Sarthe (pichet 2-1/to1j) ou des ateliers de Dourdan dans l’Essonne (pichet 8-2/to5a).

La céramique de la phase suivante (période 3, phase 5) révélant un changement d’affectation du bâtiment est représentée par des productions identiques à celles de la phase antérieure et par quelques nouveaux groupes techniques qui s’inscrivent dans la continuité chronologique des précédents. En effet, la présence de productions fines, orange avec ou sans glaçure (to4b ; to3e), parfois décorées (to4d), ou de productions plus grossières également avec ou sans glaçure (to11a ; to11d ; to9b) dans des formes parfois originales comme un fragment de lèchefrite ou encore l’apparition de quelques fragments de grès normand (pot1/to19c) qu’on retrouvera en grand nombre à la période suivante, permet de dater cette phase entre la deuxième moitié du 14e et la deuxième moitié du 15e siècle.

L’éventail des groupes techniques de la phase d’utilisation artisanale de ce bâtiment reflète parfaitement le début de la période moderne (Période 3, phase 6). En effet, on recense des productions locales grossières orange qui représentent pour les autres sites de Tours une bonne part des pots à cuire ou sont utiles à la conservation (pot 13/to9b). On relève également des productions lavalloises et des grès normands, emballages pour le transport du beurre, omniprésents à partir de la fin du 15e siècle en Touraine et plus largement dans l’ouest de la France (pot 6/to10a ; pot 1/to19c). Sont également attestées d’autres productions comme des pâtes fines beiges à orange parfois glacurées ou décorées (to1c ; to3c, to4b et to4d), pour la plupart déjà présentes durant la période précédente, des productions blanches fines avec une glaçure vert claire (to2f) ou plus grossières, mais toujours avec une glaçure monochrome verte (to11d). Enfin un groupe de couleur orange rouge couvert d’une glaçure épaisse est encore faiblement représenté ici mais deviendra prégnant à la fin de la période moderne (to4a). Bien que ténus, ces indices permettent de dater sans ambiguïté cette phase entre la fin du 15e siècle et la fin du 16e siècle.

Les céramiques issues des niveaux de réaménagement du bâtiment (période 3 ; phase 7) traduisent un faciès plus tardif avec la présence de quelques groupes déjà observés précédemment et qui perdurent (to9b, to19c, to10a, to4a) et l’apparition de productions comme les grès de la Puisaye, les pâtes blanches très fines avec une glaçure polychrome, ou encore les premiers indices de la présence de récipients en faïence (to21c, to2i, to12a, to12b). Cette phase est datable entre le 17e siècle et le début du 18e siècle.

Les quelques productions exhumées des niveaux des phases de transformation (période 3, phase 8) semblent s’inscrire dans la continuité de la phase précédente avec la disparition logique de certaines productions caractéristiques du début de la période moderne (to9b, to10a), la perduration d’une production glacurée tardive (to4a) et des grès normands (to19c), enfin un accroissement des grès de la Puisaye et des faïences probablement locales (to21c, to12a, to12b). Cette phase est donc datable au plus tôt du début du 18e siècle.

Enfin l’éventail restreint des productions mises au jour dans la phase de destruction partielle du bâtiment (Période 8, phase 9) est révélateur de l’homogénéisation typologique de la vaisselle à partir du 19e siècle avec l’omniprésence des grès surtout de la Puisaye et de la faïence.

Ce bref survol de la céramique de Marmoutier allant des premiers bâtiments d’accueil aux 10e et 11e siècles à la destruction de l’hôtellerie au début du 19e siècle reflète une qualité de vaisselle assez contrastée comparée à celle des autres sites de Tours. Elle semble globalement de qualité courante dans les niveaux généraux, sauf peut-être pour quelques rares indices de récipients décorés au début de la période moderne (pichet8a/to4d), en sachant que le corpus est quantitativement trop limité, fragmentaire et généralement issu de remblaiements inappropriés à une interprétation sociale. En revanche, la vaisselle est plus originale dans le seul ensemble clos du 14e siècle mis au jour sur le site, que constitue le comblement de latrines lié à la deuxième phase d’occupation de l’hôtellerie. L’étude exhaustive qui suit présente donc les résultats de l’analyse chronologique, mais surtout socio-fonctionnelle du seul assemblage associé à l’occupation du bâtiment 2. En effet, y ont été exhumés quelques pichets très décorés, types de récipients principalement retrouvés sur les sites de la cathédrale (site 14) et du château (site 3), deux des sites les plus prestigieux de Tours notamment au 14e siècle (Husi 2003 ; Galinié, Husi et Motteau 2014).

10.1.2 La céramique des latrines de l’hôtellerie

Cette étude a pour objet l’ensemble de la céramique issu des latrines de l’hôtellerie médiévale (EA 1341 ). Elle a pour objectif de compléter les observations faites sur ce mobilier à la suite de la fouille par un traitement et une analyse exhaustifs (Lorans et Creissen 2016 : 51-52). Quatre unités stratigraphiques (US) ayant livré de la céramique sont prises en compte. L’US 43184 est interprétée comme un rechapage d’assainissement de la fosse de latrines (Lorans et Creissen 2016 : 48). L’US 43183 correspond au remplissage d’utilisation des latrines, dont l’abandon a lieu après le dépôt de l’US 43182 (Fig. 0-68). Dans les comblements qui suivent l’abandon des latrines, seule l’US 43181 a livré du mobilier.

10.1.2.1 Datation des dépôts d’après l’analyse quantifiée de la céramique (NR, NMI et NTI)

A. La céramique du dernier remplissage d’utilisation des latrines

Le dernier remplissage d’utilisation des latrines (US 43183) prend la forme d’une couche organique de 30 cm d’épaisseur en moyenne (Lorans et Creissen 2016 : 48) où a été retrouvée une grande majorité des tessons qui composent le corpus (4914 sur 5032 en NR). Doit être également considéré comme faisant partie de ce comblement d’utilisation le mobilier de la chape argileuse 43184 située directement sous l’US 43183. En effet, un remontage est attesté entre deux tessons de ces couches (CT17_02), indiquant que les rares fragments de céramique de l’US 43184 ont été probablement été découverts à l’interface avec 43183. La position des céramiques de l’US 43182 à la surface de l’US 43183 est quant à elle plus assurée grâce à six remontages (AJ-731, AJ-728, CT17_01, AJ-734, AJ-735, AJ-736) et aux photographies prises au moment de la fouille qui montrent les vases déposés sur un même niveau et que les matériaux de démolition de l’US 43182 sont parfois venus écraser (Simon et al. 2016 Vol. 2, Fig. 39a). La céramique enregistrée dans les US 43182, 43183 et 43184 est donc considérée dans la suite de l’étude comme déposée lors d’une même phase d’utilisation des latrines.

Répartition des productions

L’assemblage des céramiques issues du comblement d’utilisation des latrines s’élève à 5023 pour un effectif de 129 individus NMI et 122 individus en NTI (Fig. 10-2, 10-3). 202 tessons sont comptabilisés comme indéterminés : il s’agit de tessons d’échelle sub-centimétrique découverts au tamisage et qui représentent un poids total de 60g. La redéposition représente également une part négligeable du corpus avec 10 tessons (0,2 %). Il s’agit de productions alto médiévales (to1p, to15t, to17i) qui forment un assemblage chronologiquement disparate et déconnecté du reste du mobilier.

Parmi les productions les mieux représentées dans cet ensemble, on trouve des céramiques à pâte fine blanche à beige couverte d’une glaçure plombifère (to2c) qui représentent 33 % du NMI et 30 % du NR. Cette production est datée à Tours de la seconde moitié du 13e siècle au troisième quart du 14e siècle. Cette datation est la même pour une production à pâte blanche à beige fine (to1d) également très présente dans l’assemblage (21 % du NMI et 20 % du NR). Une autre production à pâte fine, mais dont la glaçure n’est pas pourvue d’oxydes métalliques colorants (to2a) est bien représentée au sein de l’ensemble (15 % du NMI et du NR). La diffusion de cette production est datée à Tours entre le second quart du 13e et le milieu du 14e siècle. Trois autres productions sont présentes dans une proportion significative (près de 10 % du NMI et du NR). Il s’agit d’une production à pâte beige à rose rugueuse (to6a) couverte d’une glaçure (to7j) qui est datée à Tours entre la seconde moitié du 13e et le troisième quart du 14e siècle, ainsi que de céramiques à pâte blanche fine (to1k) pouvant être revêtue d’une glaçure mouchetée (to7b). La production to1k est datée à Tours de la seconde moitié du 12e au troisième quart du 13e siècle, la production glaçurée to7b pouvant quant à elle dater de la seconde moitié du 12e à la fin du 14e siècle. Quatre autres productions identifiées au sein de l’assemblage y sont plus faiblement représentées (en dessous de 1 % du NR). On y trouve une production à pâte fine blanche et dure provenant des environs de Saint-Jean-de-la-Motte, dans la Sarthe (01j), dont la diffusion à Tours est datée du début du 14e siècle (Husi 2003 : 31), une production à pâte brune revêtue d’un engobe rouge (to5a) pouvant dater à Tours du 14e siècle (Husi 2003 : 27), une céramique à pâte fine dont la surface rouge est pourvue d’une glaçure (to7p) datée à Tours des 12e et 13e siècles ainsi qu’une production à pâte fine rose pourvue d’un décor de barbotine sous glaçure (to7e), datée à Tours du 14e au milieu du 15e siècle.

L’éventail typologique des formes
Les formes fermées

L’éventail typologique des récipients est peu varié, mais présente des originalités (Fig. 10-4). Sur un effectif de 122 individus en NTI, les pichets sont de loin les vases les mieux représentés avec 109 individus en NTI (Fig. 10-5). Ce sont majoritairement des pichets à col allongé (pichet 1-1) (78 individus en NTI), façonnés dans des pâtes blanches à beige fines glaçurées (to2c, to2a, to7b) ou non (to1d), dans une pâte beige à rose rugueuse glaçurée (to7j) ainsi que dans une pâte rose revêtue d’un décor de barbotine sous glaçure (to7e). On trouve également huit éléments de forme rattachés à un type de pichet dont la liaison col panse et la lèvre sont plus marquées que pour le pichet 1-1 (pichet 10-2). Ces pichets appartiennent à des productions à pâte blanche ou beige glaçurée (to7b, to2c). Un autre type de pichet identifié au sein de l’assemblage se distingue par son col légèrement évasé et la présence d’un bec verseur pincé (pichet 3-2). Les trois individus (NTI) de ce type sont exclusivement fabriqués dans une pâte blanche fine (to1k). Ces trois types de pichets existent ensemble aux 13e et 14e siècles. Les pots sont quant à eux peu représentés avec six individus (NTI). Il s’agit de pots à lèvre en bandeau de petite taille (pot 2-2) tous fabriqués dans une pâte blanche fine (to1k). Pour cette même production, on compte également une cruche à bec tubulaire tangent à la lèvre (cruche 1-1). Les pots à lèvre en bandeau existent à Tours aux 11e et 12e siècles et disparaissent au cours du 13e siècle (Husi 2003 : 23) et les cruches à bec tubulaire sont quant à elles datées des 12e et 13e siècles (Husi 2003 : 26).

Les formes ouvertes

Quelques formes ouvertes sont identifiées au sein du corpus (Fig. 10-6). Il s’agit tout d’abord de trois tasses polylobées toutes munies d’une anse verticale attachée à la lèvre. Elles appartiennent chacune à une production différente, à pâte blanche fine à glaçure mouchetée (to7b), à pâte fine blanche à surface rouge et glaçure mouchetée (to7p) et à pâte beige glaçurée (to2c). Ces récipients ne sont pas connus à Tours, mais existent à Poitiers aux 14e et 15e siècles (Husi 2003 : 70). Cependant, une de ces tasses (AJ-689), de même morphologie générale, est nettement plus grande que les exemplaires du même type issus du corpus (10,5 cm de hauteur, contre 7,5 et 5,2 cm de hauteur pour les deux autres tasses). Enfin, un fragment de coupe à parois fines (coupe 2) appartient à une production sarthoise (01j) diffusée à Tours à partir du début du 14e siècle.

Un mobilier daté de la seconde moitié du 12e siècle au troisième quart du 13e siècle et hérité d'un comblement antérieur

Alors que les productions les mieux représentées au sein de l’assemblage (to2c, to1d, to2a) appartiennent à une période comprise entre la seconde moitié du 13e et le 14e siècle et que des productions dont l’apparition est datée du 14e siècle (to7e, 01j, to5a) sont visibles, on observe des céramiques à pâte blanche fine (to1k, Fig. 10-5, en gris), datées de la seconde moitié du 12e siècle au troisième quart du 13e siècle, dans une quantité non négligeable (10 % du NMI et 15 % du NR). Les formes associées à cette production à pâte blanche (to1k) sont des pots à lèvre en bandeau (pot 2-2), une cruche à bec tubulaire (cruche 1-1) ainsi que des pichets pourvus d’un bec verseur pincé (pichet 3-2). La présence de ces récipients plus anciens peut trouver une explication dans le contexte stratigraphique. Il pourrait en effet s’agir d’un matériel resté dans la fosse, à la suite d’un un ou plusieurs curages incomplets des latrines, et qui aurait été mêlé par la suite au dernier comblement d’utilisation (Fig. 10-7).

Synthèse des données typologiques quantifiées et datation du comblement d’utilisation des latrines

L’assemblage des céramiques se distingue par une forte part de productions à pâte fine blanche glaçurée (to2c, to2a, to7b, to7j) ou non (to1d) qui peuvent exister ensemble à Tours entre la seconde moitié du 13e siècle et le milieu du 14e siècle. Les principaux types de récipients issus de ces productions (pichet 1-1, pichet 10-2) s’accordent avec cette datation (Husi 2003 : 24). Cependant, la présence de productions plus récentes comme les importations sarthoises à pâte blanche fine (01j), les céramiques dites pseudo-rouges (to5a) et la production à pâte couverte d’un décor de barbotine sous glaçure (to7e), permettent de préciser la fourchette de datation des productions majeures au début du 14e siècle. Cette datation concorde avec celle proposée pour la phase de travaux de l’hôtellerie qui aurait entraîné l’abandon des latrines au début du 14e siècle.

La part des récipients à pâte blanche fine (to1k), hérités d’un comblement antérieur partiellement curé, permet d’attester le fonctionnement des latrines au plus tôt à la seconde moitié du 12e siècle. Cette datation autorise donc l’hypothèse d’une construction des latrines à la fin du 12e siècle, (Lorans, Marot et Simon 2015 : 13-15).

B. La céramique déposée après l’abandon des latrines (US 43181)

L’US 43181, qui fait partie des comblements postérieurs à l’abandon des latrines, a livré seulement neuf tessons pour quatre individus en NMI. Six tessons appartiennent à une production à pâte beige à rose (to6a) dont la diffusion à Tours est datée entre la seconde moitié du 13e siècle et le troisième quart du 14e siècle. Deux fragments appartiennent à une production à pâte fine blanche couverte d’une glaçure plombifère (to2a). Cette production est datée à Tours du second quart du 14e siècle au milieu du 14e siècle. Enfin, deux tessons sont façonnés dans une pâte brune couverte d’un engobe rouge. Cette production, dite « pseudo-rouge », provient du Blésois ou de l’Orléanais et sa diffusion à Tours est datée autour du milieu du 14e siècle (Husi 2003 : 26-27). Trois fragments de lèvre peuvent appartenir à des pichets à col allongé (pichet 1-1) ou à col droit annelé (pichet 8-2), façonnés dans les productions to6a et to2a. Ces types de pichets existent ensemble à Tours aux 13e et 14e siècles. La fourchette de datation de l’US peut donc être établie dans la première moitié du 14e siècle. Cette datation s’accorde avec celle de la phase de travaux qui a entraîné le comblement définitif des latrines, au début du 14e siècle (cf. 3).

10.1.2.2 Analyse socio-fonctionnelle de la céramique déposée pendant l’utilisation des latrines

A. Un assemblage fonctionnellement restreint

L’éventail typologique des récipients de l’assemblage du début du 14e siècle est caractérisé par l’absence de pots à cuire : parmi ceux fréquemment rencontrés à Tours durant cette période, on trouve des pots dépourvus de col (pot 11-1) et des pots à col droit et lèvre peu marquée (pot 12-1) (Husi 2003 : 26). A contrario, les pichets dominent largement les autres types de récipients (95 % du NTI). Ce phénomène a probablement été causé par un rejet régulier depuis un espace de service et de consommation plutôt que depuis un espace de cuisine. On peut aussi supposer que certains pichets, découverts entiers ou très peu fragmentés, ont servi de pots de chambre après leur utilisation comme vaisselle. La présence de trois tasses polylobées est une caractéristique originale de l’assemblage des céramiques des latrines. Elles sont en effet, pour le moment, seules à représenter ce type de récipients en Touraine. La concentration de ces récipients inhabituels pose la question de leur fonction au sein de l’hôtellerie, espace d’accueil et peut-être de soin.

B. Les traces d’utilisation

Les traces d’utilisation relevées sur les céramiques du corpus sont de trois types. Les premières sont des suies déposées sur les vases portés au feu : en l’occurrence, seules les oules (pot 2-2) qui font partie de la céramique redéposée dans le premier comblement portent de telles traces, qui attestent leur usage culinaire. Certains pichets du début du 14e siècle portent des traces dont l’origine est difficile à interpréter. Situées sur la lèvre des récipients, souvent à la droite et à proximité de l’anse, il s’agit d’encoches creusées après cuisson (Fig. 10-8). Deux configurations se distinguent parmi ces traces ; soit une encoche profonde, soit une série d’encoches peu profondes. La disposition de ces marques préférentiellement à droite de l’anse témoigne peut-être d’un geste fait avec le couteau au cours du repas, mais cette hypothèse reste à étayer par des comparaisons archéologiques ou iconographiques. Enfin, un graffito dessinant une croix et tracé à la base d’un fragment d’anse peut également être considéré comme une trace d’utilisation : il fait l’objet d’une description plus complète dans la suite de cette étude.

C. Une vaisselle de qualité

Si la majorité de l’assemblage comporte des pichets issus de productions courantes à Tours (to1d, to7j, to2c, to2a, to7b) au 13e siècle et dans la première moitié du 14e siècle (Husi 2003 : 26), certains récipients témoignent de la qualité de la vaisselle en usage au monastère. Parmi les récipients résiduels qui peuvent dater de la seconde moitié du 12e siècle ou du 13e siècle, les pichets à col légèrement évasé et bec pincé (pichet 3-2) trouvent des exemples de comparaison au Château de Tours, où ils sont considérés comme des objets fins (Galinié, Husi et Motteau 2014 : 145-146). Parmi la céramique du début du 14e siècle, un pichet pourvu d’un décor de barbotine sous glaçure est le meilleur indice de la présence d’une vaisselle de qualité destinée à la table (Fig. 10-9 : AJ-730). Le décor, qui prend la forme d’un oiseau, est réalisé par le potier en combinant des barbotines colorées avec une glaçure ponctuellement relevée par des oxydes métalliques. Des incisions sur la barbotine fraîche complètent la représentation du plumage. Bien que cette hypothèse soit difficile à étayer, on ne peut exclure que la présence d’un décor puisse renvoyer à la fonction pharmaceutique du vase qui le porte (Alexandre-Bidon 2013 : 74).

D. Les récipients marqués
Description et répartition des marques : techniques utilisées et motifs

Le mobilier en céramique des latrines a livré un corpus de vingt-sept marques réalisées avant cuisson sur une pâte humide, sur une pâte sèche mais non cuite ou sur une pâte cuite (Fig. 10-10). Dans ce dernier cas, on peut parler de graffiti. Ces derniers sont les plus relevés (dix-neuf), derrière les incisions avant cuisson (six sur pâte humide et une sur pâte sèche). Trois motifs sont dessinés à la surface des récipients. Le plus fréquent (seize occurrences) est un tracé en forme de Π. Toutes les marques avant cuisson représentent ce signe qui apparaît cependant plus souvent sous forme de graffiti (dix occurrences) Certains tracés de forme indéterminée étant composés de traits verticaux et à des emplacements similaires sur le vase à ceux en Π, il s’agit vraisemblablement de fragments de ce dernier signe. La seule marque réalisée sur une pâte sèche mais non cuite peut être restituée sous la forme d’un carré barré d’une croix : situé à la base de l’anse d’un pichet (Fig. 10-11 : AJ-735), il est proche du type Π et il pourrait s’agir d’un tracé biffé de ce signe. C’est la glaçure qui permet d’affirmer que la marque a été réalisée avant la cuisson du vase car ce revêtement recouvre partiellement le tracé, preuve que l’incision n’a pas eu lieu après la fabrication du vase. Enfin, un motif de croix est unique au sein du corpus. Incomplet, il est tracé sur pâte cuite au bas de l’anse d’un des récipients (Fig. 10-12 : AJ-743).

Typologie des récipients marqués et emplacements des tracés sur les vases (Fig. 10-11, 10-12, 10-13)

Les marques sont présentes sur des productions variées au sein du corpus et qui entrent toutes dans la fourchette de datation proposée du début du 14e siècle. Il s’agit de pâtes fines partiellement glaçurées (to2a, to2c, to7b, to7j) ou non (to1d). Les récipients associés aux marques sont exclusivement des pichets, à col allongé (pichet 1-1) ou à lèvre marquée (pichet 10-2). Toujours situés au bas de la panse des vases, les tracés le sont plus particulièrement à la base ou de part et d’autre de l’anse. Le graffito en forme de croix (Fig. 10-13 : AJ-743) est seul à être tracé directement sur l’anse.

Interprétation des incisions

La pratique des graffiti sur les céramiques est connue et bien documentée pour le bas-Moyen Âge. Il s’agit souvent d’une marque pouvant avoir été laissée par l’utilisateur pour signifier sa propriété sur un vase. À l’hôpital de Jujon à Avignon, des pichets et des chopes portent de telles marques (Démians d’Archimbaud, Vallauri et Thiriot 1990 : 15). Au sein de ce corpus, l’anse gravée d’une croix est tout à fait comparable à ces graffiti de personnalisation ou ce motif est récurrent (Ferri, Moine et Sabbionesi 2016 : 15-16). À Tours, cette pratique est connue par deux graffiti, situés sur des anses, découverts au monastère Saint-Julien où ils peuvent être datés à partir du dernier quart du 14e siècle (Longelin 2017 : 82-84).

Dans le cas de la plupart des marques que portent les vases des latrines, en forme de Π, l’hypothèse d’une personnalisation ne saurait être retenue. En effet, c’est un même signe qui est répété sans distinction. Les marques ne sont pas non plus des indications de contenance, puisque les vases concernés peuvent être de volumes très différents et porter un même signe (Fig. 10-11). En revanche, on peut imaginer que la communauté des moines ait commandé certains pichets, marqués avant cuisson, pour un usage réservé (à un espace, une fonction, un groupe…) et détourné ou réutilisé d’autres pichets en y gravant le même signe, sur pâte cuite. Dans cette hypothèse, l’inconnue reste la raison pour laquelle les moines auraient voulu distinguer un groupe de pichets. La fonction probable de pots de chambre lisible dans la composition de l’assemblage des céramiques pourrait être un élément de réponse. Le marquage des récipients pourrait également être motivé par le fonctionnement même de l’hôtellerie, où se côtoient religieux, hôtes de marque et indigents, autant de groupes qui ne partageaient probablement pas la même vaisselle (Lorans, Marot et Simon 2015 : 17-18).

Conclusion

L’étude de la céramique exhumée dans les latrines de l’hôtellerie, par comparaison avec les contextes tourangeaux, permet d’établir une datation du dernier remplissage d’utilisation de la structure au début du 14e siècle. Elle met également en évidence la présence de récipients pouvant dater de la seconde moitié du 12e au 13e siècle. Ces vases peuvent être interprétés comme un matériel hérité d’un comblement antérieur après un curage incomplet des latrines. Les datations étayent l’hypothèse d’une construction des latrines à la fin du 12e siècle ainsi que d’un abandon et d’un comblement définitif au début du 14e siècle, lors du réaménagement de l’hôtellerie (cf. 3). Constitué presque exclusivement de pichets, l’assemblage des céramiques est le résultat du rejet régulier de récipients uniquement destinés au service et dont certains, retrouvés entiers, ont pu faire l’objet d’une réutilisation en lien avec les latrines. Cette composition particulière représente un biais très fort dans l’interprétation socio-fonctionnelle du mobilier. Malgré cela, la présence d’un pichet à décor figuratif de barbotine sous glaçure constitue un indice de l’utilisation d’une vaisselle de qualité. Ce décor, ainsi que trois tasses polylobées de type inédit à Tours, pourraient également être les indices d’une fonction pharmaceutique de ces vases. Enfin, le marquage avant et après cuisson de certains pichets indique peut-être une volonté des moines de réserver certains vases à un usage, un espace ou un groupe précis au sein de l’hôtellerie.

10.2 La vaisselle de verre

James Motteau

La vaisselle de verre est représentée dans chacune des phases d'occupation de l'ancienne hôtellerie, avec une part variable d'éléments plus anciens redéposés. Plusieurs ensembles homogènes ont été identifiés, notamment pour les 13e-15e siècles et pour la période moderne, le mobilier découvert étant plus abondant en phases 7 et 8.

Quelques tessons des phases 1 et 2 sont attribués à de la vaisselle des 11e et 12e siècles, mais dont les formes restent indéterminées. Le verre se présente sous deux aspects, le plus ancien non altéré à base de fondant sodique ou mixte, sodique et potassique, et un second avec une altération partielle ou totale due à l’emploi de fondant potassique tiré de plantes terrestres. Les verres identifiables sont répertoriés le long de la vallée de la Loire moyenne (Aunay et al. 2020).

Les verres de la phase 1 sont très fragmentés et sont issus de formes ouvertes indéterminées représentées par deux lèvres rebrûlées et une lèvre torsadée formée par une baguette à filet blanc en spirale (US 42968, seconde moitié du 8e siècle - début du 9e siècle). La seule pièce identifiée est le fond creux d’un gobelet entonnoir VAL 4 datable du 9e siècle au 11e siècle au plus tard (17.42701.1, Fig. 10-14). Ce type de pièce est également interprété comme encrier ou réservoir pour les liquides destinés à l’enluminure (Brunon 2020).

Une pièce sort de l’ordinaire en phase 2, il s'agit d'un tesson à gros cordons en forme de lunettes (17.41163.2, Fig. 10-15). Malgré son mauvais état de conservation, son style de décor s’apparente à celui de verreries à gros cordons du Moyen Âge ou du début du bas Moyen Âge qui constituent une famille encore mal connue en France (Baumgartner et Krueger 1988, 107, n° 50 ; Liegard et Fourel 2014).

La vaisselle du bas Moyen Âge est fortement concentrée dans les phases 3 et 4, aux 13e et 14e siècles (Fig. 10-16). Elle ne présente pas d’originalité marquée avec le mobilier trouvé sur les autres sites de Tours, si ce ne sont des tessons de coupe soufflée dans un moule (US 43184, Fig. 10-17), décor plutôt caractéristique de l’Est de la France (Argonne, Lorraine ; Cabart 2003) alors que la mode en Touraine est aux fortes côtes pincées (Motteau 1985, n° 180).

Les données recueillies par la fouille de l’hôtellerie de Marmoutier sont peu nombreuses et sont donc à interpréter avec précaution. Deux formes de facture et de décor différents apparaissent vers la fin du 12e siècle ou au début du 13e siècle : les verres à pied et les verres à jambe (Fig. 10-18).

Les verres à pied sont façonnés selon deux techniques : pied soudé à la coupe étranglée à mi-hauteur et décorée de fortes côtes pincées à la base, soit deux paraisons (Motteau 1985 n° 180), et le pied repoussé avec un ourlet à la base ne nécessitant qu’une paraison avec une coupe décorée éventuellement de côtes verticales floues, dans le prolongement alors de celles du pied (Motteau 1985, n° 173). Cette dernière forme à côtes floues correspond à la restitution proposée lors de l’exposition de Rouen en 1989 pour un verre trouvé à Caen (Carbonneaux-Leprêtre 1989, 166, n° 89). Ces deux types de verres sont communs dans l’ouest de la France. Les fragments de verres à pied soudé ont été découverts dans des remblais (17.40714.2, Fig. 10-20) et des niveaux de construction du bâtiment 2. Deux des verres à pied repoussé proviennent de niveaux d’occupation de la tour de latrines (17.43183.5, Fig. 10-19).

Les verres à jambe peuvent être en deux parties, base et jambe creuse soudées à la coupe (Motteau 1985, n° 164-167) ou en trois parties, jambe pleine soudée à la base et à la coupe (Motteau 1985, n° 168). Ce dernier type est le seul identifié parmi la vaisselle de verre en relation avec l’hôtellerie.

Deux jambes pleines illustrent ces verres : l’une est décorée d’un filet en spirale sans trace de base ni de coupe (17.43183.3, Fig. 10-21), l’autre possède une bague rapportée à mi-hauteur (17.43183.6, Fig. 10-22). En incluant le verre à coupe moulée mentionné ci-dessus, quatre verres à jambe ont donc été découverts dans la tour des latrines.

À partir de ces quelques données, il serait présomptueux d’esquisser une évolution typologique, que ce soit pour la technique de fabrication ou pour le décor. Les fragments du bas Moyen Âge présents dans la phase 6 sont la conséquence du bouleversement accompagnant les travaux, construction du muret nord-sud M.1037  entre autres, attribuée aux 16e-17e siècles.

Les lampes ne sont identifiées que par leur fond creux (Motteau et al. 1990, n° 424). Un seul exemplaire a été retrouvé dans les niveaux d’occupation de la phase 4 (17.40751.3, Fig. 10-23) alors que le fragment issu des travaux de construction du muret nord-sud M.1037  dans la phase 6 est sujet à discussion quant à sa date d’utilisation (17.41426.1, Fig. 10-24).

La phase 6, allant de la fin du 15e à la fin du 16e siècle, est marquée par des verreries dont la durée d’existence est brève si on la compare au mobilier précédent : le verre, très fragmenté ne rend pas aisée sa détermination. Un sommet de fond repoussé (ou moulé) décoré d’une pastille bleue peut appartenir à trois formes : un gobelet TO 1, un flacon Rouen 326 (Cabart 1989, 302 n° 326) ou un verre à pied TO 19 (Motteau 1981). Cinq exemples comme ceux-ci, dont la datation couvre la seconde moitié du 15e siècle et une bonne partie du 16e siècle, sont répertoriés dans la phase 6.

La mode évolue rapidement ensuite et, dans la phase 7 (début du 17e siècle au début du 18e siècle), la vaisselle en verre ordinaire à base de fondant potassique est fortement altérée et uniquement constituée de verres à jambe dont la base est repoussée et ourlée et la jambe formée d’un bouton creux de style varié (US 40180, Fig. 10-25). Le lot de verres le plus proche trouvé dans les fouilles de Tours provient d’un dépotoir daté de la fin du 17e siècle ou du début du 18e siècle du site 11 « la Nouvelle République » (Galinié 2007, 117).

10.3 L'état sanitaire des occupants

Émeline Marot, Benjamin Dufour et Matthieu le Bailly

La fouille de l'ancienne hôtellerie monastique et ses abords a apporté des informations sur différentes populations liées potentiellement à l'édifice.

L'étude de l'aire funéraire située au nord a permis de caractériser l'état sanitaire et l'alimentation des individus inhumés. L'étude paléo-anthropologique a ainsi fourni des informations précieuses, qui sont développées dans le chapitre 12 (paléopathologies et analyses isotopiques, cf. 12.5.4). Elles indiquent une population avec un recrutement spécifique, mais qui ne peut être associée avec certitude à l'hôtellerie.

L'hôtellerie médiévale comporte un certain nombre d'éléments de confort, qui indiquent une recherche dans la conception du bâtiment : fenêtres nombreuses et surtout présence d'une tourelle de latrines accessible depuis la grande salle de l'étage.

La fouille de cette tourelle a mis au jour des couches de fonctionnement des latrines puis de leur abandon datant de la fin du 13e siècle et du début du 14e siècle, qui ont permis d'obtenir des informations sur le vaisselier en céramique (cf. 10.1.1), mais également sur l'alimentation (cf. 10.4) et l'état sanitaire des occupants de l'hôtellerie à cette période, grâce à des analyses paléoparasitologiques conduites par Benjamin Dufour et Matthieu Le Bailly.

La paléoparasitologie s’intéresse à la diversité et l’importance des parasites aux différentes périodes de l’histoire. Elle vise à apporter des informations sur l'état de santé et le mode vie des populations anciennes, humaines et animales. Elle aide également à caractériser la fonction de certaines structures archéologiques, et fournit des indices sur l’occupation et le mode de gestion des déchets à l’échelle d’un site. Une étude paléoparasitologique a été réalisée sur des latrines médiévales mises au jour sur le site de l'abbaye de Marmoutier de Tours (Dufour, Le Bailly 2017, Fig. 10-26 : rapport d'analyse complet). Dans le cadre de cette étude, ce sont les vers parasites du tractus gastro-intestinal qui sont recherchés. Ils sont mis en évidence par l’intermédiaire des œufs que plusieurs d’entre eux produisent.

Un échantillon a été analysé provenant de la couche correspondant à l’utilisation des latrines datée de la fin du 13e - début du 14e siècle (US 43183). Il comporte des œufs de parasites et six formes d'œufs correspondent à cinq taxons : Ascaridé, Ascaris sp., Trichuris sp., Capillaria forme hepatica, Fasciola sp. et Taenia/Echinococcus sp.

L’échantillon analysé contient une grande quantité de restes parasitologiques qui attestent une bonne conservation, mais aussi de la présence d’une pollution fécale très marquée dans la structure étudiée.

Ascaris et Trichuris, retrouvés en association, montrent qu'il existait aux 13e-14e siècles des problèmes d'hygiène et de péril fécal chez les occupants de l’ancienne hôtellerie. Les autres parasites identifiés pourraient quant à eux renseigner leurs habitudes alimentaires. En effet, ils peuvent tous se retrouver chez l’homme et, au vu du contexte de fouille, une origine strictement humaine des rejets est très probable. Fasciola sp. indiquerait alors la consommation de végétaux crus, et non ou mal lavés de types cressons, mâches, pissenlits… Capillaria forme hepatica pourrait quant à lui indiquer la consommation d’abats, le foie en particulier. Enfin, la présence de ténia atteste la consommation de viande de porc et/ou de bœuf, crue ou insuffisamment cuite.

Une zone de rejet mixte d’origine principalement humaine avec une faible part d’origine animale reste cependant possible. En effet, le conduit EA 1374 , connecté aux latrines, aurait pu amener des rejets issus d’autres bâtiments situés au sud de l’hôtellerie, rejets qui auraient pu être liés à des activités associées à des animaux.

Les œufs de parasites intestinaux mis en évidence dans les latrines de l’ancienne hôtellerie marquent la présence de matières fécales en grande quantité. Les taxons identifiés orienteraient vers une origine biologique humaine stricte. Ascaris et Trichuris rendent compte des problèmes d’hygiène et de péril fécal qui existaient au sein l’abbaye et plus généralement dans les populations médiévales.

Les informations recueillies au cours de l’étude complètent les données concernant les populations religieuses médiévales, encore peu renseignées aujourd’hui.

10.4 Les restes osseux animaux des latrines de l'hôtellerie

Colin Duval et Yvon Dréano

10.4.1 Sélection et caractérisation des dépôts

Les ossements animaux analysés proviennent des latrines : il s'agit de la seule structure fermée qui ait été fouillée et tamisée au sein de l'hôtellerie, permettant ainsi l'étude des restes de micromammifères et de poissons. Parmi les unités stratigraphiques définies lors de la fouille, seules les couches d'utilisation présumées ont été sélectionnées pour étude du mobilier archéozoologique. Les US 43001 et 43183 sont équivalentes et livrent la grande majorité de l'échantillon analysé. La première couche renferme 14 restes et la seconde, 3826 fragments. Faute de temps, les plus petites fractions osseuses de l'US 43183 ont été réservées pour une étude future (2286 grammes). Les os de poisson et ceux des espèces rares ont néanmoins été extraits de cet isolat. Il faut préciser que le fait d'avoir écarté une partie du lot analysé n'est que modérément préjudiciable à la compréhension globale du dépôt. La majorité des restes qui échappent à cette étude correspond en effet aux éléments manquants des animaux complets et sub-complets identifiés par ailleurs dans les latrines. Les US 43003 et 43182 sont équivalentes et correspondent en théorie à une couche de comblement. Néanmoins, les recoupements de matériel ont poussé à intégrer ces deux entités à la phase d'utilisation des latrines. Elles livrent respectivement 265 et 17 restes. Au total, 4122 ossements ont été analysés pour les latrines. Les couches renfermant ce mobilier ont été datées du début du 14e siècle (cf. 10.1).

Les restes étudiés ont été collectés manuellement et par tamisage. Toutes les tailles de fractions osseuses sont donc disponibles dans l'assemblage. L'analyse archéozoologique révèle la présence d'un grand nombre d'ensembles anatomiques et de cadavres complets. Les dépôts primaires ne semblent donc pas avoir été remaniés. Les restes découverts sont très peu fragmentés. Ils observent pour la plupart une coloration brune due au confinement et à l'humidité. Leur surface est peu endommagée, tendre et aisément lisible. Seules quelques pièces étaient encore couvertes de résidus organiques. Sept éléments ont été légèrement dissous par les attaques acides, 46 comportent des traces de brûlure, et deux seulement des marques de crocs. Les observations taphonomiques liées aux poissons sont développées dans le paragraphe dédié.

10.4.2 Les espèces présentes

Parmi les 4122 éléments enregistrés (Fig. 10-27), 2836 ont été déterminés au rang de l’espèce ou d'une catégorie animale restreinte. Les poissons livrent 1644 pièces. Les espèces dulçaquicoles représentent 65,2 % des restes déterminés, avec une grosse majorité de cyprinidés. On trouve ensuite 25,8 % de poissons migrateurs (surtout des anguilles) et 9 % de poissons marins. Les mammifères livrent 1391 éléments. Les animaux domestiques (951 restes) comptent pour 84 % des espèces identifiées. La triade « bœuf ; porc ; caprinés » représente quant à elle 57,3 % du total. Les oiseaux regroupent 1086 restes. La volaille (734 éléments) représente 80 % des volatiles déterminés. On trouve aussi des oiseaux sauvages, avec 183 os, le gibier terrestre avec 128 restes, des petits mammifères intrusifs, avec 53 éléments, et pour finir, un fragment de coquille de bivalve.

Une telle répartition des différents types de taxa et la présence de nombreux ensembles anatomiques ne peuvent renvoyer à aucun profil de consommation standard. Les données traduisent plutôt les rejets ponctuels de déchets artisanaux et de boucherie, des restes de repas, mais aussi de cadavres d'animaux familiers et de nuisibles. Au-delà de leur fonction première, les latrines semblent donc avoir servi de dépotoir. On peut aussi penser que les US définies correspondent à une phase d'abandon plutôt que d'utilisation. Parmi ces dépôts on trouve 219 os de bœufs, dont plusieurs bas de pattes sub-complets. Les porcs livrent 287 restes et les caprinés 143, dont beaucoup d'éléments crâniens et 9 restes d'un même chevreau. Un chiot semble avoir été rejeté entier (65 restes). Il en va de même pour au moins cinq chats (237 os). Dix éléments proviennent d'un même cerf. On trouve 112 ossements de lagomorphes, dont 80 de lièvre et 14 de lapin. Six restes d'un même putois ou furet ont été identifiés, puis 53 os de petits mammifères : écureuil roux (1) ; rat noir (29) ; rongeurs indéterminés (18) ; insectivore indéterminé (1) ; chiroptère indéterminé (4). En ce qui concerne la volaille, on compte 434 restes de poule, 112 d'oie, 179 de canard et 9 de pigeon. Le grand nombre d'os de gibier à plumes exprime le haut statut des occupants de l'hôtellerie : 36 éléments de canards sauvages, 16 de sarcelles, sept de perdrix et 50 d'au moins quatre bécasses des bois sub-complètes, 18 de choucas des tours, dont un individu entier, trois de pie, deux de grive, 17 de petits passereaux, 13 d'un même épervier, 19 d'une même bondrée apivore et deux d’un petit limicole. On trouve enfin 19 espèces de poissons, dont dix d'eau douce, cinq marines et quatre catadromes. Une grande part des restes identifiés appartient à la famille des cyprinidés (259 fragments), avec l'ablette (22), le chevesne (21), la brème bordelière (18), la carpe commune (13), le barbeau (13), la brème commune (9), le gardon (7) et la vandoise (1). Le brochet (famille des ésocidés) a livré 85 restes. On trouve aussi 65 pièces d'un même percidé : la perche. Parmi les espèces migratrices, les anguilles sont très présentes (171 éléments), accompagnées d'une autre famille de poissons catadromes : les salmonidés (6 restes, dont 2 de saumon). La famille des clupéidés, avec la grande alose (26) et le hareng (32), est également bien représentée. D'autres espèces plus marginales ont été observées, comme le carrelet (4), le maquereau (2), le merlu (2). Il faut également noter la présence de 30 restes de poissons à squelette cartilagineux, dont deux ont été identifiés comme appartenant à la raie bouclée.

10.4.3 Sélection animale et nature des dépôts

10.4.3.1 Le porc

Les porcs sont les animaux les plus présents parmi les mammifères (287 restes). Les différentes parties du squelette de l'animal sont assez uniformément représentées au sein des latrines. On peut toutefois noter une légère surreprésentation des os des membres et des bas de pattes, traduisant à la fois des rejets de préparation des carcasses et des pièces de viande. Les phalanges ont été notamment identifiées en grand nombre, de même que les tibias, les fémurs et les os coxaux. En revanche, il faut souligner le déficit marqué des côtes. Le porc offre donc un profil anatomique assez déroutant : présence forte des pieds et des mains, souvent détachés lors de la séparation des parties consommables ; rejet important des pièces issues du désossement des jambons, mais absence des plats de côtes qui sont eux aussi des sources de viande majeures. Sur le site, le squelette axial et le squelette appendiculaire étaient peut-être traités séparément après le partage des carcasses, ou bien ces dépôts renvoient-ils à quelques rejets particuliers de pattes complètes, qui transforment significativement la topographie anatomique porcine au sein des latrines.

Les indices relatifs à l'âge des porcs sont ténus. Les usures et éruptions dentaires permettent d'estimer l'âge de mort de trois individus : une bête entre un et deux ans ; une autre entre deux et trois ans ; et une dernière entre trois et sept ans. Le degré de formation des os du squelette illustre une réalité moins contrastée. La majorité des individus concernés semble abattue entre un et deux ans, pour obtenir une viande tendre. On relève aussi un certain nombre de porcs plus jeunes et notamment 29 restes appartenant probablement à un même individu périnatal. Trois verrats ont été identifiés grâce à deux mandibules et un maxillaire. La rareté des mesures collectées interdit toute analyse morphologique poussée. Un humérus, deux talus et cinq métapodes traduisent la présence de sujets mesurant entre 73 et 89 cm au garrot. Les os de porc comportent 82 traces de découpe : cinq incisions et 77 sections. C’est l'espèce la plus touchée après le bœuf. Les dépôts des latrines renvoient à de la découpe de gros, pour la préparation des carcasses et des pièces de viande. Douze restes sont partiellement carbonisés ou calcinés. Aucune pièce anatomique ne semble visée en particulier et aucune brûlure ne correspond explicitement à une marque de cuisson.

10.4.3.2 Le bœuf

Les bœufs, avec 219 restes, représentent 19 % des mammifères déterminés. La répartition anatomique des restes de cette espèce montre une très nette surreprésentation des bas de pattes. Au-delà de quelques os des membres et quelques éléments probables du train de vertèbres d'un individu unique, on trouve en effet 17 métapodes et 52 phalanges. Les os du bœuf – les vertèbres et les côtes surtout – présentent 89 traces de découpe : six incisions et 83 sections. Les animaux rejetés dans les latrines ont fait l'objet d’un traitement boucher particulièrement lourd. La préparation des carcasses du porc et du bœuf suit des règles différentes. Les os des membres sont par exemple très fragmentés. Ils comportent de nombreuses marques de sections, reflet d'une individualisation rapide et violente des pièces de viande, mais aussi de l'exploitation de la moelle osseuse. À titre d'exemple, on peut souligner que chacun des 17 métapodes identifiés a été fracturé. Comme pour les porcs, les latrines accueillent donc des déchets de préparation de boucherie bovine. Six os de bœuf sont en partie brûlés, mais aucune trace de cuisson manifeste n'est à signaler.

Les usures et éruptions dentaires du bœuf ont permis d'estimer l'âge de deux individus : une bête de deux à trois ans et une autre de six à huit ans. Les soudures osseuses montrent quant à elles que les bœufs déposés sont tous des animaux adultes de plus de deux ans. Trop fragmentés, les os n'ont pas pu faire l'objet d'une analyse métrique.

10.4.3.3 Les caprinés

Les caprinés ont été identifiés à hauteur de 95 restes, dont 39 de moutons. Un chevreau périnatal a été découvert parmi les vestiges (9 restes). La répartition anatomique de ces espèces est bien différente de celles des porcs et des bœufs. Si la plupart des os du squelette de l'animal sont présents, les éléments de la tête sont en très nette surreprésentation. On trouve en effet dans les latrines, 23 pièces crâniennes, trois chevilles osseuses, huit os maxillaires et sept mandibules. Des têtes complètes de moutons ont donc été jetées, en plus de différentes vertèbres d’une même bête, du squelette de chevreau et de quelques os des pattes.

Au-delà de la mandibule de chèvre périnatale, cinq autres éléments ont permis de donner un âge aux moutons abattus. Le plus jeune a près de deux ans ; un autre, entre deux et trois ans. Deux individus ont entre trois et quatre ans, et le dernier, entre trois et huit ans. Les soudures épiphysaires semblent montrer qu'il n'est aucun capriné de moins d'un an (chevreau périnatal excepté). Il est ensuite plus difficile d'estimer une limite d'âge supérieure pour le sacrifice de ces animaux. Leurs os sont majoritairement tranchés. On compte en effet 38 sections sur un total de 39 découpes. Un mâle a été identifié grâce à son os pubien ; trois autres et une femelle grâce à leurs chevilles osseuses. Seuls douze éléments ont été mesurés et une hauteur au garrot estimée à partir d’un métatarse : 54,5 cm. Deux patellas, deux scaphoïdes et une côte présentent des traces de carbonisation.

10.4.3.4 Les autres mammifères domestiques

Les équidés sont absents des latrines. La découverte de quelques fers à chevaux dans des couches contemporaines du fonctionnement des latrines (en phase 3) atteste néanmoins leur présence sur le site et suggère la gestion particulière de leurs carcasses, peut-être rejetées dans des dépotoirs spécifiques. Les 65 restes de chien identifiés appartiennent tous au même individu. Compte tenu du fait qu'aucun des os n'est soudé, mais que la première molaire est présente sur les deux mandibules, on peut estimer que c'est un chiot de quatre à six mois. Les pièces observées ne comportent pas de stigmates particuliers qui puissent aider à déterminer la cause de la mort. Il a donc été victime de mortalité infantile ou simplement sacrifié puisqu'indésirable. Parmi les 237 restes de chats, on distingue au moins cinq individus complets et un os coxal de sujet périnatal. Une des bêtes entières est un immature, dont les os des membres ne sont pas complètement formés. Les quatre autres sont adultes. Pour deux spécimens au moins, la cause de la mort est connue. On soulignera en effet la présence de découpes sur le museau et la mâchoire des chats, signes du prélèvement de la peau (Fig. 10-28). L’exploitation de la fourrure de cet animal est assez répandue au Moyen Âge et ponctuellement mentionnée dans les écrits (Luff et Moreno García 1995 ; Reynaud Savioz 2019). La présence de chats et de chiens complets dans les latrines, en plus des blocs de tuffeau et des pots de céramique découverts (cf. 3.1.1.1), semble traduire leur comblement et / ou leur utilisation comme dépotoir occasionnel non-alimentaire.

10.4.3.5 Les mammifères sauvages

Le cerf est le seul gibier de grande taille de l'assemblage. Il est représenté par le crâne et neuf vertèbres d'un même individu immature. C'est le genre de déchets de préparation que l'on ne retrouvait pas aux côtés des fragments de bois durant les phases précédentes (Duval 2019 : 17). Cela laisserait supposer un certain éclatement spatial des différentes étapes de traitement des carcasses. L'absence de la zone frontale du crâne ne permet pas de juger si la ramure de l’animal a été prélevée. En revanche, la tête aurait été fendue et le rachis tronçonné. La bête aurait donc été préparée pour la consommation.

Les lagomorphes sont très nombreux. On compte 112 de leurs restes au sein de l'échantillon étudié. Le lapin livre 14 éléments, dont un seul juvénile. Le faible nombre d'ossements de cette espèce laisse penser qu'elle n’a pas été domestiquée sur le site. Les lièvres ont été déterminés grâce à 80 pièces. Quatorze d'entre elles appartiennent à de jeunes animaux et 62 à des adultes. Beaucoup des os viennent des pattes (30 restes), quatre seulement de la tête, 23 du rachis et 21 des bas de pattes. Deux os coxaux sont sectionnés au niveau de la palette iliaque et une vertèbre est tranchée dans la largeur.

Six restes d’un même putois (Mustela putorius) adulte ont été identifiés (US 43183 ; Fig. 10-29). La petite taille des éléments observés laisse supposer qu'il puisse s'agir de sa forme domestique : le furet (Mustela putorius furo). Mais les très rares occurrences européennes de cette espèce (voir par exemple Albarella et Davis 1994) ne permettent pas de comparaisons (notamment métriques) pour étayer cette conclusion. Ce chasseur, comme en témoignent les textes et les images médiévales, était utilisé pour traquer le lapin dans les garennes (Callou 2003) ; lapin dont on retrouve d'ailleurs les os dans les latrines.

10.4.3.6 La poule

La volaille est très bien représentée dans les latrines. La poule est l'espèce qui livre la plus grande quantité d'ossements : 434 pièces, soit 47 % des oiseaux déterminés. Mis à part le déficit des éléments de la tête, du gril costal et des phalanges, qui sont des pièces difficiles à déterminer spécifiquement ou trop fragiles, la répartition anatomique de la poule sur le site est assez homogène. Les os des ailes et des pattes sont présents dans des proportions équivalentes. La préparation des carcasses de poulets ne nécessite pas de traitement violent. Les traces de découpe sont donc rares. Une seule vertèbre témoigne de la décapitation des volailles. Quelques os des membres montrent des traces de désarticulation par incision ou section au niveau des parties proximales et distales. Une seule strie, sur la diaphyse d'un fémur, peut être interprétée comme une marque de consommation. Un tarsométatarse et un sacrum sont calcinés. On compte, parmi les poules identifiées, 297 sujets adultes pour 124 immatures (dont deux de quelques mois). Les données métriques, et les ergots des tarsométatarses, permettent d'estimer la part des chapons sur le site à 32 % et celle des femelles (avec seulement quelques coqs entiers) à 68 %. La confrontation de ces valeurs à celles de la ville de Tours (Cotté 2008, Annexes : 188-220) révèle des modèles de gestion et d'approvisionnement différents. Si les dimensions des os des deux sites se situent dans le même intervalle de variation, la part des femelles est bien supérieure à Marmoutier.

10.4.3.7 Les autres oiseaux domestiques

Les canards identifiés comme domestiques, par leur récurrence et la constance de leur morphologie, sont les plus nombreux après les poules. On compte 179 de leurs restes, soit 19,5 % du total des oiseaux déterminés. Au sein des latrines, les os des ailes sont bien plus présents que ceux des pattes : 88 éléments contre 29. Tous les individus observés sont adultes. Six traces de découpe seulement sont visibles sur les os du canard.

Les oies domestiques viennent ensuite avec 112 éléments, soit 12 % des oiseaux déterminés. À l'inverse des canards, il n'est pas de surreprésentation d'une zone anatomique en particulier, et donc de sélection apparente. Les sujets adultes sont en large majorité, avec 106 restes. Les jeunes livrent seulement six os. L'observation des ossements a révélé 22 traces de découpes. À travers ces maigres indices, on distingue malgré tout une certaine standardisation de la préparation des carcasses d'oies.

Neuf restes de pigeon ont été identifiés. Parmi eux, on compte un coracoïde et un sternum appartenant à des sujets immatures et sept os d'oiseaux adultes.

10.4.3.8 Les oiseaux sauvages

Avec 183 éléments, les oiseaux sauvages comptent pour 20 % du total des volatiles identifiés. Parmi eux, on trouve 52 canards sauvages adultes. Ces individus se distinguent par leur morphologie, qui diffère significativement de celle des anatidés domestiques. Un radius et un fémur de grande taille reflètent la présence d'oiseaux de type fuligule milouin (Aythya ferina). Les canards de surface de taille moyenne, type colvert (anas platyrhynchos), chipeau (anas strepera), pilet (anas acuta), souchet (anas clypeata) ou siffleur (anas penelope), sont les plus nombreux (34 restes). Deux humérus et une ulna comportent des traces de désarticulation proximales. Les sarcelles, d'été (anas querquedula) ou d'hiver (anas crecca), livrent enfin 16 os de plus petite taille. Ce sont tous des canards d'eau douce, chassés sur les bords de la Loire, les étangs et dans les marais aux alentours de Marmoutier.

La perdrix est représentée par sept restes complets, appartenant tous à des sujets adultes. On trouve ensuite 50 restes de bécasse des bois, provenant probablement de quatre animaux adultes. Aucun élément de la tête ou du squelette appendiculaire n'a été identifié. Toutes les autres parties anatomiques sont présentes, avec une grande majorité des os des membres. Deux humérus et une ulna sont sectionnés en partie proximale. Dix-huit restes de choucas des tours adultes ont été déterminés, dont au moins un individu sub-complet. Deux os de grive musicienne et trois de pie bavarde ont été découverts dans les latrines. Au moins quatre petits passereaux de la taille de la linotte mélodieuse (Carduelis cannabina) ou du pinson des arbres (Fringilla coelebs) gisaient dans l'unité stratigraphique 43183. Deux tarsométatarses d'un même charadriiforme, de la taille du bécasseau variable (Calidris alpina) ou du chevalier guignette (Actitis hypoleucos), proviennent des bancs de sable de la Loire.

On pourra mentionner enfin la présence de deux squelettes de rapaces adultes (Fig. 10-30) : un épervier d'Europe (Accipiter nisus) et une bondrée apivore (Pernis apivorus). En France, l'épervier est sédentaire. Sa capture pouvait donc se faire tout au long de l’année, dans des forêts mixtes ou de seuls conifères. Selon les données réunies par Dale Serjeantson (Serjeantson 2009), à partir des informations livrées dans The Book of St Albans, les éperviers étaient les rapaces dévolus en priorité aux religieux : les femelles pour les prêtres et les mâles pour les clercs. Ils permettent la chasse de proies allant jusqu'à 500 grammes, principalement des volatiles, dont les grives, les merles, les alouettes, les pigeons ramiers et même les perdrix. Ses victimes, dont on retrouve les os sur le site, le prestige que représente la pratique de la chasse au vol et le lien symbolique qui unit le rapace au monde religieux en font une espèce toute désignée pour les occupants du grand monastère de Marmoutier. En revanche, la présence de la bondrée est plus surprenante. Cet oiseau est un grand migrateur, qui passe au maximum quatre mois en France pour la reproduction. Il mène une existence discrète et niche haut dans les grands arbres des forêts de feuillus, de pins ou d'épicéas. Sa capture peut donc difficilement être le fruit du hasard. Mais la bondrée est un rapace très spécialisé, puisqu'elle se nourrit presque exclusivement de guêpes et de bourdons. Elle est donc parfaitement inutile à la chasse au vol. Les raisons de sa présence sur le site sont donc obscures. Peut-être a-t-elle été acquise par jeu ou comme trophée d'agrément, à l'image de la grue au cours des périodes précédentes (Duval 2019 : 23) ? Quoi qu’il en soit, ce squelette constitue une des rares mentions archéologiques de cet oiseau en France.

10.4.3.9 Les poissons

Bien que les os de poissons soient généralement très fragiles, l'examen du matériel des latrines de l'hôtellerie monastique permet de constater que les vestiges osseux de poissons préservés sont nombreux. Ainsi, 1644 fragments d'os de poissons ont été reconnus au tri des refus de tamis (2 mm), dont 857 restent indéterminés (52 % du NR de poissons). Sur l'ensemble des restes observés, près de 787 ossements ont été identifiés spécifiquement (48 % du NR). Le taux d'ossements indéterminés apparaît important, mais il est en partie compensé par le bon état de conservation et la faible fragmentation de cet ensemble. La majorité des ossements de poisson indéterminés correspond à des éléments de nageoires (axonostes et lépidotriches) (39 % du NR), des écailles (2 % du NR) et des os crâniens trop fragmentés (9 % du NR), difficiles à identifier. Malgré le grand nombre de fragments d'os, la conservation des os dans cette structure est bonne, comme en témoigne la présence d'un grand nombre d'éléments fragiles retrouvés entiers.

Les espèces de poissons d'eau douce identifiées sont au nombre de dix, contre cinq pour celles vivant en mer. La part du poisson d’eau douce est relativement importante, avec principalement la carpe, le brochet, et dans une moindre proportion, la perche, le barbeau et la brème commune. Trois espèces catadromes sont présentes : l'anguille commune, le saumon d'Atlantique et l'alose vraie. Ces poissons passent une partie de leur vie en eau douce et l'autre partie en eau salée. Cinq autres espèces vivent principalement en mer : le hareng, le merlu, le carrelet, le maquereau et la raie bouclée. Parmi ces derniers, quelques-uns vivent dans les estuaires, des zones de transition dont ils tolèrent les variations de salinité dues à l'apport d'eau douce. Il s'agit des poissons plats tels que les carrelets.

Les principales espèces d'eau douce présentent toutes les parties anatomiques : rachis, neurocrâne, splanchnocrâne et ceinture scapulaire. À l'inverse, on constate certains manques chez les espèces marines. Ces différences de représentation des parties anatomiques laissent supposer un traitement différent de ces deux groupes de poissons. Les poissons d'eau douce sont donc intégralement représentés. Si leurs parties anatomiques sont présentes en des proportions différentes selon les espèces, ceci est dû essentiellement à des différences de conservation et à une identification anatomique et spécifique plus ou moins assurée selon les espèces. Il apparaît donc que ces poissons ont été transportés entiers sur le site. En revanche, même si elles présentent peu de restes, certaines espèces marines (scombridés, chondrictyens et merlus) montrent une répartition anatomique inégale, qui pourrait indiquer leur préparation culinaire préalable, mais rien ne permet de le confirmer. Certaines espèces sont par exemple représentées à plus de 70 % par le rachis. Il s'agit essentiellement d'espèces marines telles que le maquereau, le hareng et les poissons plats comme le carrelet et les chondrichtyens (raies / requins). Il est à noter que la raie bouclée n'est représentée que par deux boucles caractéristiques de l'espèce. Les restes osseux de chondrichtyens observés ici peuvent correspondre aussi bien à la raie bouclée qu'à d'autres espèces qui n'ont pu être déterminées.

Quelques traces de coupes de préparation et de brûlures ont pu être mises en évidence. En effet, plusieurs marques ont été observées sur des lépidotriches et des vertèbres. Le premier type de coupe correspond à la découpe des nageoires dorsales et anales des poissons, pour la préparation des carcasses, mais aussi des côtes, touchées lors de l'éviscération. Les traces sur les corps vertébraux traduisent une découpe transversale, probablement en darnes, afin d'obtenir d'épaisses tranches de poisson. Ce type de découpe est particulièrement net sur une vertèbre de merlu, huit de brochet, sept de cyprinidés, ainsi que sur deux vertèbres de poissons cartilagineux et une boucle de raie. Une autre trace de coupe est observée sur une épine hémale de carrelet. Toutes ces traces confirment la préparation et la consommation de ces poissons. Différentes traces de brûlure sont observées sur une vertèbre d'anguille, deux de brochets, sur onze vertèbres de cyprinidés, trois de hareng et douze vertèbres de grande alose. Ce dernier poisson présente un fort taux d'éléments brûlés, avec 57 % des vertèbres, principalement des vertèbres précaudales, ce qui laisse penser que cette espèce a fait l'objet d'un traitement de cuisson, au feu plus particulièrement. Ces quelques dizaines de restes témoignent, de façon partielle, de la préparation du poisson, avant sa consommation, par étêtage et éviscération, ainsi que de la pratique de découpe transversale de gros poissons, comme le merlu ou le brochet.

La restitution de la taille et de la masse des poissons a été réalisée à partir des ossements les mieux conservés, présentant les points morphologiques caractéristiques permettant de les mesurer. Pour ce faire, nous nous sommes reportés aux différentes publications relatives à l'ostéométrie des poissons observés sur ce site (Libois et Allet-Libois 1988 ; Libois et al. 1987 ; Thieren et al. 2015 ; Yazicioglu et al. 2017). Il a été possible de restituer la taille et la masse de 78 poissons sur les 96 individus de cet ensemble (81 % du NMI). La restitution des tailles a permis de définir une variation de la taille des poissons capturés qui s'échelonne entre 11 cm pour l'ablette et 82 cm pour un saumon. Il est en outre possible de distinguer plusieurs groupes morphologiques : une majorité de spécimens entre 10 et 20 cm (28 %), un peu plus d'1/5 entre 20 et 30 cm (22 %), moins d'un quart entre 30 et 40 cm (23 %), contre 13 % pour des poissons de 40 à 50 cm et 14 % entre 50 et 80 cm. La taille moyenne des poissons capturés est de 33 cm, ce qui correspond à des poissons de bonne taille, d'une masse moyenne de 353 grammes. Quatorze spécimens dépassent le kilo. Les poissons les plus grands sont souvent les plus rares sur le site, à l'image du saumon d'Atlantique, qui mesure 82 cm pour 5,1 kg, un merlu de 71 cm et 1,9 kg, un carrelet de 48 cm pour 1,1 kg, une carpe de 39 cm pour 1,1 kg, mais aussi quelques cyprinidés, avec un spécimen de brème commune de 54 cm pour 1,6 kg et une brème bordelière de 46 cm pour 1,4 kg. Les poissons les plus pêchés ne sont pas les plus grands, à l'image des ablettes ou des brochets. La restitution de la masse souligne l'importance du saumon, mais aussi de la perche commune et du brochet, qui représentent à eux trois 48,9 % de la masse restituée. Toutefois, les cyprinidés restent importants (30,8 % de la masse des restes), avec principalement la brème commune (13,6 % de la masse des restes) et la brème bordelière (8,5 % de la masse des restes). Les poissons migrateurs ne sont pas négligeables, avec 27,5 % de la masse des restes, contre seulement 11,3 % pour les poissons marins.

L'ensemble correspond à 21 espèces d'origines variées, caractéristiques du milieu d'eau douce et marin. Cependant, bien que la majorité de ces espèces vive en eau douce, une partie peut vivre partiellement en eau douce, comme l'anguille ou le saumon, ou bien toute leur existence, comme la carpe, le brochet, la perche et les différents poissons de la famille des cyprinidés. La présence de ces différents poissons s'explique par la variété des lieux d'approvisionnement : dans la Loire et les points d'eau situés à proximité du site, ou dans l'océan Atlantique, à plusieurs centaines de kilomètres de Tours.

Malgré cette diversité spécifique, cinq familles de poissons semblent avoir participé de façon importante aux repas des habitants de Marmoutier : les cyprinidés, avec principalement la brème commune et bordelière, les clupéidés (aloses et harengs), le brochet et la perche, les pleuronectidés (carrelet), mais aussi des poissons migrateurs comme l'anguille ou le saumon. Ces poissons ne vivent pas dans les mêmes territoires, ce qui laisse penser que différentes techniques de pêche ont été utilisées et que le site jouissait d'un approvisionnement constant en poissons de provenances diverses. Ces échanges semblent en outre se développer, comme le montre la diversification de l'approvisionnement en poissons marins dans ces latrines, par rapport aux périodes précédentes (Dréano 2019 : 42-48).

10.4.4 Interprétations et discussion

La bonne tenue des ossements et la présence de nombreux squelettes complets indiquent que les dépôts n'ont pas été remaniés avant comblement. En outre, le tamisage effectué lors de la fouille autorise une perception plus juste de l'assemblage archéozoologique. En revanche, les modalités de dépôt et la disposition stratigraphique et anatomique des différents organes et squelettes analysés sont inaccessibles. Les 4122 ossements provenant des couches d'utilisation des latrines montrent que la fosse, au-delà de sa fonction première, a servi de dépotoir. Plus encore, on peut supposer que, parmi les restes étudiés, la majorité date de la phase de comblement de la tourelle de latrines. On y trouve en effet de fortes sections osseuses et des assemblages squelettiques qui témoignent du rejet ponctuel de déchets alimentaires, de rebuts de boucherie, mais aussi de cadavres d'animaux familiers ou indésirables. Les proportions spécifiques et anatomiques révèlent un profil qui échappe à toute logique alimentaire. Il ne faut donc pas voir, dans ces latrines, le strict reflet des habitudes de consommation au sein de l'hôtellerie de Marmoutier au début du 14e siècle, mais la superposition de divers dépôts d'apparence opportuniste. Les grands mammifères (caprinés, porcs, bœufs et cerfs) apparaissent avant tout sous la forme de déchets de découpe de gros. Les crânes du cerf et des moutons, et les bas de pattes de porcs et de bœufs proviennent de la préparation des carcasses. Les parties à viande ont quant à elles subi un lourd traitement boucher. Pour ces espèces, on trouve donc les déchets issus des premières étapes de préparation du corps. Ces dépôts renvoient probablement à des épisodes ponctuels et exceptionnels, qui échappent aux secteurs de traitement spécialisés et aux modes de gestion habituels des déchets. L'abondance des oiseaux domestiques, en revanche, semble traduire une constante alimentaire dans cette partie du site. Le goût particulier des occupants du monastère pour la volaille, déjà visible au cours des phases précédentes (Duval 2019 : 19-22), et le développement de cette ressource carnée en Europe médiévale (Yalden et Albarella 2009), justifient la forte proportion des espèces de la basse-cour au fond des latrines ; d'abord les poulets, puis les canards et enfin les oies. Leur forte représentation pourrait aussi tenir de ce que la volaille, au même titre que les poissons, tout aussi nombreux sur le site, est plus largement tolérée que les autres viandes dans l'alimentation monastique (Boulc'h 1997). Il n'est aucun indice qui puisse permettre de connaître le mode d'approvisionnement du site en volaille et en viande de bœuf, de porc ou de mouton. On peut seulement supposer, comme aux périodes précédentes, les bêtes étaient élevées sur place, hormis le bœuf. Pour le gibier consommé, il en va autrement. Il prend la forme de petites proies, victimes avant tout de la chasse au vol ou au filet : lièvres et lapins en grande quantité, bécasses, turdidés, perdrix et canards. La rareté du gibier de grande taille, qui réclame des techniques de chasse plus violentes, pourrait marquer la mise en place d'un interdit au sein du monastère. La chasse est en effet une pratique particulièrement proscrite au sein des communautés religieuses (Boulc'h 1997). Quelques espèces, dont les squelettes ont été découverts dans les latrines, témoignent donc de pratiques cynégétiques alternatives. On trouve en premier lieu un furet qui servait à la traque du lapin dans les garennes. La présence d'un épervier renvoie pour sa part à la capture des passereaux. L'hypothèse d'une chasse adaptée aux sensibilités religieuses se trouve encore renforcée par l'utilisation privilégiée de l'épervier par les prêtres et les clercs au Moyen Âge (Serjeantson 2009). La présence en grand nombre des canards domestiques et sauvages montre en outre le goût prononcé pour cette chair. Cette inclination alimentaire est d'autant plus notable que le canard tourangeau est minoritaire parmi la volaille et le gibier à cette période (Cotté 2008 : 403-407). Mais des comparaisons avec les zones alentour du site de Marmoutier, et avec d’autres échantillons osseux pour les périodes précédentes et suivantes seront nécessaires à la juste définition de cette tendance. Il faut aussi proposer, même si les canards de formats marginaux ont été considérés comme sauvages, et compte tenu de leur récurrence, qu'il puisse s'agir de différents morphotypes domestiques. Mais une étude ostéométrique plus poussée et des analyses biogéochimiques seront nécessaires au développement de cette problématique particulière. Pour souligner plus encore le caractère exceptionnel des dépôts étudiés, il convient de mentionner enfin la présence de différents éléments : le squelette d’une bondrée apivore, qui constituait probablement un trophée vivant puisqu'inutile pour la chasse ; un chiot de quelques mois, mort prématurément ou considéré indésirable ; et cinq chats dont certains portent des marques de prélèvement de la fourrure, unique témoignage d'une activité artisanale dans les latrines. L’exploitation de la peau du chat n'est pas rare au Moyen Âge, comme le montre notamment l'exemple d'une fosse dépotoir contemporaine des latrines de Marmoutier, à Meaux (Lepetz 1992). Il faut noter pour finir que l'absence des équidés, comme leur rareté au cours des périodes antérieures sur le site, semble marquer un fort tabou alimentaire religieux (Arbogast et al. 2002 ; Bourgeois et Dierkens 2017).

Pour ce qui est des poissons, les observations réalisées à Marmoutier donnent l'image d'un approvisionnement diversifié : de proximité, avec les poissons de rivières et d'étangs, et plus lointain, avec les poissons marins. Une activité piscicole est envisageable pour expliquer la présence de la carpe, avec notamment un individu d'une quarantaine de centimètres. En effet, son introduction et son élevage sont attestés en France à partir du 13e siècle dans la documentation écrite, et elle est présente dans de nombreux bassins-versants à partir du 14e siècle (Clavel 2001 ; Benarrous 2003 ; Benarrous et Marinval 2003). Son introduction est liée à l'essor de la pisciculture en étang, de façon à répondre à une demande croissante en poisson. La grande variété des espèces, petites ou grandes, est à souligner, même si l'on n'atteint pas ici les quinze espèces marines retrouvées plus tard, aux 15e et 16e siècles, au Louvre, à Paris, (Desse et Desse-Berset 1992), sur les tables du duc de Bretagne (Casset 2018), ou au château du Guildo (Beuchet et Clavel 2014). Le hareng, quant à lui, occupe ici une place peu importante, tant en nombre de restes qu'en nombre d'individus. Pourtant, le commerce du hareng, sous diverses formes, est très florissant après le 12e siècle (Clavel 1997, 2001). Les harengs retrouvés à Marmoutier sont probablement des poissons séchés, même s'il est difficile de le prouver. La morue, espèce commune, est également absente. On trouve en revanche un autre gadiforme : le merlu. Il est représenté par deux vertèbres de sujets de grande taille, et complète la liste des poissons marins qui ont pu être préparés sous forme de conserve ou séchés, à l'image des poissons plats, comme le carrelet et la raie bouclée. La diversité des espèces rencontrées à Marmoutier renvoie à des techniques de pêche qui peuvent être variées, bien que l'utilisation d'équipements tels que des pièges ou filets soit la plus probable pour expliquer la plupart des tailles observées. Certaines captures sont saisonnières, comme celles de l’alose ou du saumon. La présence de ce dernier constitue probablement une marque de distinction sociale du fait de son appropriation par les élites (Clavel 2001 ; Ervynck et al. 2003). Il a probablement été apporté sur le site sous forme de darnes. D'autres espèces ont quant à elles été nécessairement importées : le hareng, le carrelet, le merlu et le maquereau. La présence de ces espèces strictement marines témoigne de l'approvisionnement du monastère en produits d'origine lointaine, ce qui reflète une certaine forme d'aisance.

Face à une telle diversité de dépôts, il est délicat d'estimer l'importance des différentes activités, cynégétiques, alimentaires, artisanales, bouchères et ludiques, qui s'expriment à travers les restes fauniques découverts. Néanmoins, et comme attendu dans cette zone du monastère réservée aux hôtes, les indices osseux témoignent tout à la fois d'influences religieuses, de règles propres au monastère, de pratiques de prestige et de diverses industries liées à l'animal. Cet entremêlât d'activités et de statuts semble donc traduire la nature bigarrée des usagers et personnels de l'hôtellerie, tout en soulignant cependant la position sociale élevée des consommateurs et des invités. Il pose aussi la question des possibilités d'accès à ce dépotoir improvisé, tant certains dépôts ont dû être encombrants et de manipulations malaisées, et tant leurs origines et leurs caractéristiques sont diverses.

L'analyse conduite laisse apparaître que les latrines, au-delà de leur destination première, ont servi de dépotoir, pour le rejet de bêtes complètes et sub-complètes. La lecture des pratiques de consommation est ici troublée par la présence de ces dépôts occasionnels. Les restes osseux témoignent en revanche de pratiques bouchères, artisanales, alimentaires, de pêche, de chasse et de commerce plus anecdotiques, mais révélatrices du statut et des mœurs des occupants de l'hôtellerie.

10.5 Les objets du quotidien

James Motteau et Émeline Marot

Le petit mobilier découvert lors de la fouille de l'ancienne hôtellerie est réparti inégalement dans les différentes phases d'occupation de l'édifice, l'épaisseur de la stratification correspondante variant beaucoup (Fig. 10-31). Les phases les plus anciennes comportent peu de couches d'occupation, mais les épais remblais déposés au début de la phase 3 ont fourni quelques objets renseignant sur l'occupation de la phase précédente, et la tourelle de latrines constitue un contexte riche en mobilier (phases 3 et 4). Les phases 5 et 6 sont représentées essentiellement par des structures en creux, mais le mobilier recueilli est peu varié et comporte beaucoup de déchets artisanaux. Les phases 7 et 8, en revanche, correspondent à une grande épaisseur de la stratification intérieure fouillée (remblais, couches d'occupation, structures) et concentrent en conséquence une grande partie du mobilier découvert. Les principales catégories d'objets et quelques éléments caractéristiques ou particuliers sont présentés ici.

10.5.1 Les objets de la vie domestique

Les objets de la vie domestique comprennent d'une part les objets personnels (les éléments liés aux vêtements, à la parure, à la toilette) et les objets liés à la vie domestique (outils, ameublement, cuisine, jeu). Les objets correspondant sont peu nombreux et la majorité a été découverte dans des couches de la phase 7.

10.5.1.1 Les vêtements

Les vêtements sont représentés notamment par différents éléments métalliques, plus nombreux pour la phase 7, comme des boucles en matériau cuivreux (Fig. 10-32, 10-33), des ferrets et un bouton à bride. Les objets les plus répandus sont des épingles en métal cuivreux, et particulièrement en laiton à partir de la phase 7.

La tourelle de latrines, aux sédiments gorgés d'eau en partie basse, contenait de nombreux éléments organiques, dont une semelle de chaussure en cuir (17.43183.7, Fig. 10-34).

10.5.1.2 Les éléments de parure

Les accessoires de parure sont peu nombreux quelle que soit la phase d'occupation.

Deux perles en verre découvertes en phase 1 peuvent être des éléments plus anciens redéposés, tandis que deux autres perles, trouvées en phase 3, ne correspondent pas aux matières qui composent habituellement un collier. Elles sont en plomb et pouvaient décorer des statues, comme une perle en cuivre de la phase 7 (17.42616.3).

Deux perles, l’une en os en phase 7, l’autre en bois en phase 9, ne peuvent être considérées comme des objets de luxe, mais peuvent correspondre à l’espaceur en os de la phase 7 et seraient alors rattachés à des chapelets.

Deux épingles à cheveux décorées en os ont été découvertes pour la phase 7 (17.43177.2, 17.43195.16, Fig. 10-35). Elles sont associées à une autre sans décor, à la fonction probablement différente, épingle de vêtement, aiguille ou poinçon (17.41937.8).

L'origine d'un certain nombre d'éléments de parure métalliques est difficile à identifier avec précision : il peut s'agir d’appliques de vêtements, de meubles, ou encore d'éléments liés au harnachement de chevaux (cf. infra).

10.5.1.3 La toilette

La catégorie de la toilette ne comprend qu'un seul objet : un cure-oreille en cuivre au manche torsadé, provenant d'une couche de la phase 7 (17e-18e siècles, objet 17.42639.4, Fig. 10-36).

10.5.1.4 Les jeux

Les éléments de jeu comprennent une bille en terre cuite (phase 7) et deux dés à jouer, l’un en ivoire découvert dans la tourelle de latrines (17.43183.2, phase 3), l’autre en os (phase 9).

Pour compléter en ce qui concerne le jeu, deux blocs gravés de marelles ont été découverts lors des fouilles de la zone 4 : le premier marquait l'emplacement de la sépulture S.52  (Fig. 2-55), tandis que le second a été découvert dans les couches d'abandon de la tourelle de latrines, datant du début du 14e siècle (17.43183.9, Fig. 10-37). Les deux blocs sont brisés et présentent des différences dans les tracés. Le bloc des latrines semble plus travaillé, avec une sculpture en creux et relief des lignes du jeu, tandis que le bloc de S.53  est simplement gravé de lignes peu profondes.

10.5.1.5 Autres objets personnels

Les pipes font leur apparition pendant la phase 7 et sont représentées par sept fragments de tuyaux en terre cuite blanche (17.41937.7, 17.42095.7 par exemple).

Un fragment de verre circulaire de 3,5 cm de diamètre a été interprété comme un verre de besicles, appartenant à la phase 7 (17.42535.18).

10.5.1.6 Les activités domestiques

D’autres objets sont plus spécialement destinés à la vie domestique. Les couteaux dont il ne reste souvent que la lame sont répandus sur le site, à l’exception des phases 5, 6 et 8. Deux canifs les accompagnent en phase 7. Un dé à coudre en laiton, trouvé en phase 7, intègre la rubrique de cet inventaire (17.42546.3).

La consommation de vin ou d'autres liquides est attestée par deux fragments de cannelles de tonneaux en laiton découverts dans des couches de la phase 7, correspondant au 18e siècle (Fig. 10-38). Il s'agit d'une clé de robinet en forme de fleur de lys (17.42536.1) et de l'extrémité d'un goulot (17.30359.8) appartenant à des robinets de forme identique, si l'on compare aux exemplaires complets découverts dans les fouilles rue des Ponts-Chartrains à Blois (https://www.inrap.fr/faubourg-de-vienne-blois-decouverte-d-un-site-medieval-et-d-un-logis-renaissance-12323) ou au château de Caen, où l'objet est daté du 16e siècle (Guillot (dir.) 2015 : 178). Des robinets de ce type, provenant de Basse-Saxe et datés du 15e siècle, ont été découverts lors de fouilles à Château-Thierry, et un robinet de même facture conservé au Metropolitan museum de New York est installé sur un aquamanile (Blary 2018 : 62). Les objets découverts à Marmoutier sont donc mal datés en dehors de leur contexte, ces formes ayant été observées sur une longue période.

10.5.1.7 L'ameublement

La catégorie ameublement comporte un certain nombre d'éléments de fermeture ou de décoration pour lesquels la nature ou les dimensions indiquent qu'il s'agit de meubles ou de petits objets domestiques (appliques, charnières, clou de mobilier, ferrures, éléments de tabletterie).

Deux plaques trapézoïdales en alliage cuivreux ont ainsi été découvertes dans des contextes différents (phases 5 et 8, Fig. 10-39), mais leur forme très proche semble indiquer une origine commune et une date possible de la fin du Moyen Âge.

10.5.1.8 Des statues en terre cuite

Plusieurs fragments de terre cuite ocre ont été découverts lors de la fouille en zone 4 : certains ont été découverts dans les couches les plus récentes résultant de la destruction du bâtiment au 19e siècle (17.40878.20, Fig. 10-40), un autre dans un contexte mieux daté, appartenant à la phase 7, à la fin du 17e siècle (17.40940.6, Fig. 10-41). Ces éléments se rapportent visiblement au même objet ou à des objets similaires réalisés dans une pâte claire sans inclusions. Ils sont d'épaisseurs très variables, mais présentent tous une face irrégulière portant des traces de modelage grossier et une face lissée ou avec des traces de peigne, formant des courbes ou des surfaces planes, portant encore des traces de peinture noire et rouge. Ces fragments appartiennent probablement à des statues de terre cuite, montrant des plis de vêtements ou des éléments de socles, mais la taille réduite des fragments rend difficile toute identification des sujets représentés.

La fabrication de statues religieuses en terre cuite est attestée dans la région du Maine aux 16e et 17e siècles, constituant un des foyers principaux de production. On peut en voir des exemplaires à Tours dans l’église Notre-Dame la Riche. Les fragments découverts à Marmoutier rappellent fortement la technique employée : les sculptures étaient modelées, l'arrière des figures, invisible, étant laissé brut ou présentant des traces de peigne (http://www.sculpturesdumaine.culture.fr/fr/accueil.htm). Si l'identification n'est pas assurée, il reste probable que le monastère de Marmoutier ait possédé des sculptures de terre cuite provenant du Maine. Ces statues étaient-elles uniquement destinées aux édifices religieux ou bien la maison du Prieur pouvait-elle en être pourvue ? Il est difficile de déterminer si une partie de l'édifice servait d'oratoire, mais cette hypothèse pourrait expliquer la présence de ces fragments.

10.5.2 Les objets liés au travail

Les objets liés au travail comprennent les outils divers, l'armement et le harnachement des chevaux, dont de nombreux éléments ont été découverts dans les couches de la période moderne.

10.5.2.1 Les outils

Les outils découverts comprennent, outre les couteaux classés dans les objets domestiques, deux gouges, deux pierres à aiguiser et une serpette, ainsi qu'un compas en bronze, à pointes sèches, provenant de la phase 7 (17.42639.5, Fig. 10-42). Il a pu servir à un tailleur de pierre comme à d'autres corps de métier.

10.5.2.2 Les objets professionnels

Une plaque, circulaire à l’origine, rognée avec trois pattes verticales percées de trous de la taille d’un fil, pourrait correspondre à un plateau de balance (17.41949.9, phase 7, Fig. 10-43).

Une matrice de sceau et un fragment de bulle en plomb ont également été intégrés dans cette catégorie (17.41410.2, phase 6, Fig. 10-44).

Les jetons, petits disques en ardoise, apparaissent à partir de la phase 3, où plusieurs exemplaires ont été trouvés, notamment dans la tourelle des latrines (Fig. 10-45). Ils mesurent de 2,5 à 4 cm de diamètre pour la plupart et l'un d'eux comporte deux trous (17.42617.5).

Deux autres disques plus grands (Fig. 10-45) ont de plus été retrouvés dans la tourelle de latrines médiévale (8 cm de diamètre ; phase 3).

Leur fonction est variable selon les auteurs : pièces comptables ou pions pour les jeux de tables. Le contexte de découverte de ces éléments dans l'ancienne hôtellerie ne permet pas de préciser leur fonction.

10.5.2.3 L'armement

L'armement n'est représenté que par quelques objets : une noix d'arbalète, une balle de mousquet et un objet conique métallique comportant des barbelures qui pourrait être une masse d'armes (17.41446.2).

10.5.2.4 Les animaux et le harnachement

Quelques objets en relation avec les animaux de bât et de selle sont présents de façon erratique dans différentes phases de l’hôtellerie : fers à âne ou mulet en phases 2 et 3, fers à cheval en phases 3 et 6 (Fig. 10-48) et boucles en fer interprétées comme boucles de harnais attribuées à différentes phases.

Ces artefacts se trouvent concentrés en phase 7 et regroupent plusieurs catégories d’accessoires de sorte qu’une fonction d'écuries s’accorde parfaitement à cet espace (cf. 6.5).

Le plus grand nombre de pièces associées à cette fonction est constitué de boucles simples en fer (dix-huit exemplaires, Fig. 10-46) et de trois boucles doubles en fer et en dérivé cuivreux (Fig. 10-47). Des boucles allongées, ovales, ont pu constituer des fragments de mors.

Le harnachement est égayé par deux phalères en alliage cuivreux (phase 7, Fig. 10-49) et un grelot en laiton issu du mobilier de la phase 3, qui peut toutefois être également rattaché à un accessoire de vêtement.

En ce qui concerne les outils liés au soin de chevaux, les fragments de deux étrilles de forme similaire ont été découverts dans des couches de la phase 7 (Fig. 6-43, 10-50). La photographie de l'objet 17.40912.2 en contexte de découverte montre la forme de l'étrille : un plateau rectangulaire de 30 cm sur 12 environ, fixée à un manche sur un côté et qui comporte plusieurs lames longitudinales dentelées, servant à brosser les chevaux. Les lames de 17.40936.4, mieux conservées, montrent le système de fixation sur la plaque.

Un autre objet peut être évoqué dans cette catégorie, mais son origine et sa datation sont difficiles à déterminer, puisqu'il a été découvert dans les couches supérieures au moment de l'ouverture du secteur 12. Il s'agit d'une chaînette aux maillons en bronze repliés en 8 liée à un fermoir (objet 17.41950.5). Elle présente un aspect grossier qui n’incite pas à la placer en catégorie « parure » (17.41950.5). Elle pourrait être associée au harnachement des chevaux, mais ceci reste à l’état d’hypothèse.

10.5.3 Les objets liés à la construction et les systèmes de fermeture

Un certain nombre d'objets découverts en fouille correspondent à des éléments liés aux chantiers de construction, qu'ils soient associés à la maçonnerie (pitons, anneaux à sceller), à la charpenterie (clous), ou aux ouvertures (verre à vitre, gonds). Ces éléments sont présentés dans le chapitre correspondant à la construction (cf. 9).

La présentation des objets liés aux systèmes de fermeture peut toutefois être réalisée ici, en complément du paragraphe évoquant les traces d'huisseries préservées en place sur les maçonneries ou sur les éléments lapidaires (cf. 9.2.4.1).

De nombreuses clés et différents éléments de verrous et de targette ont été découverts, provenant des phases 1, 3, 4 mais surtout 7 et 8, où des couches de démolition des aménagements intérieurs successifs ont pu être fouillées, correspondant aux 17e et 18e siècles (Fig. 10-51).

La phase 7 a de plus livré un élément qui pourrait appartenir à une serrure : un panneton lié à une tige se terminant par un cube de 1,5 cm de côté (17.42617.6, Fig. 10-51).

10.5.4 Les monnaies

Les monnaies recueillies lors de la fouille de l'hôtellerie appartiennent majoritairement au 17e siècle (87 monnaies sur 108, Fig. 10-52). Ce déséquilibre est en partie dû aux nombreux décaissements des sols intérieurs au cours de l'occupation des bâtiments, qui ont détruit la plupart des niveaux d'occupation médiévaux, et donc du mobilier associé.

Les monnaies antérieures au 17e siècle ont été découvertes pour la plupart dans des couches plus récentes (du 13e au 19e siècle), mais quelques-unes semblent être en contexte (AJ42734.1, AJ42881.1, AJ42887.3).

La découverte de monnaies en plus grand nombre a été faite dans des couches d’occupation et des couches de remblais de démolition, datés de la seconde moitié du 17e siècle et de la première moitié du 18e siècle. Le grand nombre de monnaies découvertes dans certaines couches (comme 42535) amène à s’interroger sur la nature de ces dépôts. Le regroupement des monnaies en cuivre, double tournois, liards, correspond probablement à des monnaies démonétisées. Ceci n’est pas sans rappeler la concentration de pièces identiques ou similaires trouvées dans le dépotoir F354 de la zone 3 du site du Château de Tours (site 3), accompagnées de creusets. Cet agglomérat a été interprété comme du métal destiné à la refonte (Galinié, Husi et Motteau 2014 : 149). C’est vraisemblablement une conclusion identique qui prévaut pour ces dépôts de monnaies datant du 17e siècle à Marmoutier.

CHAPITRE 11. L'ARTISANAT

Chapitre 11. L'artisanat

Émeline Marot et Solène Lacroix

L'artisanat dans et aux abords de l'ancienne hôtellerie est essentiellement attesté par la métallurgie, que ce soit du bronze ou du fer, avec la découverte de structures de production à l'intérieur même de l'édifice. Ces traces de métallurgie ont été identifiées pour différentes périodes, impliquant une fabrication d'objets sur place, pour répondre à des besoins spécifiques.

Les traces les plus anciennes datent du 12e siècle, avec des déchets d’alliages cuivreux (déchets, scories, coulées) et des couches charbonneuses témoignant d’une activité métallurgique à proximité, mais aucune structure de production n’a été identifiée pour cette période.

Les principaux éléments datent des 15e et 16e siècles (phase 6), lorsque le rez-de-chaussée du bâtiment (qui n’a peut-être plus la fonction d’hôtellerie à cette date) est utilisé ponctuellement pour des fonctions artisanales, en plusieurs étapes.

Un four de bronzier (Fig. 5-3) et deux moules à cloche peuvent être associés au même atelier, dont on ne connaît que ces structures enterrées, les sols ayant été détruits lors de la phase suivante. Le four a servi à fabriquer de petits objets de cuivre moulé, et il est difficile de vérifier s’il était lié au moule à cloche situé plus à l’est. Le second moule n’a jamais servi. Cette activité éphémère, à la fin du 15e siècle, indique un besoin ponctuel, et la fabrication des cloches et des objets a pu être confiée à des artisans qualifiés itinérants.

La métallurgie du fer est attestée à différentes périodes par les nombreux déchets de production (Fig. 11-7 et 11-4) qui témoignent de techniques de forge différentes. Plusieurs structures de production ont été repérées, notamment pour la fin de la phase 6, où une forge occupait l’extrémité orientale du rez-de-chaussée du bâtiment. Elle comprenait plusieurs foyers de forge et d’épais dépôts charbonneux, tandis que l’emplacement des enclumes est attesté par les nombreuses inclusions de fer dans les murs environnants (Fig. 5-52).

D’autres activités ponctuelles ont également laissé des traces, comme la refonte du verre ou le travail du plomb.

L'environnement immédiat du bâtiment, qui n'a été que très partiellement fouillé, pourrait livrer d'autres traces d'artisanat, comme des ateliers métallurgiques indirectement attestés par le mobilier pour les 12e-13e siècles ou les 17e-18e siècles.

L'artisanat dans et aux abords de l'ancienne hôtellerie est essentiellement attesté par la métallurgie, que ce soit du bronze ou du fer, notamment avec la découverte de structures de production à l'intérieur même de l'édifice.

11.1 La métallurgie du cuivre et du bronze

Des traces de métallurgie du cuivre ou du bronze ont été découvertes dans les fouilles de l'ancienne hôtellerie à différentes périodes, impliquant une fabrication d'objets sur place, pour répondre à des besoins spécifiques.

11.1.1 Les traces de métallurgie du 12e siècle (phases 2 et 3)

Quelques déchets d'alliage cuivreux ont ainsi été identifiés dans des couches du 12e siècle en zone 4, notamment dans l'emprise de la zone funéraire. Les sépultures 73 et 82 contenaient dans leur comblement des déchets de bronze et des rognures de cuivre. Il faut peut-être les associer aux couches très charbonneuses fouillées en zone 3 sur une surface réduite contenant des déchets de bronze, qui indiquent clairement une activité artisanale métallurgique à proximité (phase 2, cf. 1.2.5.2, Fig. 1-65). De plus, les remblais de construction du bâtiment 2 et les couches immédiatement postérieures (phase 3) contenaient également de nombreuses traces d'une activité artisanale liée au bronze ou au cuivre (déchets, scories, coulées). Ces éléments sont probablement redéposés et résulteraient des activités artisanales de la phase 2. Un fragment de moule à cloche en argile découvert dans les mêmes remblais indique que l'on peut associer au moins une partie de ces déchets à la fabrication d'une cloche avant la construction du bâtiment 2.

Les déchets découverts ponctuellement lors des deux phases suivantes résultent probablement de perturbation de ces couches plus anciennes, mais une nouvelle activité métallurgique du bronze est attestée pour la phase 6.

11.1.2 Le four de bronzier et les moules à cloches (phase 6)

L'occupation de la phase 6 a révélé la présence de trois structures artisanales liées à la métallurgie du bronze à l'intérieur même de l'édifice, dans sa partie orientale. Un four et deux moules à cloches ont été tous trois creusés dans les sols du rez-de-chaussée à la fin du 15e siècle, d'après les tessons de céramique associés, soit au début de la phase 6 (cf. 5.1, Fig. 5-13). L'analyse de cette activité métallurgique repose essentiellement sur les éléments contenus dans les structures elles-mêmes, les sols associés ayant largement été détruits lors de la phase suivante, de même que tous les aménagements associés aux structures artisanales en surface.

La technique de construction des deux moules à cloches diffère légèrement : le fait 1270  présentait un moule d'argile reposant directement au fond de la fosse (Fig. 5-9, 5-10, 5-11, 5-12), tandis que le fait 1143 comportait une sole maçonnée servant de support au moule d'argile (cf. 5.1.1, Fig. 5-14, 5-15, 5-16, 5-17). Ce dernier ne semble pas avoir été utilisé, puisqu'il ne porte pas de traces de rubéfaction, mais son comblement comportait en revanche des fragments de moule en argile et de déchets de bronze correspondant à la coulée d'une cloche (Fig. 5-18), qui indiquent que les deux structures étaient probablement contemporaines et qu'elles ont été comblées avec des matériaux similaires.

La fonction du four F.1181  reste incertaine : sa position et son altitude semblent indiquer qu'il était indépendant du moule à cloche F.1270 , mais il est difficile de s'en assurer : la partie supérieure de toutes les structures ayant été arasée, il n'est pas possible de déterminer s'il existait un autre four en surface (cf. 5.1.1Fig. 5-3, 5-4, 5-5, 5-6, 5-7, 5-8).

Le mobilier provenant des structures et des couches associées comprend des éléments de terre cuite résultant de la destruction du four et des moules (blocs d'argile avec négatifs de tuyères, fragment de sole, paroi de moule), ainsi qu'une grande quantité de déchets de bronze issus de la production (Fig. 5-18). De nombreuses couches déposées lors de la phase suivante contenaient elles aussi des déchets de bronze ou de cuivre probablement produits lors de la phase 6, et qui sont redéposés à la suite des décaissements du sol intérieur du bâtiment.

Une partie de ce mobilier permet de supposer que le four a servi à la production de petits objets de cuivre moulés. Certains fragments de bronze sont probablement destinés à la refonte (petits objets cassés, lamelles, fragments découpés), mais d'autres résultent de la production du four. Il s'agit de rognures, d'éléments de jonction d'artefacts moulés retaillés après une coulée (17.41395.3, 17.41407.4) et d'un clou de cuivre brut de coulée (17.41445.3).

L'atelier métallurgique mis en place au rez-de-chaussée du bâtiment à la fin du 15e siècle a donc produit au moins une cloche, fondue dans la fosse F.1270 , mais le fait 1143  témoigne d'un essai abandonné pour la fonte d'une autre cloche. Le four construit entre les deux a servi au moins pour la production de petits objets moulés, mais son lien avec les moules à cloches ne peut être assuré.

Ces aménagements indiquent la présence d'artisans qualifiés probablement itinérants, que l'on a fait venir à Marmoutier dans un but bien précis, la fonte de cloches, à la fin du 15e siècle. La production des petits objets semble elle aussi ponctuelle, puisqu'aucune structure pérenne de production n'a été identifiée dans la fouille.

11.2 La métallurgie du fer : une activité de forge récurrente à Marmoutier du Moyen Âge à la période Moderne

Solène Lacroix

Au cours des diverses campagnes de fouille réalisées à Marmoutier, un grand nombre de déchets de production du fer ont été mis au jour. Une étude macroscopique a été réalisée afin d’appréhender les caractéristiques fonctionnelles et temporelles de cet artisanat. Pour cela, les vestiges ont été triés, pesés, décrits, leurs dimensions ont été relevées ainsi que leur résistivité à l’aimant (Fig. 11-1).

La chaîne opératoire du fer comprend différentes phases. Tout d’abord, le minerai est extrait avant de subir plusieurs traitements, tels que le concassage, le grillage et le lavage, menant à son enrichissement. Puis, il est chauffé dans des fours de réduction afin de récupérer une masse de métal relativement pure. La dernière étape est le forgeage. Il s'agit de la mise en forme du métal par déformation plastique à chaud et/ou à froid. Le forgeron alterne alors phases de chauffe et de frappe pour amener la masse de fer à la forme désirée ou pour réparer, entretenir ou affûter les objets (Mangin 2004 : 85).

11.2.1 Une production de faible ampleur liée aux activités du quotidien

La présence d’une activité métallurgique sur le site de Marmoutier fait suite à une tradition ancienne. En effet, cet artisanat était déjà présent dans la zone 4 entre le 5e et le début du 6e siècle (Lacroix 2017). L’examen de ces déchets de production du fer vient alors compléter notre connaissance de cette activité pratiquée entre les 10e et 18e siècles.

Les scories peuvent être divisées en trois grands types caractéristiques d’une activité de forge. D’après la typologie établie par Vincent Serneels (Serneels 1993 : 173-174), le premier type est composé des culots de forge (ou scorie en calotte) résultant de l’accumulation et de la fusion, à haute température, de la croûte d’oxyde de fer qui se forme en surface du métal, de matières argilo-sableuses que le forgeron ajoute lors du forgeage, des écailles de fer métalliques détachées de la pièce au cours de la chauffe et des morceaux de parois du foyer qui s’effritent sous l’impact thermique (Le Carlier, Leroy et Merluzzo 2007 : 3).

La composition de ces culots de forge nous permet de les séparer en deux catégories (Serneels 1993 : 173-174) :

  • Les scories grises denses (SGD), très argileuses et assez fragmentées, dont le fond moule le ou les matériaux sur lesquels elles se figent (charbon de bois, fond de foyer). Elles peuvent être très vitrifiées si elles se trouvaient à proximité de la soufflerie dans le foyer lors de leur création).

  • Les scories riches en oxyde de fer qui ont un aspect externe terreux ou rouillé assez rugueux. La plupart sont informes, mais certaines ont une morphologie en calotte. Elles contiennent fréquemment des morceaux de charbons de bois).

  • Le deuxième type concerne des fragments de parois scorifiés, éléments de placage argileux scorifiés sur une face et cuits sur l’autre. Le dernier type comprend des scories argilo-sableuses, pièces très légères composées en grande partie de matériaux plus ou moins fondus (Serneels 1993 : 173-174).

    Ce sont 10 kg de scories, datées entre le 10e et le 18e siècle, qui ont été mises au jour dans la zone 4, correspondant à au moins treize activités de forge (NMF) (Fig. 11-2). Ces vestiges traduisent une activité métallurgique de faible ampleur réalisée de façon ponctuelle durant huit siècles.

    Au regard des poids de ces NMF, toutes périodes confondues, on observe que le travail de forge n’affiche pas une grande homogénéité. En effet, ils varient entre 0,126 kg au minimum et 0,802 kg au maximum (Fig. 11-2). Cette variation résulte à l’évidence de la longue période concernée.

    La taille de l’objet créé a également un rôle non négligeable dans le poids du culot obtenu à la fin du forgeage. En effet, le poids de ces culots de forge entiers peut nous renseigner sur la taille des pièces forgées. Dès lors, Vincent Serneels propose d’admettre qu’entre 0,100 kg et 0,600 kg, il s’agit de petites pièces et qu’au-delà elles peuvent être qualifiées de grandes pièces (Serneels 1993 : 173-174). Toutefois, il n’indique pas la taille relative ayant pu être obtenue. On peut donc constater que l’activité de forge ayant eu lieu sur ce site semble uniquement avoir concerné la création de petits objets et/ou leur réparation et leur entretien.

    11.2.2 Un artisanat récurrent au cours des siècles

    En ce qui concerne la répartition chronologique de la production du fer, on constate que seul 0,7 kg de scories, dont 1 NMF, est daté d’avant le 10e siècle (Fig. 11-1, 11-3).

    Puis, entre les 10e et 11e siècles, 0,6 kg de scories a été mis au jour, dont 1 NMF. Il s’agit majoritairement de scories ferreuses présentes dans une couche de remblais charbonneux dans laquelle des battitures ont également été observées (US 41061). Pour le 12e siècle, 1 kg de scories a été collecté, dont 3 NMF. On y trouve autant de scories ferreuses que de scories grises denses.

    D’après les vestiges retrouvés, il apparaît que la plus importante phase artisanale a eu lieu entre la fin du 12e siècle et la fin du 13e siècle alors que 4,6 kg de scories, dont 6 NMF allant de 0,228 à 0,802 kg, a été mis au jour. On y retrouve des scories grises denses plus ou moins vitrifiées et des scories ferreuses. Ces déchets de production ont principalement été retrouvés dans les couches de remblais de construction 41054, 41788, 41835 et 41886. Cette croissance soudaine est probablement liée aux nombreuses constructions qui ont eu lieu sur le site à cette époque, à commencer par la construction de la grande hôtellerie elle-même et celle de l’église abbatiale gothique. En effet, le fer étant un élément essentiel sur les chantiers de construction, la présence d’une forge était indispensable.

    Aux 13e - 14e siècles, l’activité métallurgique redevient plus ténue avec environ 1 kg de scories mis au jour, dont 1 NMF (0,368 kg). À la période suivante, entre les 14e et 15e siècles, on retrouve le même genre de production avec 0,875 kg de scories, dont 1 NMF. Ces déchets ont uniquement été mis au jour dans la couche de remblais 40076, recouvrant les tombes les plus récentes du cimetière. En outre, ils présentent tous le même faciès. Ce sont des scories grises denses composées d’inclusions de calcaire et de charbon de bois. Par la suite, entre les 15e et 16e siècles, on trouve de moins en moins de vestiges métallurgiques puisque seul 0,148 kg de scories légères a été observé. La production métallurgique connaît cependant un certain regain entre le 17e et le début du 18e siècle alors que 2,4 kg de scories, dont 2 NMF, ont été collectés. Elles comprennent deux types de scories, celles résultant de l’accumulation de matière en cordon, très rugueuses, et des scories grises denses plus ou moins vitrifiées. Finalement, on peut mentionner les 1,234 kg de scories qui ont été mises au jour dans les niveaux datés entre le 18e et le 20e siècle.

    11.2.3 Technique de forge

    L’ensemble des scories mises au jour montre trois faciès différents. Le premier comprend des scories argilo-sableuses, de couleur noire à grise, appelées Scories Grises Denses. Leur surface est souvent vitrifiée, voire très vitrifiée, et présente une matrice à la densité importante (Fig. 11-4) (Serneels 1993 : 174). Le deuxième est composé de scories très riches en oxyde de fer ayant un aspect externe terreux ou rouillé assez rugueux (Fig. 11-5) (Serneels 1993 : 174), et le dernier présente une accumulation hétérogène de matière en cordon très oxydée. Ces différents faciès résultent principalement des conditions physiques au sein desquelles s’est produite la fusion de diverses matières provenant des parois du foyer et des ajouts réalisés par les artisans au cours du forgeage.

    L’ensemble de ces déchets de production présente des inclusions d’éléments calcaires sous forme de petits cailloux, de fragments de taille réduite ou encore d’une croûte blanchâtre. Or, au cours du forgeage, l’artisan peut utiliser des ajouts, tels que du calcaire, sur la masse de métal à travailler afin de la protéger de l’oxydation à chaud (Le Carlier, Leroy et Merluzzo 2007 : 3). Des fragments de charbon de bois sont également visibles au sein d’un certain nombre de scories. Ces derniers peuvent atteindre 1,5 cm de long pour 1,3 cm de large (Fig. 11-6). Ils témoignent de l’utilisation de charbon de bois en tant que combustible. Il est possible que le foyer n’ait pas toujours été bien maîtrisé puisqu’un certain nombre de scories présente d’importantes traces de chauffe.

    Malgré l’apparente hétérogénéité des NMF, on constate toutefois qu’entre la fin du 12e et le 13e siècle, l’épaisseur de ces culots varie très peu, soit entre 4,4 et 5,6 cm, et qu’elle augmente lorsque les foyers sont de tailles plus réduites. Cela signale l’utilisation de techniques similaires au cours de cette période. Il en va de même pour la production ayant eu lieu aux 17e-18e siècles car les deux NMF présentent des épaisseurs de 2,3 cm chacun.

    Finalement, une scorie de l’US 41936, datée entre le 17e et le début du 18e siècle, présente des traces d’alliage cuivreux sur sa partie inférieure (Fig. 11-7). Il est possible que ce métal, qui a une température de fusion plus basse que celle du fer, provienne du recyclage d’un objet constitué de ces deux métaux. Une autre possibilité serait que le foyer de forge a d’abord été utilisé pour fondre un élément en alliage cuivreux avant d’être réutilisé pour travailler le fer. Quoi qu’il en soit, la présence de ces deux métaux dans un même foyer est un phénomène unique sur ce site.

    11.2.4 Structures de production

    Seul l’atelier de production du fer daté du 16e siècle a laissé des traces archéologiques (cf. 5.7, Fig. 5-49). Ce dernier se traduit par la présence de deux foyers (F.1243  et F.1244 , Fig. 5-52) situés dans la partie est de l’hôtellerie. Ils se trouvent à proximité de la porte 1255  utilisée de façon contemporaine de l’activité métallurgique. En outre, le foyer F.1243  recoupe F.1244  : ils n’ont donc pas fonctionné en même temps.

    Ils sont tous les deux creusés dans le sol et de forme arrondie, d’une trentaine de centimètres de diamètre au niveau de l’espace de circulation de la forge et d’une dizaine de centimètres au niveau de la sole. Leurs parois en argile noircies par la cuisson étaient encore visibles lors de la fouille.

    En plus de ces structures artisanales en place, on peut observer contre la face interne du mur est de l’hôtellerie (M1014 ), que des scories ont été mises au jour dans un épais niveau charbonneux comprenant également de nombreuses battitures. Ce remblai recouvre le niveau de circulation de l’atelier de forge (Agr. 703, Fig. 5-49, 5-53).

    Sur ce même mur oriental, des inclusions de fer ont été observées entre 1 m et 1,5 m au-dessus du niveau de sol (Fig. 5-51). Ces dernières sont concentrées en trois zones principales, deux au nord et une plus au sud, de l’autre côté du pilier central. Le mur nord comporte lui aussi quelques traces, près de l'angle nord-est et sur la colonne EA 1168 . Ces inclusions témoignent de l’installation à proximité des enclumes utilisées par le ou les forgerons.

    Mis à part cet atelier, aucune autre structure liée à la production du fer n’a été retrouvée au cours de la fouille. Toutefois, certains indices apportent des informations sur l’architecture des foyers de forge utilisés. Ces derniers restent globalement les mêmes au cours du temps. En effet, la forme plano-convexe et circulaire de l’ensemble des culots de forge entiers mis au jour signale la présence de foyers circulaires (Fig. 11-4). L’aspect rugueux de leur face inférieure indique que la sole de ces structures devait se trouver à même le sol et que ces dernières étaient probablement semi-enterrées. En outre, la présence de quelques vestiges de parois en argile montre que les parties hautes des foyers devaient être en partie en argile. On peut également établir que la sole de ces structures mesurait une dizaine de centimètres de diamètre. Finalement, même si on peut en supposer la présence, aucun indice relatif à une soufflerie artificielle ne nous est parvenu.

    Localisation de l’atelier

    L’absence de structure de production pour la plupart des périodes étudiées ne nous permet pas de définir avec précision la localisation des forges qui ont été utilisées au cours du temps. Néanmoins, en admettant que les scories ont été abandonnées sur place ou rejetées à proximité, on peut supposer que cet artisanat s’est toujours développé à proximité de la zone 4 actuelle, à l’instar de l’atelier de forge du 16e siècle mis au jour dans la partie est de l’hôtellerie.

    Après le forgeage

    Le taux de fragmentation de ces vestiges est de 0,06 (ce calcul est réalisé en divisant le NMF par le Nombre de Restes, soit ici 13/191). Cela signifie qu’ils ont probablement été peu dégrossis avant d’être rejetés, quelle que soit la période. En outre, le profil d’oxydation de ces scories montre que les trois quarts d’entre elles ne sont pas oxydées (Fig. 11-8). Ces déchets ont donc été rapidement enfouis après leur création. Les artisans devaient nettoyer la zone de forge après chaque opération métallurgique.

    En conclusion, le site de Marmoutier a connu une activité de production du fer tout au long du Moyen Âge et jusqu’à la période Moderne. Il s’agit d’un artisanat ponctuel dont chaque phase de production semble avoir été de courte durée et ne concernait que quelques actions de forgeage. Toutefois, il nous faut rester prudent car l’ensemble des scories engendrées ne nous sont sûrement pas parvenues. La période de production la plus importante s’est déroulée entre la fin du 12e et la fin du 13e siècle. Il s’agit vraisemblablement d’une activité liée à la construction, très développée sur le site à cette époque. La deuxième phase de production la plus importante a eu lieu entre le 17e et le début du 18e siècle. Quelle que soit la période, cet artisanat semble avoir répondu aux besoins d’une communauté à travers la fabrication de petits objets, tels que des outils, leur entretien et/ ou leur réparation. On peut émettre l’hypothèse selon laquelle ce sont des hommes soumis à l’autorité de la communauté religieuse qui pouvaient réaliser ce travail, lorsqu’il était nécessaire, dans le cadre de leurs obligations. En effet, la production et la consommation d’objets en fer croît à partir de la période carolingienne sur les grands domaines seigneuriaux, les terrains ecclésiastiques, mais aussi dans les communautés rurales afin de répondre aux besoins du quotidien (Leguay 2008 : 119). À cette époque le fer prend de l’importance grâce au développement des outils agricoles et à l’augmentation de son utilisation dans tous les domaines de la vie (Contamine 1993 : 71-72).

    Autres activités artisanales et conclusion

    Les activités artisanales identifiées à l'emplacement de l'ancienne hôtellerie répondent généralement à des besoins spécifiques ponctuels, liés à un chantier de construction par exemple. Ce sont des activités de courte durée, aucun atelier pérenne n'ayant été identifié que ce soit pour la production d'objets en alliage cuivreux ou en fer.

    Quelques éléments découverts dans la fouille indiquent l'existence d'autres activités artisanales sur place, généralement liées à des besoins d'un chantier spécifique.

    La refonte du verre pour le recycler est attestée au moins pour le haut Moyen Âge, avec des scories de verre (17.43223.10) et un bloc fondu avec empreinte d'un creuset (17.43094.1). L'utilisation importante du verre à vitre pour les périodes suivantes (cf. 9.2.4.2) pourrait impliquer l'existence d'activités similaires, sachant que les fragments de verre géométriques découverts dans des niveaux du 18e siècle indiquent que le travail de retaille et de fabrication des vitraux était réalisé sur place (tessons de verre correspondant à des bords de cives ou des déchets de retaille).

    De même, le travail du plomb, qui est lié en partie aux vitrages, est attesté par la présence de rognures de plomb (17.42212.4, 17.42968.3) ou de plaques de plomb découverts à différentes périodes (17.41944.8, 17.42968.2, 17.43199.5). Outre pour la fabrication de plombs à vitre, ce matériau est également utilisé pour réaliser des poids de filets, avec des plaques roulées en cylindres.

    En revanche, la présence de ratés de cuisson pour les tuiles attribuées à la couverture du bâtiment 5 ne paraît pas suffisante pour affirmer que la production a été faite sur place. En effet, certaines tuiles, mêmes déformées, ont bien été utilisées comme l'attestent les traces de mortier qu'elles portent. D'autres fragments ont été utilisés comme cales (cf. 1.2.3.2). On peut en conclure qu'une certaine quantité de tuiles ratées n'était pas un obstacle pour la mise en place d'une couverture complète.

    L'environnement immédiat du bâtiment, qui n'a été que très partiellement fouillé, pourrait livrer d'autres traces d'artisanat, comme des ateliers métallurgiques indirectement attestés par le mobilier pour les 12e-13e siècles ou les 17e-18e siècles.

    CHAPITRE 12. UN CIMETIÈRE DE LAÏCS (11E SIÈCLE - FIN DU 13E SIÈCLE)

    Chapitre 12. Un cimetière de laïcs (11e siècle - fin du 13e siècle)

    Émeline Marot, Gaël Simon, Samuel Bédécarrats et Valentin Miclon

    La fouille d'une partie de l’espace funéraire accolé à l'hôtellerie, côté nord, s'est déroulée de 2006 à 2016 dans un secteur de 17 m2 (Fig. 0-137), où 35 sépultures ont été identifiées, réparties en trois phases du 11e à la fin du 13e siècle (Fig. 12-2).

    Les modes d’inhumation fournissent quelques éléments d’analyse sur les contenants, le marquage des tombes ou le mobilier funéraire. La plupart des sépultures témoignent d’une décomposition en espace vide, mais les contenants correspondant n’ont pas toujours été conservés. Un seul coffrage en pierre a été repéré, tandis que des traces de planches de bois, parfois associées à des clous, indiquent la présence de contenants en bois (coffrages ou cercueils chevillés). Trois tombes appartenant à la troisième phase du cimetière étaient marquées en surface par un bloc de calcaire ou un simple monticule de terre. Quatre sépultures ont livré du mobilier funéraire sous la forme de vases à encens, déposés entiers à la tête ou au-dessus des pieds du défunt (Fig. 2-57).

    Les trois phases du cimetière ont montré la présence de femmes, impliquant qu'il s'agit d'un cimetière ayant accueilli des laïcs, et d'individus portant les traces de pathologies diverses (Fig. 12-15). Elles correspondent notamment à des atteintes traumatiques, des malformations congénitales (Fig. 12-17) ou acquises et ont la particularité d’être, pour certaines, présentes au sein du corpus dans des proportions particulièrement importantes en regard des prévalences connues au sein de populations archéologiques ou dans les populations actuelles.

    La zone fouillée correspondrait à un recrutement spécifique, avec des variations dans le temps, d'individus aux pathologies nombreuses ayant pu bénéficier d'une prise en charge dans le monastère et avec une alimentation pauvre en protéines (Fig. 12-22). Elle témoigne d’une sectorisation du cimetière, mais est-il possible de caractériser l’ensemble de l'espace funéraire (emprise, chronologie ou population inhumée) ? La position des sépultures de la zone 4, à l'entrée du monastère, accessible aux laïcs, limitée au nord par le coteau, près de la voie qui le longe et qui mène vers le lieu de culte situé à l'est (Fig. 12-27), incite à établir un lien étroit entre ces différents éléments.

    12.1 La fouille du cimetière, méthodes et objectifs

    La fouille d'une partie de l’espace funéraire accolé à l'hôtellerie s'est déroulée de 2006 à 2016 dans un secteur de 17 m2, où 35 sépultures ont été identifiées, réparties en trois phases du 11e à la fin du 13e siècle (cf. 1.1.2, 1.2.6, 2.3 ; Fig. 1-13, 1-66, 2-52).

    La taille réduite de la fouille et les nombreux recoupements entre les fosses ont entraîné une connaissance très inégale des sépultures : certaines, bien conservées, ont pu être fouillées en intégralité tandis que d'autres n'ont été que partiellement observées, lorsqu'elles étaient situées en bordure de la fouille ou lorsqu'elles étaient détruites partiellement. Les squelettes des sépultures 54  et 55  n'ont par exemple pas pu être observés. Les informations relatives aux modes d'inhumation, dépendant des observations anthropologiques et archéologiques, n'ont donc pas la même portée dans tous les cas (Fig. 12-1, 12-2).

    La fouille et le démontage des sépultures ont été encadrés par les responsables de secteur, qui ont utilisé les fiches anthropologiques mises au point par Patrice Courtaud (Courtaud 1996). Les ossements ont été étudiés en post-fouille par Christian Theureau puis Valentin Miclon et Samuel Bédécarrats à partir de 2015, qui ont ainsi pu réaliser des observations anthropologiques in situ pour les sépultures 122  et 123 .

    Les relevés des deux premières sépultures ont été réalisés à la main à l'aide d'un cadre à relever, avant l'utilisation systématique de photographies redressées grâce à des relevés faits au tachéomètre pour les squelettes en place ou les réductions, pour les parois de bois ou le coffrage en pierre de S.73 . Des relevés ponctuels des contours et profils de fosses ou d'objets spécifiques complétaient l'enregistrement topographique.

    Une fois détectée la présence de tombes, l'objectif de la fouille fut d’appréhender les relations entre les sépultures et les différents chantiers de construction des bâtiments situés immédiatement au sud, et non de caractériser l'ensemble de la zone funéraire, étant donné la faible surface fouillée.

    Toutefois, la fouille a permis de déterminer que les sépultures observées constituaient vraisemblablement la limite maximale de l’espace funéraire à l'ouest et au sud, puisqu'aucune structure funéraire n'a été observée dans les secteurs voisins 3, 11 et 12. De plus, les caractéristiques des individus inhumés (sexe, âge, pathologies) ont fourni des informations très précieuses pour préciser la nature du recrutement.

    Les trois phases du cimetière ont montré la présence de femmes, impliquant qu'il s'agit d'un cimetière ayant accueilli des laïcs (Fig. 12-3, 12-4), et d'individus portant les traces de pathologies diverses (Fig. 12-5, cf. 12.5).

    L'orientation des sépultures a été définie dans le logiciel Arcgis en prenant en compte les extrémités des fosses d'inhumation lorsque c'était possible, et en écartant les sépultures les moins bien conservées (treize sur trente-cinq inhumations). Ces données ont permis de déterminer trois classes d'orientations (Fig. 12-6, 12-7) et d'établir qu'il existait une orientation dominante mais pas unique pour chacune des phases chronologiques déterminées sur des critères stratigraphiques et chronologiques (cf. 12.2 tableaux des sépultures par phase). De plus, chacune de ces orientations correspond à un bâtiment spécifique construit à proximité de la zone funéraire (Fig. 12-8). Ce lien entre les phases, l'orientation des sépultures et celle des murs constitue un indice fort pour la compréhension spatiale et chronologique de la zone funéraire du 11e à la fin du 13e siècle.

    Des datations radiocarbone ont été réalisées sur plusieurs squelettes de chacune des trois phases de la zone funéraire, soit pour préciser les bornes chronologiques des phases à l'aide de sépultures bien calées dans la stratigraphie, soit pour déterminer la validité des distinctions entre les phases (Fig. 12-9). Douze sépultures ont ainsi été analysées, fournissant dix datations utilisables, tandis que S.73  et S.62  ont fourni des dates problématiques, ne correspondant pas aux données stratigraphiques (Fig. 12-10).

    12.2 Résumé des phases d'utilisation du cimetière

    12.2.1 La première phase d'utilisation du cimetière, contemporaine du bâtiment 6 (11e siècle)

    Les sépultures les plus anciennes identifiées ont été creusées dans des niveaux de terres noires appartenant au haut Moyen Âge, au nord des maçonneries du bâtiment 6, qui semblent avoir constitué une limite à l'emprise du cimetière sur les côtés sud et ouest (cf. 1.1.2, Fig. 1-13, 12-33). Les onze sépultures et les trois réductions identifiées sont réparties en trois ensembles, alternant avec des fosses de fonction indéterminée et des couches de remblais et d'occupation contenant du mobilier redéposé du haut Moyen Âge (Fig. 1-15, 1-16). Si la construction du bâtiment 6 est attribuée aux 10e-11e siècle en l'état des connaissances, les sépultures semblent, elles, dater du 11e siècle, d'après les datations radiocarbones réalisées (Fig. 12-9). Le mobilier de verre et de terre cuite est, lui, presque entièrement constitué de mobilier redéposé.

    L'emprise globale de la zone funéraire est incertaine : elle pouvait s'étendre au maximum jusqu'au coteau au nord et jusqu'à l'église à l'est, autour de laquelle des tombes ont été implantées autour du 9e siècle (cf. 12.6). La zone fouillée ne constitue donc qu'une fraction de l'aire funéraire et n'a été occupée qu'à partir du 11e siècle.

    La première phase s'achève avec un chantier de construction ayant laissé des traces importantes dans le cimetière, et que l'on peut associer à l'édification du bâtiment 5.

    12.2.2 La deuxième phase d'utilisation du cimetière, contemporaine du bâtiment 5

    La deuxième phase du cimetière correspond à l'utilisation de cet espace entre le chantier de construction du bâtiment 5, à la fin du 11e siècle ou au début du 12e siècle et la construction du bâtiment 2, qui a constitué un changement important de cet espace, à la fin du 12e siècle (cf. 1.2.6, Fig. 1-66). Les quinze sépultures (Fig. 12-34) contenaient de nombreux ossements redéposés, indiquant la fréquence des recoupements et donc une forte densité d'utilisation, mais la réutilisation de contenants est également attestée par la sépulture S.73 , pratiquée dans un coffrage en pierre, impliquant des marquages en surface non conservés (Fig. 1-67, 1-70). Il s'agit du seul contenant identifié avec certitude, les autres sépultures ayant probablement été réalisées dans des contenants en matériaux périssables, laissant peu de traces. Le mobilier lié à ces sépultures est essentiellement composé de fragments de céramique ou de verre redéposés associés à des tessons du 12e siècle (groupes techniques to1k ; to8f ; to7b). Les limites du cimetière au sud et à l'ouest ne semblent pas avoir varié depuis la première phase.

    Ces inhumations semblent interrompues, peut-être à la fin du 12e siècle, au moment où plusieurs fosses sont creusées dans le cimetière, dont deux ossuaires. Elles indiquent des nettoyages de la zone funéraire, avant le chantier de construction du bâtiment 2, attesté par des remblais puis par le creusement destiné à la construction du mur nord du bâtiment M.1002  et de son contrefort massif CTF 1127 .

    12.2.3 La troisième phase d'utilisation du cimetière, contemporaine du bâtiment 2

    La construction du bâtiment 2 au sud de la zone funéraire, a conduit à des changements dans l'utilisation du cimetière. Les fosses des neuf sépultures (Fig. 12-35) sont majoritairement orientées comme les murs du nouvel édifice, contrastant fortement avec l’orientation des fosses des deux premières phases (cf. 2.3, Fig. 2-52, 2-53). Il existe des recoupements de sépultures au nord, mais les plus récentes sont nettement juxtaposées et semblent donc avoir comporté des marquages en surface (S.52 , S.53 , S.55 ), conservés grâce à l'abandon de la zone funéraire à la fin du 13e siècle (Fig. 12-2). Les blocs de marquage des sépultures 52  et 55  ont ainsi été recouverts partiellement par des remblais et n'ont pas été détruits par les arasements ultérieurs ou le creusement d'une grande tranchée le long du mur au début du 15e siècle (F.1033 ). Le cimetière a donc été utilisé jusqu'au début d'un nouveau chantier important dans cette zone : la construction du porche de l'église au début du 14e siècle.

    12.3 Les modes d'inhumation

    12.3.1 La restitution des modes de décomposition et les contenants

    Les espaces de décomposition ont été définis par l’observation de la chronologie de lâchage des articulations, le caractère à l’intérieur ou à l’extérieur du volume corporel initial des mouvements osseux et la présence ou l’absence d’effets de contrainte dans ces déplacements (Duday 1990).

    Ces observations réalisées sur les sépultures ont permis de déterminer que les corps se sont décomposés en espace vide dans la grande majorité des cas, seules six sépultures restant indéterminées pour les trois phases. Quelques éléments permettent de préciser le mode d'inhumation et les pratiques funéraires pendant toute l'utilisation du cimetière (Fig. 12-2).

    Pour la période correspondant à l'occupation de la zone funéraire, les contenants observés dans la région peuvent être variés : coffrages anthropomorphes en pierres d'appareil, coffrages et cercueils en bois, cloués ou non (Boissavit-Camus et al. 1996). Le coffrage est aménagé dans la tombe même tandis que le cercueil est utilisé pour le transport puis l'inhumation du défunt et n'a donc pas la même fonction dans les pratiques funéraires. La distinction entre ces contenants peut être très difficile à mettre en évidence, du fait de la mauvaise conservation des matériaux périssables et de l'utilisation de chevilles en bois ne laissant pas de traces.

    À Marmoutier, à l'exception du coffrage en pierre de S.73 , les traces archéologiques des contenants sont ténues. Toutefois, la présence de plus de dix clous associée à des traces de matières organiques témoignant de la décomposition de planches de bois a été considérée comme un marqueur de la présence possible de cercueils (Fig. 12-11, 12-12). Les autres sépultures décomposées en espace vide contenant ou non des traces de bois et peu ou pas de clous ont été associées à des contenants en matériaux périssables indéterminés, pouvant correspondre à des coffrages comme à des cercueils chevillés (Fig. 12-2).

    Le type de contenant des sépultures les moins bien conservées ou celles dont le squelette n'a pas été observé reste indéterminé en l'absence d’informations sur le mode de décomposition des corps.

    Le coffrage en pierre

    Un seul contenant en pierre a été observé dans la zone de fouille. La sépulture S.73  était constituée d'un coffrage de blocs de tuffeau anthropomorphe, avec une loge céphalique constituée de deux blocs (Fig. 0-107, 0-108). Le coffrage semble avoir été lié au mortier côté nord et était fermé à l'aide de plusieurs blocs de grand appareil, dont quatre étaient conservés, le creusement d'une sépulture postérieure ayant perturbé à la fois le couvrement et la paroi nord du coffrage. La forme de l'alvéole céphalique, créée par deux blocs taillés en arc de cercle et formant un fond sur lequel le crâne repose (Fig. 1-69), constituerait une variante du type B défini par Henri Galinié et Élisabeth Zadora-Rio, formé en principe d'un seul bloc (Boissavit-Camus et al. 1996 : 263).

    L'existence d'un unique coffrage en pierre pour la période d'utilisation de cette zone du cimetière est inhabituelle si l'on compare à d'autres sites de la région, qui concentrent généralement un nombre important de tombes en coffrage de pierre : 20 % environ des tombes pour la période des 11e-15e siècles à Saint-Mexme de Chinon (Lorans 2006 : 268) et Rigny (Zadora-Rio, Galinié et al. 2020). Toutefois, la zone fouillée à Marmoutier est très limitée et n'est pas nécessairement représentative de toute la zone funéraire.

    Ce type de contenant est bien attesté à Tours de la fin du 10e au 14e siècle ou à Rigny et Saint-Mexme de Chinon du 12e au 15e siècle (Boissavit-Camus et al. 1996 ; Lorans 2006 : 286).

    La datation de S.73  n'est pas assurée : la chronologie relative indiquerait une datation au cours du 12e siècle, qui est compatible avec les coffrages de pierre observés dans la région, mais la datation radiocarbone fournit une datation correspondant à la fin du 10e siècle au plus tard, a priori incompatible avec les données stratigraphiques (Fig. 12-9).

    Coffrages en bois et cercueils

    La présence de contenants en bois a le plus souvent été attestée indirectement, en identifiant une décomposition en espace vide, le terrain n'étant pas particulièrement favorable à la conservation des matériaux organiques.

    Seules quelques sépultures contenaient des traces de décomposition du bois correspondant à des parois le long des jambes (S.58 , S.62 , Fig. 1-68) ou à un couvercle recouvrant les jambes (S.56 , Fig. 2-54) ou le thorax (S.66 ). L'attribution de ces traces à un coffrage ou à un cercueil est difficile sur ces seuls critères.

    Des coffrages ont parfois été mis en évidence dans la région, grâce à la présence de blocs de calage ou de traces rectilignes dans les sédiments à Cubord ou Saint-Mexme de Chinon (Boissavit-Camus et al. 1996 : 265), mais la distinction avec des cercueils chevillés n'est généralement pas établie. La dimension des fosses a parfois été utilisée à Saint-Mexme pour distinguer l'emploi de coffrages réalisés in situ dans des fosses étroites de l'utilisation de cercueils nécessitant des fosses plus larges. Toutefois, à Marmoutier, les sédiments constituant l'encaissant et le comblement des sépultures des phases 1 et 2 sont très similaires, ce qui a entraîné des difficultés pour identifier les parois des fosses dans certains cas. De plus, les tombes les plus anciennes sont mal conservées et ont été perturbées à plusieurs reprises.

    Les contenants en bois sont attribués à Saint-Mexme essentiellement à la période carolingienne, mais existent jusqu'à la période moderne (Lorans 2006 : 282). L'existence de coffrages ou de cercueils chevillés à Marmoutier du 11e au 13e siècle n'est donc pas incompatible avec les données régionales.

    La présence de quelques clous dans les tombes n'indique pas nécessairement l'existence d'un contenant cloué, puisqu'elle peut résulter d'une redéposition fortuite. À l'opposé, les perturbations des sépultures, notamment pour la phase la plus ancienne, ont pu conduire à sous-estimer le nombre de clous associés à ces fosses.

    Toutefois, Trois sépultures ont été définies comme de possibles inhumations en cercueil, grâce à la présence de plus de 10 clous associées à des traces de bois. Le nombre de clous observés reste limité au vu des observations sur d'autres sites funéraires, où une moyenne de 20 clous a été déterminée pour le site de Rigny, ou 17 à 54 clous en Anjou (Henrion et Hunot 1996 : 201).

    Ces trois inhumations sont associées à la dernière phase du cimetière, au cours du 13e siècle, Or cette datation semble précoce par rapport à l'utilisation de cercueils cloués attestés dans la région : elle n'est pas avérée avant le 15e siècle à Tours ou le 14e siècle à Angers (Henrion et Hunot 1996 : 203)

    Les inhumations situées près de l'hôtellerie de Marmoutier semblent différentes de ce qui a pu être observé à Tours, Saint-Mexme de Chinon, à Rigny ou à Tours. Il n'existe qu'un seul coffrage maçonné, la majorité des tombes est aménagée en contenants en bois indéterminés et quelques cercueils pourraient exister, mais à une date plus précoce que sur les autres sites. Toutefois, rien ne permet de déterminer si les modes d'inhumation observés sont représentatifs de l'ensemble de la zone funéraire de Marmoutier.

    12.3.2 L'utilisation de linceuls ?

    Les preuves de l'utilisation de linceuls sont peu nombreuses : quelques squelettes portent les traces de compressions partielles et deux sépultures uniquement contenaient une épingle (S.53  et S.60 ). Toutefois, il est probable que les corps aient été enveloppés dans des linceuls sans utilisation d'épingles, les traces restant dans ce cas discrètes. Notons que l'état de conservation des sépultures des deux phases les plus anciennes, comportant de nombreuses perturbations et recoupements, a nécessairement limité les observations nécessaires à l'identification des compressions des corps.

    12.3.3 Les marquages en surface

    Les indices de marquage en surface sont difficiles à déceler pour les phases les plus anciennes, du fait des nombreux recoupements. Toutefois, la réutilisation du coffrage en pierre S.73 , d'après la présence d'ossements d'au moins deux individus soigneusement disposés sur le couvercle, pourrait indiquer un marquage ayant permis de repérer la tombe de manière durable. En revanche, la présence d'ossements dans d'autres tombes indique plutôt des recoupements accidentels suivis du dépôt secondaire des ossements découverts dans les nouvelles fosses, sans indice suggérant des recreusements volontaires des mêmes fosses, puisqu'il ne s'agit pas à proprement parler de réductions in situ.

    La dernière phase du cimetière comportait trois sépultures avec des marquages en surface (Fig. 12-2). S.53  était ainsi recouverte d'un monticule de terre, ce qui constitue le marquage en surface le plus simple, mais probablement le plus éphémère. Il a été préservé par l'apport de remblais postérieurs qui ont conservé son relief.

    Deux autres sépultures comportaient des blocs servant de marquage. Celui de la sépulture S.55  était situé au-dessus du bassin et ne semblait pas dépasser du sol, à la manière d'une dalle (Fig. 2-56), tandis que le bloc de S.52 , gravé d'une marelle et partiellement écrêté, était disposé au-dessus de la tête de l'inhumé, dépassant du sol (Fig. 2-55).

    Les éléments découverts démontrent l'existence de marquages, mais pas nécessairement pérennes et parfois peu précis, puisque les blocs conservés avaient des positions différentes au-dessus des corps, ce qui a certainement entraîné les recoupements de fosses observés.

    12.4 Le mobilier funéraire

    La présence de mobilier funéraire pour les trois phases du cimetière est très rare et limitée au dépôt de vases à encens dans les fosses de trois sépultures de la dernière phase du cimetière, correspondant au 13e siècle et dans une sépulture de la phase précédente. Cette dernière sépulture, S.93  (phase 2, Fig. 1-71), contenait les tessons d'un vase brisé mais complet, éparpillé dans le comblement de la fosse.

    Les sépultures S.55  et S.58  comportaient chacune un vase déposé dans le comblement. Celui de S.55  a été observé dans la coupe stratigraphique nord du secteur, le corps lui-même étant hors de la zone fouillée. Le vase, découvert brisé mais entier et vide de sédiment, était disposé à l'ouest de la fosse, à proximité de la tête de l'individu inhumé (Fig. 2-56).

    La sépulture S.58  contenait un pot situé au-dessus des pieds de l'inhumé : il a été découvert brisé, probablement écrasé au moment du creusement de la grande tranchée F.1033  au 15e siècle, dont le fond était situé à quelques centimètres seulement au-dessus du vase (groupe technique to1k).

    Enfin, la sépulture S.53  a fourni un ensemble de vases à encens mieux conservé : une oule percée de trous était déposée dans le comblement de la fosse, une cinquantaine de centimètres au-dessus des pieds (groupe technique to1k, Fig. 2-57, Fig. 2-58). Elle était associée au fond d'un second pot renversé utilisé comme couvercle, les tessons correspondant à la partie supérieure étant disposés autour. Il s'agit donc d'un dépôt soigneux, faisant partie du rite funéraire courant aux 12e-14e siècles dans la région (Gaultier et Husi 2017).

    Des observations effectuées sur d'autres sites de la région ont démontré une corrélation importante entre la présence de coffrages en pierre et le dépôt de vases funéraires pour les 12e-14e siècles (Gaultier et Husi 2017 : 197-198), mais les sépultures S.53  et S.58  sont probablement associées à des cercueils, tandis que le contenant de S.55  reste indéterminé (Fig. 12-2).

    Si l'on considère les sépultures contenant des vases, le nombre de vases par sépulture est faible à Marmoutier par rapport à la moyenne de 2,4 vases calculée par Matthieu Gaultier et Philippe Husi pour cette période (Gaultier et Husi 2017 : 199-201).

    En revanche, la proportion de sépultures contenant des vases pour les deux dernières phases de la zone funéraire (12e-13e siècles) est de 12,5 %, soit un taux plus élevé que pour la plupart des sites étudiés par Matthieu Gaultier et Philippe Husi, dont la majorité des taux est inférieure à 10 %, que ce soit des cimetières paroissiaux ou associés à des établissements religieux (12e-14e siècles, Gaultier et Husi 2017 : 197).

    Plusieurs tombes fouillées par Charles Lelong dans l'église abbatiale ont montré un nombre bien plus important de vases funéraires déposés. Il s'agit de tombes de religieux, inhumés dans le chœur ou le transept de l'église, et elles sont postérieures à la fin de l'utilisation funéraire du secteur fouillé en zone 4. Les sépultures 3  et 6  comportaient respectivement 8 et 13 vases funéraires datables de la fin du 13e siècle ou du 14e siècle (pot 12-1, groupe to1d, Husi 2003 : 23). La sépulture S.26  contenait quant à elle vingt vases funéraires que l'on peut attribuer à la fin du 15e siècle et au 16e siècle (pot 13-2, groupe to9b, Husi 2003 : 24).

    La faible surface fouillée à Marmoutier empêche de déterminer si les sépultures observées sont représentatives du reste de la zone funéraire en ce qui concerne les contenants et les pratiques funéraires. Toutefois, l'étude anthropologique apporte des éléments indiquant qu'il s'agit d'une population avec un recrutement spécifique.

    12.5 Étude anthropologique

    Samuel Bédécarrats et Valentin Miclon

    La fouille du cimetière a permis d'identifier et d'étudier trente-trois individus en place dans les sépultures, auxquels s'ajoutent de nombreux ossements humains redéposés, que ce soit sous la forme de réductions (S.73 ), dans des fosses ossuaires ou des regroupements moins systématiques (F.1231 , F.1189  ; F.1376 , 1463 , 1464 ), dans le comblement de sépultures ou encore dans des couches de remblais adjacentes.

    L'étude anthropologique a été menée par Christian Theureau de 2007 à 2012 sur les squelettes en place dans les sépultures et les ossements erratiques, puis elle a été reprise par Valentin Miclon et Samuel Bédécarrats à partir de 2015 en ce qui concerne les individus en position primaire.

    Cette dernière étude a consisté en un examen macroscopique complet des vestiges osseux afin d’estimer l’âge et de déterminer le sexe de chacun des sujets (Fig. 12-4), mais également d’identifier différents stigmates révélant une éventuelle atteinte pathologique ou traumatique (Fig. 12-5).

    L’estimation de l’âge et la détermination du sexe ont été réalisées à partir de méthodes proposant un maximum de fiabilité. Ainsi, la détermination du sexe a été effectuée grâce à la diagnose sexuelle probabiliste (Murail et al. 2005), outil précis et fiable au seuil de 95 %, qui est applicable avec un minimum de quatre mesures parmi une dizaine proposée par les auteurs. Les individus en position primaire présentant tous les signes d’une ossification achevée, l’estimation de l’âge des individus a été réalisée à partir de l’étude de la morphologie de la surface sacro-pelvienne iliaque selon la méthode de Schmitt (Schmitt 2005). Les estimations d’âge des individus retenues sont celles qui présentent une fiabilité au seuil de 90 % (une ou plusieurs classes d’âge décennales sont donc retenues).

    12.5.1 Les limites de l’étude

    L’étude des restes osseux provenant de la fouille du cimetière se heurte à un corpus relativement restreint de trente-trois individus en position primaire, pour la plupart relativement mal représentés du fait de l’emprise limitée du secteur et de recoupements observés entre certaines fosses. Ainsi seuls quinze d’entre eux sont représentés par au moins la moitié de leur squelette. Cette donnée explique le caractère partiel d’informations comme la détermination du sexe, l’estimation de l’âge de certains individus, mais limite également les observations paléopathologiques. Ces dernières sont également soumises à la capacité des différentes pathologies à laisser une empreinte caractéristique sur les os. Enfin, si certaines maladies sont susceptibles de les marquer, il est possible que le malade en soit décédé avant l’apparition de ces stigmates ou, à l’inverse, qu’il ait survécu, mais que le tissu osseux ait conservé la trace de l’atteinte. Dans ce cas, l’individu décédé des suites de la maladie renverra l’image d’un être exempt alors que celui qui aura survécu paraîtra en avoir été atteint jusqu’à sa mort (Wood et al. 1992).

    12.5.2 Les résultats

    Parmi les trente-trois individus en position primaire étudiés, dix-neuf ont pu faire l’objet d’une diagnose sexuelle (Fig. 12-13). Ainsi cet échantillon se compose de quatorze hommes et cinq femmes auxquels s’ajoutent quatorze individus de sexe indéterminé. Ces résultats semblent indiquer une sélection préférentielle d’individus masculins, cependant la prudence s’impose considérant l’effectif faible sur lequel ils reposent et le nombre élevé d’individus dont le sexe n’a pas été déterminé.

    L’estimation de l’âge par la méthode de Schmitt (Schmitt 2005) n’a pu être réalisée que pour les mêmes dix-neuf individus. Cependant les observations menées sur l’ensemble de la collection ont permis de constater que tous les individus de ce corpus sont des adultes ayant atteint la maturité osseuse.

    Par ailleurs, Christian Theureau a observé que l’ensemble des restes osseux erratiques appartient à des individus adultes, à l’exception d’un individu immature représenté uniquement par trois pièces osseuses, découvert dans le comblement de la sépulture S.56 , associé aux ossements de deux adultes.

    Le groupe d’individus en position primaire, mis au jour au sein de cet espace funéraire proche de l’hôtellerie, ne correspond pas à une population naturelle. Elle traduit une sélection d’individus adultes avec un accès masculin vraisemblablement plus important. La gestion de l’espace sépulcral indiquant une utilisation sur une période relativement longue, comprise entre le 11e siècle et la fin du 13e siècle, il est exclu que le décès de ces individus résulte d’une « crise de mortalité » (Bizot 2005).

    Le détail de ces informations est présenté en annexe sous la forme d'un catalogue de sépulture (Fig. 12-14).

    12.5.3 Un recrutement spécifique

    L’observation des caractéristiques ostéologiques des différents individus mis au jour a permis de mettre en avant des particularités quant à l’état sanitaire de certains d’entre eux. Si l’ensemble des informations propres à chaque individu sont reportées dans la fiche le concernant (Fig. 12-14), les tableaux des figures 12-13 et 12-15 récapitulent certaines manifestations osseuses remarquables, observées parmi ces trente-trois individus (Fig. 12-5). Elles correspondent notamment à des atteintes traumatiques, des malformations congénitales ou acquises et ont la particularité d’être, pour certaines, présentes au sein du corpus dans des proportions particulièrement importantes en regard des prévalences connues au sein de populations archéologiques ou dans les populations actuelles.

    Par exemple, dans les cimetières paroissiaux et monastiques du Moyen Âge et de l’époque Moderne, la proportion d’individus présentant au moins une fracture est généralement comprise entre 3 et 13 % (Husi, Lorans et Theureau 1990 ; Mays 1991 ; Castex 1994 ; Grauer et Roberts 1996 ; Theureau 2006-2007 ; Papin et al. 2013 ; Bédécarrats et al. à paraître, Fig. 12-16) ; or au sein de notre échantillon, ce sont au moins six individus sur trente-trois soit 18,7 % qui présentent au moins une fracture, ce qui se rapproche des pourcentages observés dans des établissements au sein desquels l’accueil et/ou la prise en charge de malades est attestée.

    Une de ces pathologies remarquables concerne l’individu de la sépulture 56  qui présente une plagiocéphalie par synostose hémi-coronale gauche (Fig. 12-17), provoquant une dysmorphie cranio-faciale pouvant avoir un retentissement fonctionnel. La plagiocéphalie dans la population française actuelle a une prévalence d’1/20 000 naissances (Renier, Arnaud et Marchac 2006) avec une distribution en faveur d’un côté droit principalement touché par la synostose (61 % des cas) et avec une prédominance féminine nette (69 % des cas) (Renier, Arnaud et Marchac 2006). Or, dans ce cas, c’est la suture coronale gauche de cet individu masculin qui est touché. Ce type de malformation congénitale peut avoir des répercussions vasculaires, ophtalmologiques et neurologiques.

    Un cas de défaut de segmentation des troisième et quatrième vertèbres cervicales a été observé sur le rachis de l’un des individus (Fig. 12-18). Ce phénomène peut faire partie d’un syndrome de Klippel-Feil (Samartzis et al. 2006). Il se caractérise par un cou petit et large, une implantation basse des cheveux, des douleurs et une raideur nucale. Le système nerveux central est occasionnellement affecté et des troubles auditifs, musculaires et cardiaques peuvent être associés (Hensinger, Lang et MacEwen 1974). Le diagnostic positif d’un syndrome de Klippel-Feil est délicat à avancer car il n’existe pas de consensus sur les critères d’identification de ce syndrome en paléopathologie (Dastugue et Gervais 1992 : 131 ; Lewis 2018). Si le cas identifié à Marmoutier est avéré, l’individu devait présenter une difformité et a pu souffrir de troubles associés.

    Un individu présente une pneumatisation de l’un de ses cornets nasaux (conchabullosa) associée à la déviation de son septum nasal (Fig. 12-19). Cet état semble favoriser les sinusites chroniques (Hatipoğlu, Cetin et Yüksel 2005). Dans le cas identifié à Marmoutier, une sinusite maxillaire est supposée en raison d’une ostéite se manifestant sous la forme d’une perforation de l’os maxillaire (Fig. 12-20). Cette infection a pu provoquer d’importantes douleurs et des gênes respiratoires.

    Cinq individus (15 % de l’échantillon) présentent un processus styloïde dépassant les 2,5 cm (Fig. 12-21). Ce phénomène, appelé syndrome d’Eagle (Eagle 1937), se retrouve chez moins de 7 % de la population actuelle (Kaufman, Elzay et Irish 1970) et peut être associé à des douleurs irradiantes depuis la gorge, des sensations de corps étranger à l’intérieur de celle-ci, des dysphonies et des lésions neurologiques (Moon et al. 2014).

    Ainsi, l’échantillon d’individus se distingue par sa composition par âge et par sexe manifestement atypique, mais également par la présence de manifestations osseuses pathologiques rares (synostose hémicoronale, klippel-Feil) et de variations anatomiques (Eagle) présentes dans des proportions bien supérieures à celles connues dans les populations archéologiques ou dans les populations actuelles. Ces éléments, ainsi que le taux de fractures, permettent de supposer que le recrutement de l’ensemble funéraire s’est fait, en partie, sur critère sanitaire.

    12.5.4 Comportements alimentaires des individus mis au jour au sein de l’espace funéraire

    L’étude des rapports des isotopes stables du carbone et de l’azote (respectivement 13C/12C et 15N/14N) du collagène osseux permet de documenter les comportements alimentaires des dix dernières années de la vie des individus des populations du passé et plus spécifiquement de leurs parts protéiques (Ambrose et Krigbaum 2003). Entre le collagène osseux d’une proie et celui de son consommateur se produit un enrichissement de ~1 ‰ pour le δ13C et de 3-5 ‰ pour le δ15N (Ambrose et Norr 1993 ; Bocherens et Drucker 2003). Ainsi en comparant les valeurs isotopiques d’une population archéologique à celles d’un corpus archéozoologique local et contemporain du groupe humain étudié, on peut rechercher de quel(s) pôle(s) alimentaire(s) se rapprochent les individus qui le composent. Les analyses isotopiques de l’alimentation sont largement utilisées pour étudier les comportements alimentaires de la période médiévale en Europe, mais demeurent assez rares en France (Bocherens et al. 1991, Herrscher et al. 2003, Miclon et al. 2017, Colleter et al. 2017, Miclon et al. 2018, Mion et al. 2018). Cette démarche a été appliquée à Marmoutier et les résultats isotopiques du groupe de trente-trois individus ont été comparés à ceux de soixante animaux locaux et contemporains de la population étudiée (Fig. 12-22). Le corpus faunique a été découpé en fonction des environnements, des comportements alimentaires et du caractère sauvage ou domestique. Lorsqu’on applique un enrichissement en isotopes lourds théorique à chacun de ces groupes d’animaux, il apparaît qu’une alimentation humaine composée principalement d’omnivores pourrait expliquer les valeurs obtenues. En effet la très grande majorité des individus entre dans le cadre théorique d’une consommation exclusive d’omnivores comme source de protéines animale. Cependant une consommation mixte d’herbivores et d’une infime quantité de ressources marines pourrait également expliquer les résultats obtenus. Ainsi l’identification précise des ressources alimentaires de la population demeure incertaine.

    Nous avons ensuite comparé les résultats obtenus au sein de la population de Marmoutier à ceux d’un groupe de 33 individus inhumés entre le 13e et le 18e siècle au sein de l’église paroissiale rurale de Joué-lès-Tours (Fig. 12-23) (Miclon et al. 2017). Ce dernier présente un enrichissement en isotopes lourds du carbone et de l’azote significativement supérieur à la population de Marmoutier, traduisant une part protéique quantitativement et qualitativement supérieure pour Joué-lès-Tours par rapport à celle de la population inhumée près de l’hôtellerie. De plus, la population jocondienne présente une variance significativement plus importante pour la variable δ13C par rapport à l’échantillon de Marmoutier traduisant une plus grande homogénéité des ressources consommées par les individus de celui-ci.

    Enfin, aucune différence statistique n’a été mise en évidence entre les individus mis au jour au sein de cet espace funéraire, que ce soit sur critère sexuel ou entre les phases d’inhumation (Fig. 12-24).

    Ainsi en l’état actuel des investigations paléoalimentaires, les individus mis au jour aux abords de l’hôtellerie de Marmoutier présentent une alimentation appauvrie en protéines, mais également moins diversifiée par rapport à ceux inhumés dans l’église paroissiale de Joué-lès-Tours. De nouvelles analyses similaires menées sur d’autres populations tourangelles devraient permettre prochainement de mieux caractériser le groupe de Marmoutier au sein de la variabilité des comportements alimentaires médiévaux de Tours.

    L’étude biologique de l’échantillon d’individus mis au jour au sein de l’espace funéraire au nord de l’hôtellerie se distingue par sa composition par âge et par sexe manifestement atypique, mais également par la présence de stigmates de traumatismes, de manifestations osseuses remarquables et de certaines pathologies dans des proportions anormales au regard de celles connues dans les populations archéologiques ou actuelles. Les premiers résultats de l’approche paléoalimentaire, décrivant une alimentation appauvrie en protéines et moins diversifiée par rapport à celle d’une autre population locale, confirment que les individus inhumés près de l'hôtellerie correspondent à un recrutement particulier.

    Le recrutement funéraire peut évoquer une population ayant bénéficié d’une forme de soin ou d’assistance. Cependant, les modalités de cette assistance restent difficiles à définir. En effet, l’interprétation paléopathologique est limitée par la mauvaise représentation osseuse. De plus, les traces pathologiques sont parfois trop ténues pour estimer les conséquences de ces phénomènes du vivant des individus. La mise en perspective des pathologies avec une prise en charge, en l’absence de preuves directes de soin (traces d’interventions chirurgicales, prothèses) est soumise à la perception médiévale de l’infirmité (Tilley 2015 : 3). La notion d’accueil au Moyen Âge est large et ne se limite pas aux malades. L’accueil est l’expression de la charité chrétienne et se manifeste par l’assistance envers les infirmes et les indigents (Agrimi et Crisciani 1995 : 151).

    La discussion des résultats paléoalimentaires en tant que témoins d’une prise en charge est également soumise à cette variabilité des formes et objets de l’assistance. Les spécificités alimentaires de la population peuvent résulter d’un accueil d’indigents comme de l’intégration de l’alimentation dans une thérapeutique. La maladie, à cette période, est perçue comme résultant d’un trouble dans l’équilibre des humeurs. Ce déséquilibre peut être contrebalancé par la mise en place d’un régime qui règle l’activité, l’environnement et l’alimentation (Siraisi 1990 : 121 ; Nicoud 2007 : 8). La quantité réduite des apports protéiques et la variabilité alimentaire moindre par comparaison avec un référentiel paroissial peuvent donc aussi bien renvoyer à une alimentation inscrite dans une thérapeutique qu’à une alimentation de moindre qualité réservée à des pauvres et s’inscrivant dans une expression de la charité.

    Ainsi, les indices d’une prise en charge de ces individus restent ténus et la caractérisation de cette dernière n’est pas évidente. Les spécificités du recrutement funéraire sont cependant suffisantes pour supposer que ces individus ont été sélectionnés sur critères sanitaires et bénéficiaient d’une alimentation particulière.

    12.6 Synthèse

    La zone fouillée correspondrait donc à un recrutement spécifique, mais est-il possible de caractériser l'espace funéraire en ce qui concerne son emprise, sa chronologie ou la population inhumée ? La position des sépultures de la zone 4, à l'entrée du monastère, accessible aux laïcs, limitée au nord par le coteau, près de la voie qui le longe et qui mène vers le lieu de culte situé à l'est, incite à considérer le lien entre ces différents éléments.

    L'église abbatiale fut reconstruite à plusieurs reprises entre les 6e-7e siècles et les 13e-14e siècles, avec des dimensions de plus en plus imposantes ; la façade du dernier état roman était située à 35 m seulement des sépultures fouillées et la façade du 13e siècle à moins de 30 m.

    La présence d'inhumations à proximité de l'église est attestée archéologiquement peut-être dès le 9e siècle (Fig. 12-25, 12-26) puis devant la première façade romane au 11e siècle (Fig. 12-27). Les neuf sépultures fouillées au plus près de la façade du 11e siècle constituent probablement des sépultures privilégiées, notamment la sépulture 104, comportant un coffrage de pierres maçonné avec une loge céphalique constituée de trois blocs (type A, Fig. 12-28).

    Des sépultures privilégiées laïques sont de plus mentionnées au 11e siècle dont celle d'une femme dans la galilée de l'église, tandis que des sépultures d'abbés sont indiquées entre la fin du 10e et le 12e siècle dans l'atrium, le porticus, dans l'entrée de l'église (in introitu) et dans le chœur liturgique (Chronique des abbés de Marmoutier : 318-320 ; Lelong 1992 : 475 ; Lorans et Creissen 2014 : 536).

    Les données archéologiques manquent pour définir l'ampleur de l'utilisation funéraire de ces espaces. Les fouilles n'ont pour le moment pas permis de vérifier l'existence d'un massif occidental dans l'église romane et la fouille a été très réduite autour de la seconde façade romane. Ces données restent limitées, mais attestent l'existence d'une zone funéraire autour des églises depuis le 9e siècle et au moins jusqu'au 11e siècle.

    Les sépultures les plus anciennes observées en zone 4 datent du 11e siècle (Fig. 12-27). Elles se trouvent à proximité d'un bâtiment dont la fonction d'accueil est supposée (bâtiment 6, phase 1), situé près de l'entrée du monastère. Il est possible que toutes les sépultures identifiées pour cette période appartenaient à une même zone funéraire accessible aux laïcs, qui s'étendait depuis l'église vers l'ouest, et qui pouvait comporter des recrutements spécifiques, correspondant à une sectorisation de l'espace funéraire, utilisé jusqu'à la fin du 13e siècle auprès de l'hôtellerie (Fig. 12-29, 12-30).

    Les analyses anthropologiques des squelettes de la zone 4 ont démontré la spécificité du recrutement, avec des variations dans le temps, d'individus aux pathologies nombreuses, ayant pu bénéficier d'une prise en charge dans le monastère et avec une alimentation pauvre en protéines.

    L'aide aux indigents dans le monastère est attestée par les sources textuelles qui mentionnent la présence à Marmoutier de moines médecins réputés aux 11e et 12e siècles (Dubreuil-Chambardel 1914, Aron 1992). La prise en charge et l'hébergement d'individus, que ce soit dans l'hôtellerie ou dans un édifice aux fonctions proches, sont donc envisageables pour cette période au sein du monastère.

    Les individus pris en charge ont pu être regroupés dans une zone spécifique de l'espace funéraire utilisé par d'autres types de populations : élites au plus près de l'église, mais également famili travaillant dans le monastère. Il ne s'agit toutefois pas d'un cimetière paroissial, cette fonction étant remplie par le cimetière de Saint-Ouen (Sainte-Radegonde à la période moderne), à l'ouest de l'abbaye.

    L'utilisation du cimetière a changé au cours des siècles, soit à cause de contraintes spatiales, comme la reconstruction de l'hôtellerie, qui a entraîné des variations dans l'orientation des tombes, l'agrandissement des églises, soit de changements des pratiques funéraires et du mode de recrutement des populations inhumées.

    L'abandon du cimetière observé en zone 4 avant le début du 14e siècle coïncide avec la construction du porche de l'église et avec des travaux dans l'hôtellerie, c'est-à-dire à une période de changements importants dans l'espace formant l'entrée du monastère (Fig. 12-31).

    La répartition des sépultures attestées dans le monastère pour les phases suivantes semble montrer une réduction forte de la fonction funéraire, ou son déplacement dans des zones non fouillées avant une reprise importante à la période moderne avec le creusement de nombreuses sépultures à l'intérieur de l'église, dans la nef et le chœur (Fig. 12-32).

    CONCLUSION GÉNÉRALE

    Conclusion générale

    Émeline Marot

    L'étude de l'hôtellerie de Marmoutier, associant fouille, études architecturales et étude de mobilier sur près de dix ans, a fourni une masse documentaire concernant non seulement la grande hôtellerie de la fin du 12e siècle construite par Hervé de Villepreux qui était l'objet d'étude originel, mais également une zone funéraire inconnue, un ensemble de bâtiments plus anciens, dont un édifice privilégié qui pourrait être un premier lieu d'accueil. Les modifications architecturales témoignent des changements de pratiques au sein de l'édifice, de l'évolution des goûts en matière de décor et d'hygiène ainsi que des besoins des occupants. Les premières phases sont caractérisées par les nécessités d’accueil et la volonté ostentatoire qui lui est liée. Les bâtiments reflètent donc ce double objectif, surtout l'hôtellerie de la fin du 12e siècle, avec une architecture soignée, un décor abondant et des équipements domestiques. Les phases suivantes montrent tout d'abord une continuité de l'occupation (le changement de décor ne signifiant pas un changement de fonction du bâtiment) puis une transformation à la fois de la fonction de l'édifice et de la façon dont il est perçu et modifié à partir de l'époque moderne : division des espaces, détériorations et réparations des maçonneries, nouvelles fonctions pour le rez-de-chaussée (artisanat, écuries). La construction de l'aile ouest au 18e siècle montre une nouvelle facette de la fonction résidentielle de l'édifice, avec la juxtaposition d'un édifice ancien (transformé de nombreuses fois pour s'adapter aux nouveaux besoins avec plus ou moins de facilité) et d'un édifice neuf, répondant pleinement aux goûts de l'époque.

    L'étude de l'architecture et des matériaux de construction, de la vaisselle et des objets, comme de la zone funéraire a fourni des éléments pour appréhender l'édifice sur le long terme, du 10e au 19e siècle, mais certains aspects abordés dans cette étude peuvent encore révéler beaucoup sur le site de Marmoutier, comme le cimetière, qui n'a été que très partiellement fouillé, la relation entre l'hôtellerie et les abbatiales successives, ou avec l'église Notre-Dame-des-Sept-Dormants située sur le coteau, les circulations et le fonctionnement du monastère au sud et à l'est de l'hôtellerie, et l'occupation antérieure à l'hôtellerie à cet emplacement, situé en bordure du monastère au haut Moyen Âge.

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